SOMMAIRE.
Texte : Histoire de la semaine. — Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand — Nos gravures : L’attente; — Les tombes île Molière et de La Fontaine; — L’atelier de Corot; — Quelques notes sur l expédition de Francis Garnier au Tonking;
— Géneviève de Brabant, au théâtre de la Gaîté ; — Magasins du Bon Marché : la galerie des tableaux. — Hiyotoko, nouvelle japonaise, par M. Peyremal (suite). — Bulletin bibliogra
phique. — Le violon de faïence. — Revue comique du mois, par Bertall. — Revue financière de la semaine. — Faits divers. — Corot peignant d’après nature. — Echecs.
Gravures : L attente, d’après Mayer, de Brème. — Les tombeaux de Molière et de La Fontaine au Père-Lachaise. —La chambre mortuaire de Corot; — L’atelier de Corot. — L’expédition de M. Francis Garnier au Tonking : la citadelle d’Ha-Noï et le fleuve du Tonking. — Geneviève de Brabant, au théâtre de la Gaité. — Le violon de faïence (7 gravures). — Grands magasins du Bon Marché : la galerie des tableaux. — Revue comique du mois, par Bertall (12 sujets). — Corot poignant d’après nature. — Rébus.


HISTOIRE DE LA SEMAINE


FRANCE
Les lois constitutionnelles sont donc votées, promulguées. La république conservatrice est un fait sur lequel on ne peut plus revenir qu’en passant par une
certaine procédure déterminée. La barrière, il est vrai, n’est ni bien haute ni bien large, mais telle qu’elle est, elle suffit aux nécessités du moment. Le
pays demandait un gouvernement auquel chacun fût tenu d’obéir, qui imposât silence aux réclamations des partis, mît fin à leurs luttes, qui lui permît de travailler sans crainte du lendemain, de se refaire ; il l’a, voilà pour lui l’important. Et il apparaît que la majorité qui s’est entendue pour le constituer, ce gouvernement, continuera de s’entendre pour lui faire faire vie qui dure. Tous les efforts tentés pour la divi
ser semblent ne devoir avoir d’autre résultat que d’en unir plus étroitement les éléments divers. Les républicains sont devenus sages comme des images.
« L’histoire doit nous avoir guéris de l’ambition de fixer toutes les conquêtes d’un seul coup, dit non sans raison la République française. Nous voyons qu’un grand nombre échappe aux mains trop peu expéri
mentées pour les embrasser ensemble et que ce n’est que peu à peu, d’étapes en étapes, que les peuples marchent à la réalisation de leur idéal, s Dès aujour
d’hui, il y a donc lieu de croire que les prophéties de M. Yeuillot ne se réaliseront pas, et que ce sera vai
nement qu’il aura dit : « La majorité de coalition qui fait quelque chose de décisif s’épuise dans cet effort.
C’est une boîte de mitraille qui éclate, qui tue et qui meurt. »
La boîte de mitraille, autrement dit la majorité nouvelle, n’a encore tué ou du moins blessé griève
ment que l’empire. Il est vrai que c’est surtoufeontre lui qu’elle s’était formée et armée. Et loin d’être morte du coup, le jour même où elle votait les lois constitu
tionnelles elle se disposait à redoubler en écoutant d’une oreille complaisante, au milieu des cris de colère des bonapartistes, la lecture du rapport de M. Savary.
On sait que ce rapport avait été décidé à la suite du différend qui s’était élevé entre la commission d’enquête sur l’élection de la Nièvre et M. Tailhand, ministre de la justice, qui refusait de lui communi
quer le dossier de l’instruction à laquelle a donné lieu l’affaire du comité de l’Appel au peuple.
Ce document est divisé en deux parties : la première, contenant un exposé des faits relatifs à l’accu
sation de complot et d’association secrète en vue du rétablissement de l’empire, portée contre les bona
partistes ; la seconde, consacrée à l’examen du droit qu’ont l’Assemblée et la commission d’enquête de ré
clamer la communication de toutes les pièces néces
saires à la manifestation de la vérité. Les accusations contenues dans la première partie sont de la plus haute gravité. Il y est dit, en effet, que le parti bonapartiste est organisé en deux comités principaux, com
posés chacun de moins de vingt personnes, pour échapper à la loi ; que ces comités ont des ramiticatians dans les départements, des inspecteurs pour aller se rendre compte de l’état des petits comités et assurer leurs communications avec les grands, un conseil chargé de décider de l’emploi des fonds et du choix des procédés de propagande; que les bonapar
tistes ne reculent devant rien pour tromper l’opinion sur le caractère du président de la République et sur ses intentions ; qu’ils ruinent le principe d’autorité en semant la division dans l’armée et dans la gendarmerie, en plaçant dans chaque département une admi
nistration occulte destinée à combattre, discréditer et subjuguer l’administration du gouvernement, usant,
pour atteindre ce but, soit de promesses, soit de menaces ; qu’enfin ils sont en relation avec les débris de la Commune, qu’ils cherchent à s’attacher par mille moyens.
Toutes ces accusations sont-elles bien fondées? M. Savary l’affirme, et les pièces annexées à son rapport comme preuves à l’appui, et que tous les jour
naux publient en ce moment, semblent lui donner raison. Cependant il serait, croyons-nous, téméraire de se prononcer dès à présent, line seule des parties a parlé, et, comme ce procès ne peut être plaidé que contradictoirement, tout au moins est-il juste d’at
tendre la réplique de la partie adverse. Néanmoins il n’est pas douteux que la majorité de l’Assemblée na
tionale n’adopte les conclusions du rapport et n’invite par un vote, qui ne préjugera rien d’ailleurs quant au fond du débat, M. le garde des sceaux « à communi
quer à la commission d’enquête sur l’élection de la Nièvre les dossiers réclamés par elle ».
Nous n’en voulons pour preuve que les applaudissements qu’elle a prodigués à M. Savary. Elle battait des mains comme elle avait adopté une heure aupara
vant les lois constitutionnelles. Même entrain et même union dans les rangs, union qui depuis lors a persisté et sans doute persistera. Le renouvellement du bureau s’est fait dans un accord complet. M. Buf
fet, bien qu’appelé à former le nouveau ministère, a été en son absence (il était allé voir sa mère mourante à Mirecourt, d’où il vient de revenir), élu président par 479 voix sur 488 votants. La nouvelle majorité a également fait passer ses quatre candidats à la viceprésidence : MM. Martel, d’Audiffret-Pasquier, Audren de Kerdrel, qu’elle n’a point voulu combattre, espérant l’amener à elle, et Ricard, de la gauche, en rem
placement de M. Benoist-d’Azy, de la droite. De
même pour les secrétaires et les questeurs. L’entente existe également sur l’application des lois constitutionnelles et la formation du ministère qui va être ap
pelé à les mettre en vigueur, et dont M. Buffet paraît avoir décidément accepté la vice-présidence. Il aura pour principaux collaborateurs, dit-on, MM. Dufaure, Wallon et Bocher. Il n’y a cependant rien encore de définitivement arrêté, et peut-être les négociations dureront-elles encore deux ou trois jours. Mais qu’estce que cela? Maintenant la France se sent assez riche d’avenir pour faire volontiers crédit à l’Assemblée, fut-ce d’une semaine.
M. le président de la République a reçu dernièrement à l’Elysée le) nouvel ambassadeur d’Espagne, M. de Molins, qui lui a présenté ses lettres de créance. M. de Molins a exprimé en termes chaleureux à M. le maréchal de Mac-Mahon les sentiments de sympathie que le gouvernement qu’il représente éprouve à l’é­
gard de la France et qui sont ceux de toute la nation espagnole. Il a insisté sur la nécessité de l’union des deux peuples, entre qui les analogies de race, de cli
mat et de langue ont créé une véritable fraternité. Après les difficultés passagères qui s’étaient élevées entre les deux gouvernements sous l’administration du maréchal Serrano, le témoignage de cordiale ami
tié que l’ambassadeur d’Espagne vient nous apporter paraîtra d’autant plus précieux. Il inaugure de la ma
nière la plus favorable notre nouveau gouvernement constitutionnel.
A la suite de cette audience, M. de Hernandez, premier secrétaire d’ambassade qui vient d’être ap
pelé, au ministère des affaires étrangères à Madrid, à une position supérieure à celle qu’il occupait à Paris,
a fait ses adieux au maréchal, et il est parti pour l’Espagne avec la comtesse de Girgenti qui va, comme on sait, rejoindre son frère Alphonse XII.
GRANDE-BRETAGNE
La Chambre des Communes vient d’adopter en première lecture un bill présenté au nom du gouverne
ment par M. Beach, secrétaire en chef pour l’Irlande, et tendant à l’adoucissement des lois exceptionnelles auxquelles ce pays est soumis depuis quelques années. M. Beach propose, entre autres choses, le rétablissement de la liberté de la presse irlandaise.
« Les lois de coercition, dit à ce propos le Daily Te» legraph, sont une nécessité fâcheuse et humiliante.
» Ce n’est guère un honneur pour la politique anglaise » qu’on ait été obligé, plus de soixante-dix ans après » l’union des deux parlements, de recourir, pour » gouverner l’Irlande, à des édits qui conviennent bien » mieux à l’atmosphère politique du continent qu’à » l’air libre de l’Angleterre. »
PAYS-BAS
Le cabinet de La Haye, si nous en croyons le Mémorial diplomatique, vient de décider l’envoi à Atcliin, d’une troisième expédition. La défense prolongée des
Atchinois, qui ne paraissent aucunement disposés à se rendre, les souffrances que l’armée néerlandaise a à endurer, les maladies qui la déciment et la font plus souffrir encore que l’ennemi, exigent en effet des mesures promptes et énergiques.
Le gouvernement hollandais semble décidé à abandonner la politique suivie jusqu’ici par le général van Swieten, qui espérait obtenir du temps et par des moyens conciliants la soumission des Atchinois. La troisième expédition recevra donc la mission de mener activement les opérations militaires et de termi
ner le plus promptement possible une guerre qui dure déjà depuis deux ans et menace d’être ruineuse pour les Pays-Bas.
En bonne règle, commençons par parler de l’Académie française. Mais qu’en dire qui res
semble à quelque chose de neuf? Chez ces hom
mes divins, c’est toujours la même chanson. Et puis, en les enroulant dans l’actualité, ne sera-ce pas prendre un peu trop les devants ? En effet,
rien ne va vite ni d’un pas bien dégagé dans ce dortoir illustre qu’on appelle le palais de l’Institut. Yoilà donc un de leurs événements en préparation : la réception de M. Caro est définitive
ment fixée au jeudi 11 mars. Que d’eau il passera d’ici là sous le pont des Arts ! On annonce que c’est M. Camille Rousset qui répondra au récipiendaire. « — Où prenez-vous M. Camille Rous
set? » — va demander la galerie. — Eh! pardieu, M. Camille Rousset est l’auteur d’une His
toire de Louvois. Il a passé sa vie à écrire un volume.
Nous avons trop d’auteurs qui n’ont fait qu’un seul livre.
disait jadis un frondeur. — Yous le voyez, dans le passé, on les houspillait; à présent, ils sont du bois dont on fait les immortels. L’infécondité est tenue pour si précieuse qu’on la couronne. Ce qui était un objet de défaveur devient un titre.
Moins on a écrit, plus on doit compter dans les lettres. Il a fait un seul tome, rien de mieux : il est entré. S’il en eûtfaitdeux, il avait des chances pour être laissé sur le seuil, se morfondant à compter les clous de la porte. M. Camille Rousset est d’ailleurs fort bien choisi pour répondre à M. Caro, lequel n’a pas non plus, j’imagine, un bagage bien nombreux. Ainsi donc ils vont nous faire assister à ce spectacle invariable de deux galants hommes se renvoyant à tour de rôle les compliments que nous avons vu faire si souvent et que nous verrons répéter sans cesse. Et, en passant devant les marchands de bric-à-brac, nous rions des deux poussahs de la Chine qui, mis en mouvement par un ressort, se saluent l’un l’autre pendant des heures entières !
Passons vite à autre chose.
Yous savez sans doute que les bals des corporations sont à l’ordre du jour. Les bijoutiers ont commencé, l’autre soir, au Grand-Hôtel. La se
maine prochaine, ce sera le tour des horlogers. Dans la nuit de samedi à dimanche dernier a eu lieu, à l’hôtel du Louvre, le bal paré des plumassiers-fleuristes. Ainsi qu’on le devine sans doute, la fête a été des plus brillantes. Dix ou douze journalistes ont trouvé moyen d’y assister, en démontrant qu’ils appartenaient à la corpora
tion des plumassiers. Mais ce n’est pas à cause de
ces messieurs que la soirée a été si belle ; c’est parce qu’il n’y a guère que de jolies femmes parmi les fleuristes de Paris.
Frédéric Soulié, dont il est de mode de parler en ce moment, parce qu’on vient de restaurer son tombeau, avait déjà noté cette particularité dans le Lion amoureux, le plus court et le meil
leur de ses romans. Oui, plumes et fleurs, ces dames de la double industrie sont charmantes,
comme les objets dont elles font profession de s’occuper. Ajoutons que pour donner plus de piquant à leur fête annuelle, elles étaient convenues d’y introduire une innovation. Le programme de la fête portait ces mots sous forme


COURRIER DE PARIS