de nota : « Les danseuses se présenteront sans » chignon. » — Sans chignon ! on dirait de quelque article d une charte ou d’une constitution républicaine.
Ceux qui ont eu l’honneur d’assister à ce bal s’étaient fait des yeux de lynx afin de voir jusqu’à quel point le terrible texte serait exécuté. Eh bien, il a été absolument obéi, paraît-il; on ne l’a éludé ni dans le fond ni dans la forme. Point de chignon, et ces jeunes têtes blondes, brunes et châtaines n’en étaient que plus charmantes. S’il y a eu quelque fraude, on l’a pardonnée,
comme cela s’est fait pour son renard au jeune
Spartiate, parce qu’elle aura été bien habilement dissimulée. En tout cas, les commissaires n’y auraient vu que du feu.
Cette réforme, ainsi commencée dans une nuit de carême, suivra-t-elle son cours jusqu’au triomphe inclusivement? Les sages le dé
sirent sans oser l’espérer. Tout compte fait, il y a bien cinq ans qu’une réaction des plus véhémentes a été concertée contre la tyrannie du chi
gnon. Ça été peine perdue. Le chignon n a jamais consenti à disparaître. On l’a vu se moquer de tout ce qu’on faisait contre lui. Quand on le chassait des dîners privés, il reparaissait au bois. Vous l’aviez hué aux courses, il se montrait, le soir même, au théâtre. Le chignon a un front d’airain.
A propos du théâtre, c’est là surtout qu’il est le plus gênant. Dans la salle de l’Opéra, à la Comédie-Française, au Gymnase, n’importe où, surmonté d’un chapeau aussi volumineux que lui-même, il dérobe la vue de la scène à ceux qui ont le malheur de se trouver près de lui. Que voulez-vous? il a toute honte bue. Mais le coup d’audace des jolies fleuristes fera plus que la caricature et que l’épigramme n’ont pu faire. Pardon de la licence, mais son avenir ne tient réellement plus qu’à un cheveu.
Cet hiver est long ; il a un ciel gris ; à tout moment la neige fondue raye Pair et pro
mène la grippe un peu partout. Le meilleur moyen de combattre le spleen qui se dégage d’un tel état de choses est encore et toujours le plaisir. Va donc pour les passe-temps; Paris s’amuse, surtout depuis que les gens de Versailles ont jeté un seau de glace sur le brasier de la po
litique. Rarement on aura vu un carême plus animé. Pourquoi ne pas dire que ce carême est un carnaval honnête et modéré ? Ce qu’il y a de sûr, c’est que, du matin au soir, on y mêle le plus
possible le plaisant au sévère. A tout coin de rue on atlrappe, à travers la pluie et le vent, des fragments de dialogue dans le genre de celui-ci : « — Que vous êtes pressé ! Où allez-vous donc?
» — A Notre-Dame, où j’ai à entendre le P. Mon» sabré, un prédicateur de talent et un saint » homme. Et vous? — L’Opéra a repris la Juive; » Faure y est en voix; sa glotte ne boude plus; » j’y cours. » — Il y a des cilices, il y a des bals,
ah ! surtout des bals. — Tout le monde a parlé de la redoute de M. Arsène Houssaye; eh bien,
M. Emile de Girardin aura sa redoute, où il se flatte de faire danser à peu près tous les partis.
— Le grand monde se marie, le matin, à Saint- Thomas d’Aquin ou à Saint-Philippe du Roule ; —- le demi-monde s’empresse, le soir, à Gene
viève de lirabant, à la Gaîté. — Les couvents de femmes multiplient les quêtes de charité; — l’hôtel des commissaires n’aura jamais affiché tant de ventes de Lableaux, de tapisseries, d’ivoires, de bijoux, de vins fins et de bibelots pro
fanes. — Il y a eu gelée blanche la nuit ; il y a, dans la matinée, du grésil ; on reste au coin du feu à lire le roman d’hier, la Fille de la comé
dienne, d’Hector Malot, ou la Vie en casque, d’Ernest Rillaudel. Un ami vous arrive ; il vous
emmène de force à un oratorio ou bien chez les dompteurs, dans une ménagerie.
Les dompteurs abondent ; on en cite trois ou quatre; c’est la concurrence des carnivores.
Celui qui lient la corde est Ridel, boulevard du Temple. On pouvait croire que les Parisiens
étaient enfin blasés sur le chapitre des lions et des panthères qui se laissent battre publiquement à coups de houssine, à l’instar des descentes de lit. En effet, ce spectable nous a été donné cent fois. Nous avons vu défiler tour à tour sous nos yeux Van Amburg, Carier, Hermann, Delmonico,
iluguet de Massilia et dix autres notabilités du genre. Mais Bidel a des raffinements qu’on n’au
rait pas osé soupçonner. Au fond d’une vaste cage, il vous montre en un seul amalgame vingt contrastes en chair et en os, tous très-vivants,
des lions, un chien, des hyènes, des ours, un mouton, des loups, le tout faisant bon ménage.
Mais le plus imprévu, le voici. Pensant qu’il n’y avait pas dans sa cage encore assez d’animaux féroces comme ça, Bidel a imaginé d’y faire entrer une femme.
Ah ! vous savez déjà cette histoire, mais pourtant pas tout entière ! Un soir donc, il y a quinze jours, le dompteur, tenant par la main M118 Ginhassi, est entré sans aucune préparation. En vue de cette visite, les fauves se sont inclinés. Une jeune femme ! une actrice ! Le lion de l’Atlas tremblait; l’hyène, intimidée, baissait les yeux ; le tigre avait peur ; Tours cherchait à faire le joli cœur ; les loups serraient leurs queues con
sternées entre leurs jambes. Il n’y avait là qu’un seul animal pour se révolter : c’était le mouton du Berry. Mon Dieu, oui, le mouton, exaspéré,
s’est jeté sur l’actrice; il Ta mordue jusqu’au sang, à la main gauche. Si vous ne voulez pas le croire, faites-vous présenter ; M1,e Ginhassi vous montrera les coups de dent.


— J’aurai toute la vie la trace de celle morsure, dit-elle.


Mais à propos de la téméraire actrice, un mot sur les choses de théâtre.
Il n’y a qu’un instant, j’ai dit qu’il ne se faisait plus rien de grand chez nous que dans
l’art de s’amuser. Le théâtre est nécessairement compris là-dedans. Ah! notre théâtre, toujours animé d’une vive activité, rayonne aujourd’hui sur les cinq parties du monde. C’est à nos poètes,
à nos musiciens, à nos acteurs et à nos actrices que l’univers entier demande l’étincelle de feu sacré dont toute civilisation a besoin pour vivre.
Si vous voulez vous en convaincre, lisez un trèsintéressant résumé de ce qui s’est fait sous ce rapport pendant 1875. L’Année théâtrale, par J. Georges Duval, fait voir à quel point pense, agit et féconde le cerveau de la France. C’est un volume tout plein de nouvelles, de bruits de cou
lisses, d’indiscrétions, de comptes rendus, de racontars, toutes choses qui importent plus qu’on ne pense à l’histoire contemporaine. — Il n’y a certainement pas de lecture plus instructive ni plus amusante.
M. H. de Bornier, Tauleur de la Fille de Roland, a perdu une malle pleine de manuscrits.
Il y aurait une bien curieuse histoire à faire avec les papiers littéraires perdus par leurs auteurs. — Citons quelques faits. — Alphonse Rabbe, le « puissant historien dans la tombe en
dormi », célébré par Victor Hugo, a perdu un -roman, intitulé : Poulipâtre, que M. Thiers, son ami, lui disait être de la taille de ceux de Walter
Scott. — Gérard de Nerval, mobile comme l’a­
pode hirondelle, en courant sans cesse d’un bout de Paris à l’autre, a perdu la Reine de Saba,
une fantaisie lyrique sur laquelle il comptait pour sortir de marge. — Hégésippe Moreau, logé à la belle étoile, n’ayant pour semelle à ses pieds que le pavé de la ville, a improvisé au crayon, sur une borne, YOde à la Faim; c’était un cri de co
lère, presque un blasphème. — Cette ode, qui n’a jamais été copiée que trois fois à la main, a été brûlée par son auteur ; c’est à grand’peine que ceux qui l’ont entendue ont pu en retenir quelques lambeaux :
O Brarna, Jéhovah, Jupin!
Clément auteur de tous les êtres,
Si Lien chanté par tous les prêtres, N’as-tu pas un morceau de pain?
A tout prix il faut que je mange; Rien ne saurait m’en empêcher.
Si le bon Dieu m’envoie un ange, Je le plume pour l’embrocher !
Pour finir là-dessus, rappelons que c’est avec les papiers perdus, perdus pendant des centaines d’années, qu on a fait assez récemment les Historiettes de Tallement des Réaux, le plus amu
sant des recueils, les Mémoires du duc de Saint- Simon, un grand monument historique, et le Neveu, de Rameau, de Diderot, qui a fourni à Jules Janin l’occasion de faire les cent plus belles pages qu’il ait composées.
On a beaucoup parlé, cette semaine, d’une cérémonie nuptiale des plus imposantes,
qui a eu lieu à la Sorbonne. Un des arrièreneveux du cardinal de Richelieu, M. de Jumilhac,
s’est marié avec la nièce d’Henri Heine et a tenu à faire bénir son union dans la chapelle même où repose l’homme d’Etat’ qui a répandu tant d’illustration sur sa famille. En effet, la tombe du grand ministre est toujours à la Sorbonne,
ainsi que le dit une inscription latine ; mais trèspeu de personnes savent ce qu’il y a sous ces pierres mue .tes. Apprenez qu’il ne s’y trouve plus qu’un corps sans tête, et voici comment :
En 1793, au moment où Ton jetait au vent les cendres des rois, à Saint-Denis, l’église de la Sorbonne fut envahie à son tour ; on descella le monument du cardinal, en oubliant, pour sûr, com
bien celui qui dormait en ce lieu avait enseigné l’art de décapiter l’aristocratie. La foule se mit à jouer avec le cadavre. Il s’agissait d’un duc, d’un cardinal; on n’en demandait pas plus. Mais, le
lendemain, quand on voulut recueillir ces restes pour les remettre, en place, on chercha en vain la tête, elle avait disparu.
Oui, par suite d’une curieuse ironie du sort, l’homme qui avait fait décoller les grands se
trouvait tronçonné à son tour, et cette fois par un peuple qui ignorait ce qu’il faisait. Le plus bizarre de l’histoire, c’est que la tête du cardinal de Richelieu existe; elle est en ce moment-ci la propriété de M. A*‘*, ancien représentant du peuple à la Constituante de 18à8. Comment cet honorable Ta-t-il eue? c’est ce qu’il ne m’est pas permis de vous apprendre. Il Ta et il la conserve précieusement dans un étui de cuir de Russie, doublé de satin et de velours.
Encore très-bien conservée, malgré les injures du temps, la tête du terrible cardinal a gardé quelque chose de la fiôre attitude que Philippe de Cbampaigne lui a donnée dans son beau por
trait. Elle est petite, fine, effilée, momifiée. Un jour, en la regardant, en la touchant même de ses-mains, M. E. Dentu, l’éditeur du Palais- Royal, ne put retenir un léger mouvement d’ef
froi. 11 lui semblait voir cette bouche s’enlr’ouvrir et dire d’un ton impératif, en s’adressant à Louis XIII :
— Sire, veuillez contresigner l’arrêt de mort de M. de Montmorency !
La gloire politique, vous voyez ce que c’est !
La gloire littéraire! ce serait une bien belle chose, si c’était quelque chose.
M. Onésyme Leroy, un auteur dramatique émérite, vient de mourir inconnu, oublié, à quatrevingt-sept ans, après avoir fait jouer vingt Comédies pour le moins.
Il y a trente ans, il était, concurremment avec Casimir Bonjour, le candidat obligé à tous les fauteuils académiques devenus vacants.
Disciple et ami du père Ducis, il a laissé d assez belles Etudes sur ce vieux tragique, mais ce n’était pas là son principal titre.
M. Onésyme Leroy se prévalait surtout de ce qu’il avait dans sa bibliothèque un volume de
Jacques Delille, relié dans la peau même de ce poète. Un jour qu’il avait échoué, comme de coutume, il gesticulait avec force sur le seuil de l’Institut.
— Qui donc vont-ils nommer, disait-il, puisqu’ils repoussent celui qui possède les Géorgiques reliées dans la peau même de leur illustre traducteur?
Philibert Appebrand,