NOS GRAVURES
L attente
Qui attend-elle? Un fiancé? Un époux? Elle a interrompu son travail de couture, posé ses ciseaux sur la petite table à ouvrage où, dans le pot de faïence, embaument encore les fleurs qu’il a apportées hier.—
Un bouquet! Allons, c’est un fiancé, ce n est pas un époux, soit dit sans malice. Elle regarde au loin, là
bas, sur le chemin, essayant d’apercevoir la silhouette de celui que la Marguerite de Gœthe appelle le bienaimé. Et c’est une Grétchen aussi, cette enfant à^ la coiffure aux ornements dorés, au corsage orné d un plastron, au tablier rayé, au lourd jupon de drap, une Gretchen d’Alsace, je gage, et dont l’honnête Faust la conduira, non pas au sabbat, mais à la mairie.
Elle est charmante, cette figure, et M. Mayer (de Brême), qui l’a peinte, a su faire de ce tableau d intérieur tout un petit poème de grâce calme et simple.
Le pot de fleurs sur la fenêtre aux carreaux à rondelles de plomb, la cage de l’oiseau favori, les cafetières brillantes, les images de sainteté, la petite com
mode ornée de bibelots, de verreries de Baccarat ou de poteries de Sarreguemines, reposant sur une dra
perie d’un blanc éclatant, rien n’est oublié, tout est traité avec un soin extrême. Le-cadre est digne de la jolie fdle qui regarde au loin le sentier, tandis que le vent joue avec la vigne qui serpente auprès de la fenêtre.
Et j’ai idée que l’attente ne sera pas longue, et que cette variation sur la romance si connue : Il va venir! finira bientôt. Elle se lèvera toùt à l’heure de son es
cabeau, la jolie fille, elle quittera son ouvrage et sa place accoutumée, et elle ira ouvrir joyeusement la porle au fiancé en lui présentant ses joues fraîches et son front sans mauvaises pensées. J. G.
Les tombes d Molière et de La Fontaine
On sait que c’est au cimetière du Père-Lachaise que se trouvent les tombes de La Fontaine et de Molière. Elles sont situées à droite de la chapelle, dans une allée montante où l’on rencontre nombre
d’autres monuments élevés à la mémoire d’artistes et de gens de lettres. Elles y ont été transportées en 1818.
Ces deux tombes, comme on peut le voir en se reportant à notre dessin, sont enfermées dans une en
ceinte qu’entoure de trois côtés une grille en fer, et du quatrième un mur avec plaque centrale en marbre blanc, dont le temps a effacé les inscriptions. L’une
et l’autreaffectentlaforme d’un coffret, supporté, pour celle de Molière, par quatre piliers carrés, et par un socle pour celle de La Fontaine. Une urne couronne la première, qui porte sur sa face principale, en lettres de métal, le nom du célèbre poëte comique. Celle de l’inimitable fabuliste est surmontée d’un renard en bronze. Compère le renard y figure encore avec com
mère la cigogne sur un bas-relief enchâssé dans la pierre et ayant pour pendant un autre bas-relief représentant le loup et l’agneau.
Ces tombes, noircies par le temps, ont été par lui assez maltraitées pour que M. le ministre de l’instruction publique ait cru devoir appeler sur elles l’atten
tion de M. le directeur des Beaux-Arts; mais de là à conclure, comme l’ont fait quelques journaux, qu’elles ne valent pas une réparation, il y a loin. Après les avoir visitées, nous croyons,, nous, au contraire, qu’elles peuvent être facilement réparées, et que dès lors elles doivent l’être, car elles ont à nos yeux une valeur que ne saurait égaler aucun autre monument, quelque beau qu’il puisse être.
L’atelier de Corot
Ce n’était point un de ces ateliers encombrés de bibelots et de colifichets tels que les aiment nos pein
tres à la mode; c était un sanctuaire de l’art, presque austère dans sa simplicité; les innombrables études accrochées de toutes parts sur les murailles nues en composaient la seule décoration.
Parcourons du regard ces toiles : le Forum, le fort Saint-Ange, le Colysée, etc., toiles peintes par Corot à son premier voyage en Italie, de 1825 à 1828. Tout auprès, sont des vues de Gènes, de Florence,
celles-ci peintes en 1834. Il y a bien par-ci par-là quelque autre, site, soit de Fontainebleau, soit de Mortefontaine, qui inspira à l’artiste l’un de ses tableaux du Salon de 1874, le Soir.
Par-dessous ces toiles accrochées au mur, on aperçoit des rayons couverts de petites études, toutes plus etières au maître l’une que l’autre, et contre la porte sur laquelle est un portrait de Berlin, ancien professeur de Corot, on voit les petites tables où le maître oll iil /lr> Inmttc on Inmnî ntlKPP coc nrnvicirmç P (‘tnit
pour lui une occasion de changer d’idées ; aussi bien, comme il le disait, une contrariété fait bien : « Cela profite à l’œuvre. » Corot, en même temps, allumait sa chère pipette, et puis brosses et fumée marchaient à l’envie.
Détournons les yeux et voyons, à gauche, ces vues de Yenise, de Civita-Castellana, aussi bien que de Bretagne ou du Limousin, et celles-ci du Dauphiné et delà Suisse, faites jadis en compagnie de Daubigny,
ou ces autres du Nord, et même de la Hollande, peintes en 1854, avec Constant Dutilleux, et encore
celles-ci de La Rochelle, ou ces étonnantes marines rapportées de Trouville., Etretat, Tréport et Dunker
que. C’est là, tout en haut, à gauche, que nous vîmes pendant longtemps le grand tableau du Dante et Vir
gile, et tout auprès le Saint Sébastien que l’artiste, et plus encore l’homme de cœur, fit décrocher_ sans façon, après la guerre, pour l’envoyer à la loterie or
ganisée au nouvel Opéra, en faveur des victimes, veuves et orphelins.
Tout proche est la sellette réservée aux_ jours de modèle vivant ; car, contrairement à une opinion trop généralement admise, Corot n’a pas fait que des pom
miers ; il peignait en moyenne, par an, une dizaine de figures, d’une façon très-étudiée ; ce qui en cinquante-deux années fait un assez joli total !
A droite, dans le coin noir qui est plus bas de plafond , sous d’autres rayons chargés d’études, se trouve un canapé où s’asseyaient les visiteurs discrets et avides de juger en silence de l’effet des grandes toiles de l’atelier; et tout auprès, la table où chaque matin à onze heures, Corot s’asseyait pour manger cette bonne soupe de Limousin qu’Adèle lui apportait.
C’est par la petite porte du fond, à droite, que l’on passait dans la cuisine, cet arrière-atelier, cet autre magasin-vestiaire, regorgeant d’études de toutes les contrées possibles et des costumes destinés aux modèles.
Que de fois nous avons vu Corot dans cet atelier, travaillant, tel qu’il est représenté dans notre dessin,
d’après une petite étude faite l’an dernier par M. Benedict Masson. C’est bien ainsi qu’il se tenait au che
valet : bonnet de coton aujourd’hui, d’autres fois une loque de velours noir, de forme florentine, puis blouse bleue très-longue qu’au désespoir de sa bonne, Adèle, il ne se donnait pas la peine de boutonner du haut, enfin de bons chaussons de Strasbourg. Corot ne se servait pas d’appuie-mains.
C’est là que l’assiégeaient sans cesse ses nombreux admirateurs, qui venaient réclamer l’exécution d’une promesse parfois trop facilement donnée. En les voyant entrer, Corot allait découvrir, sous un amon
cellement de toiles, celle qui était destinée à chacun ;
il la posait sur un chevalet, la caressait du pinceau et du regard, et, séance tenante, il complétait, par quelques touches savantes, une toile souvent com
mencée depuis longtemps. D’autres fois, c’était séance de modèle : alors le maître tenait la brosse de neuf heures à midi, sans interruption ; et puis c’était des visiteurs à recevoir, et puis des consei s à donner, et puis surtout des infortunes à consoler.
A ce travail incessant succédaient des distractions plus fatigantes encore : dans son désir d’être agréable à tous, l’excellent « papa Corot » était obligé de tenir registre des invitations qu’il recevait, souvent plusieurs mois d’avance.
Amateur passionné de musique classique, il ne manquait aucun concert important, notamment ceux du Conservatoire. Au théâtre également, chaque succès nouveau l’attirait.
On comprend facilement combien une existence aussi remplie devait entraîner de fatigues, même pour une organisation aussi fortement trempée. Aussi, le printemps à peine arrivé, M. Corot quittait-il Paris avec une ardeur toute juvénile, pour aller retrouver ses chères campagnes, ses bois, ses rivières bordées de saules verdoyants. Sa première visite était pour Yille-d’Avray, où il possédait en commun avec sa sœur, Mme Sennegon, une propriété, petite mais charmante.
De Ville-d’Avray il allait invariablement à Coubron, chez une excellente et dévouée amie, Mme G..., dans la propriété de laquelle il s’était fait arranger un autre modeste atelier. C’est là que tous les ans, entre quel
ques intimes, on célébrait, le 24 juin, la fête de saint Jean-Baptiste, l’un des patrons du maître. Il revenait alors quelques jours à Paris pour faire les préparatifs de son « grand voyage ». Il allait passer un mois dans le nord, soit à Douai, soit à Arras, et partageait enfin le reste de la saison entre plusieurs endroits diffé
rents, consacrant huit jours à celui-ci, quinze autres à celui-là, mais toujours travaillant, toujours observant, toujours le crayon ou la palette en main.
Cette année, après son voyage habituel dans le nnrrl notre bien cher et resxetté Corot fit encore
quelques courtes excursions à Rambouillet, Villed’Avray, Marcoussis, Sens, etc., etc. ; puis vers le 15 septembre, il écrivit aux amis qui l’attendaient qu’il était souffrant et qu’il ne pouvait se rendre auprès d’eux cette fois.
Le 2 octobre, je le revis à Coubron; il me parut très-vieilli : l’appétit, si robuste d’ordinaire, était tombé ; le médecin prescrivit le repos absolu et un régime sévère.
Le 12 de ce même mois d’octobre, il fut appelé en toute hâte à Yille-d’Avray, auprès de sa sœur mou
rante : il eut le courage d’en faire un croquis trèsarrêté à son lit de mort. Mais ce coup l’avait atteint au cœur ; il dit aux siens : « Maintenant ce sera mon tour. »
Hélas ! cette triste prophétie ne devait que trop tôt se réaliser !
On verra au prochain Salon les trois dernières grandes œuvres de Corot. Jamais peut-être son ta
lent ne s’est élevé à une telle hauteur. de bon Dieu,
disait-il il y a quelques jours à peine, a permis que je puisse donner ainsi ma dernière note. »
Quelques mots maintenant sur l’appartement occupé par le maître, au premier étage de la rue du
Faubourg-Poissonnière, n° 56. — Intérieur des plus simples, les meubles pour la plupart lui venant de ses parents ; il y tenait plus qu’à tous autres. On y jouis
sait de tout le confortable, et il fallait voir comme on s’y amusait les jours de petite réunion. Le dîner à peu près fini, on allumait le tabac, et l’illustre am
phylrion de vous égayer par ses chansons variées ou ses traits d’esprit, aussi bien qu’il vous intéressait par ses causeries sur les arts. On passait ensuite au salon rejoindre les dames pour quelques bonnes parties de cartes.
Les rares jours où le maître était libre, il dînait tout seul dans un des grands restaurants voisins des théâtres où il voulait passer sa soirée ; on l’a vu quel
quefois dans les moindres cafés-concerts. Il n’en
jouissait que davantage lorsque le lendemain il allait soit dans un grand théâtre, soit aux concerts de Pasdeloup ou du Conservatoire.
Alfred Robaut.
Quelques notes sur l’expédition de Francis Garnier au Tonking
Dans notre numéro du 17 janvier 1874, nous avons raconté comment le lieutenant de vaisseau Francis
Garnier, envoyé par le gouverneur de la Cochincliine au chef-lieu du Tonking, comme plénipotentiaire, pour y régler certaines questions relatives à la navi
gation et au commerce dans cette contrée, avait été amené, par les perfides menées des autorités indi
gènes, à attaquer et à enlever d’assaut, vers la fin de décembre 1873, la citadelle de Ha-Noï, avec une poi
gnée d’hommes, et comment, à quelques jours de là, dans une sortie, étant tombé dans une embuscade, il avait été tué avec l’enseigne de vaisseau, M. Balny.
A sa mort, la petite troupe qu’il commandait, environ cent soixante hommes, se trouva exposée^ aux plus grands dangers, et elle eût certainement péri si une nouvelle expédition partie de Saigon, sur la Sarthe, le 5 janvier 1874, ne fut venue la délivrer. Cette nouvelle expédition comptait quatre cents hom
mes d’infanterie de marine avec la flotte, sous le
commandement du capitaine de frégate Testard du Cosquet et du commandant Dujardin. Six jours plus
tard elle passait à peu de distance de Vile des Pirates et allait mouiller dans le golfe du Tonking. Celte île, que l’on voit dans notre dessin, est un enchevêtre
ment de rochers à pic du plus sombre aspect, entre lesquels circule la mer, et où les pirates, dont le pajs est infesté, trouvent contre toute poursuite un refuge à peu près assuré. De là le nom donné à 1 île.
L’expédition se mit aussitôt en devoir de remonler le Sang-Roi ou la Grande-Rivière, qui prend sa source en Chine, traverse le Tonking en arrosant Ha-Noï et
va se jeter dans le golfe du même nom. L’expcdiiio.i mit cinq jours à remonler de l’embouchure du fleuve à Ha-Noï, à cause des difficultés que présente la navi
gation dans la Grande-Rivière, qui est difficilement navigable pour des bâtiments d’un fort tirant d’eau. En effet, son cours est encombré de bancs mouvants
contre lesquels, par cela même, il est impossible de se mettre en garde. Aussi plus d’une fois la marche de l’aviso le Scorpion, qui emportait les troupes, futelle inopinément arrêtée par des obstacles de celte nature. Mais si le lit du fleuve laisse à désirer, en revanche ses rives sont du plus séduisant aspect, bor
dées de gais villages, quelques-uns fortifiés, ombra
gées de grands arbres, dattiers, bananiers, palmiers, et couvertes d’une végétation qui devient de plus en plus luxuriante à mesure que l’on approche de .Ha- Noï. Aux environs de cette ville le paysage, éclaire par un ciel d’une admirable pureté, égayé par de
L attente
Qui attend-elle? Un fiancé? Un époux? Elle a interrompu son travail de couture, posé ses ciseaux sur la petite table à ouvrage où, dans le pot de faïence, embaument encore les fleurs qu’il a apportées hier.—
Un bouquet! Allons, c’est un fiancé, ce n est pas un époux, soit dit sans malice. Elle regarde au loin, là
bas, sur le chemin, essayant d’apercevoir la silhouette de celui que la Marguerite de Gœthe appelle le bienaimé. Et c’est une Grétchen aussi, cette enfant à^ la coiffure aux ornements dorés, au corsage orné d un plastron, au tablier rayé, au lourd jupon de drap, une Gretchen d’Alsace, je gage, et dont l’honnête Faust la conduira, non pas au sabbat, mais à la mairie.
Elle est charmante, cette figure, et M. Mayer (de Brême), qui l’a peinte, a su faire de ce tableau d intérieur tout un petit poème de grâce calme et simple.
Le pot de fleurs sur la fenêtre aux carreaux à rondelles de plomb, la cage de l’oiseau favori, les cafetières brillantes, les images de sainteté, la petite com
mode ornée de bibelots, de verreries de Baccarat ou de poteries de Sarreguemines, reposant sur une dra
perie d’un blanc éclatant, rien n’est oublié, tout est traité avec un soin extrême. Le-cadre est digne de la jolie fdle qui regarde au loin le sentier, tandis que le vent joue avec la vigne qui serpente auprès de la fenêtre.
Et j’ai idée que l’attente ne sera pas longue, et que cette variation sur la romance si connue : Il va venir! finira bientôt. Elle se lèvera toùt à l’heure de son es
cabeau, la jolie fille, elle quittera son ouvrage et sa place accoutumée, et elle ira ouvrir joyeusement la porle au fiancé en lui présentant ses joues fraîches et son front sans mauvaises pensées. J. G.
Les tombes d Molière et de La Fontaine
On sait que c’est au cimetière du Père-Lachaise que se trouvent les tombes de La Fontaine et de Molière. Elles sont situées à droite de la chapelle, dans une allée montante où l’on rencontre nombre
d’autres monuments élevés à la mémoire d’artistes et de gens de lettres. Elles y ont été transportées en 1818.
Ces deux tombes, comme on peut le voir en se reportant à notre dessin, sont enfermées dans une en
ceinte qu’entoure de trois côtés une grille en fer, et du quatrième un mur avec plaque centrale en marbre blanc, dont le temps a effacé les inscriptions. L’une
et l’autreaffectentlaforme d’un coffret, supporté, pour celle de Molière, par quatre piliers carrés, et par un socle pour celle de La Fontaine. Une urne couronne la première, qui porte sur sa face principale, en lettres de métal, le nom du célèbre poëte comique. Celle de l’inimitable fabuliste est surmontée d’un renard en bronze. Compère le renard y figure encore avec com
mère la cigogne sur un bas-relief enchâssé dans la pierre et ayant pour pendant un autre bas-relief représentant le loup et l’agneau.
Ces tombes, noircies par le temps, ont été par lui assez maltraitées pour que M. le ministre de l’instruction publique ait cru devoir appeler sur elles l’atten
tion de M. le directeur des Beaux-Arts; mais de là à conclure, comme l’ont fait quelques journaux, qu’elles ne valent pas une réparation, il y a loin. Après les avoir visitées, nous croyons,, nous, au contraire, qu’elles peuvent être facilement réparées, et que dès lors elles doivent l’être, car elles ont à nos yeux une valeur que ne saurait égaler aucun autre monument, quelque beau qu’il puisse être.
L’atelier de Corot
Ce n’était point un de ces ateliers encombrés de bibelots et de colifichets tels que les aiment nos pein
tres à la mode; c était un sanctuaire de l’art, presque austère dans sa simplicité; les innombrables études accrochées de toutes parts sur les murailles nues en composaient la seule décoration.
Parcourons du regard ces toiles : le Forum, le fort Saint-Ange, le Colysée, etc., toiles peintes par Corot à son premier voyage en Italie, de 1825 à 1828. Tout auprès, sont des vues de Gènes, de Florence,
celles-ci peintes en 1834. Il y a bien par-ci par-là quelque autre, site, soit de Fontainebleau, soit de Mortefontaine, qui inspira à l’artiste l’un de ses tableaux du Salon de 1874, le Soir.
Par-dessous ces toiles accrochées au mur, on aperçoit des rayons couverts de petites études, toutes plus etières au maître l’une que l’autre, et contre la porte sur laquelle est un portrait de Berlin, ancien professeur de Corot, on voit les petites tables où le maître oll iil /lr> Inmttc on Inmnî ntlKPP coc nrnvicirmç P (‘tnit
pour lui une occasion de changer d’idées ; aussi bien, comme il le disait, une contrariété fait bien : « Cela profite à l’œuvre. » Corot, en même temps, allumait sa chère pipette, et puis brosses et fumée marchaient à l’envie.
Détournons les yeux et voyons, à gauche, ces vues de Yenise, de Civita-Castellana, aussi bien que de Bretagne ou du Limousin, et celles-ci du Dauphiné et delà Suisse, faites jadis en compagnie de Daubigny,
ou ces autres du Nord, et même de la Hollande, peintes en 1854, avec Constant Dutilleux, et encore
celles-ci de La Rochelle, ou ces étonnantes marines rapportées de Trouville., Etretat, Tréport et Dunker
que. C’est là, tout en haut, à gauche, que nous vîmes pendant longtemps le grand tableau du Dante et Vir
gile, et tout auprès le Saint Sébastien que l’artiste, et plus encore l’homme de cœur, fit décrocher_ sans façon, après la guerre, pour l’envoyer à la loterie or
ganisée au nouvel Opéra, en faveur des victimes, veuves et orphelins.
Tout proche est la sellette réservée aux_ jours de modèle vivant ; car, contrairement à une opinion trop généralement admise, Corot n’a pas fait que des pom
miers ; il peignait en moyenne, par an, une dizaine de figures, d’une façon très-étudiée ; ce qui en cinquante-deux années fait un assez joli total !
A droite, dans le coin noir qui est plus bas de plafond , sous d’autres rayons chargés d’études, se trouve un canapé où s’asseyaient les visiteurs discrets et avides de juger en silence de l’effet des grandes toiles de l’atelier; et tout auprès, la table où chaque matin à onze heures, Corot s’asseyait pour manger cette bonne soupe de Limousin qu’Adèle lui apportait.
C’est par la petite porte du fond, à droite, que l’on passait dans la cuisine, cet arrière-atelier, cet autre magasin-vestiaire, regorgeant d’études de toutes les contrées possibles et des costumes destinés aux modèles.
Que de fois nous avons vu Corot dans cet atelier, travaillant, tel qu’il est représenté dans notre dessin,
d’après une petite étude faite l’an dernier par M. Benedict Masson. C’est bien ainsi qu’il se tenait au che
valet : bonnet de coton aujourd’hui, d’autres fois une loque de velours noir, de forme florentine, puis blouse bleue très-longue qu’au désespoir de sa bonne, Adèle, il ne se donnait pas la peine de boutonner du haut, enfin de bons chaussons de Strasbourg. Corot ne se servait pas d’appuie-mains.
C’est là que l’assiégeaient sans cesse ses nombreux admirateurs, qui venaient réclamer l’exécution d’une promesse parfois trop facilement donnée. En les voyant entrer, Corot allait découvrir, sous un amon
cellement de toiles, celle qui était destinée à chacun ;
il la posait sur un chevalet, la caressait du pinceau et du regard, et, séance tenante, il complétait, par quelques touches savantes, une toile souvent com
mencée depuis longtemps. D’autres fois, c’était séance de modèle : alors le maître tenait la brosse de neuf heures à midi, sans interruption ; et puis c’était des visiteurs à recevoir, et puis des consei s à donner, et puis surtout des infortunes à consoler.
A ce travail incessant succédaient des distractions plus fatigantes encore : dans son désir d’être agréable à tous, l’excellent « papa Corot » était obligé de tenir registre des invitations qu’il recevait, souvent plusieurs mois d’avance.
Amateur passionné de musique classique, il ne manquait aucun concert important, notamment ceux du Conservatoire. Au théâtre également, chaque succès nouveau l’attirait.
On comprend facilement combien une existence aussi remplie devait entraîner de fatigues, même pour une organisation aussi fortement trempée. Aussi, le printemps à peine arrivé, M. Corot quittait-il Paris avec une ardeur toute juvénile, pour aller retrouver ses chères campagnes, ses bois, ses rivières bordées de saules verdoyants. Sa première visite était pour Yille-d’Avray, où il possédait en commun avec sa sœur, Mme Sennegon, une propriété, petite mais charmante.
De Ville-d’Avray il allait invariablement à Coubron, chez une excellente et dévouée amie, Mme G..., dans la propriété de laquelle il s’était fait arranger un autre modeste atelier. C’est là que tous les ans, entre quel
ques intimes, on célébrait, le 24 juin, la fête de saint Jean-Baptiste, l’un des patrons du maître. Il revenait alors quelques jours à Paris pour faire les préparatifs de son « grand voyage ». Il allait passer un mois dans le nord, soit à Douai, soit à Arras, et partageait enfin le reste de la saison entre plusieurs endroits diffé
rents, consacrant huit jours à celui-ci, quinze autres à celui-là, mais toujours travaillant, toujours observant, toujours le crayon ou la palette en main.
Cette année, après son voyage habituel dans le nnrrl notre bien cher et resxetté Corot fit encore
quelques courtes excursions à Rambouillet, Villed’Avray, Marcoussis, Sens, etc., etc. ; puis vers le 15 septembre, il écrivit aux amis qui l’attendaient qu’il était souffrant et qu’il ne pouvait se rendre auprès d’eux cette fois.
Le 2 octobre, je le revis à Coubron; il me parut très-vieilli : l’appétit, si robuste d’ordinaire, était tombé ; le médecin prescrivit le repos absolu et un régime sévère.
Le 12 de ce même mois d’octobre, il fut appelé en toute hâte à Yille-d’Avray, auprès de sa sœur mou
rante : il eut le courage d’en faire un croquis trèsarrêté à son lit de mort. Mais ce coup l’avait atteint au cœur ; il dit aux siens : « Maintenant ce sera mon tour. »
Hélas ! cette triste prophétie ne devait que trop tôt se réaliser !
On verra au prochain Salon les trois dernières grandes œuvres de Corot. Jamais peut-être son ta
lent ne s’est élevé à une telle hauteur. de bon Dieu,
disait-il il y a quelques jours à peine, a permis que je puisse donner ainsi ma dernière note. »
Quelques mots maintenant sur l’appartement occupé par le maître, au premier étage de la rue du
Faubourg-Poissonnière, n° 56. — Intérieur des plus simples, les meubles pour la plupart lui venant de ses parents ; il y tenait plus qu’à tous autres. On y jouis
sait de tout le confortable, et il fallait voir comme on s’y amusait les jours de petite réunion. Le dîner à peu près fini, on allumait le tabac, et l’illustre am
phylrion de vous égayer par ses chansons variées ou ses traits d’esprit, aussi bien qu’il vous intéressait par ses causeries sur les arts. On passait ensuite au salon rejoindre les dames pour quelques bonnes parties de cartes.
Les rares jours où le maître était libre, il dînait tout seul dans un des grands restaurants voisins des théâtres où il voulait passer sa soirée ; on l’a vu quel
quefois dans les moindres cafés-concerts. Il n’en
jouissait que davantage lorsque le lendemain il allait soit dans un grand théâtre, soit aux concerts de Pasdeloup ou du Conservatoire.
Alfred Robaut.
Quelques notes sur l’expédition de Francis Garnier au Tonking
Dans notre numéro du 17 janvier 1874, nous avons raconté comment le lieutenant de vaisseau Francis
Garnier, envoyé par le gouverneur de la Cochincliine au chef-lieu du Tonking, comme plénipotentiaire, pour y régler certaines questions relatives à la navi
gation et au commerce dans cette contrée, avait été amené, par les perfides menées des autorités indi
gènes, à attaquer et à enlever d’assaut, vers la fin de décembre 1873, la citadelle de Ha-Noï, avec une poi
gnée d’hommes, et comment, à quelques jours de là, dans une sortie, étant tombé dans une embuscade, il avait été tué avec l’enseigne de vaisseau, M. Balny.
A sa mort, la petite troupe qu’il commandait, environ cent soixante hommes, se trouva exposée^ aux plus grands dangers, et elle eût certainement péri si une nouvelle expédition partie de Saigon, sur la Sarthe, le 5 janvier 1874, ne fut venue la délivrer. Cette nouvelle expédition comptait quatre cents hom
mes d’infanterie de marine avec la flotte, sous le
commandement du capitaine de frégate Testard du Cosquet et du commandant Dujardin. Six jours plus
tard elle passait à peu de distance de Vile des Pirates et allait mouiller dans le golfe du Tonking. Celte île, que l’on voit dans notre dessin, est un enchevêtre
ment de rochers à pic du plus sombre aspect, entre lesquels circule la mer, et où les pirates, dont le pajs est infesté, trouvent contre toute poursuite un refuge à peu près assuré. De là le nom donné à 1 île.
L’expédition se mit aussitôt en devoir de remonler le Sang-Roi ou la Grande-Rivière, qui prend sa source en Chine, traverse le Tonking en arrosant Ha-Noï et
va se jeter dans le golfe du même nom. L’expcdiiio.i mit cinq jours à remonler de l’embouchure du fleuve à Ha-Noï, à cause des difficultés que présente la navi
gation dans la Grande-Rivière, qui est difficilement navigable pour des bâtiments d’un fort tirant d’eau. En effet, son cours est encombré de bancs mouvants
contre lesquels, par cela même, il est impossible de se mettre en garde. Aussi plus d’une fois la marche de l’aviso le Scorpion, qui emportait les troupes, futelle inopinément arrêtée par des obstacles de celte nature. Mais si le lit du fleuve laisse à désirer, en revanche ses rives sont du plus séduisant aspect, bor
dées de gais villages, quelques-uns fortifiés, ombra
gées de grands arbres, dattiers, bananiers, palmiers, et couvertes d’une végétation qui devient de plus en plus luxuriante à mesure que l’on approche de .Ha- Noï. Aux environs de cette ville le paysage, éclaire par un ciel d’une admirable pureté, égayé par de