SOMMAIRE.
Texte : Histoire de la semaine. — Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand — Hiyotoko, nouvelle japonaise, par
M. Peyremal (fin). — Les Théâtres. — Bulletin bibliogra
phique.— Nos gravures : M Dufaure; — Carmen; — Marc Séguin; — Le palais de l’exposition agricole de Philadelphie;
— Le sauvetage de la Normandie par le yacht la Fauvette; — Expériences de torpilles laites à Toulon; — Barbison; — L’Observatoire du pic du Midi. — Revue financière de la semaine. —Faits divers.
Gravures : M. Dufaure. — Théâtre de l’Opéfa-Comique : Carmen. — Marc Séguin, inventeur de la chaudière tubulaire des locomotives. — L’exposition universelle de Philadelphie : le
pavillon de l agriculture. — Le naufrage du paquebot la Normandie : le yacht la Fauvette allant au secours de la Normandie, échouée sur les récifs de Saint-Honorat. — Expé
riences laites en rade do Toulon sur la frégate l’Eldorado, au
moyen des torpilles (5 gravures). — L’auberge des artistes, à Barbison. — Le nouvel Observatoire du pic du Midi ; — Le ravin d’Avisès. — Echecs.— Rébus.


HISTOIRE DE LA SEMAINE


FRANCE
Il n’est pas encore composé ; c’est du ministère que nous parlons. Lorsque dans notre numéro dernier, prévoyant ces retards, nous disions que la France pouvait faire crédit d’une semaine à l’Assemblée et aux faiseurs de ministère, nous croyions être trèslarges. Nous nous trompions. Il est vrai que nous étions encore sous l’influence des résolutions prises par la nouvelle majorité. Il faut croire que nous les prenions au sérieux un peu plus qu’il ne convenait.
La longueur du retard, voilà donc ce qui nous étonne à bon droit, non le retard même qui était par
faitement prévu, annoncé. Nous avons manqué écrire dénoncé. En effet, pouvait-on se tromper sur le sens de la jute insérée au Journal officiel, le lendemain du .25 février? Réduite à sa première phrase, cette note eût été parfaitement correcte, au moins quant au fond. M. Buffet est chargé de former un ministère,
très-bien, voilà ce qu’il nous importait de savoir, et cela disait tout. Malheureusement la note ne s’en te
nait pas là. « Après comme avant le vote des lois constitutionnelles, ajoutait-elle, le président delà République est fermement résolu à maintenir les prin
cipes conservateurs qui ont fait la base de sa politi
que depuis qu’il a reçu le pouvoir des mains de l’Assemblée.» Qu est-ce à dire? Et pourquoi cette dé
claration? Ces lois constitutionnelles seraient-elles anticonservatrices, par hasard, aux yeux du gou
vernement? Ce ne peut être cela. N’y a-t-il pas adhéré ? M. le président de la République n’a-t-il pas lui-même fait prier la commission des Trente de re
noncer à certaines garanties que réclamait celle-ci, plus que lui exigeante ? D’autre part, il est certain que l’auteur ou l’inspirateur de la note officielle n’a pas parlé pour ne rien dire. Que signifie donc sa noie? Que l’on ne serait pas fâché de remettre aujourd’hui l’avenir de l’embryon de république du 25 février aux soins de ceux qui ont tout fait pour l’étouffer dans l’œuf? Quelque chose comme cela sans doute, avec les meilleures intentions du monde, bien entendu.
En effet, il est sûr que ces sages personnes n’auraient point de tendresse folle pour l’enfant, qui ne pourrait flu Y gagner. A cette école sévère, il ne contracterait certainement pas de mauvaises habitudes, ce qui au
trement pourrait fort bien arriver. Il apprendrait à filer doux, et surtout vite, point important. Nous convenons de tout cela. Malheureusement, il n’y a qu’une petite difficulté, ^c’est que c’est impossible.
Il faudrait pour y réussir refaire la majorité du 24 mai. On l’a essayé avant le 25 février, l’a-t-on pu? Non. Il y avait à cela un obstacle insurmontable ; la loi du 20 novembre expliquée aux membres de l’ex
trême droite par le gouvernement. Le pourrait-on après? Encore moins, puisqu’il y aurait deux obsta
cles au lieu d’un : la loi du 20 novembre complétée par celles du 25 février. Revenir sur ces dernières, les mettre à néant? La Gazette de France, organe de la droite modérée, prétend bien que c’est possible.
Admettons-le un instant. En ce cas, qui empêcherait de revenir aussi sur celle du 20 novembre?
Nous voilà dans un beau gâchis ! Ah ! qui aurait le cœur de provoquer sans motif légitime de si redou
tables éventualités? Qui oserait assumer devant le pays la responsabilité d’un pareil effondrement ? Non, ce qui est fait est fait, et il n’y a pas à revenir làdessus. Depuis quatre ans, nous étions dans l’anar
chie, sur le point de périr peut-être. Comprenant cela, une majorité s’est formée in extremis, qui nous a donné une constitution, fort imparfaite sans doute,
déplaisante, nous le voulons bien, mais capable de nous sortir de l’impasse dans laquelle nous piétinons
depuis si longtemps à notre grand dommage. Cette constitution donne à la conservation sociale des ga
ranties qui ont paru suffisantes à la majorité de la représentation nationale, au gouvernement. Elle a été faile de façon à pouvoir marcher suffisamment bien dans un sens déterminé. Mettons-Ia donc en mouve
ment dans ce sens, et suivons-la tous, carrément,
patriotiquement, honnêtement. Cette honnêteté et cette concorde ne demeureront pas sans récompense : bientôt nous serons tout surpris de voir combien facilement le reste nous sera donné.
Un instant nous avons pu croire que ce sage parti l’avait emporté, que l’on s’était enfin entendu. Mardi dernier le ministère était fait, non sans peine, soli
dement. cette fois, du moins on le croyait, après avoir été plusieurs fois défait en dessous, on ne sait com
ment. On citait les ministres. C’étaient M. Buffet à la vice-présidence du conseil, M. Dufaure à la justice, M. Léon Say aux finances, M. d’Audiffret Pasquier à 1 intérieur, M. Wallon à l’instruction publique. Les autres ministères ne changeaient pas de mains. Tout était entendu. Les noms devaient paraître à Y Officiel mardi matin, tout le monde s’y attendait. Mais, mardi matin, rien! Pendant la nuit, un vent s’était levé qui avait tout emporté ; un mauvais génie avait passé par là, réussissant une fois de plus à déjouer l’espoir du pays. Peut-être pourra-t-il le faire quelques jours en
core, mais ne désespérons pas. Soyez sûrs qu’il finira par disparaître en se brisant contre quelque chose de bien autrement fort que lui : la nécessité.
Au milieu de toutes les agitations auxquelles donne lieu l’enfantement du nouveau ministère, l’Ass.emblée, cela se comprend, ne s’occupe que par échap
pées des affaires. Outre un certain nombre de lois d’intérêt local, elle a adopté définitivement le projet de loi sur la dynamite et elle vient d’aborder en troi
sième lecture le projet de loi des cadres, auquel la commission de réorganisation de l’armée propose d’apporter certaines modifications de détail. Ces modifications, tout en laissant intacts les principes fon
damentaux de la loi, se traduiraient, si elles étaient adoptées, par une diminution de dépenses de 4 D68 552 fr., portant sur la réduction du nombre des compagnies de dépôt, la suppression de 38 chefs d’escadrons d’artillerie, de 80 adjudants-majors des
quarante régiments d’artillerie et de pontonniers et des adjudants-majors du génie, ce qui réduirait à 17 709 418 fr. les dépenses résultant de la nouvelle organisation proposée.
P. S. — Nous avions raison de ne point perdre confiance. Voici la composition du nouveau ministère que nous trouvons dans YOfficiel du 11 mars:
Intérieur et vice-présidence du conseil, M. Buffet; Justice, M. Dufaure; Affaires Etrangères, M. Decazes; Finances, M. Léon Say; Guerre, M. le général de Cissey; Marine, M. le contre-amiral de Montaignac; Instruction publique, Cultes et Beaux-Arts, M. Wallon; Travaux publics, M. Caillaux; Agriculture et Commerce, M. de Meaux.
ALLEMAGNE
L’encyclique adressée le,5 février aux évêques de Prusse et par laquelle le pape, subordonnant le pouvoir civil au pouvoir religieux, condamne les lois ec
clésiastiques publiées au mois de mai 1873, a ravivé le conflit entre le saint-siège et le gouvernement prus
sien. Bien que le document n’ait pas jusqu’ici été lu en chaire, et qu’il semble n’être considéré par les ul
tramontains allemands que comme une protestation purement théorique, M. de Bismark a immédiatement pris des mesures pour assurer obéissance aux lois de mai ou punir les écarts qui pourraient se produire.
A cet effet, le 4 mars, il a été présenté au Landtag un projet de loi en quinze articles, supprimant dès à pré
sent les allocations accordées aux évêques par l’Etat et disposant que ces allocations ne seront rétablies qu’en faveur de ceux qui enverront au gouverneur de leur province une déclaration écrite par laquelle ils s’engageront à obéir aux lois de mai, déclarées nulles et non avenues dans la dernière encyclique. Dans le cas oû un évêque, après avoir consenti à faire cette déclaration, viendrait à la rétracter, il serait destitué à la suite d’une sentence judiciaire.
Cette décision du gouvernement prussien, est généralement blâmée par la presse. Ainsi le Standard,
qu’on ne saurait assurément accuser d’indifférence pour la cause du protestantisme ni de sympathie pour l’Eglise romaine, dissuade les Allemands de l’idée que la po litique religieuse suivie par leur gouvernement soit vue de bon œil par la nation anglaise. La feuille pro
testante reste neutre entre le pape et la Prusse, ou, pour être plus exact, elle condamne également l’obsti
nation du saint-siège et les rigueurs du gouvernement prussien. « Mais, ajoute-t-elle, si cette législation dure et inflexible comme la ligne droite peut être
jugée indispensable, elle n’est ni édifiante ni rassurante. Est-ce donc ainsi qu’on fait l’unité d’un pays? Le monde avait cru jusqu’ici que celle de l’Allemagne était accomplie depuis le mois de janvier 1871 ; mais ces scandaleuses discordes font nàilre de graves ap
préhensions. Le sentiment religieux est encore le plus profond et le plus fort qui soit dans le cœur humain, car il est plus puissant même que celui du patriotisme. Nous espérons sincèrement que le prince de Bismark ne travaillera pas à défaire son œuvre. »
Il nous semble que le jugement porté par le Standard sur la politique religieuse du gouvernement prussien et sur les conséquences qu’elle pourrait avoir mérite d’être médité par qui de droit.
TURQUIE
Une difficulté diplomatique s’élait dernièrement élevée entre le gouvernement turc et le gouvernement espagnol à propos de la notification de l’avénement d’Alphonse XII au trône.
Le gouvernement espagnol avait notifié directement cet avènement à Bucharest, sans tenir compte de la puissance suzeraine par laquelle cette notification aurait dû êlre régulièrement transmise. Le prince Charles de Hohenzollern s’empressa de saisir cette nouvelle occasion de faire valoir les prétentions de la Roumanie au titre d’Etat souverain, et annonça l’in
tention de faire porter directement aussi sa réponse à Madrid par un envoyé spécial.
Naturellement la Porte protesta aussitôt et, dans une circulaire adressée aux puissances signataires du traité de Paris, elle déclara que l’exécution du projet du prince Charles pourrait entraîner de sérieuses complications entre elle et la Ronmanie.
_ Ces puissances, qui redoutent et pour cause le plus léger conflit sur le Danube, parce qu’elles ne savent pas jusqu’où il pourrait aller, ne pouvaient manquer d’intervenir. Dès le 4 mars, l’Allemagne et l’Autriche faisaient savoir à Constantinople qu’ayant fait part au gouvernement de Madrid des observations derla Porte,
celui-ci leur avait donné l’assurance qu’il n’avait eu aucune intention de méconnaître les droits de la Tur
quie ; et deux jours plus tard une déclaration plus explicite encore arrivait au Divan, envoyée par la Russie, à savoir que « la notification de l’avénement d’Alphonse XII au prince de Roumanie avait eu lieu par suite de l’ignorance des usages ».
Ces explications faites pour satisfaire la Turquie devaient mettre fin à la difficulté. Aussi le Divan se dispose-t-il à son tour à reconnaître le nouveau gou
vernement espagnol, qui aura été ainsi reconnu par toutes les puissances européennes.
Paris est grippé. Deux mille de nos rues toussent sans cesse ; vous diriez des soufflets de forge. L’Opéra s’enorgueillit d’avoir six ténors.
Tous six sont enroués, ce qui condamne M. Ilalanzier, le directeur, à la tisane et aux jeux de mots. « Hôpital national de musique, » disent les petits journaux frondeurs. — Et le public de rire,
quand il ne devrait employer son énergie qu’à éviter les rhumes. L’épidémie enveloppe jusqu’à l’Observatoire. On raconte que le grand télescope
a été gelé pendant quinze jours, parce qu’il a trop lorgné la Grande Ourse. Par suite de l’in
clémence de la saison, l’Académie française passe le temps à mâcher des jujubes ; on l’a assez vu à la réception de M. Caro. Jujubes à la rose,
jujubes à l’orange, jujubes à la menthe, il y en a pour tous les groupes du docte corps.
Voyez-vous ça, les jetons de présence décernés par l’honorable M. Pingard servant à acheter des friandises de pharmacie ! De ces sucreries, si semblables à la prose de l’endroit, les habits à palmes vertes font une monnaie courante ;
M. Thiers lui-même en offre à M. le duc de Broglie, sur le seuil de l’Institut, au pied des sphinx.
Ces monstres mythologiques sont peut-être les seuls êtres exempts des quintes de toux qui sé
vissent si cruellement sur la ville. Il est vrai qu’ils ont été fondus en pur bronze florentin.
Par bonheur, voici venir le jaborandi. — Qu’est-ce que c’est que ça, le jaborandi ? — Demandez-le à un de nos savants chimistes, au docteur Gubler, lequel s’en est occupé longue


COURRIER DE PARIS