SOMMAIRE.
Texte : Histoire de la semaine. — Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand. — Le Chaudron du diable, nouvelle, par M. G. de Cherville (suite). — Nos gravures : Edgar Quinet ;
— Inauguration de la statue de Manin à Venise; — Arnédée Achard; — L’ascension du ballon le Zénith; — Le naufrage de 1 ’Hermitte et les Wallis; — Le tombeau sans fleurs; — Le drame de Cuverville ; — L’église de Triel. — Histoire d’un gobelet, par M. le vicomte Jean. — Chronique du Sport. — Revue financière de la semaine. — Sommet delà Gorge aux loups (forêt de Fontainebleau).
Gravures : Le tombeau sans fleurs, d’après Saintin. — Amédée Achard. — Edgar Quinet. — L’inauguration du monument de Manin à Venise (Il gravures). — Le naufrage de THermitte et du San-Francisco sur les récifs de l’archipel des Wallis (Polynésie). — L’ascension du ballon le Zénith (4 gravures).
— La France pittoresque: l’église de Triel. — Le drame de Cuverville. — Sommet de la Gorge aux loups (forêt de Fontainebleau), tableau de M. A. Cassagne.


HISTOIRE DE LA SEMAINE


FRANCE
Il s esi, produit, celle semaine, dans la politique intérieure de notre cabinet, plusieurs pelits faits qui ont leur signification. Rappelons-les.
Le premier en date est le double communiqué adressé à YEcho universel et au XIXe siècle, à propos de la réception par le minisire de l’intérieur du per
sonnel de son administration. Voici le passage de la relation du premier de ces journaux, reproduit par le second, qui a moiivé ce communiqué. « Dans une courte allocution au directeur de la presse, disait YEcho, M. le ministre a rappelé à cet honorable fonc
tionnaire les devoirs délicats qui lui incombaient, et il a insisté sur la nécessité de ne provoquer des mesures de rigueur pour réprimer les écarts des jour
naux qu’après mûre réflexion et avec la plus grande réserve. Il a recommandé surtout l’impartialité comme la principale ligne de conduite. » Là-dessus le ministre a pris les armes. « L’Echo universel a été inexacte
ment renseigné ; ces paroles n’ont pas été pronon
cées. » Nous ne commentons pas, nous enregistrons. Passons.
Deuxième fait. M. Hector Pessard sollicitait l’aulorisation de créer à Paris uu nouveau journal poli
tique. Espérant, comme il le dit dans une lettre adressée au Courrier de France, « qu’il y avait quel
que chose de changé depuis le vote des lois Wallon et la constitution du ministère du 10 mars », il comp
ta ! pouvoir obtenir cette autorisation. Et de fait, cela semblait tout simple. Le journal qu’il s’agissait de fonder, le Jour, à peu près de la même nuance que le Courrier de France, n’annonçait rien de bien subversif. Il se proposait de défendre purement et sim
plement la politique nouvelle inaugurée le 25 février. Que l’on n’aime pas cetle politique, rien de mieux ; que même on l’ait en horreur, cela peut s’expliquer.
En tout cas, tout le monde a le droit de manifester ces sentiments, excepté cependant le chef d’un cabinet qui lui doit son existence, et qui a accepté la mis
sion de la mettre en vigueur. N’importe, dans la création du journal en question, M. Buffet a vu un danger.
Nous ne savons quel spectre antédiluvien s’est tout à coup dressé devant lui. Toujours est-il que, retranché derrière les pouvoirs exceptionnels que lui donne l’état de siège, dont le 12 mars il réclamait le mainlien, et invoquant « une résolution communiquée au gouverneur de Paris le 31 juillet 1873 », le lendemain de l’installation d’un gouvernement qu’il a con
tribué à renverser après avoir contribué à l’établir, il a de nouveau saisi sa bonne plume de Tolède. M. Pes
sard doit donc en prendre son parti. Pour lui, le Jour de gloire n’est pas encore arrivé, ni de quelque temps ne viendra. Qu’après cela, M. Buffet ait refusé à un membre de l’extrême gauche l’autorisation de faire, à la salle du boulevard des Capucines, des conférences scientifiques, c’est ce dont il y aurait plus que de la naïveté à s’étonner. Aussi laissons-nous de côté ce troisième fait.
Nous ne voulons même pas nous arrêter à la suspension des conseils municipaux de Lauris et de la Tour-d’Aigues, convertie par décrets en dissolution,
à propos, en ce qui concerne le premier, de « paroles inconvenantes et imméritées » adressées au maire, et,
en ce qui concerne le second, d’une molion qui était un excès de pouvoir contre lequel le maire seul a pro
testé. Sans doute on pourrait chicaner en s’appuyant sur les considérants mêmes des arrêtés préfectoraux de suspension. En effet, d’après ces considérants, d’une part, les paroles reprochées au conseil municipal de Lauris « n’ont pas été reproduites textuellement dans la délibération rédigée après coup et ont été singu
lièrement atténuées », et de l’autre, « on a dénaturé le sens et la portée de la motion qui avait provoqué la protestation du maire de la Tour-d’Aigues, dans le
double but d’échapper à une répression administrative et de déconsidérer le maire en établissant l’exagéra
tion et l’inexactitude de sa protestation ». Mais qui a dit cela, puisque les conseillers disent le contraire et qu’il n’y a pas de témoins ? Les maires, évidemment,
c’est-à-dire la partie adverse. Les maires, nommés par le pouvoir, ont été crus sur parole par les préfets, qui ont été crus par le ministre. Soit, ils le seront aussi par nous, qui ne voulons mettre en doute ni leur sincérité, ni leur loyauté. Oui, ce sont les con
seillers qui ont eu tort, ne serait-ce que pour avoir donné prise contre eux, en un pareil moment, à la veille peut-être des élections pour le Sénat. Ce sont les seuls et les grands coupables, nous le voulons croire, et nous le croyons. Mais, si nous cédons tout sur ce point, relativement au dernier fait que nous avons à consigner ici, on comprendra que nous soyons plus réservés.
De quoi s’agit-il ? De la nomination de quelques maires. Le 12 mars, M. Buffet avait déclaré que ces officiers municipaux seraient pris « autant que possi
ble dans le sein des conseils municipaux ». Depuis celte déclaration quatre maires ont été nommés dans quatre communes de la Corrèze, de l’Isère, du Loiret et de la Savoie. Or, ces quatre maires, où M. le viceprésident du conseil a-t-il été les chercher? On le devine. Quoi ! dans quatre communes, il n’a pas été possible de trouver, nous ne dirons pas trois, nous ne dirons pas même deux, mais un seul conseiller capa
ble d’inspirer quelque confiance au gouvernement !
Autant dire en ce cas que le suffrage universel n’a peuplé les conseils municipaux que de malfaiteurs ou d’imbéciles. Est-ce possible ? Pour notre part, nous n’en croyons rien, et nous sommes convaincus que M. Buffet ne le croit pas plus que nous. Qu’est-ce donc alors ? Ah ! voilà.
C’est justement le point d’interrogation que l’on se pose à Tenvi avec autant de surprise que d’inquié
tude. Car comment rester indifférent devant ces faits et gestes de M. Buffet? Ici, on s’en alarme, là on les regrette, toute la presse libérale les critique. Ne parlons ni de la République française ni du Siècle. Lais
sons même de côté le Journal des Débals, traité de ra
dical aujourd’hui en certains lieux. Mais la Presse? C’est une feuille celle-là qui, croyons-nous, ne peut effaroucher personne. Eh bien ! écoutons un peu la Presse : « M. Buffet, dit-elle, s’obstine visiblement à tout faire au rebours de ce que lui commandent les intérêts qui lui sont confiés, son origine, le souci de son avenir politique et le devoir de maintenir étroite
ment unie la majorité du 25 février. » Et elle ajoute :
« Les partis extrêmes de droite peuvent le prendre pour client, et les bonapartistes l’ont déjà couvert de leur protection, » ce qui est vrai.
Et franchement, à juger sur l’apparence, ils lui doivent bien cela. On sait avec quel soin il s’est empressé de les rassurer le 12 mars. Et voilà qu’il vient encore, si Ton en croit le Moniteur universel, de refuser à certains députés faisant partie de la majorité du 25 février «d’accentuer dans le sens constitutionnel,
c’est-à-dire dans le sens antibonapartiste et anlilégitimisle, le mouvement préfectoral qui se fait attendre ? »
Le moyen après cela que Tou n’en vienne pas, comme on fait, à lui supposer je ne sais quelle arrièrepensée. Certainement on a tort. Mais si Ton se trompe sur son compte, et Ton se trompe, à qui la faute ? Il ne faut donc pas trop s’effrayer des résistances de M. le vice-président du conseil. Même y eut-il au fond de son fait aulre chose que cette humeur taquine à laquelle nous le voyons céder un peu trop complai
samment peut-être, que le danger n’en serait pas plus grand. La situation commande et sera nécessairement plus forte que lui. La seule chose fâcheuse que nous voyons à ces errements, c’est que, en l’inquiétant, ils agitent inutilement le pays.
L’ambassadeur de France en Angleterre, M. dc.Iarnac, est mort le 22 mars dernier. Ses obsèques ont eu lieu le 27 du même mois. M. de Jarnac appartenait à l’école de M. Guizot, sous lequel il avait servi au début de sa carrière. Doué de talents et de qualités littéraires remarquables, il avait publié nombre d’ar
ticles politiques dans la Revue des deux-mondes et dans le Correspondant, ainsi que des études sur Byron et sur Shakespeare. Il sera profondément regretté par le monde diplomatique qui estimait sans restriction son caractère et ses services. Le gouvernement trouvera difficilement un diplomate aussi fami
lier que lui avec les institutions anglaises, et aussi capable de le représenter à Londres.
Une autre mort que nous avons eue à déplorer cette
semaine est celle de l’auteur d Ahasvérus, Edgar Quinet, dont nous donnons dans ce numéro le portrait accompagné d’une notice biographique à laquelle nous renvoyons le lecteur.
Terminons par une nouvelle que donnait avant-hier le Journal officiel : celle de l’évasion du docteur Rastoul et de plusieurs autres déportés de 1 île des Pins.
C’est pour un fait analogue que l’ancien gouverneur, M. de laRicherie, a été destitué, aprèsla fuite de MM. Rochefort et Grousset. Ce serait donc moins aux fonctionnaires qu’au système de surveillance employé à la Nouvelle-Calédonie, qu’il faudrait imputer la fréquence des évasions qui s’y produisent.
P. S. — Au moment de mettre sous presse nous trouvons dans le Journal Officiel un document qui donne à la politique, jusqu’ici si insaisissable du cabinet du 10 mars, un caractère de netteté incontestable.
C’est une circulaire dans laquelle M. le garde des sceaux, sous forme de questions posées aux procureurs généraux, explique la situation, donne au gouvernement « défini et légal » issu des résolutions de la ma
jorité du 25 février, son vrai nom, réclame pour lui la soumission de chacun, et remet le soin de sa défense à la fermeté des magistrats, auxquels il recom
mande d’empêcher les partis de l’attaquer « par divers moyens », dont ils ont usé jusqu’à ce jour pour se combattre entre eux, et d’avoir l’œil ouvert sur le déluge d’un nouveau genre dont le pays est encore inondé, « déluge de photographies, de dessins, d’emblèmes et de petits écrits dans lesquels la vérité his
torique n’est pas moins offensée que le patriotisme et le bon sens ».
A la bonne heure! voilà parler français, et Ton commence à voir dans quelle direction le ministère entend marcher. Et, comme pour éclairer tout à fait la situation Y Agence Havas prend soin, à propos de cette circulaire, de nous déclarer que M. Buffet est entièrement d’accord avec M. Dut aure. Dieu sait si nous demandons mieux que de le croire !
Courrier de Paris
Il y a eu, cette semaine, tant de grésil et tant de deuil en l’air que la promenade de Longchamps a passé inaperçue. Que dire, au sur
plus, à ce sujet? Depuis cent cinquante ans, cette
promenade est toujours le même défilé. On y voit invariablement des voitures qui suivent des voi
tures, des chevaux de Marly jusqu’au lac. Mais ça a beau être toujours la même chose, il est convenu à tout jamais que ça ne cessera pas d’être neuf.
Celte fois, pour la cinquième ou sixième tentative, on a vu reparaître la poudre. Dix ou douze jeunes femmes, espacées de deux cents pas en deux cents pas, se sont fait voir en voiture décou
verte avec un œil de poudre. Le fr oid les avait bleuies; leurs dents claquaient. Une lorgnette aidait à voir que la grippe planait au-dessus
d’elles. Intrépides jusqu’à l’héroïsme, elles n’en tenaient que plus à l’appendice de leurs toileltes ; elles avaient l’air de dire à la foule :
— Tu le vois bien : j’arbore la poudre.
Tant d’opiniâtreté mérite à la fin d’être prise en sérieuse considération. Mais la poudre, en
1575, qu’est-ee sinon le plus inadmissible des anachronismes? La poudre ne va pas sans l’ancien régime. II lui faut Louis XV ou son équiva
lent. Qui dit houppe d’amidon argentant les jeunes tètes, dit Mme de Mailly, ou Mme de Pompadour ou tout autre cotillon royal. Or, nous n’en sommes pas là, puisque nous sommes, à ce qu’on croit, en république. En regard de la poudre, on de
vrait voir revenir les bergers de Watteau, tout ornés de bouffettes de rubans roses. Nous avons les paysans de Millet, ruisselants de sueur et mouchetés de fumier. Bien mieux, à cette même pro
menade des Champs-Elysées, pour y maintenir Tordre, on voit la garde municipale à cheval ; ce serait les mousquetaires gris de M. de Gossé qu’exigerait la mise en scène.
Mais, encore un coup, quel sens pourrait donc avoir ce retour à la poudre ? Un coiffeur vous le répondra bien mieux qu’un philosophe. Il y a quinze ans, les femmes ne consentaient qu’à être blondes. La chimie a multiplié alors les recettes à l’aide desquelles on donne aux cheveux la cou
leur des blés.. Il n’y avait plus de brunes,, il n’y avait plus que toisons dorées ; il n’y avait plus de châtaines, il n’y avait que des rousses otT des queues de vache. Quinze ans, dit Tacite, c’est n