grand espace de temps pour un peuple. Cette mode a vieilli. La voilà périmée. On passe à une nouvelle fantaisie en revenant à la poudre qui avait tant de succès à l’époque des vers de Dorât.
Est-ce donc là le mot de l’énigme que nous avons vue galoper, l autre jour, à Longchamps? Je vous transmets l’explication telle qu’on me l’a donnée. Pourquoi l’art de la coiffure ne refleurirait-il pas avec le printemps?
Au reste, le vent est à la renaissance du passé. Le soir même du jour où la poudre tentait de reparaître aux Champs-Elysées, un théâtre des nouveaux boulevards s’efforçait de ressusciter le vieux flon-flon. Le Vaudeville donnait la première
représentation de la Revue des deux mondes, une revue, si l’on veut. Dix minutes avant que le ri
deau ne se levât, un léger trémolo de l’orchestre annonçait la réapparition de l’ancien couplet,
ah ! vous savez de ce vieux couplet qui a réjoui Paris du temps de Désaugiers et qui fait encore trémousser tous les verres au souper mensuel du Caveau.
De la stalle d’orchestre où nous étions en ce moment, il nous semblait voir tout à coup repa
raître la silhouette de quelqu’un de ces types de l’ancien théâtre chantant dont étaient émaillées encore les premières années du règne de Louis- Philippe. C’était Lepeintre aîné qui parlait en chantant ; c’était Vernet, si gai et si bonhomme; c’était Arnal, si emporté quand il était en veine. L’orchestre rappelait tout cela et bien d’autres choses encore.
A soixant’ ans, il ne faut pas remettre
Ou bien :
Vous avez embrassé ma femme. Ou bien même cet air si chauvin :
T’en souviens-tu, disait un capitaine.
Il y en avait d’un mouvement plus vif, des airs d’une origine toute gauloise.
Gai! gai! marions-nous!
Mettons-nous à la misère. Gai ! gai ! marions-nous !
Mettons-nous la corde au cou!
Un moment le trémolo sautait dans l’Opéra- Comique :
Dans le service de l’Autriche, Le militaire n’est pas riche.
Tout le stock remontait, pour le moins, au ministère Casimir Périer père.
Ces refrains et vingt autres ont été amalgamés avec beaucoup d’art dans l’ouverture de la nou
velle revue. En musique, cela passe encore.
Quand on se met à les chanter, ces vieux fredons n’ont plus la même allure. Le temps a passé làdessus. Il y a eu révolutions sur révolutions, toutes plus graves les unes que les autres. Exhi
bez donc les ândantes qui mettaient Arlequin en belle humeur à la comédie italienne ! L’opérette aussi est venue. Avec elle, la cantilène des cafés chantants. Collé n’est plus connu que des éru
dits; Panard fait l’effet d’une momie; Désaugiers est incompréhensible ; Béranger le sera bientôt.
Vous voyez que c’est bien le cas de rappeler le mot barbelé que disait Royer-Collard à M. Mignet, en pleine Académie française :
-— Monsieur, la France a perdu le même jour le respect et la chanson.
Dans cette revue, il n’y a eu de bien accueilli, du reste, qu’un mouvement d’imitation de quelques acteurs qui en singent d’autres. Voilà encore un signe des temps : les artistes ne s’in
génient plus qu’à se contrefaire entre eux. Notez que ce goût pour la parodie ne se trouve pas
qu’au théâtre ; on le rencontre partout et partout il obtient un très-grand succès. Chez les gens de lettres, c’est à qui chargera.un confrère, un con
temporain, une célébrité quelconque. Roger de Beauvoir était l’homme le plus amusant du monde quand il se mettait à imiter Numa (du Gymnase) ;
Pierre Dupont nous faisait rire aux larmes en prenant le ton, les gestes et l’attitude de Beauvallct dans une tragédie de Racine. Tel autre de nos < nfrères, un chroniqueur, s’il vous plaît, exc le à parler comme M. Thiers; l’ancien pré
sident de la République n’en revient pas luimême. Mais en voilà assez là-dessus. La Revue des deux mondes en chansons n’est guère plus amusante que la Revue des deux mondes en prose ; voilà tout ce qu’il y a à en dire.
Jules Janin prétendait qu’on verrait, un jour, quelque élégante se promener en plein bou
levard des Italiens, tenant en laisse, au bout d’un ruban bleu, un lion de l’Atlas. Si ces temps ne sont pas encore arrivés, on peut affirmer qu’ils sont, du moins, en voie de préparation. Les bêtes domptées sont ce qu’il y a de plus à l’ordre du jour. Nous entrons à grande vitesse dans l’ère du lion savant. En regard des pensionnaires de Bidel, voici la ménagerie de Pezon, un Androclès qui nous arrive de la Lozère, afin de figurer à la Foire au pain d’épice.
Si vous allez place du Trône, à l extrémité du boulevard de Charonne, vous vous trouverez en
vue de la curieuse baraque. On vou.s mènera d’abord à la cage des lions. Us sont cinq de trèshaute taille dans cette chambrée. Pezon entre sans se faire annoncer. De sourds rugissements signalent sa visite. Le dompteur n’a pas l’air d’y prêter l’oreille. D’un coup d’œil fixe il fascine les cinq fauves, qui, tout en remuant la queue, viennent à tour de rôle lui lécher les pieds. Alors commencent les exercices. Pezon fait de ses lions ce qu’il veut. Par exemple, on le voit se mettre en croupe sur le premier venu, tenant d’une main la crinière, de l’autre une cravache. Dans l’un de ses contes, Voltaire parle de la licorne,
qui, lancée à fond de train, fait cent cinquante lieues à l’heure. Charles Fourier, brodant sur cette fantaisie, a créé d’un trait de plume un por
teur presque aussi rapide ; c’est un hippogriffe, destiné à être le bidet de l’avenir. Qui oserait dire que cet exercice du dompteur n’est point le premier pas fait pour que l’homme trouve le trotteur qu’il appelle de tous ses vœux? Entre nous, le cheval est bien vieux; il commence à être un peu démodé, comme on dit aujourd’hui.
Le lion, ayant un cavalier en selle, n’est-ce pas un successeur tout trouvé?
Il n‘y a décidément plus que fort peu de chose à faire pour qu’il s’opère un rapprochement com
plet entre l’espèce léonine et la race d’Adam. La Foire au pain d’épice nous fait voir qu’une union intime ne saurait se faire longtemps attendre.
Dans cette même ménagerie, on tend un pavé de Reims au doyen de la cage, et il le partage fraternellement avec ses quatre amis. Les lions vi
vant de pain d’épice, vous attendiez-vous à cellelà? Il ne leur manque plus que de sucer le sucre d’orge à l’angélique. Ce progrès est en formation; il s’effectuera, l’un de ces jours, aux applaudissements de tous les philanthropes. On in
diquera le fait sur l’affiche et Paris quittera tout pour ce nouveau spectacle. Le lion va bien,
comme vous voyez. Jeprévois le jour où il fumera des londrès et où il portera un lorgnon retenu au cou par un fil en caoutchouc.
Il existait encore, il y a une trentaine de jours, un homme d’un esprit fort original; c’est ce pauvre Raymond Brucker, dont j’ai eu à vous parler plus d’une fois. Après avoir donné tête baissée dans toutes les belles idées du xix° siècle, vieilli, désenchanté, refroidi, il s’étudiait à tour
ner le dos à l’avenir ; il cherchait le plus possible à faire reparaître le passé. Ces exhibitions de bêtes féroces, dont on a la généreuse folie de vou
loir faire des moutons, le mettaient hors de luimême. Il en était venu à vouloir qu’on ne déran
geât rien au monde, se fondant sur la jolie fable de Garo et de la citrouille, qui renferme un sens philosophique si profond. Un jour qu’on lui fai
sait voir un lion auquel un belluaire commandait la charge en douze temps, le vieux romancier bondissait de colère.
— Vieille majesté des déserts, s’écriait-il, tu es déchue comme toutes les autres! Voilà qu’ils font du lion un conscrit.


Ici faisons, malgré nous, une pause.


Ilélas ! ce n’est plus une causerie mondaine, un courrier frivole que nous avons à écrire; c’est une nécrologie qui n’en finit plus, un chapitre d obituaire que la mort, infatigable dans son œuvre, ne veut pas se décider à fermer. Nous venons de voir tomber presque en même temps,
presque à la même heure, M. de Jarnac, notre ambassadeur à Londres, qui a donné aux Revues tant de jolies pages; — Amédée Achard, un des romanciers les plus en renom, le collaborateur de ce journal; — Edgar Quinet, tribun, histo
rien et poète, l’auteur d Ahasvérus; — Agricol Perdiguier, un enfant du peuple, un ancien re
présentant, celui que Georges Sand avait pris pour sujet du Compagnon du tour de France; — M. E. Dennecourt, le Sylvain de la forêt de Fontainebleau, que tous les peintres, de Barbison aimaient si sérieusement, pour lequel quarantedeux littérateurs — nous-même compris — ont formé un volume portant le nom de sa chère forêt ; — enfin Mélingue, le grand sympathique acteur des grands jours du théâtre romantique,
celui qui a joué le principal rôle des Sept infants de Lara, de Félicien de Mailefille, et le premier rôle de Don Juan de Marana, d’Alexandre Dumas père. — Quelle moisson funèbre! et pourvu qu’elle s’arrête là !
Une bonne nouvelle pour faire un peu oublier ces lignes de deuil. Victor Hugo corrige en ce moment les épreuves d’une suite de la Légende des siècles. La publication de ces vers sera, pour sûr, un grand événement littéraire.
En 1856, le jour où les Contemplations furent mises en vente, M . Paul Meurice, ami de l’au
teur, choisit avec soin un exemplaire et se mit de bonne heure en route pour aller trouver un autre grand poète solitaire, que l’on nommait Béranger.
— Monsieur, lui dit-il, j’ai reçu hier une lettre de M. Victor Hugo qui me charge de vous offrir de sa part le livre qu’il vient de publier :
c’est pour lui un honneur et un bonheur de vous faire hommage de...
-— Les Contemplations ! s’écria Béranger sans laisser à M. Meurice le temps d’achever sa phrase, mais je les ai déjà. Voyez les deux volumes sur ma table : je les lisais quand vous êtes entré.
— Je suis désolé de m’être laissé devancer ainsi, répondit M. Meurice stupéfait, et Victor Hugo ne me pardonnera pas cette négligence. Ce
pendant, ajouta-t-il en souriant, je ne croyais pas arriver trop tard.
— Oh ! j’avais fait retenir l’exemplaire depuis longtemps. Remerciez pour moi le grand poète et croyez que je regrette vivement moi-même de ne pas lui avoir laissé le plaisir de m’offrir son livre.
— Mais je ne puis pourtant pas le remporter !
— Au fait ! reprit Béranger, laissez-moi l’exemplaire que m’envoie Hugo; je lirai celui-là, et l’autre... je le prêterai.
Il y a des collectionneurs de tout genre. Un homme du monde s’est mis à conserver les cartes de visite de ses parents, de sesamis, de tous ceux qu’il connaît. Il en possède dix mille.
Vous pensez bien que les bizarreries fourmillent là-dedans. — « Ce ne sont pas précisément des autographes, dit-il; c’est de l’histoire intime. »
Au nombre de celles qu’il nous a montrées, nous en avons noté deux. Sur porcelaine :
M. Biloudet
Jardinier, éducateur de melons
A Versailles
( Jardin du roi). L’autre, .en lettres anglaises :
Max Lejedise
Chirurgien-accoucheur de l armée d’Afrique.
Philibert Aüdebrand.