de Mme Edgar Quinet, Les sentiers de France, lorsque la mort est venue, en trois jours, éteindre cette vaste cl prophétique intelligence.
Encore une ibis, la perte d’un tel homme atteint non-seulement un parti, mais une nation. Les hommes de la valeur d’Edgar Quinet sont rares partout, mais il semble qu’ils deviennent plus rares encore dans notre pays où les talents nouveaux sont nombreux sans doute mais n’ont pas cette hauteur de pensée qui donnait tant de prix auxmoindres pages des Hugo, des Lamartine, des Musset, des Guizot, des Thierry, des Georges Sand, des Michelet et des Quinet.
Jules Claretie.
Inauguration de la statue de Manin à Venise
La ville de Venise a inauguré solennellement, le 22 mars, le monument élevé par souscription à Daniel Manin, dictateur de la cité pendant le siège de 1848- 1849. Cette fête a été célébrée avec beaucoup d’éclat en présence des délégués envoyés par le roi, le Sénat,
le Parlement, et des députations venues de France et de tous les points de l’Italie.
Le cortège ofliciel, formé au palais Grimani, sur le Canal Grande, s’est dirigé par voie de terre vers la petite place San Paterniano, aujourd’hui place Ma
nin, où s’élève la maison qu’habitait l’illustre citoyen avant et pendant les événements de 1848-49.
C’est sur cette place qu’a été érigé le monument, œuvre du sculpteur vénitien Luigi Borro. Daniel Manin est représenté debout, la tête nue, vèlu d’une re
dingote à la française sur laquelle il porte en sauloir l’écharpe municipale et d’un ample pardessus ouvert. Il lient dans la main gauche le fameux décret de ré
sistance à l’Autriche à tout prix, voté à l’unanimité, La statue, coulée en bronze, a pour base un piédestal de granit, élevé sur quatre marches, et qui, pour toute inscription, porte ce nom : Manin. Un
lion de Saint-Marc, en bronze, les ailes déployées, est couché sur les degrés, dans une superbe attitude. Quatre bornes carrées, reliées entre elles par des chaînes et qui supportent des bombes datant du siège, sont placées aux angles du monument.
Après que la statue eût été découverte, plusieurs discours ont été prononcés par MM. Fornoni, syndic de Venise, au nom de la ville ; Bonghi, ministre de l’instruction publique, au nom du roi; Torelli, comme délégué du Sénat; Maurogonato, au nom de la Chambre des députés, et enfin par M. Henri Martin, au nom de la délégation française. Puis les corpora
tions ouvrières ont défdé devant la statue, ainsi que les survivants des combatlants de 4848-49.
Deux jours après cette fêle patriotique, le mercredi 24, à dix heures du matin, les cendres de Manin,
qui avaient été déposées, en 1868, dans un tombeau provisoire situé dans l atrium de l’église Saint-Marc, ont été transportées solennellement dans leur demeure définitive.
Le monument funéraire est situé sur la pelite place des Lions, non loin de la Piazzelta. Il est érigé sur le côté nord extérieur de Saint-Marc, dans l’axe de l’arcade attenant au palais du patriarche. Un vaste soubassement de marbre vert de Gènes, veiné de blanc, placé au ras du sol, contient la dépouille mor
telle de M,ne et de Mlle Manin. Quatre lions de bronze, d’altitudes diverses, placés sur ce soubassement, supportent un sarcophage de porphyre d’un ton rougeâ
tre. Le couvercle est surmonté d’attributs en bronze.
Un procès-verbal notarié de la translation, dressé sur place, a été déposé dans le sarcophage à côté du cercueil, puis, le couvercle, qui avait été hissé au moyen d’un treuil, a été descendu et scellé.
Jacques Grancey.
Amédée Achard
Même dans les temps troublés où nous vivons, il est des personnalités sympatiques dont la droiture et l’honnêteté s’imposent à tous les partis. Véritable homme de lettre, fidèle à ses convictions, ne transi
geant pas avec sa conscience, Amédée Achard, qui écrivait, il y a plus de vingt ans, dans YOpinion na
tionale, des lettres fort agressives signées Alceste,
qui fonda et rédigea le Pamphlet, en 1848, ne laisse aucun ennemi e.t s’était fait profondément estimer de ceux-là mêmes qu’il avait attaqués.
Il était né à Marseille, au mois d’avril 1844, et on ne lui eût certes point donné son âge, tant il ôlait alerte, pimpaut, mince et vif. Il avait débuté par le commerce. A vingt ans, il s’occupait, en Algérie, d’une entreprise agricole, puis bientôt il revenait en I rance,
entrait dans l’administration comme chef de cabinet du préfet de l’Hérault et, après avoir écrit quelque
peu dans le Sémaphore de Marseille, il venait à Paris, et portait tout droit ses premiers articles à ces petits journaux de tant de curiosité et d’imagination qui hébergeaient— je n’ose dire grassement — les talents
nouveaux et qui s’appelaient le Vert-Vert, YEnlr’acte et le Charivari. En 1845, lorsque fut fondé ce jour
nal-monstre l Epoque, Amédée Achard y donna, sous le pseudonyme de Grimm, des Lettres parisiennes re
marquées. Bien des années après, Amédée Achard devait reprendre ce pseudonyme, et les courriers de Paris de Y Illustration qui portaient cette signature étaient de lui.
Le duc de Montpensier choisissait, en 1846, M. Amédée Achard pour raconter les fêtes de son mariage en Espagne. De cette excursion, un livre de voyage est résulté, que l’auteur réimprimait naguère, et qui garde encore son intérêt et sa verve aimable. Amédée Achard aima toujours, au surplus, les voyages. Il avait la nostalgie du départ. Tantôt on le voyait à Bade, tantôt à Aix, aujourd’hui à Vienne, demain à Prague. Dès qu’il se tirait un coup de fusil dans notre pauvre Europe, Amédée Achard allait recueillir des impres
sions sous les balles. Il a donné ce titre, Montebello,
Magenta, Marignan, à sa chronique de la guerre d’Italie, et ces lettrès rapides et qui sentent la poudre deviennent un de ses meilleurs livres. Il se proposait de leur donner un pendant lorsqu’il partit avec nous pour le Rhin, il y a cinq ans. Hélas !...
Amédée Achard avait débuté, comme romancier, en 1840, par Une arabesque, mais son premier grand succès lui vint quand ’ il publia cet amusant récit, Belle-Rose, une histoire de mousquetaire qui a l’en
train et l’agrément des meilleurs contes de Dumas.
Le sergent Belle-Rose est un peu parent du capitaine d’Arlagnan.
Amédée Achard savait à la fois mener à bonne fin le roman d’aventure et le roman intime. La veille même de sa mort, nous recevions le premier volume d’un récit, la Cape et l épée, qu’il avait donné, l’an dernier, au journal le Temps. Mais sa note particu
lière, son originalité propre, on les retrouvait surtout dans ces sortes de nouvelles tendres et délicates qu’il apportait, la plupart du temps, à la Revue des deux mondes ou au Journal des Débats, et qui s’appellent Madame Rose, la Famille Guillemot, le Clos Pommier,
YHistoire d un homme. Parmi tous les romans d’Amédée Achard, remarquables à des degrés divers, un surtout mérite d’être cité et de durer, car c’est un chef-d’œuvre. M. Emile Augier y a peut-être puisé le sujet de sa comédie, Un beau mariage. C’est Maurice de Treuil. Voilà vraiment un livre et, après une vie militante, laborieuse, sans cesse occupée, Amédée Achard mérite vraiment qu’on le nomme l’auteur de Maurice de Treuil, comme Frédéric Soulié est l’au
teur du Lion amoureux, comme Janin est l’auteur de la Fin du monde et du Neveu de Rameau.
Amédée Achard avait aussi donné, tantôt à la Comédie-Française, tantôt à l’Odéon, au Gymnase ou au Vaudeville, des comédies et des proverbes, Donnant donnant, Souvent femme varie, Par les fenêtres, le Jeu
de Sylvia, Alberline deMerris. Il n’a jamais compté là de succès éclatants, mais on a toujours retrouvé dans chacune de ses pièces i’analyste délicat, l’homme
d’esprit et le littérateur ennemi des combinaisons grossières et des couleurs trop crues.
Achard était un homme de talent. On sait qu’il fut aussi un homme de courage. Nature d’élite, il meurt trop tôt pour les siens, trop tôt pour ses amis, trop
tôt pour l’activité, la jeunesse qui pétillaient encore chez ce sexagénaire qu’a emporté si brusquement un frisson, une lluxion de poitrine née d’une imprudente journée de travail, sans feu, par ces derniers froids.
Mourir ainsi, mourir de sa tâche quotidienne, c’est vraiment tomber sur le champ de bataille.
Jules Claretie.
L’ascension du ballon de Zénith», le 23-24 mars 1875
Nous avons entretenu nos lecteurs du beau voyage eu hauteur que MM. Sivel et Crocé-Spinelii ont accom
pli, le 22 mars 1874, sous les auspices de la Société française de navigation aérienne. Ces hardis explorateurs ont dépassé le niveau qu’avaient atteint précé
demment les Biot et les Gay-Lussac, et ils ont plongé leur nacelle à une hauteur de 7300 mètres dans l’at
mosphère. La Société de navigation aérienne, qui est présidée par M. Hervé-Mangon, membre de l’Institut, et qui compte aujourd’hui dans son sein la plupart des savants qui ont exploré l’atmosphère ou étudié les aérostats, a voulu cette année ouvrir une nouvelle campagne d’exploration scientifique de l’atmosphère.
MM. Sivel, Crocé-Spinelli, Gaston Tissandier, Albert Tissandier,dont, les nombreuses explorations aériennes sont connues de nos lecteurs, et Jobert, ont eu ldionneur d’être désignés pour accomplir un voyage de
longue durée, destiné à l’exécution d’expériences et d’observations multiples. Cette expédition a été lon
guement préparée, avec le concours de l’Académie des sciences, de l’Association scientifique de France,
de MM. Dumas, Hervé-Mangon, Henri Giffard, Paul Bert, le professeur Marey, docteur Hureau de Villeneuve, etc. Elle a eu lieu le 23 mars dtrnier à l’u
sine à gaz de la Villette. A six heures vingt minutes le
Zénith s’élevait lentement au-dessus deParis, dans la direction du sud ouest, en présence d’une assisiance nombreuse; il allait séjourner dans l’atmosphère jus
qu’à cinq heures du soir le lendemain, c’est-à-dire pendant vingt-trois heures consécutives ! dépassant ainsi de beaucoup la durée des plus longs voyages en ballon exécutés jusqu’à ce jour.
Nous n’entrerons pas dans le détail des observations scientifiques qui ont été exécutées sans interruption, et dont les résultats seront très-prochainement présentés à l’Académie des sciences. Nous
dirons seulement que l’on doit aux explorateurs un certain nombre d’innovations heureuses. Grâce à un appareil de visée Irès-ingénieux dû à M. Pénaud, M. Crocé-Spineili a pu prendre le point très-fréquemment, et déterminer la vitesse du ballon dans l’atmo
sphère, résultats qui ont été confirmés à la descente. M. Sivel a parfaitement réussi pendant la nuit à main
tenir le ballon sur une ligne presque horizontale,, et les voyageurs n’ont pas cessé de connaître leur direction.
M. Gaston Tissandier a pu exécuter des expériences de chimie destinées à doser l’acide carbonique dans l’air, à différentes altitudes ; il a employé à cet effet un appareil nouveau que MM. Hervé-Mangon et lui avaient précédemment étudié à terre A différentes reprises,
il a fait passer 100litres d’air dans des tubes destinés à absorber l’acide carbonique, qui sera postérieurement recueilli et dosé à l’état gazeux. Les observa
tions spectroscopiques, hygrométriques et électriques ont donné lieu à des résultats curieux, et certaines circonstances spéciales ont en outre favorisé les membres de l’expédition, qui rapportent des faits intéres
sants sur les courants aériens et sur un magnifique halo qui s’est majestueusement développé autour de la lune. M. Jobert a prêté son concours aux expéri
mentateurs, et M. Albert Tissandier a exécuté un grand nombre de paysages aériens sur les effets de lever et de coucher du soleil et de la lune, sur la forme et l’aspect des nuages, indispensable complément d’observations météorologiques.
Pendant toute la durée de la nuit, l’aérostat a été maintenu à une altitude de 800 métrés à 1200 mètres.
La température était environ de 4° au-dessous de zéro, et l’eau gelait dans la nacelle. L’air était parti
culièrement, sec. Les voyageurs, éclairés à l’aide de lampes de Davy, ont assisté d’abord au coucher du soleil et au lever de la lune, qui s’élevant du sein de vapeurs uniformes se déformait par la réfraction en
prenant l’aspect d’une sphère visqueuse qui serait étirée dans le sens d’un de ses diamètres. Quand l’as
tre du jour parut le lendemain à l’horizon, il était rouge comme du sang et offrait l’aspect d’un disque aplati. Il embrasait de feux colorés toute la partie du ciel où il apparaissait, tandis que la lune, entourée d’un halo splendide, brillait vers les régions opposées, et que l’immensité de l’Océan s’ouvrait à un autre point de l’horizon.
MM. Sivel, Crocé-Spinelli, Jobert, Albert et Gaston Tissandier se trouvaient en effet en vue des côtes de La Rochelle, et ce ne fut pas sans joie qu’ils s’aper
çurent que le vent se dévia légèrement vers le nord, en leur assurant encore une longue route dans la direction de la Gironde, en côtoyant les rivages de l’Atlantique.
A dix heures du matin, le 24 mars, le Zénith, par un ciel clair, un soleil ardent, s’engage au-dessus de la Gironde, à son embouchure. Les voyageurs traver
sent le grand fleuve, en vue de la tour de Cordouan, et pendant trente-huit minutes ils se^trouvent su; pen
dus à 700 mètres au-dessus de ses’ eaux. Quelques barques sillonnent la surface du fleuve, et deüx ba
teaux à vapeur qui descendent à la mer saluent les aéronautes en faisant hisser trois fois leur pavillon. Des mouchoirs sont agités de la nacelle pour répondre à ces manifestations sympathiques.
Après avoir passé la Gironde, le Zénith continue sa route vers les Landes ; mais le vent devient calme et la marche du ballon se ralentit sensiblement. Les aéronautes, à mesure que le soleil s’élève, montent rapi
dement dans l’atmosphèrè; ils ne tardent pas à attein
dre l’altitude de 1800 mètres, et ils s’avancent peu à peu vers le vaste étang de Carcans et vers l’.Océan. Après avoir donné quelques coups de soupape, ils re
descendent à quelques centaines de mètres au-dessus
des maigres sapins qui couvrent la surface du sol, et i}s font entraînés par un courant inférieur très,,
Encore une ibis, la perte d’un tel homme atteint non-seulement un parti, mais une nation. Les hommes de la valeur d’Edgar Quinet sont rares partout, mais il semble qu’ils deviennent plus rares encore dans notre pays où les talents nouveaux sont nombreux sans doute mais n’ont pas cette hauteur de pensée qui donnait tant de prix auxmoindres pages des Hugo, des Lamartine, des Musset, des Guizot, des Thierry, des Georges Sand, des Michelet et des Quinet.
Jules Claretie.
Inauguration de la statue de Manin à Venise
La ville de Venise a inauguré solennellement, le 22 mars, le monument élevé par souscription à Daniel Manin, dictateur de la cité pendant le siège de 1848- 1849. Cette fête a été célébrée avec beaucoup d’éclat en présence des délégués envoyés par le roi, le Sénat,
le Parlement, et des députations venues de France et de tous les points de l’Italie.
Le cortège ofliciel, formé au palais Grimani, sur le Canal Grande, s’est dirigé par voie de terre vers la petite place San Paterniano, aujourd’hui place Ma
nin, où s’élève la maison qu’habitait l’illustre citoyen avant et pendant les événements de 1848-49.
C’est sur cette place qu’a été érigé le monument, œuvre du sculpteur vénitien Luigi Borro. Daniel Manin est représenté debout, la tête nue, vèlu d’une re
dingote à la française sur laquelle il porte en sauloir l’écharpe municipale et d’un ample pardessus ouvert. Il lient dans la main gauche le fameux décret de ré
sistance à l’Autriche à tout prix, voté à l’unanimité, La statue, coulée en bronze, a pour base un piédestal de granit, élevé sur quatre marches, et qui, pour toute inscription, porte ce nom : Manin. Un
lion de Saint-Marc, en bronze, les ailes déployées, est couché sur les degrés, dans une superbe attitude. Quatre bornes carrées, reliées entre elles par des chaînes et qui supportent des bombes datant du siège, sont placées aux angles du monument.
Après que la statue eût été découverte, plusieurs discours ont été prononcés par MM. Fornoni, syndic de Venise, au nom de la ville ; Bonghi, ministre de l’instruction publique, au nom du roi; Torelli, comme délégué du Sénat; Maurogonato, au nom de la Chambre des députés, et enfin par M. Henri Martin, au nom de la délégation française. Puis les corpora
tions ouvrières ont défdé devant la statue, ainsi que les survivants des combatlants de 4848-49.
Deux jours après cette fêle patriotique, le mercredi 24, à dix heures du matin, les cendres de Manin,
qui avaient été déposées, en 1868, dans un tombeau provisoire situé dans l atrium de l’église Saint-Marc, ont été transportées solennellement dans leur demeure définitive.
Le monument funéraire est situé sur la pelite place des Lions, non loin de la Piazzelta. Il est érigé sur le côté nord extérieur de Saint-Marc, dans l’axe de l’arcade attenant au palais du patriarche. Un vaste soubassement de marbre vert de Gènes, veiné de blanc, placé au ras du sol, contient la dépouille mor
telle de M,ne et de Mlle Manin. Quatre lions de bronze, d’altitudes diverses, placés sur ce soubassement, supportent un sarcophage de porphyre d’un ton rougeâ
tre. Le couvercle est surmonté d’attributs en bronze.
Un procès-verbal notarié de la translation, dressé sur place, a été déposé dans le sarcophage à côté du cercueil, puis, le couvercle, qui avait été hissé au moyen d’un treuil, a été descendu et scellé.
Jacques Grancey.
Amédée Achard
Même dans les temps troublés où nous vivons, il est des personnalités sympatiques dont la droiture et l’honnêteté s’imposent à tous les partis. Véritable homme de lettre, fidèle à ses convictions, ne transi
geant pas avec sa conscience, Amédée Achard, qui écrivait, il y a plus de vingt ans, dans YOpinion na
tionale, des lettres fort agressives signées Alceste,
qui fonda et rédigea le Pamphlet, en 1848, ne laisse aucun ennemi e.t s’était fait profondément estimer de ceux-là mêmes qu’il avait attaqués.
Il était né à Marseille, au mois d’avril 1844, et on ne lui eût certes point donné son âge, tant il ôlait alerte, pimpaut, mince et vif. Il avait débuté par le commerce. A vingt ans, il s’occupait, en Algérie, d’une entreprise agricole, puis bientôt il revenait en I rance,
entrait dans l’administration comme chef de cabinet du préfet de l’Hérault et, après avoir écrit quelque
peu dans le Sémaphore de Marseille, il venait à Paris, et portait tout droit ses premiers articles à ces petits journaux de tant de curiosité et d’imagination qui hébergeaient— je n’ose dire grassement — les talents
nouveaux et qui s’appelaient le Vert-Vert, YEnlr’acte et le Charivari. En 1845, lorsque fut fondé ce jour
nal-monstre l Epoque, Amédée Achard y donna, sous le pseudonyme de Grimm, des Lettres parisiennes re
marquées. Bien des années après, Amédée Achard devait reprendre ce pseudonyme, et les courriers de Paris de Y Illustration qui portaient cette signature étaient de lui.
Le duc de Montpensier choisissait, en 1846, M. Amédée Achard pour raconter les fêtes de son mariage en Espagne. De cette excursion, un livre de voyage est résulté, que l’auteur réimprimait naguère, et qui garde encore son intérêt et sa verve aimable. Amédée Achard aima toujours, au surplus, les voyages. Il avait la nostalgie du départ. Tantôt on le voyait à Bade, tantôt à Aix, aujourd’hui à Vienne, demain à Prague. Dès qu’il se tirait un coup de fusil dans notre pauvre Europe, Amédée Achard allait recueillir des impres
sions sous les balles. Il a donné ce titre, Montebello,
Magenta, Marignan, à sa chronique de la guerre d’Italie, et ces lettrès rapides et qui sentent la poudre deviennent un de ses meilleurs livres. Il se proposait de leur donner un pendant lorsqu’il partit avec nous pour le Rhin, il y a cinq ans. Hélas !...
Amédée Achard avait débuté, comme romancier, en 1840, par Une arabesque, mais son premier grand succès lui vint quand ’ il publia cet amusant récit, Belle-Rose, une histoire de mousquetaire qui a l’en
train et l’agrément des meilleurs contes de Dumas.
Le sergent Belle-Rose est un peu parent du capitaine d’Arlagnan.
Amédée Achard savait à la fois mener à bonne fin le roman d’aventure et le roman intime. La veille même de sa mort, nous recevions le premier volume d’un récit, la Cape et l épée, qu’il avait donné, l’an dernier, au journal le Temps. Mais sa note particu
lière, son originalité propre, on les retrouvait surtout dans ces sortes de nouvelles tendres et délicates qu’il apportait, la plupart du temps, à la Revue des deux mondes ou au Journal des Débats, et qui s’appellent Madame Rose, la Famille Guillemot, le Clos Pommier,
YHistoire d un homme. Parmi tous les romans d’Amédée Achard, remarquables à des degrés divers, un surtout mérite d’être cité et de durer, car c’est un chef-d’œuvre. M. Emile Augier y a peut-être puisé le sujet de sa comédie, Un beau mariage. C’est Maurice de Treuil. Voilà vraiment un livre et, après une vie militante, laborieuse, sans cesse occupée, Amédée Achard mérite vraiment qu’on le nomme l’auteur de Maurice de Treuil, comme Frédéric Soulié est l’au
teur du Lion amoureux, comme Janin est l’auteur de la Fin du monde et du Neveu de Rameau.
Amédée Achard avait aussi donné, tantôt à la Comédie-Française, tantôt à l’Odéon, au Gymnase ou au Vaudeville, des comédies et des proverbes, Donnant donnant, Souvent femme varie, Par les fenêtres, le Jeu
de Sylvia, Alberline deMerris. Il n’a jamais compté là de succès éclatants, mais on a toujours retrouvé dans chacune de ses pièces i’analyste délicat, l’homme
d’esprit et le littérateur ennemi des combinaisons grossières et des couleurs trop crues.
Achard était un homme de talent. On sait qu’il fut aussi un homme de courage. Nature d’élite, il meurt trop tôt pour les siens, trop tôt pour ses amis, trop
tôt pour l’activité, la jeunesse qui pétillaient encore chez ce sexagénaire qu’a emporté si brusquement un frisson, une lluxion de poitrine née d’une imprudente journée de travail, sans feu, par ces derniers froids.
Mourir ainsi, mourir de sa tâche quotidienne, c’est vraiment tomber sur le champ de bataille.
Jules Claretie.
L’ascension du ballon de Zénith», le 23-24 mars 1875
Nous avons entretenu nos lecteurs du beau voyage eu hauteur que MM. Sivel et Crocé-Spinelii ont accom
pli, le 22 mars 1874, sous les auspices de la Société française de navigation aérienne. Ces hardis explorateurs ont dépassé le niveau qu’avaient atteint précé
demment les Biot et les Gay-Lussac, et ils ont plongé leur nacelle à une hauteur de 7300 mètres dans l’at
mosphère. La Société de navigation aérienne, qui est présidée par M. Hervé-Mangon, membre de l’Institut, et qui compte aujourd’hui dans son sein la plupart des savants qui ont exploré l’atmosphère ou étudié les aérostats, a voulu cette année ouvrir une nouvelle campagne d’exploration scientifique de l’atmosphère.
MM. Sivel, Crocé-Spinelli, Gaston Tissandier, Albert Tissandier,dont, les nombreuses explorations aériennes sont connues de nos lecteurs, et Jobert, ont eu ldionneur d’être désignés pour accomplir un voyage de
longue durée, destiné à l’exécution d’expériences et d’observations multiples. Cette expédition a été lon
guement préparée, avec le concours de l’Académie des sciences, de l’Association scientifique de France,
de MM. Dumas, Hervé-Mangon, Henri Giffard, Paul Bert, le professeur Marey, docteur Hureau de Villeneuve, etc. Elle a eu lieu le 23 mars dtrnier à l’u
sine à gaz de la Villette. A six heures vingt minutes le
Zénith s’élevait lentement au-dessus deParis, dans la direction du sud ouest, en présence d’une assisiance nombreuse; il allait séjourner dans l’atmosphère jus
qu’à cinq heures du soir le lendemain, c’est-à-dire pendant vingt-trois heures consécutives ! dépassant ainsi de beaucoup la durée des plus longs voyages en ballon exécutés jusqu’à ce jour.
Nous n’entrerons pas dans le détail des observations scientifiques qui ont été exécutées sans interruption, et dont les résultats seront très-prochainement présentés à l’Académie des sciences. Nous
dirons seulement que l’on doit aux explorateurs un certain nombre d’innovations heureuses. Grâce à un appareil de visée Irès-ingénieux dû à M. Pénaud, M. Crocé-Spineili a pu prendre le point très-fréquemment, et déterminer la vitesse du ballon dans l’atmo
sphère, résultats qui ont été confirmés à la descente. M. Sivel a parfaitement réussi pendant la nuit à main
tenir le ballon sur une ligne presque horizontale,, et les voyageurs n’ont pas cessé de connaître leur direction.
M. Gaston Tissandier a pu exécuter des expériences de chimie destinées à doser l’acide carbonique dans l’air, à différentes altitudes ; il a employé à cet effet un appareil nouveau que MM. Hervé-Mangon et lui avaient précédemment étudié à terre A différentes reprises,
il a fait passer 100litres d’air dans des tubes destinés à absorber l’acide carbonique, qui sera postérieurement recueilli et dosé à l’état gazeux. Les observa
tions spectroscopiques, hygrométriques et électriques ont donné lieu à des résultats curieux, et certaines circonstances spéciales ont en outre favorisé les membres de l’expédition, qui rapportent des faits intéres
sants sur les courants aériens et sur un magnifique halo qui s’est majestueusement développé autour de la lune. M. Jobert a prêté son concours aux expéri
mentateurs, et M. Albert Tissandier a exécuté un grand nombre de paysages aériens sur les effets de lever et de coucher du soleil et de la lune, sur la forme et l’aspect des nuages, indispensable complément d’observations météorologiques.
Pendant toute la durée de la nuit, l’aérostat a été maintenu à une altitude de 800 métrés à 1200 mètres.
La température était environ de 4° au-dessous de zéro, et l’eau gelait dans la nacelle. L’air était parti
culièrement, sec. Les voyageurs, éclairés à l’aide de lampes de Davy, ont assisté d’abord au coucher du soleil et au lever de la lune, qui s’élevant du sein de vapeurs uniformes se déformait par la réfraction en
prenant l’aspect d’une sphère visqueuse qui serait étirée dans le sens d’un de ses diamètres. Quand l’as
tre du jour parut le lendemain à l’horizon, il était rouge comme du sang et offrait l’aspect d’un disque aplati. Il embrasait de feux colorés toute la partie du ciel où il apparaissait, tandis que la lune, entourée d’un halo splendide, brillait vers les régions opposées, et que l’immensité de l’Océan s’ouvrait à un autre point de l’horizon.
MM. Sivel, Crocé-Spinelli, Jobert, Albert et Gaston Tissandier se trouvaient en effet en vue des côtes de La Rochelle, et ce ne fut pas sans joie qu’ils s’aper
çurent que le vent se dévia légèrement vers le nord, en leur assurant encore une longue route dans la direction de la Gironde, en côtoyant les rivages de l’Atlantique.
A dix heures du matin, le 24 mars, le Zénith, par un ciel clair, un soleil ardent, s’engage au-dessus de la Gironde, à son embouchure. Les voyageurs traver
sent le grand fleuve, en vue de la tour de Cordouan, et pendant trente-huit minutes ils se^trouvent su; pen
dus à 700 mètres au-dessus de ses’ eaux. Quelques barques sillonnent la surface du fleuve, et deüx ba
teaux à vapeur qui descendent à la mer saluent les aéronautes en faisant hisser trois fois leur pavillon. Des mouchoirs sont agités de la nacelle pour répondre à ces manifestations sympathiques.
Après avoir passé la Gironde, le Zénith continue sa route vers les Landes ; mais le vent devient calme et la marche du ballon se ralentit sensiblement. Les aéronautes, à mesure que le soleil s’élève, montent rapi
dement dans l’atmosphèrè; ils ne tardent pas à attein
dre l’altitude de 1800 mètres, et ils s’avancent peu à peu vers le vaste étang de Carcans et vers l’.Océan. Après avoir donné quelques coups de soupape, ils re
descendent à quelques centaines de mètres au-dessus
des maigres sapins qui couvrent la surface du sol, et i}s font entraînés par un courant inférieur très,,