SOMMAIRE.
Texte : Hisloire de la semaine. — Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand — Nos gravures : L’expédition scientifique
de Pile Saint-Paul; — Mélingue; — Cérémonie de la remise de la Toison d’or au maréchal de Mac-Mahon; — Le nouveau collège Chaptal; — Une Noce au XVI siècle. — Le Chaudron du diable, nouvelle, par M. G. de Chenille (suite). — Revue financière de la semaine. — Faits divers. — Bulletin biblio
graphique. — J. Maeklay. — Chronique du Sport. — Echecs.
Gravures: Le passage de Vénus sur le soleil: expédition française à File Saint-Paul; la grande lunette équatoriale au mo
ment de l’observation du troisième contact; — Cabane des naturalis es; — Les observatoires mobiles et la pyramide élevée en souvenir de l’expédition; — Vue générale de l’installation à l’entrée du cratère de Pile. — Mélingue. — Remise des insignes de l’ordre de la Toison d’or au maréchal de Mac- Mahon, au palais de l’Elysée, à Paris. — Paris : les nouveaux bâtiments du collège Chaptal : la chapelle et le pavillon de l’administration. — Le théâtre russe à Paris :
Un Mariage russe, pièce représentée à la salle Ventadour par la troupe du théâtre national de Moscou. — En wagon, par Bcrtall (4 sujets). — J. Maeklay, explorateur russe. — Rébus.


HISTOIRE DE LA SEMAINE


FRANCE
Dans notre dernier numéro, nous avons mentionné la circulaire adressée par M. Dufaure aux procureurs généraux.
Cette circulaire a été diversement appréciée par la presse.
Les journaux républicains y applaudissent, en se félicitant hautement d’y trouver ce qu’on chercherait vainement dans le programme du 12 mars, c’est-à- dire l’affirmation du « mémorable » changement qui s’est effectué, il y a six semaines, dans le gouverne
ment du pays, et de la politique nouvelle qui en doit être la conséquénce. Les journaux bonapartistes, au contraire, et avec eux le Français, affectent de n’y voir que le commentaire naturel du programme du vice-président du conseil. Mais le grand so in que ces feuilles mettent en môme temps à souffler sur les espérances que le document en question a pu faire con
cevoir aux républicains, montre, croyons - nous,
qu’elles ne sont pas au fond aussi convaincues de ce qu’elles disent qu’elles voudraient bien en avoir 1 air.
Le journal de M. de Broglie a môme laissé échapper, à ce point de vue, une phrase significative. « Le ministre, a-t-il dit, a pu sans doute témoigner sur l’œuvre constitutionnelle une confiance satisfaite que d’autres conservateurs n’éprouvent pas au même
degré. » C’est presque un aveu, et un aveu dont, à un autre point de vue, on pourrait encore se faire une arme contre le Français.
En effet, ce journal, comme le Journal de Paris, assure qu’il n’a jamais existé de désaccord entre MM. Dufaure et Buffet. Mais si cette confiance satisfaite dont il parle se voit dans la circulaire de M. Du
faure, et on l’y voit, et si l’on songe, d’autre part, que la môme satisfaction et la même confiance ne brillent, guère que par leur absence dans le pro
gramme du 12 mars, ce simple rapprochement ne serait-il pas de nature à ébranler quelque peu la con
fiance que l’on pourrait avoir dans les informations du Français? D’autant plus qu’il y a d’autres faits qui peuvent, semble-t-il, donner a croire qu’il se trompe.
x\insi, entre autres, nous mentionnerons le soin que prenait naguère le Moniteur universel de rassurer les esprits sur la désagrégation possible de la majorité par suite de divisions dans le ministère. « Les mem
ores de la gauche, en ce qui les concerne, députés ou ministres, disait-il, sont résolus à se maintenir sur le terrain de la conciliation et de la modération. » Le Moniteur eût-il parlé de conciliation s’il n’y avait eu mésintelligence? Mentionnons encore le-nouveau lan
gage du Journal des Débats qui, après avoir fait le procès à presque tous les actes du vice-président du conseil, dit aujourd’hui à son tour que la plus par
faite entente n’a cessé de régner entre lui et le garde des sceaux. Cette évolution subite du Journal des Débats a sa raison d’être, qui est encore une preuve à l’appui de ce que nous disions. Quelques jours auparavant, le Français lui avait décoché l’entrefilet suivant :
« Le Journal des Débats prétend donner ce matin le texte de la circulaire d’après une traduelion faite sur la version du Times. Or, il se trouve que celte prétendue traduction est identiquement le texte fran
çais de la circulaire. Le Journal des Débats a-t-il donc des traducteurs si habiles qu’ils retrouvent, sous le texte anglais, sans se tromper d’un mot, les expres
sions mêmes de la rédaction originale? Il est donc bien évident que le Journal des Débats avait entre les
mains le texte premier de la circulaire. Qui lui avait fait cette communication avant même que M. Buffet eût eu connaissance du document? Nous ne pouvons croire que ce soit M. Léon Say. Comment admettre,
en effet, qu’un ministre ait conservé ses anciennes relations de collaboration avec un journal qui tous les jours attaque violemment la politique générale du cabinet? En tous cas, il y a dans ces divers incidents quelque chose de suspect que nous ne voulons pas grossir, mais qui doit éveiller l’attention de l’honorable M. Dufaure. »
La position, comme on voit, était délicate, inutile d’insister sur ce point. Aussi le Journal des Débats a-t-il laissé tomber l’insinuation ; mais il a voulu se faire pardonner son imprudence. Nous avons vu plus haut de quelle façon. Il n’en a pas moins eu tort de
forcer la note. Ne lui suffisait-il pas de dire que la plus parfaite entente régnait actuellement entre MM. Buffet et Dufaure, ce qui est possible et même
probable. En effet, s’il ne veut se retirer, M. Buffet n’est-il pas condamné à toujours compter avec M. Du
faure, qui représente dans le cabinet la majorité réelle du 25 lévrier, composée des gauches et du groupe Wallon-Lavergne, tandis que le vice-président du conseil ne représente, lui, que la partie flottante du centre droit qui grossit sans doute, en lui appor
tant son concours, cette même majorité, mais qui, en le lui refusant, ne peut en rien l’empêcher d’être? La position de M. Buffet a donc quelque analogie avec celle d’un monarque conslitutionnel. Il a le fauteuil, c’est vrai ; mais il ne peut avoir de politique que celle de la majorité du parlement, représentée par M. Dufaure. Et c’est pourquoi nous avons toujours sou
tenu qu’il n’y avait pas à s’effrayer de ses faits et gestes.
Pour en revenir à la circulaire du ministre de la justice et en finir avec elle, disons qu’elle vient d’être fort éloquemment complétée par M. Wallon, ministre de l’instruction publique, dans un discours fort ap
plaudi prononcé par lui à la Sorbonne, à l’occasion de la distribution des récompenses accordées aux socié
tés savantes des départements, et dont les passages ayant trait à la situation politique actuelle ont soulevé le plus de bravos. Amené par le développement naturel de sa pensée à s’expliquer sur la nouvelle orga
nisation constitutionnelle, M. Wallon l’a fait en termes très-nets : « La République, que l’Assemblée a trouvée établie en fait au milieu des désastres de l’inva
sion, sur les ruines de l’empire, a-t-il dit, vient de recevoir, par le vote des lois- constitutionnelles, un caractère plus défini sans fermer la porte aux ré
formes, aux transformations mêmes de ce régime, selon que la volonté du pays, régulièrement exprimée, en disposera ; l’Assemblée nationale a voulu qu’elle eût en elle, par le jeu même des institutions, la puis
sance de durer, ne proscrivant que deux choses qui ont été le fléau de notre histoire contemporaine, les coups d’Etat et les révolutions. »
Or, de quels éléments se composait le public qui battait des mains à ces paroles ? D’hommes d’opi
nions généralement modérées, qui par leur position et la tournure de leur esprit appartiennent aux classes conservatrices. N’est-ce pas significatif?
La commission de permanence a tenu sa deuxième séance à Versailles, sous la présidence de M. d’Audiffret-Pasquier. Cette séance a été fort courte. On ne s’y est entretenu que de la future installation des pou
voirs publics dans le chef-lieu du département de Seine-et-Oise, et des études faites, dans ce but, par M. l’architecte Joli. La Chambre décidera quelle com
mission aura à connaître de ces études. — Pourvu que ce ne soit pas la commission des Trente! a dit malicieusement M. Ernest Picard. Mais cette boutade cachait au fond une préoccupation assez sérieuse au sujet des futures élections générales. Apporter l’oi
seau, c’est bien ; mais encore faut-il que la cage soit prêle pour le recevoir.
Ouverte à deux heures, la séance a été levée à deux heures et demie. M. le vice président du fconseil s’était rendu dans les couloirs de la Chambre, où il s’est tenu à la disposition delà commission, prètàrépondre aux interpellations qui devaient être adressées au gou
vernement. Mais ces interpellations, ou pour mieux dire ces questions, relatives au régime de la presse, aux élections partielles et aux attaques des bonapar
tistes contre la Constitution, n’ont pas été posées.’Les membres républicains de la commission, qui s’étaient réunis dans un bureau delà Chambre, avant la séance,
après avoir reconnu que sur les deux premiers points ils n’obtiendraient vraisemblablement pas de réponse, et que, quant au troisième, la circulaire de M. Dufaure leur donnait satisfaction, avaient pris la résolution de s’abstenir.
Enregistrons, pour terminer, l’insignifiant mouvement préfectoral qui vient d’avoir lieu, à seule fin de
remplacer le préfet des Hautes-Pyrénées, M. Féraud, récemment pourvu de la recette générale de l’Aude, et l’ouverture de la première session des conseils gé
néraux pour l’année 1875. Les quelques discours qui nous sont jusqu’ici parvenus ne roulent que sur le vote des lois constitutionnelles et les espérances de toutes sortes que ce vote a partout fait naître. C’était prévu. La situation faite aux assemblées départemen
tales par la constitution du 25 février est nouvelle, et les discours des présidents ne pouvaient manquer de s’en ressentir.
ALLEMAGNE
On annonçait dernièrement qu’nne note diplomatique avait été adressée par M. de Bismark au ministre des affaires étrangères de Belgique. Elle avait pour but, disait-on, de signaler à l’attention du gouverne
ment belge l’attitude des journaux cléricaux vis-à-vis de l’Allemagne, relativement aux mesures prises dans ce dernier pays à l’égard des membres du clergé. La
note était bien réelle. Elle porte la date du 3 février dernier. Le gouvernement belge y a répondu le 26 du même mois, en déclinant la responsabilité que l’Alle
magne entendait faire peser sur lui, attendu que la Belgique est un pays libre, et que l’épiscopat, les as
sociations catholiques et la presse ne sont justiciables
que des tribunaux. Cette réponse ne paraît pas avoir été du goût de la presse allemande, qui la discute avec aigreur, et prétend qu’il n’y a pas lieu pour l’Allema
gne de tenir compte des libertés publiques d’un pays non plus que de sa neutralité, du moment que ces li
bertés l’empêcheraient d’obtenir satisfaction de tous les griefs qu’il pourrait lui convenir de formuler. La presse allemande ne doute plus de rien, pas plus que son grand-chancelier, qui demande encore aujour
d’hui au gouvernement italien d’aviser aux moyens d’imposer silence au pape, malgré la loi des garanties. L’Italie ne suivra certainement pas sur ce ter
rain M. de Bismark, qui en sera pour ses frais. Ce ne sera pas le seul mécompte qu’attirera vraisemblable
ment au grand-chancelier de l’empire d’Allemagne ce rôle de croquemitaine de l’Europe qu’il a décidément pris au sérieux et qu’il joue en ce moment avec une si surprenante conviction.
ITALIE
L’empereur d’Autriche est arrivé à Venise, où une réception magnifique lui a été faite. Nous tiendrons nos lecteurs au courant des fêtes brillantes auxquelles aura donné lien ce voyage, dont l’importance politique n’a échappé à personne.
Voilà quinze jours au moins que vous le savez, il nous est arrivé tout à coup deux cents comédiens russes. Un impressario plein d’audace les a amenés de Moscou à la salle Venta
dour. Sachant combien sont vives désormais les sympathies de la France pour la Russie, et réci
proquement, il s’est mis en tête d’imprimer une allure plus effective encore au rapprochement des deux peuples. C’est déjà quelque chose de passa
blement curieux qu’un tel voyage accompli avec succès; cependant le plus difficile n’était pas encore là-dedans. Ce qu’il fallait faire, c’étail que Paris consentit à entendre des œuvres drama
tiques écrites dans une langue qu’il ne connaît pas; c’était qu’il applaudît des artistes dont il n’avait pas lui-même fait la renommée. Eh bien,
tout cela a été obtenu sans effort, à première vue. Les comédiens de M. Tanéieff ont joué une pièce nationale dans la langue qu’on parlait du temps d’Ivan-le-Terrible ; ils ont détaillé leur poétique si peu semblable à celle d’ici ; ils ont chanté leurs airs tout nouveaux pour nous ; ils ont exécuté leurs danses qui ne pouvaient que nous paraître étranges. Paris a d’abord éprouvé un certain étonnement, mais la glace a été vite rompue. On a bien vite couvert les principaux interprètes de bravos et de bouquets.
11 va sans dire que la salle était des plus brillantes, surtout le soir de la première représen
tation. La colonie russe n’est pas tout entière à Nice; elle avait tenu à envoyer dans les loges et aux avant-scènes bon nombre de ses représen
tants. Ainsi les princes abondaient, car qui dit Russe dit prince.Vous devinez bien que les grandes dames ne manquaient pas non plus. On remar
COURRIERDEParis