soleil, il a encore pour effet d’échauffer Irès-rapidcment le fond de ce bassin, abrité des vents du large.
Toutes ces causes réunies produisent une évaporation constante et fort active au fond de ce cratère, qu’on ne saurait mieux comparer qu’à une vaste chaudière.
Quand les vapeurs arrivent au niveau des crêtes, elles sont condensées par les vents froids du large et entre
tiennent ainsi des bancs de brume permanente audessus de l’île; par le temps calme ou vent modéré,
ce dôme de nuages était souvent tellement circonscrit aux bords du cratère, qu’on apercevait le ciel bleu et le soleil briller à quelques centaines de mètres de l’ile pendant que le zénith était absolument couvert sur une hauteur de 25 à 30 degrés.
Le dessin que nous avons reproduit montrera mieux que toute description l’installation générale de l’expédition. Les parois du cratère, hautes de 265 mètres, sont visibles de chaque côté de l’entrée de la baie. Le fond du cratère est en partie inondé. Sur la côte qui du fond du cratère s’élève en pente douce vers le côté gauche du cratère, sont installés, en bas l’observatoire avec tous ses accessoires, à mi-côte les habitations, magasins, cuisines, etc. On remarque vers la limite de la petite langue de terre, à droite de la coupole principale, une pyramide, élevée par les membres de l’expédition en souvenir de l’observation française du passage de Vénus.
On pourrait critiquer l’installation au fond du cratère (elle aurait d’ailleurs été impossible au sommet à pic) si l’on n’avait soin de remarquer que la marche du soleil dans le ciel y était visible dans toute sa tra
jectoire. Une carte spéciale, que nous publions aussi, constate ce fait. On y peut voir entre autres que les points de l’entrée (premier et deuxième contacts de
Vénus avec le soleil), comme ceux de la sortie, s’y trouvent placés dans les meilleures conditions d’observation.
Pendant les trois mois que l’expédition française est restée à Plie Saint-Paul, il n’y a pas eu un seul jour de temps entièrement découvert; les plus longues séries de ciel libre sans nuages n ont jamais duré plus de trois à quatre heures, et ont été fort rares. Elles avaient lieu généralement dans l’après-midi, depuis deux heures jusqu’au moment ou le soleil cessait d’éclairer le fond du cratère.
Telles étaient les déplorables conditions atmosphériques qui étaient faites à cette station. Un seul es
poir soutenait nos braves marins : c’était l’opinion des pêcheurs malgaches, qui soutenaient qu’il y avait toujours une embellie le jour de la nouvelle lune, opinion qui coïncidait avec les rapports expédiés précédemment sur le climat de cette île. Les deux nou
velles lunes précédentes d’octobre et de novembre avaient confirmé cette règle d’une manière très-remarquable.
Le temps ne paraissait pourtant pas devoir s’éclaircir. Le 6 le ciel était sombre dans toute l’étendue de l’horizon, et le baromètre commençait à descendre.
Le 7, la baisse arrivait à 757, le temps empirait, le vent soufflait très-frais du nord-ouest, puis sautait au nord-est, amenant de la pluie et une épaisse brume.
Le 8, veille du passage, la baisse du baromètre continue (à 750) ; la pluie est torrentielle et inces
sante, la mer fort grosse ; une goélette nouvellement arrivée sur rade casse ses ancres et est emportée par le mauvais temps; une brume épaisse enveloppe toute l’île, cachant même les bords du cratère. On ne peut trouver un seul moment même pour faire une répéti
tion générale de l’observation avec tout le personnel à son poste ; la pluie est trop forte et trop continuelle. Cependant, bien que tout paraisse absolument et ir
révocablement perdu, on n’en continue pas moins tous les préparatifs et on termine à minuit la préparation
des plaques, qui doivent être photographiées. A cette heure tardive la pluie est toujours aussi forte, le ciel
aussi sombre, et les cabanes résistent à peine à la violence de la tempête.
Le 9, jour du passage, à trois heures du matin, le vent sauta du nord-est au nord-ouest, produisant su
bitement une grande amélioration de temps. La pluie cesse, le voile sombre qui couvrait le ciel se déchire, de grosses masses de brumes et de nuages très-bas, chassées par une forte brise, passent continuellement au zénith, laissant fréquemment voir le ciel. Le baromètre remonte. Au lever du soleil’ chaque observa
teur court à ses instruments ; les derniers préparatifs sont vivement terminés, et à six heures trente, une demi-heure avant le premier contact, chacun est à son poste entièrement prêt à remplir sa lâche bien définie et étudiée d’avance.
M. Mouchez est au grand équatorial de 8 pouces (dont on peut voir l’installation sur nos gravures) ; M. Turquet était à l’équatorial de 6 pouces; M. Vélain s’était installé sur le sommet de l’îîe avec une petite lunette lie 3 pouces; MM. Cazin et Rochefort
étaient à la photographie.
Le premier contact fut à peu près complètement manqué, quand dans une éclaircie M. Mouchez aperçut une première très-petite échancrure sur le disque du soleil ; elle était déjà un peu trop avancée pour permettre d’estimer exactement l’instant du contact.
A mesure que Vénus entrait sur le soleil, les nuages devenaient de plus en plus rares, le ciel plus transpa
rent, les images d’une très-grande netteté. Un quart d’heure environ après le premier contact, quand la moitié de la planète était encore hors du soleil, le chef de l’expédition aperçut subitement tout le disque entier de Vénus dessiné par une pâle auréole, phéno
mène dont nous avons parlé dernièrement dans ce journal même, et qui a été observé également par d’aulres astronomes; cette observation inattendue gêna également la constatation du moment auquel Vénus a dû être entrée tout à fait dans le disque du soleil, c’est-à-dire du deuxième contact. L’observateur prit pour cet instant le moment précis où le dis
que du soleil ne lui parut plus déformé par la lumière brillante qui enveloppait la planète.
Remarque singulière, M. Turquet avec un excellent équatorial de 6 pouces, n’a pas vu l’auréole.
Pendant presque toute la durée du passage, le disque de la planète a paru d’un noir très-foncé, ayant cependant une très-légère teinte violette, tandis qu’une auréole d’un jaune également très-pâle l’entourait sur le disque du soleil.
La photographie a fonctionné pendant toute la durée du passage. M. Cazin a obtenu 443 épreuves daguerriennes et 142 sur collodion, dont 489 sont excellentes et pourront servir aux mesures micrométriques.
A la sortie de Vénus, le troisième contact a été observé également dans d’excellentes conditions, le ciel très-pur entre les nuages avec les mêmes phéno
mènes qu’au deuxième, mais en sens inverse. Alors le ciel a commencé de nouveau à se couvrir. A onze heures trente minutes, le quatrième contact a été ob
servé fort douteux, les éclaircies devenaient plus rares.
Enfin à midi il a été encore possible d’observer le passage du soleil au méridien à travers les nuages pour régler des chronomètres.
Mais quelques minutes après, la pluie, la brume, le vent, recommencèrent comme la nuit précédente,
le baromètre restant toujours très-bas; la tempête n’était pas terminée, elle avait été seulement sus
pendue pendant les cinq heures de la durée du pas
sage, elle dura encore trente-six heures; ce ne fut que le 11 que le baromètre étant remonté à 765, le temps s’embellit définitivement et permit de faire quelques observations méridiennes pour régler les pendules et les chronomètres.
Les pêcheurs malgaches s’étaient montrés bons météorologistes en annonçant une embellie le jour de la nouvelle lune.
On peut dire que l’expédition de l’île Sain-Paul, si heureusement favorisée par une éclaircie de quelques heures a été la contre-partie de l’expédition si fameuse
de Legentil, lors des derniers passages de 1761 et 1769 : la première fois l’Océan, la seconde fois des
nuages, s’opposèrent à l’observation, et Legentil dut revenir après dix années d’absence dans sa patrie,
qui le croyait morl, et au milieu des siens qui s’étaient déjà partagé son héritage! M. Mouchez a été plus heureux, et la science doit s’en féliciter.
Les observateurs avaient pour singuliers témoins de leurs travaux des pingouins, ou pour mieux dire des manchots, seuls habitants de l’île. Sans crainte de l’espèce humaine dont ds ont encore le bonheur de ne pas connaître les instincts belliqueux, ces oi
seaux regardaient philosophiquement et d’un certain air mélancolique, les astronomes occupés à l’observation du passage. Plus d’une fois même leurs familiarités faillirent désarmer la patience des missionnaires de la science.
Camille Flammarion.
Molingue
Le comédien qui vient de mourir fut l’acteur le plus populaire non-seulement du boulevard, comme on disait il y a quelques années, mais de ce théâtre héroïque, plein de hardiesses, de surprises, de vail
lance et de charme que Dumas père avait mis à la mode.
Tempérament profondément artistique, né pour adorer l’art et pour le pratiquer sous des formes multiples, Mélingue fut un peintre de talent et un sculpteur original, et on peut dire que son talent de comé
dien se montra toujours doublé de quelque chose de sculptural et de pittoresque. R établissait, en effet, avec autant de soin le côté plastique de ses rôles que leur côté moral et dramatique, R composait ses cos
tumes, ses physionomies, ses attitudes comme il eut campé une statue ou arrangé un tableau.
Plus d’une fois les auteurs dramatiques mirent à profit les triples talents de Mélingue, et on le rit dans Salvator Rosa enlever, au pastel, en quelques minutes, le profil d’un bandit, tandis que dans Benvenuto Cellini, il sculptait, tout en jouant, une statue A Hèbé. C’est ce qui faisait dire à l’acteur Bignon :
« Si les auteurs mettent à profit les connaissances » particulières des comédiens, qu’on me donne un » rôle de savetier. Je ne suis pas sculpteur, mais j’ai » été cordonnier et je ferai une paire de souliers sur » la scène ! »
Mélingue, sculpteur, avait été médaillé pour sa statue de l’Histrion.
R était né à Caen, en 1812. II avait commencé par la vie errante de comédien, jouant partout, à travers la France, et mieux que cela, à travers le monde. R avait couru chercher des bravos jusqu’à la Guade
loupe. Lassé de ces aventures, Mélingue revint au pays, il joua à Rouen avec Mme Dorval, puis de Rouen, et d’un seul bond, il vint à Paris. Son premier rôle fut Buridan, dans lequel il remplaça Delaistre, qui lui-même doublait Bocage. Mélingue y fut applaudi, acclamé.
Ses rôles se comptent dès lors par des succès. Le Satan de Don Juan de Marana, le Manoir de Montlouviers, le Lorain du Chevalier de Maison-Rouge, le Comte Hermann, Benvenulo Cellini, Y Avocat des^ pauvres, Fanfan la Tulipe, les Sept châteaux du roi de Bohême, tout le répertoire de Dumas et de Paul Maurice ; le Chicot de la Dame de Montsoreau, le lé
gendaire Lagardère du Bossu, autant de physionomies curieuses, autant de créations puissantes. Dans Benvenuto Cellini, lorsque la fonte manquant a Jupiter, le sculpteur jetait ses œuvres d’art à la flamme, Mé
lingue était vraiment beau, vraiment grand. II fut charmant aussi dans Fanfan la Tulipe, et le Bossu lui valut un triomphe.
Son dernier succès au théâtre, ce fut le rôle de don César de Bazan, à l’Odéon, à la reprise de Ruy-Blas. Fort ému le premier soir, il devint entraînant aux re
présentations suivantes. Je crois cependant que la dernière fois qu’il parut sur la scène, ce fut dans la cérémonie en l’honneur d’Alexandre Dumas, aux ma
tinées littéraires de la Gaîté, pour apporter, costumé en d’Artagnan, une couronne à ce puissant dramaturge :
D’artagnan si vivant à son père immortel!
Puis, Mélingue quitta le théâtre, ne s’occupa plus que d’ètre un père de famille aimé et respecté, l’hiver à Paris, l’été à Veulles, au bord de la mer, laissant passer les jours, jusqu’à l’heure suprême où il devait mourir, toujours narquois et disant, en s’écoulant lui-même râler : — Tiens! voici le hoquet de Mlle Georges !
Jules Claretie.
Cérémonie de la remise de la Toison d’or au maréchal de Mac-Mahon
La cérémonie de la remise du collier de la Toit on d’or au président de la République, M. le maréchal de Mac-Mahon, a eu lieu le 1er avril au palais de l’Elysée.
L’introducteur des ambassadeurs, M. Molard, était allé chercher dans les voitures de la présidence M. de Mollins, chevalier de l’ordre, délégué par le roi d Espagne pour remettre en son nom les insignes au ma
réchal. Le chapitre était Composé de MM. de Noailles, de Talleyrand, de Nemours, d’Aumale, de Joinville et d’Ossuna, chevaliers, le premier depuis 1825, le der
nier depuis 1860. La cérémonie a eu lieu dans le
salon de l’Hémicycle. Le collier était placé sur une table, entre deux fauteuils où ont pris place l’ambas
sadeur du roi Alphonse et M. de Noailles qui servait de parrain au président de la République. Deux autres fauteuils étaient occupés par MM. de la Vega et Frétil
ler, premier et second secrétaires de l’ambassade d’Espagne, délégués en qualité de greffier et de tré
sorier de l’ordre. Les chevaliers confrères, tenant le chapitre, étaient placés à droite et à gauche.
Quand le maréchal de Mac-Mahon est entré avec sa famille et MM. Decazes, ministre des affaires étrangères, Yinoy, grand chancelier de la Légion d’hon
neur, de Chaudordy, ambassadeur de France à Madrid,
en ce moment en congé, l’ambassadeur d’Espagne lui a adessé les questions d’usage.
Le président de la République a répondu qu il acceptait la Toison d’or que le roi voulait bien lui conférer, et M. de Mollins a remis le collier au récipien
daire, qui est allé recevoir les félicitations de chacun des chevaliers qui assistaient au chapitre. Le greffier
a lu ensuite le procès-verbal de la cérémonie, qui a été dressé et signé séance tenante.