SOMMAIRE.
Texte : Histoire de la semaine. — Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand — Nos gravures : Le docteur Harmand; —
Le goûter; — Les manœuvres militaires de nuit; — La cavalcade du 7 mars à Alger; — La malade;— L’exposition universelle de Philadelphie : le palais principal; — La recon
struction du pont de Grenelle; — Les arbres historiques de Paris; —La France pittoresque : Riez — Le Chaudron du diable, nouvelle, par M. G. de Chcrville. — Revue littéraire.
— Les Théâtres. — Revue financière de la semaine. — Faits divers. — Machines à vapeur verticales de la maison J. 11erinann-Lachapelle. — Echecs.
Gravures: Le déjeuner, d’après Knauss. — Les nouvelles manœuvres de nuit au camp de Satory. — Le docteur Harmand.
— La cavalcade du 7 mars à Alger. — La malade, d’après Meyer, de Brème. — L’exposition universelle de Philadelphie: vue générale du bâtiment principal. — Paris : reconstruc
tion du ponl.de Grenelle. — Les arbres historiques de Paris.— La France pittoresque (2 gravures). — Machine à vapeur verticale, système de J. Hermann-Lachapelle, vue de face. — Rébus.
FRANCE
Nous avons donc un ministère et, qui plus est, son programme.
Le ministère, nous avons donné sa composition. Parlons un peu du programme. Avant qu’il fût connu, les républicains en disaient merveille. Ils en préci
saient les points. Les élections du Sénat devaient avoir lieu en septembre, la dissolution en octobre ; on conservait le scrutin de liste pour les élections des
députes; l’état de siège allait être levé partout, sauf dans les départements de la Seine, du Rhône et des Bouches-du-Rhône ; les maires devaient être pris exclusivement dans le sein des conseils municipaux ; le personnel administratif remanié. Mais les républi
cains se flattaient. M. le vice-président du conseil a parlé, et il a fallu changer de ton.
C’est dans la séance du 12 mars que M. Buffet a lu la déclaration du nouveau cabinet. En voici un court résumé :
La politique du ministère du 10 mars sera trèsnettement conservatrice et dénuée de tout caractère de provocation comme de faiblesse. Cette déclaration a été rendue nécessaire par les interprétations aux
quelles adonné lieu le vote des lois constitutionnelles,
interprétations qui ont inquiété le pays, qu’il importe de rassurer. La population honnête, paisible, labo
rieuse, attachée à l’ordre, peut donc compter sur la protection du gouvernement, secondé « par une administration intelligente et dévouée, qui a su mainte
nir l’ordre dans les circonstances difficiles que nous avons traversées et à qui ne fera pas défaut le con
stant appui du ministère. » C’est la seule politique à suivre. Ceux qui ont trouvé dans l’organisation des pouvoirs publics une satisfaction plus ou moins complète de leurs vues voudront prouver, par leur adhé
sion à celte politique, « que l’ordre de choses actuel n’est point incompatible avec la sécurité publique». Ceux qui eussent voulu résoudre différemment la question du gouvernement n’en défendront pas moins, certainement, par patriotisme, les principes d’ordre et de conservation sociale. C’est donc avec confiance que le ministère fait appel aux hommes modérés de tous les partis et avec.instance qu’il réclame leur concours, ayant le devoir « d’assurer aux lois constitu
tionnelles l’obéissance et le respect de tous et la ferme volonté de les défendre contre toute menée factieuse », mais sans se faire jamais l’instrument d’aucune ran
cune et en respectant les regrets et les convictions qui ne se manifesteront par aucun acte répréhensible.
La déclaration se terminait ainsi:
« Le gouvernement a l’intention de vous soumettre des modifications aux lois qui régissent actuellement la presse. Il importe, en effet, d’assurer d’une manière normale une répression efficace d’excès qui fini
raient par discréditer dans l’esprit des hommes les plus modérés l’usage légitime de la libre discussion. Tant que celte loi n’aura pas été votée, le gouverne
ment ne saurait renoncer aux pouvoirs exceptionnels que lui confère l’état de siège dans un certain nombre de départements. Ncus demandons aussi le maintien, pour une période déterminée, de la législation ac
tuelle, en ce qui concerne la nomination des maires,
qui seront pris d’ailleurs, autant que possible, dans le sein des conseils municipaux. »
Quant à la loi électorale, aux élections du Sénat, à la dissolution, pas un mot.
Cette communication, qui a causé et devait causer dans l’Assemblée une émotion assez vive, n’a pas moins vivement impressionné la presse. Les journaux républicains n’ont dissimulé ni leur déception ni
leur irrilation. «L’honorable ministre de l’intérieur, dit le Journal des Débats, a paru mettre tout son soin à bien faire connaître que ce n’était pas exclusivement avec la majorité du 25 février qu’on entendait gouver
ner, mais bien plulôt, autant que cela serait possible, avec les éléments que fournirait la droite ralliée
après coup... Ce sont toujours les mêmes exhortations au pays de ne point se troubler et de compter sur le gouvernement pour le protéger contre les attaques et « les passions subversives ». La République n’a pas encore reçu son droit de cité, ni même son nom, que l’on continue à lui refuser encore. Ce dernier point tirerait peu à conséquence ; mais à quoi bon tranquil
liser des gens qui ne s’effrayent pas du tout et qui ne demandent qu’à avoir confiance? Rassurer ainsi hors de propos, c’est une manière comme une aulre de donner l’alarme... L Opinion nationale trouve de son côté que le ministère a mal débuté, l’Evénement pareillement. « Oublions la préface et attendons le livre, » dit-il. Et le Siècle : «En comparant ce pro
gramme à celui qui avait été officieusement rendu public, nous pensons qu il ne tient pas toutes les pro
messes qui avaient été faites et qu’il est loin de répondre à la situation faite au pays, au gouvernement et à l’As
semblée, par le vote des lois constitutionnelles. » II n’est pas ]asqu’hh République française qui, bien que moins pessimiste, ne trouve que la déclaration du ca
binet « maintient l’attention du pays sur des combinaisons mesquines, usées, sans portée et sans grandeur ».
Mais si les journaux républicains ne dissimulent point leur mécontentement, en revanche les orléa
nistes se montrent assez satisfaits et c’est hautement que les bonapartistes triomphent. «Ce que nous sou
haitions, le ministère l’a fait, » dit le Constitutionnel. Et le Paris-Journal : « Ce programme, écrit-il, est un commentaire rassurant de l’acte si troublant du
25 février. Il semble, à entendre le nouveau ministre de l’intérieur, que rien ne soit changé dans les prin
cipes du gouvernement. On a seulement fixé par un clou, très-superficiellement encore, grâce à la clause de révision, l’étiquette républicaine qui ne tenait jus
que-là que par la grâce d’un simple pain à cacheter... M. Buffet, par la loi de sa nature et par le lien de tous ses antécédents, se trouve conséquent avec lui-même, en subordonnant son programme à la note qui parut dans le Journal officiel du 26 février, comme un correctif nécessaire du scrutin de la veille. »
C’est bien fait, et il serait difficile à M. Buffet de protester sans inconséquence contre ce commentaire du programme du nouveau cabinet. En effet, entre la politique arborée le 24 mai 1873 et celle accusée le 12 mars dernier, on cherche la différence. Pour nous,
nous n’en voyons guère. On nous dit qu’il faut savoir lire entre les lignes, nous le voulons bien ; en ce cas,
c’est tant pis, et cela n’est pas fait pour nous inspirer confiance. Un peu moins de finesse nous irait mieux.
Mais enfin, si l’on veut que ce soit à d’habiles gens que nous ayons affaire, acceptons-les tels quels. Nous préférons encore croire à un excès d’habileté plutôt qu’à un manque de bonne foi. Aussi bien, quelle que soit l’anguille qui se cache sous roche, le ministère n’en sera pas moins forcé ou de se retirer ou de céder à la nécessité qui a fait la République et de revêtir le caraclèrc qu’il doit logiquement avoir. La majorité du 25 février est toujours derrière lui, compacte, quoi qu’on ait fait jusqu’ici pour la désagréger, et prête à le remettre dans la droite ligne s’il s’en écartait par trop. Elle vient déjà de lui donner un avertissement indirect, dans la double nomination qu’elle vient de faire deM. d’Audiffret-Pasquier comme président de l’Assemblée, en remplacement du vice-président du conseil, et de M. Duclerc, membre de la gauche, comme vice-président, en remplacement de M. d’Audiffret.
Il y a lieu de croire que l’avertissement ne sera pas perdu, surtout après le succès qu’a obtenu l’allocution prononcée par le nouveau président, en prenant possession du fauteuil.
« C’est à ce gouvernement du pays par lui-même, a-t-il dit, c’est à ce régime parlementaire si souvent calomnié, que, dans le passé, la France a dû des jours prospères et glorieux succédant à de cruels désastres. C’est grâce à lui que, depuis quatre années, elle a surmonté les plus dures épreuves qu’une nation puisse subir; c’est à lui que, par vos récentes décisions, vous avez confié l’avenir. Vous n’avez pas oublié ce que peut coûter à un pays l’abandon de ses libertés pu
bliques. Ce sera l’honneur de celte Assemblée de les avoir rétablies et respectées. Vous voudrez, messieurs, par votre modération, les rendre chaque jour plus chères au pays. Prouvons-lui que la plus sûre garantie de l’ordre et de la sécurité dont il a besoin, c’est la liberté. Là sont mes plus chers souvenirs et mes con
victions : ne doutez pas de mon dévouement absolu pour en assurer la défense. »
A la bonne heure, voilà un langage que nous reconnaissons et qui nous plaît. C’est net, clair, franc,
concis, parfait. L’hydre de l’anarchie n’y montre pas sa tète, et on n’y voit point frétiller la queue des pas
sions subversives. Plus d’appel aux légions de l’ordre moral, qui ont si bien mérité de la patrie ! La liberté y est estimée à son prix et traitée avec la considéra
tion qu’elle mérite. Ce n’est plus un épouvantail, mais une égide. Le pays n’a rien à en redouter, il a au con
traire tout à en attendre, et le plus grand malheur qui lui soit jamais arrivé, a été de la perdre. Ah ! que nous voilà loin du programme deM. le vice-président du conseil! Et à côté de cette généreuse allocution, la pi
teuse et singulière mine qu’il fait! Passons, et n’en parlons plus.
La question des sous-secrétaires d’Etat est définitivement tranchée. M. Albert Desjardins, député de l’Oise, membre du centre droit, précédemment soussecrétaire d’Etat au ministère de l’instruction publique, passe en la même qualité au ministère de l’intérieur, en remplacement de M. Cornélis de Witt. M. Bardoux, député du Puy-de-Dôme, vice-président du centre gauche est nommé sous-secrétaire d’Etat au départe
ment de la justice, en remplacement de M. Baragnon.
M. Louis Passy, député de l’Eure, membre du groupe
Lavergne, conserve son poste de sous-secrétaire d’Etat au ministère des finances. Enfin, M. Jourdain, inspec
teur général de l’instruction publique, membre de
l’Académie des inscriptions et belles-lettres, est nommé secrétaire général du ministère de l’instruc
tion publique, les fonctions de sous-secrétaire d’Etat à ce département étant supprimées.
L’Assemblce a mené à bonne fin la troisième délibération de la loi des cadres qui est ainsi devenue dé
finitive, et elle a abordé la discussion sur les pensions civiles qui venait à son ordre du jour du 16. Le pre
mier engagement a été vif, et promet un combat animé et intéressant. La Chambre adoptera-t-elle le projet comme le demande le rapporteur, M. Berthauld, qui propose seulement des garanties pour l’avenir? Le repoussera-t-elle comme le désire M. Pa
rent? Ou bien invitera-t-elle avec M. Woiowski le gouvernement à soumettre à un nouvel examen du conseil d’Etat, statuant au contentieux, la liquidation des pensions accordées à litre exceptionnel et pour lesquelles de nouveaux crédits se trouvent demandés 1 C’est ce que nous saurons bientôt.
Is abelle a cessé d être la bouquetière eu titre du Jockey-Club. On l’a blacboulée, puis congédiée. La chute d’une reine n’aurait, pas fait plus de bruit. Vous savez pourquoi. Isabelle ga
gnait, dit-on, bon an, mal an, 10000 francs à vendre des oeillets et des roses aux beaux mes
sieurs du monde-cheval. Vivant avec les fleurs, n’ayant affaire qu’aux hommes les plus comme
il faut, on était porté à croire qu’elle ne pouvait qu’avoir l’âme bien située. Or, sa vieille mère,
n’étant plus en âge de travailler, lui demandait un morceau de pain, une pension alimentaire.
Sur le refus de la fleuriste, il y eut une instance en justice, et Isabelle fut condamnée à payer 600 francs par an. Grâce à MM. les avocats, la chose a tourné au scandale; c’est alors que le club a cru devoir intervenir. Isabelle est donc déchue du privilège qu’elle avait de fleurir la boutonnière des gentlemen-riders.
— Eh ! dame, a dit l’un d’eux, le Jockey-Club a dû lui montrer qu’il est à cheval sur les principes.
Cette étoile filante était une des figures du temps. On lorgnait Isabelle à La Marche ou à Auteuil à titre de célébrité. Elle a sa place dans le Dictionnaire des contemporains, puisqu’elle est quelque chose comme un grand homme. Le demi-monde tenait compte de ses mines, les grandes faiseuses étudiaient ses toilettes, la chro
nique enregistrait ses mots, car la bouquetière faisait de l esprit, ni plus ni moins que M1,e Su
zanne Brohan. Un autre point de son originalité consistait à se faire voir dans l’enceinte du pesage, parée des couleurs du dernier sportman vainqueur. Ceux qui sont enclins aux idées de super
stition n’ont pu s’empêcher de se mettre la main sur les yeux la dernière fois qu’elle est entrée en
Courrier de Paris
Texte : Histoire de la semaine. — Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand — Nos gravures : Le docteur Harmand; —
Le goûter; — Les manœuvres militaires de nuit; — La cavalcade du 7 mars à Alger; — La malade;— L’exposition universelle de Philadelphie : le palais principal; — La recon
struction du pont de Grenelle; — Les arbres historiques de Paris; —La France pittoresque : Riez — Le Chaudron du diable, nouvelle, par M. G. de Chcrville. — Revue littéraire.
— Les Théâtres. — Revue financière de la semaine. — Faits divers. — Machines à vapeur verticales de la maison J. 11erinann-Lachapelle. — Echecs.
Gravures: Le déjeuner, d’après Knauss. — Les nouvelles manœuvres de nuit au camp de Satory. — Le docteur Harmand.
— La cavalcade du 7 mars à Alger. — La malade, d’après Meyer, de Brème. — L’exposition universelle de Philadelphie: vue générale du bâtiment principal. — Paris : reconstruc
tion du ponl.de Grenelle. — Les arbres historiques de Paris.— La France pittoresque (2 gravures). — Machine à vapeur verticale, système de J. Hermann-Lachapelle, vue de face. — Rébus.
HISTOIRE DE LA SEMAINE
FRANCE
Nous avons donc un ministère et, qui plus est, son programme.
Le ministère, nous avons donné sa composition. Parlons un peu du programme. Avant qu’il fût connu, les républicains en disaient merveille. Ils en préci
saient les points. Les élections du Sénat devaient avoir lieu en septembre, la dissolution en octobre ; on conservait le scrutin de liste pour les élections des
députes; l’état de siège allait être levé partout, sauf dans les départements de la Seine, du Rhône et des Bouches-du-Rhône ; les maires devaient être pris exclusivement dans le sein des conseils municipaux ; le personnel administratif remanié. Mais les républi
cains se flattaient. M. le vice-président du conseil a parlé, et il a fallu changer de ton.
C’est dans la séance du 12 mars que M. Buffet a lu la déclaration du nouveau cabinet. En voici un court résumé :
La politique du ministère du 10 mars sera trèsnettement conservatrice et dénuée de tout caractère de provocation comme de faiblesse. Cette déclaration a été rendue nécessaire par les interprétations aux
quelles adonné lieu le vote des lois constitutionnelles,
interprétations qui ont inquiété le pays, qu’il importe de rassurer. La population honnête, paisible, labo
rieuse, attachée à l’ordre, peut donc compter sur la protection du gouvernement, secondé « par une administration intelligente et dévouée, qui a su mainte
nir l’ordre dans les circonstances difficiles que nous avons traversées et à qui ne fera pas défaut le con
stant appui du ministère. » C’est la seule politique à suivre. Ceux qui ont trouvé dans l’organisation des pouvoirs publics une satisfaction plus ou moins complète de leurs vues voudront prouver, par leur adhé
sion à celte politique, « que l’ordre de choses actuel n’est point incompatible avec la sécurité publique». Ceux qui eussent voulu résoudre différemment la question du gouvernement n’en défendront pas moins, certainement, par patriotisme, les principes d’ordre et de conservation sociale. C’est donc avec confiance que le ministère fait appel aux hommes modérés de tous les partis et avec.instance qu’il réclame leur concours, ayant le devoir « d’assurer aux lois constitu
tionnelles l’obéissance et le respect de tous et la ferme volonté de les défendre contre toute menée factieuse », mais sans se faire jamais l’instrument d’aucune ran
cune et en respectant les regrets et les convictions qui ne se manifesteront par aucun acte répréhensible.
La déclaration se terminait ainsi:
« Le gouvernement a l’intention de vous soumettre des modifications aux lois qui régissent actuellement la presse. Il importe, en effet, d’assurer d’une manière normale une répression efficace d’excès qui fini
raient par discréditer dans l’esprit des hommes les plus modérés l’usage légitime de la libre discussion. Tant que celte loi n’aura pas été votée, le gouverne
ment ne saurait renoncer aux pouvoirs exceptionnels que lui confère l’état de siège dans un certain nombre de départements. Ncus demandons aussi le maintien, pour une période déterminée, de la législation ac
tuelle, en ce qui concerne la nomination des maires,
qui seront pris d’ailleurs, autant que possible, dans le sein des conseils municipaux. »
Quant à la loi électorale, aux élections du Sénat, à la dissolution, pas un mot.
Cette communication, qui a causé et devait causer dans l’Assemblée une émotion assez vive, n’a pas moins vivement impressionné la presse. Les journaux républicains n’ont dissimulé ni leur déception ni
leur irrilation. «L’honorable ministre de l’intérieur, dit le Journal des Débats, a paru mettre tout son soin à bien faire connaître que ce n’était pas exclusivement avec la majorité du 25 février qu’on entendait gouver
ner, mais bien plulôt, autant que cela serait possible, avec les éléments que fournirait la droite ralliée
après coup... Ce sont toujours les mêmes exhortations au pays de ne point se troubler et de compter sur le gouvernement pour le protéger contre les attaques et « les passions subversives ». La République n’a pas encore reçu son droit de cité, ni même son nom, que l’on continue à lui refuser encore. Ce dernier point tirerait peu à conséquence ; mais à quoi bon tranquil
liser des gens qui ne s’effrayent pas du tout et qui ne demandent qu’à avoir confiance? Rassurer ainsi hors de propos, c’est une manière comme une aulre de donner l’alarme... L Opinion nationale trouve de son côté que le ministère a mal débuté, l’Evénement pareillement. « Oublions la préface et attendons le livre, » dit-il. Et le Siècle : «En comparant ce pro
gramme à celui qui avait été officieusement rendu public, nous pensons qu il ne tient pas toutes les pro
messes qui avaient été faites et qu’il est loin de répondre à la situation faite au pays, au gouvernement et à l’As
semblée, par le vote des lois constitutionnelles. » II n’est pas ]asqu’hh République française qui, bien que moins pessimiste, ne trouve que la déclaration du ca
binet « maintient l’attention du pays sur des combinaisons mesquines, usées, sans portée et sans grandeur ».
Mais si les journaux républicains ne dissimulent point leur mécontentement, en revanche les orléa
nistes se montrent assez satisfaits et c’est hautement que les bonapartistes triomphent. «Ce que nous sou
haitions, le ministère l’a fait, » dit le Constitutionnel. Et le Paris-Journal : « Ce programme, écrit-il, est un commentaire rassurant de l’acte si troublant du
25 février. Il semble, à entendre le nouveau ministre de l’intérieur, que rien ne soit changé dans les prin
cipes du gouvernement. On a seulement fixé par un clou, très-superficiellement encore, grâce à la clause de révision, l’étiquette républicaine qui ne tenait jus
que-là que par la grâce d’un simple pain à cacheter... M. Buffet, par la loi de sa nature et par le lien de tous ses antécédents, se trouve conséquent avec lui-même, en subordonnant son programme à la note qui parut dans le Journal officiel du 26 février, comme un correctif nécessaire du scrutin de la veille. »
C’est bien fait, et il serait difficile à M. Buffet de protester sans inconséquence contre ce commentaire du programme du nouveau cabinet. En effet, entre la politique arborée le 24 mai 1873 et celle accusée le 12 mars dernier, on cherche la différence. Pour nous,
nous n’en voyons guère. On nous dit qu’il faut savoir lire entre les lignes, nous le voulons bien ; en ce cas,
c’est tant pis, et cela n’est pas fait pour nous inspirer confiance. Un peu moins de finesse nous irait mieux.
Mais enfin, si l’on veut que ce soit à d’habiles gens que nous ayons affaire, acceptons-les tels quels. Nous préférons encore croire à un excès d’habileté plutôt qu’à un manque de bonne foi. Aussi bien, quelle que soit l’anguille qui se cache sous roche, le ministère n’en sera pas moins forcé ou de se retirer ou de céder à la nécessité qui a fait la République et de revêtir le caraclèrc qu’il doit logiquement avoir. La majorité du 25 février est toujours derrière lui, compacte, quoi qu’on ait fait jusqu’ici pour la désagréger, et prête à le remettre dans la droite ligne s’il s’en écartait par trop. Elle vient déjà de lui donner un avertissement indirect, dans la double nomination qu’elle vient de faire deM. d’Audiffret-Pasquier comme président de l’Assemblée, en remplacement du vice-président du conseil, et de M. Duclerc, membre de la gauche, comme vice-président, en remplacement de M. d’Audiffret.
Il y a lieu de croire que l’avertissement ne sera pas perdu, surtout après le succès qu’a obtenu l’allocution prononcée par le nouveau président, en prenant possession du fauteuil.
« C’est à ce gouvernement du pays par lui-même, a-t-il dit, c’est à ce régime parlementaire si souvent calomnié, que, dans le passé, la France a dû des jours prospères et glorieux succédant à de cruels désastres. C’est grâce à lui que, depuis quatre années, elle a surmonté les plus dures épreuves qu’une nation puisse subir; c’est à lui que, par vos récentes décisions, vous avez confié l’avenir. Vous n’avez pas oublié ce que peut coûter à un pays l’abandon de ses libertés pu
bliques. Ce sera l’honneur de celte Assemblée de les avoir rétablies et respectées. Vous voudrez, messieurs, par votre modération, les rendre chaque jour plus chères au pays. Prouvons-lui que la plus sûre garantie de l’ordre et de la sécurité dont il a besoin, c’est la liberté. Là sont mes plus chers souvenirs et mes con
victions : ne doutez pas de mon dévouement absolu pour en assurer la défense. »
A la bonne heure, voilà un langage que nous reconnaissons et qui nous plaît. C’est net, clair, franc,
concis, parfait. L’hydre de l’anarchie n’y montre pas sa tète, et on n’y voit point frétiller la queue des pas
sions subversives. Plus d’appel aux légions de l’ordre moral, qui ont si bien mérité de la patrie ! La liberté y est estimée à son prix et traitée avec la considéra
tion qu’elle mérite. Ce n’est plus un épouvantail, mais une égide. Le pays n’a rien à en redouter, il a au con
traire tout à en attendre, et le plus grand malheur qui lui soit jamais arrivé, a été de la perdre. Ah ! que nous voilà loin du programme deM. le vice-président du conseil! Et à côté de cette généreuse allocution, la pi
teuse et singulière mine qu’il fait! Passons, et n’en parlons plus.
La question des sous-secrétaires d’Etat est définitivement tranchée. M. Albert Desjardins, député de l’Oise, membre du centre droit, précédemment soussecrétaire d’Etat au ministère de l’instruction publique, passe en la même qualité au ministère de l’intérieur, en remplacement de M. Cornélis de Witt. M. Bardoux, député du Puy-de-Dôme, vice-président du centre gauche est nommé sous-secrétaire d’Etat au départe
ment de la justice, en remplacement de M. Baragnon.
M. Louis Passy, député de l’Eure, membre du groupe
Lavergne, conserve son poste de sous-secrétaire d’Etat au ministère des finances. Enfin, M. Jourdain, inspec
teur général de l’instruction publique, membre de
l’Académie des inscriptions et belles-lettres, est nommé secrétaire général du ministère de l’instruc
tion publique, les fonctions de sous-secrétaire d’Etat à ce département étant supprimées.
L’Assemblce a mené à bonne fin la troisième délibération de la loi des cadres qui est ainsi devenue dé
finitive, et elle a abordé la discussion sur les pensions civiles qui venait à son ordre du jour du 16. Le pre
mier engagement a été vif, et promet un combat animé et intéressant. La Chambre adoptera-t-elle le projet comme le demande le rapporteur, M. Berthauld, qui propose seulement des garanties pour l’avenir? Le repoussera-t-elle comme le désire M. Pa
rent? Ou bien invitera-t-elle avec M. Woiowski le gouvernement à soumettre à un nouvel examen du conseil d’Etat, statuant au contentieux, la liquidation des pensions accordées à litre exceptionnel et pour lesquelles de nouveaux crédits se trouvent demandés 1 C’est ce que nous saurons bientôt.
Is abelle a cessé d être la bouquetière eu titre du Jockey-Club. On l’a blacboulée, puis congédiée. La chute d’une reine n’aurait, pas fait plus de bruit. Vous savez pourquoi. Isabelle ga
gnait, dit-on, bon an, mal an, 10000 francs à vendre des oeillets et des roses aux beaux mes
sieurs du monde-cheval. Vivant avec les fleurs, n’ayant affaire qu’aux hommes les plus comme
il faut, on était porté à croire qu’elle ne pouvait qu’avoir l’âme bien située. Or, sa vieille mère,
n’étant plus en âge de travailler, lui demandait un morceau de pain, une pension alimentaire.
Sur le refus de la fleuriste, il y eut une instance en justice, et Isabelle fut condamnée à payer 600 francs par an. Grâce à MM. les avocats, la chose a tourné au scandale; c’est alors que le club a cru devoir intervenir. Isabelle est donc déchue du privilège qu’elle avait de fleurir la boutonnière des gentlemen-riders.
— Eh ! dame, a dit l’un d’eux, le Jockey-Club a dû lui montrer qu’il est à cheval sur les principes.
Cette étoile filante était une des figures du temps. On lorgnait Isabelle à La Marche ou à Auteuil à titre de célébrité. Elle a sa place dans le Dictionnaire des contemporains, puisqu’elle est quelque chose comme un grand homme. Le demi-monde tenait compte de ses mines, les grandes faiseuses étudiaient ses toilettes, la chro
nique enregistrait ses mots, car la bouquetière faisait de l esprit, ni plus ni moins que M1,e Su
zanne Brohan. Un autre point de son originalité consistait à se faire voir dans l’enceinte du pesage, parée des couleurs du dernier sportman vainqueur. Ceux qui sont enclins aux idées de super
stition n’ont pu s’empêcher de se mettre la main sur les yeux la dernière fois qu’elle est entrée en
Courrier de Paris