s’avançaient divers groupes, historiques, de fantaisie, sérieux ou comiques, tous des mieux réussis et du plus heureux effet.
Le sujet central de notre dessin représente le char de la Quête arrêté devant l’hôtel de ville, tandis que les commissaires qui le montaient entrent dans 1e vieil
édifice à l’aspect sévère, pour offrir au maire de la ville un bouquet magnifique et lui lire une adresse de remercimenls. Notre dessin d’en bas est consa
cré à la fêle vénitienne donnée sur le canal de la Robine le soir du même jour.
Le 5, une ascension aérostatique, un concert donné par la Lyre Narbonaise au kiosque de la promenade de la gare et un brillant feu d’artifice ont clôturé ces fêtes, dont tout le monde à Narbonne, les pauvres surtout, se souviendront longtemps et qui ont com
plètement. réussi grâce au concours des autorités, aux libéralités des habitants et à la cordiale entente de toutes les classes de la société.
Les Sliakert» de la Nouvelle-Forèt
On a donné le nom de Shakers (trembleurs) à une secte, ou plutôt à une petite communauté religieuse, fondée par une dame anglaise, une illuminée, du nom de mislress Girling. Les trembleurs croient honorer Dieu par un ensemble de pratiques bizarres, au nom
bre desquelles figure un mouvement cadencé, une espèce de danse de Saint-Guy, d’où est venu le nom
qu’ils portent. Les trembleurs, qui s’étaient établis dans un canton de la Nouvelle-Forêt, plantée, dit-on,
par Guillaume le Conquérant, en ont été expulsés par acte judiciaire en décembre dernier, et ils ont. été s’établir près de Dorchcsler dans un clos loué moyen
nant la rente annuelle de 125 francs. Le campement où les trembleurs vivent en commun est des plus pittoresques. Se considérant comme des pèlerins de pas
sage sur cette terre, ils vivent sous des tentes formées de planches, de tapis, de vieilles toiles, de touffes de bruyères, le tout très-bien disposé pour les mettre à l’abri aussi bien des froids trop vifs que des chaleurs extrêmes. Leur costume ne diffère pas sensiblement de celui de la classe pauvre, sauf pour les femmes, qui portent un pantalon bouffant semblable à celui des Géorgiennes. Cette communauté a excité en An
gleterre une certaine curiosité mêlée de cette pitié que l’on éprouve pour des fous tranquilles, et s’ils ont été l’objet des anathèmes de quelques ministres dévots, la foule, notamment pendant les jours de vacance de Pâques, a visité leur campement en leur lais
sant par l’accumulation de ses aumônes les ressources nécessaires à leur existence de toute l’année.
Les nouveaux bâtiments de l’Ecole polytechnique
On sait que l’Ecole polytechnique occupe les bâtiments très-vastes des anciens collèges de Roncours, de Navarre et de Tournai, mais que, par suite de mo
difications dans le tracé des voies de communication
qui l’entourent, notamment le percement de la rue Monge, une partie des constructions a dù être sacrifiée pour être réédifiée en alignement.
La façade nouvelle, construite sur les plans des architectes de la Ville et non sur ceux de l’architecte de l’école, se développe sur la rue Monge ; elle est bor
dée par le petit square ou règne le Voltaire en bronze de la souscription du Siècle et atteint une longueur de tl5 mètres. Gomme une grande différence de niveau — environ 9 mètres — existe entre le sol de l’école et celui du square, on a dù élever les constructions sur un fort soubassement de pierres meulières, lequel, dans l’avenir, disparaîtra sous un épais rideau de plantes grimpantes. Au-dessus s’élève un étage percé de fenêtres ordinaires, puis un second, qui paraît être le principal, éclairé par de larges baies à plein cintre.
A l’angle de la rue d’Arras, des emblèmes semimilitaires et scientifiques remplissent des trumeaux sur lesquels se détachent les noms des fondateurs de l’école : l’ingénieur Lamblardie, les chimistes Fourcroy et Bertholet, les mathématiciens Lagrange et Monge, et celui de Carnot, l’organisateur de la victoire. Le monogramme de l’école, un E et. un P entre
lacés, est sculpté sur l’angle de retour, au milieu de palmes de lauriers. Ces bâtiments neufs doivent recevoir différents services, mais l’étage supérieur est dé
signé pour l’aménagement de la bibliothèque et des collections.
Telle est cette aile neuve à laquelle sa simplicité, disons mieux, sa nudité et sa vulgarité, interdisent de donner le nom de façade ; elle n’est certainement digne ni de la célèbre école dont elle fait partie, ni de la belle rue Monge qui méritait mieux.


LE CHAUDRON DU DIABLE


NOUVELLE
( Suile )
Retirée du couvent à treize ans, au moment précis où son âme, sortant des limbes de l en
fance, aurait eu besoin d’être dirigée d’une main ferme et expérimentée dans le sentier qu’elle abordait, M n Denise poussait depuis cinq années dans ce château, sous l’aile de Dieu, mais un peu trop à la merci du hasard.
Heureusement douée, simple, douce et sensible, il avait manqué à ces qualités natives l’ap
pui tutélaire de la tendresse maternelle ; aucune d’elles ne s’était encore développée ; ce qu’elle en accusait de plus saillant c’était un besoin d’aimer
encore vague et indéfini, mais qui, en attendant qu’il se fixât sur un objet déterminé, avait pour résultat de se répandre sur son entourage, de lui concilier l’affection de ses domestiques, de lui attirer les bénédictions des pauvres qu’elle se
courait autant que la parcimonie paternelle le lui permettait.
Physiquement, elle devaitpasserpouragréable. Sa taille moyenne, admirablement proportionnée, était dans ces conditions qui donnent la grâce et l’élégance de la tournure. La régularité manquait à ses traits; en revanche elle possédait toutes les perfections de détail qui la compensent : un teint éblouissant de fraîcheur, trente-deux perles dans la bouche, une véritable forêt de ces cheveux d’un blond cendré dont la nuance charmante de
vait s’appeler plus tard couleur des cheveux de la reine ; enfin, l’extrême mobilité de son regard,
tantôt doux jusqu’à la tendresse, et tantôt vif jusqu’à la mutinerie, rendait sa physionomie des plus piquantes.
Elle subissait, sans révolte, l’isolement dans lequel elle se trouvait le plus souvent à Colleville, d’abord parce qu’elle avait été façonnée de bonne heure à l’excessive autocratie de M. de Chastel-Chignon, ensuite parce qu’elle trouvait dans certaines distractions champêtres un sûr préservatif contre le plus mauvais des conseillers : l’ennui.
Malheureusement, ces distractions n’étaient pas précisément celles que cultive le sexe auquel elle appartenait ; elles rentraient, au contraire,
dans la catégorie de ces plaisirs dans l’exercice
desquels un jupon peut devenir un ornement fort incommode.
Les joies paisibles de Fintérieur, elle n’avait eu personne qui lui apprit à les aimer, personne qui lui révélât le charme des récréations intellec
tuelles; dans sa solitude, la lecture et les travaux à l’aiguille ressemblaient de bien près à une pé
nitence; la chasse, l’équitation, n’avaient pas que l’avanlage de la distraire, elles calmaient, elles étouffaient l’inquiétude de l’esprit parla lassitude du corps.
Par degrés, elle était arrivée à se livrer à ces exercices avec une sorte de passion : elle montait à cheval comme un centaure, rembuehait un cerf avec la prudence d’un piqueur consommé,
elle pelotait sa bécassine dans les marais de la vallée, elle culbutait son lapin dans les taillis de Collevi lie avec une sûreté de coup d’œil qui fai
sait grand honneur au père Laverdure, un vieux garde qui avait été son professeur.
Comme tous les gens qui possèdent une idée fixe, M. de Chastel-Chignon approuvait tout ce qui ne le détournait pas lui-même du but qu’il poursuivait, à la condition sous-entendue que cela ne le forcerait pas à délier les cordons de sa bourse.
Or, si caractérisées que fussent les aptitudes cynégétiques de M110 Denise, elle était trop inex
périmentée pour se montrer bien exigeante; elle savait se contenter du moins taré des deux cour
siers. Satisfait de voir l’esprit de sa fille occupé à si bon marché, son père l’encourageait dans ses courses aventureuses, en demandant mentalement au ciel qu’elle se contentât de ces jou
joux, jusqu’à l’heure qu’il avait marqu. e pour lui trouver un mari.
Quelques jours avant l’arrivée de M. de Bourguebus à Fôeamp, M. de Chastel-Chignon était parti pour l’Angleterre. Il avait pompeusement annoncé qu’il s’en allait chez un lord de ses amis, lequel ne pouvait se décider à courir le re
nard sans lui; la vérité était que son excursion cynégétique devait avoir les ruelles de la Cité, les
quais de la Tamise pour théâtre, et pour objectif les balles de sucre et de coton, les caisses de muscade et d’indigo.
Comme toujours, le départ de son père laissait M 1 Denise souveraine absolue dans le.château de Colle ville.
V
On était à l’aulomne. Les froids précoces de novembre avaient dépouillé les arbres de leurs feuilles; un lapis jaunâtre couvrait la terre; ce tapis, la gelée de la nuit le glaçait d’un givre qui brillait comme une poussière diamantée et. qui avait encore l’avanlage beaucoup plus positif de donner de l’adhérence au sol sur lequel les chiens avaient à chercher ou à suivre la voie.
Le ciel était pur et sans nuages; feules quelques vapeurs diaphanes montaient de la vallée en s’irisant aux feux d’un soleil resplendissant qui embrasaient les cimes étagées des chênes.
Avec une pareille mise en scène, avec la vocation dont nous avons parlé, il y avilit lieu de s’étonner que M Denise de Chas tel- Chignon ne fût pas en campagne.
Il suffisait, il est vrai, de l’observer, allant et venant sur la terrasse de Colleville, pour se con
vaincre que c’était bien malgré elle qu’elle était restée au logis.
Elle élait vêtue d’une robe de drap gris assez courte pour ne pas gêner sa marche, et sur la
quelle retombaient les basques d’un surtout de drap vert serré à la taille et largement galonné d’or. Des guêtres de peau de daim emprison
naient sa jambe fine, et venaient rejoindre au
genou, un peu au-dessus de l’extrémité de la jupe, de larges culottes de la même étoffe que
la veste ; un chapeau de feutre, bas de forme et agrémenté d’une plume, complétait ce costume mixte, mais tout féminin par la coquetterie qui avait présidé à ses détails; un fusil a un coup aux proportions les plus mignonnes était appuyé contre le socle de l’une des statues.
Ce n’était certainement pas au coin du feu que M c Denise avait entendu faire les-honneurs de cette tenue de guerre; le pli significatif de ses lèvres, l’expression boudeuse de sa physionomie,
disaient assez que c’était bien malgré elle qu’elle circonscrivait sa promenade aux quatre angles du parterre.
Elle se trouvait, en effet, dans un de ces jours de guignon, oû il semble que le sort ait pris à tâche de vous accabler.
Elle avait envoyé chercher le garde, le père Laverdure, mais l’heure avançait, le soleil était arrivé au milieu de sa course, et, aussi mal
heureuse que sœur Anne, M110 Denise ne
voyait rien venir. C’était pour elle une assez rude épreuve. Les courses solitaires dans les bois avaient souvent sollicité son esprit aventureux, il n’avait pas fallu moins que l’interdic
tion formelle de M. de Chastel-Chignon pour la décider à renoncer à des expéditions de ce genre; les mécomptes du matin, la désertion de Laver
dure, rendaient à la tentation toute sa puissance ;
elle n’y résista pas plus longtemps, et oubliant les sages recommandations paternelles, elle se décida à faire seule uné courte promenade dans les environs.
Elle passa en bandouillère le petit sac de maroquin dans lequel elle renfermait se.s muni
tions, jeta son fusil sur son épaule, traversa le parc et se lança à travers la campagne.
Mais la mauvaise chance continuait de s’acharner sur elle; elle eut beau imiter la tactique du garde, frapper tous les buissons du canon de son fusil, donner un coup de pied dans