SOMMAIRE
Texte : Histoire de la semaine. — Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand - Nos gravures : La catastropheAaZénith;
— Le capitaine Boyton et sa traversée du pas de Calais; — Les fêles de Chàtêaudun; — Les lagunes vénitiennes. — Bulletin bibliographique. — Le Chaudron du diable, nou
velle, par M G. de Chenille (suite). — Les Théâtres. — Chronique du Sport. — Revue financière de la semaine. — Faits divers. — Les guichets do l’Opéra. — Echecs.
Gravures: L’expérience du capitaine Boyton : entre Douvres et Boulogne; vue prise du pont du Rambler; — Départ de la jetée de Douvres le 10 avril, à S heures du matin. — La ca
tastrophe du ballon le Zénith: M. Gaston Tissandier; — M. Sivel; — M. Crocé-SpinelD; — Ferme de la Margauderie, où a été recueilli M. Tissandier; — La descente; — Arrivée des corps de MM. Sivel et Crocé -Spinelli à la ferme des Nëraux ;
— Transport des corps de MM. Sivel et Crocé-Spinelli de la ferme des Néraux à la station de Chabenet. — Les fêtes de Chût’audun : annonce de la cavalcade, la veille de la fête; — La cavalcade : déifjp sur la grande place. — La lagune vénitienne et le faubourg d Chioggia. — Le nouvel Opéra : guichet des bil.els. - Rébus.


HISTOIRE DE LA SEMAINE


FRANCE
M. Buffet n’a point adressé de circulaire à ses préfets. Nous savons, l’agence Havas nous l’a appris et nous l’avons constaté, qu’il leur a fait des recommandations verbales. Mais il paraît que ces recommanda
tions ne sont pas partout suivies. C’est du moins ce qui résulte du compte rendu de la troisième séance de la commission de permanence.
Au milieu des mille et un mots, pour le moins inutiles, que renferme le programme du 12 mars, il s’élait glissé une ou deux phrases généralement approuvées, celk-ci, par exemple, « que la politique du gouverne
ment, très-nettement conservatrice, serait dénuée de lout caractère de provocation comme de faiblesse ».
Cetlc phrase paraissait être un engagement, et il est à croire que M. le vice président du conseil l’a rap
pelée à ses agents dans les entretiens secrets qu’il a eus avec eux au minislcre de l’intérieur. Cependant,
que voyons-nous? Tandis que, dans les départements du midi, bon nombre des journaux qui défendent la politique du 25 février sont exposés aux rigueurs de l administration, ceux qui l attaquent jouissent au contraire de toutes ses faveurs. Il parait même qu en Vaucluse le contraste est criant. A tout le moins, dans la dernière séance de la commission, a-t-il fait crier M. de Mahy comme un paon.
M. de Mahy se fâche volontiers, on sait cela; mais entiu ce n’est pas toujours à tort, et, dans le présent cas, c’est, semble -t-il, avec raison. Eu effet, interdire la vente sur la voie publique de tous les journaux ré
publicains sans exception, et donner carie blanche aux autres, c’est un peu radical pour un un préfet conservateur, on en conviendra, et M. Doncieux en use vraiment avec une indiscrétion, sinon une mala
dresse, qui dépasse les bornes. Mais ces journaux ont le plus mauvais ton? un langage des moins mesurés, des procédés de polémique inqualifiables ? Ils ont même contracté la fâcheuse habitude de mettre les points non-seulement sur les i, mais encore sur les nez? En ce ers, tout s’explique, et nous comprenons parfaitement les répugnances de M. Doncieux. On fe
rait son bouton d or à moins. Mais ces répugnances sont-elles bien réelles, et ne serait-ce pas seulement à l’endroit des journaux républicains qu elles se mani
festeraient? Voilà le point délicat, et sur ce point M. de Mahy n’en est plus au doute. Il affirme, en ou
vrant, comme preuve, un journal qui passe pour être fort ami de M. le préfet. Eti bien, ce journal, a dit M. de Mahy, n’a pas craint d’imprimer « que la con
stitution votée par l’Assemblée est un ravalement d. Mais ce n’est pas tout, lt y a, dans les prières du matin, les litanies de Jésus, dans celles du soir, les lita
nies de la Vierge.. Ce journal officieux, facétieux, mais non respectueux, a voulu qu’il y eût aussi des litanies « en l’honneur de la sainte, glorieuse, invio
lable et inviolée république », de la république, « fille de l’anarchie et mère de la Commune », de la république « pleine de grâce et d’amnistie pour les co
quins et de menaces pour les honnêtes gens ». Enfin, répondant à un journal qui se plaignait que les mots : République française fussent écrits en caractères mi
nuscules en tète des actes officiels, il s’écrie : « Voyons, il s’agit de s’entendre ; avant que la marque fùf abo
lie, parmi ceux qui la portaient, il devait y en avoir bien peu qui fussent tentés de l’exhiber en s’en faisant gloire ! » Petites fleurettes gentilles sans doute! Fines plaisanteries faites pour charmer les esprits délicats! Appeler ses adversaires galériens, ah ! 1 aimable trait!
Mais quoi ! tout le monde n’est point capable d’en apprécier l’atticisme. Il y a des gens chagrins qui, voyant tout à travers leur esprit morose, appellent grossièreté ce langage trouvé si charmant à Avignon.
Et le nombre en est grand. M. de Mahy en est, nous pareillement, et vous aussi qui lisez ces lignes, et môme M. le préfet Doncieux.
Si donc tant de gens trouvent le langage du journal en question plus que grossier, c’est qu’en réalité il l’est, et que, de ce chef, il n’a rien à reprocher à ceux qu’il combat et contre lesquels M. le préfet apris pour lui les armes. De là un étonnement lout natu
rel. En effet, la faute de tous ces journaux étant la môme, pourquoi entre eux un traitement si différent? Serait-ce qu’il faudrait chercher ailleurs le motif d’une conduite si contradictoire? Mais alors M. le préfet de Vaucluse méconnaîtrait certainement l’esprit des instructions verbales que M. le vice-président du con
seil a dû lui donner. S’en moquerait-il, ou bien ces instructions n’auraient-elles pas été telles que nous nous plaisons à le supposer? Mystère. Tout ce que nous savons c’est que, pressé par M. de Mahy, M. Buf
fet, pour toute réponse, s’est contenté de couvrir M. Doncieux de sa responsabilité. Voilà donc qui est bien. On en pensera ce qu’on voudra.
Mais si M. Buffet a refusé de répondre à M. de Mahy, en revanche il a répondu nettement, sans ambages ni
circonlocutions, à M. Rameau, qui l’interrogeait au sujet des élections partielles. M. Buffet n’a jamais eu Tinlenlion que lui ont prêtée quelques journaux de faire ces élections en une fois, et même en deux. Eu
présence de la prise en considération, par l’Assemolée, de la proposition Courcclle, qui a pour but de les supprimer, il ne convoquera que les collèges électoraux qui, aux termes de la loi, doivent être convo
qués avant le retour de la Chambre, c’est-à-dire ceux du Lot et du Cher. L’Assemblée, en se prononçant de
finitivement sur la proposition CourceTe, décidera pour les autres. Telle a été en substance la réponse de M. le vice-président du conseil. Ou peut n’en cire pas satisfait, mais on est obligé de convenir qu’elle était vraiment dictée par la situation. Si M. Buffet parlait et agissait toujours avec cette netteté et cette franchise, il n’y perdrait certainement rien.
La séance de la commission de permanence avait commencé par une communication de son président relative aux elforis faits par le bureau pour activer les travaux des diverses commissions. Sans préjuger la date de la dissolution de la Chambre, a dit en substance M. d’Audilîret-Pasquier, il est évidentqu’uu retour des vacances, si cetie question s’engage, le terrain de la discussion sera précisément celui que déterminera l’état des travaux parlementaires. 444 commissions ont été nommées depuis février 1871, et 37 seulement d’enlre elles n’ont pas encore déposé leurs rapports. Les rapporteurs ont été avertis, et s’il le faut, M. le président convoquera les commissions avant la rentrée, afin qu’à cette époque la besogne soit aussi avancée que possible. M. UAudillret-Pasqtiier a annoncé en outre que le gouvernement se préoccupait du budget et du complément des lois constitutionnelles.
Finalement les membres de la commission ont examiné avec M. de Joly, architecte de l’Assemblée, les plans dressés par lui concernant les travaux pro
jetés pour l’installallation à Versailles du Sénat et de la prochaine Chambre des députés.
Voici d’après ie Journal des Débats quel serait le plan de M. de Joly :
La salle de l’Opéra serait abandonnée, et la future Chambre des députés construite dans une vaste cour de 103 mètres de longueur sur 25 mètres de profon
deur qui se trouve dans l’aile sud du palais. Cette construction répondrait à la double destination de salle pour les séances de la Chambre et de salle du Congrès. Elle serait en briques et en fer. Dans les locaux du rez-de-chaussée, donnant sur le parc, on installerait les salles des conférences, des Pas- Perdus, du fumoir, la questure et la présidence.
L’habitation du président de l’Assemblée serait sur la cour de Monsieur. Les députés entreraient par la cour des Princes et trouveraient de plain-pied leur salle des séances. Au niveau de la partie supérieure des gradins de la salle, seraient disposés, sur la rue de la Bib iothëque et la cour des Princes, les locaux affectés aux quinze bureaux de l’Assemblée. Au-dessus se trouverait l’étage des commissions, au-dessous le ser
vice administratif. Enfin le public entrerait par un vaste vestibule, rue de la Bibliothèque.
Quant au Sénat, il occuperait soit la salle de l’Opéra, soit un point de l’aile du nord, au centre de laquelle, entre les cours du Maroc et de la Smala, il existe quatre grandes salles donnant tout l emplacement désirable, et cela sans loucher à aucune des parties essentielles du musée, ni à la salle des Croisades, ni
aux belles salles dites des guerres d’Afrique qu’illustre l’œuvre d’Horace Vernet.
Dernierrenseignement : les dépenses s’élèveraient à 500000 fr. pour le Sénat et à 1500000 IV. pour la Chambre des députés qui, si les travaux étaient com
mencés dès le mois de juin, pourrait être livrée au 1er décembre.
M. Pierrot Deseilligny, député de l’Aveyron, gendre de M. Schneider, vient de mourir.
Il était âgé de quarante-six ans seulement.
Envoyé à i’Assemblée nationale en 1871, il y siégea d’abord au centre gauche, passa au centre droit, le 24 mai, pour entrer dans le groupe Target, avec le
quel il vota l’ordre du jour présenté par M. Ernoul, et reçut alors successivement le portefeuille des travaux publics, puis celui de l’agriculture et du commerce.
Le 1(5 mai 1874, il suivit M. de Broglie dans sa chute, et depuis cette époque il n’avait pris qu’une part de moins en moins active aux débats de la Chambre.
Enregistrons en terminant le résultat du scrutin de ballottage qui a eu lieu dans deux cantons de la Seine pour les élections au Conseil général de ce département. MM. Villeneuve et Jacquet ont été élus, le pre
mier dans le canton de Neuilly, le second dans celui de Pantin. Les deux nouveaux conseillers appartiennent au parti républicain le plus avancé.
ALLEMAGNE
L’Allemagne a envoyé à Bruxelles une seconde note. Dans cette note elle exprime d’abord l’opinion que le moment lui paraît venu de rechercher par quels moyens chaque Etat pourrait empêcher ses nationaux de porter le trouble dans les Etats voisins; elle déclare ensuite que le chancelier de l’empire, en ce qui la concerne, a déjà fait commencer ces re
cherches ; elle invite enfin formellement le cabinet belge à faire droit à ses réclamations du 3 février.
M. de Bismark tient, comme on voit, à faire naître, bon gré, malgré, le casus belli qu’il croit utile à ses intérêts. Espérons que la sagesse de l’Europe saura lui refuser cette douce satisfaction, pour aussi longtemps du moins qu’elle sera réellement dangereuse.


COURRIER DE PARIS


Cherchez, bien, interrogez (oui ce qui s’est passé ici-bas depuis cinquante ans, vous n’y trouverez pas de drame plus touchant ni plus
terrible que l’affaire du Zénith. Nous n’avons pas
à revenir ici sur des faits connus depuis huit jours. La seule chose que nous veuillons dire, c’est que ce dénoûment a quelque chose de surhumain. La mort des aéronautes fait pâlir jus
qu’à la labié d’Icare. Ce double foudroiement, inaperçu du troisième voyageur, se rapproche par une allure épique du supplice de ce Promé
thée qui fut enchaîné sur ie sommet d’un mont pour avoir voulu dérober le feu du ciel. Tant d’audace, suivie d’une telle fin, n’a pas unique
ment frappé le monde savant, qu’on croyait le seul capable de comprendre ces grandes scènes.
Les esprits les plus agrestes en ont été eux-mêmes profondément touchés.
Vous savez que le ballon est tombé dans le bas Berry, à deux pas de la vallée où George Sand
place l’action de la Mare-au-Diable. Un de ceux qui ont été témoins des suites de la catastrophe nous écrit pour nous transmettre un mot de paysan.
— Eh! qu’allaient-ils faire si haut? demandait un fin laboureur à l’un de ses voisins.
— On dit qu’ils voulaient décrocher les étoiles, répondit l’autre.
Les paysans berrichons ne possèdent aucune notion d’astronomie. Il n’y a donc pas à s’étonner s’ils n’ont pas su deviner le sens scientifique de l’entreprise. Mais l’Europe lettrée a déjà placé les
aéronautes du Zénith parmi les victimes glo
rieuses dont l’histoire conserve les noms. Depuis des siècles, la route de la science est semée de victimes illustres. C’est pour constater jusqu’à quelle altitude l’air est respirable que Sivel et Crocé-Spinelli sont morts. Eux aussi viennent de payer de leur vie leur dévouement à la cause de l’humanité. Avant eux, presque comme eux ont