souffert Colomb, le capitaine Cook, Lapeyrouse et vingt au 1res; tout dernièrement encore, Living
stone tombait, à bout de forces, sous un climat meurtrier.
Un beau renom dans l’histoire, c’est bien ; mais il tant quelque chose encore dans la circonstance. Derri ère ces deux morts, il y a pour l’un un vieux père inconsolable, pour l’autre une petite tille de dix ans qui était déjà à demi orpheline. La So
ciété française clc navigation aérienne a compris le devoir que ces infortunes lui imposent. Des souscriptions sont ouvertes par les soins de cette compagnie. Tout l’univers scientifique tiendra à honneur d’y prendre part.
Verdi est venu tout récemment d’Italie afin de faire exéculer sous ses yeux une de ses œuvres. 11 s’agit de la superbe messe qu’on dé
signe sous le titre de Requiem. Samedi dernier,
l’Opéra-Comique a répété généralement la messe en question, en présence d’un certain nombre d’amateurs et de journalistes. Deux chanteuses ont surtout été fort remarquées ; ce sont M le Stoltz et Mlle Waldmann. Cette dernière était trèsrcoquettement coiffée d’un petit chapeau à la Trianon, qui était d’un effet très-piquant sur la scène où l’on joue la Fille du Régiment, mais qui jurait peut-être quelque peu avec l’austérité qu’on doit apporter dans Inexécution des thèmes sacrés. Les assistants ont fait fête aussi à deux nouveaux venus, M. Medini, une basse profonde,
et M. Masini, qui possède une voix dont les jeunes compositeurs pourraient tirer le meilleur parti.
A propos du Requiem de Verdi, les rigoristes (il s’en trouve toujours partout) ont jugé à p ropos de pousser des cris de paon. Ces graves esprits se sont plaints de voir qu’on se mit à marier trop formellement le sacré au profane. La jolie tête blonde de M 1 Waldmann, coiffée ainsi que je viens de vous le dire, leur paraissait être une dissonance sacrilège appliquée à la récitation
du Dies iræ. Ils disaient tout haut, en frappant du pied :
— Où allons-nous donc si l’on se met à chanter la messe sur les planches de l’Opéra- Comique?
Poussant même jusqu’au bout la hardiesse des conjectures à cet égard, l’un d’eux établissait toute une scène sur cette situation nouvelle pour le boulevard.
;— Eh bien, disait-il, voilà ce que nous allons voir se produire en plein Paris. Quand on jouera pour tout de bon la messe de Verdi, ces jours-là MM. les marchands de billets y mêleront leur joli petit négoce. On les verra arrêter les passants par le bras, en leur disant avec la voix de ro
gomme que vous connaissez : « Bourgeois, des » billets pour le Requiem! moins cher qu’au bu» reau ! Bourgeois, entrez, on a passé le Pater,
» mais vous pourrez encore entendre Y Agnus » Dei. »
Ah ! juste, ciel, où allons-nous?
A ceux qui jettent ainsi feu et flamme sur un fait d’exception, il est facile de répondre qu’il n’y a rien de neuf dans ce qui vient de se passer à l’Opéra-Gomique, puisqu’on avait déjà donné le Stabat de Bossini au Théâtre-Italien.
Au bon vieux temps d’ailleurs, dans ce passé dont beaucoup de ces grondeurs demanderaient volontiers le retour, le sacré et le profane se don
naient à tout instant la main à propos d’art. Sans nous arrêter à cet abbé Pellegrin « qui dînait de la messe et soupait du théâtre », on avait le bon esprit de ne pas trouver mauvais que la musique se fit entendre partout avec les mêmes organes.
Watteau a laissé un adorable tableau où l’on voit un petit abbé frisé se poser en chef d’orchestre pour un oratorio qu’on exécute en plein salon, au milieu des grandes dames du temps de Louis XV.
En ce qui concerne Verdi, l’illustre musicien peut répliquer que l’Italie, toujours passionnée pour l’art, ne s’est jamais scandalisée de
ces rapprochements qui offusquent en ce moment certains Parisiens. Il y a quatre-vingts ans, dans le royaume de Naples, débutait un des plus beaux génies qui se soient révélés sous le bleu du ciel ;
c’était Domonico Cimarosa, celui qui devait écrire des opéras qui nous charment encore à cette heure, notamment II matrimonio segreto. Bavait commencé sa carrière par un Pie Jesu qui est connu du monde entier. Quand Championne!,
général en chef de nos armées, entra dans Naples pour y faire la Bépublique parthénopéenne, ii voulut assister avec son état-major à la messe où avait lieu le miracle de la liquéfaction du sang de saint Janvier. Cimarosa, qui était présent, avait écrit la musique d’un hymne national, comparable à la Marseillaise.
— Va pour ton hymne, lui dit Championnet. Un homme tel que toi imprime la griffe de son génie à tout ce qu’il fait; mais l’armée fran
çaise sera fort heureuse d’entendre aussi ton Pie Jcsu.
L’église et le théâtre se sont fréquentés de tout temps. Il y aurait mille preuves à citer pour le passé. Pour le présent, contentons-nous de rappeler deux faits. Félicien David, l’auteur d Herculanum, est sorti d’une maîtrise de la Provence, où il étudiait l’orgue; Faure, le grand ténor d’aujourd’hui, a commencé par être enfant de chœur à Saint-Philippe du Boule.
Paris n’aura jamais été aussi anime qu’il l’est à cette heure.
Mille voitures, toutes garnies de visiteurs en grande toilette, courent au bois ou en reviennent. On veut voir de près ce vert si tendre d’avril qui est si doux à l’œil et qui passe si vite. Le prin
temps commence enfin, mais il commence pour tout de bon. On s’est donné beaucoup de mouvement à propos du carrousel que la Société hip
pique a organisé, sur la fin de la semaine, dans l’intérieur du palais des Champs-Elysées. Un carrousel en 1875, sous le maréchal de Mac- Mahon, comme si nous étions sous Philippe- Auguste! Des écuyers ! des pages! desvarlets! des oriflammes! des écharpes! toute la brillante mise en scène du moyen âge, quel contraste plus piquant à opposer à la platitude de nos al
lures bourgeoises ! En même temps, les courses d’Auteuil ont recommencé. On s’est repris à pa
rier avec frénésie; mais rassurez-vous, c’est sans l’aide des agences anglo-françaises, lesquelles ont été supprimées, l’hiver, comme vous le savez,
par la police. On bâtit, nuit et jour, un nouvel hippodrome, situé, bien entendu, au milieu du monde où l’on danse et où l’on galope à cheval.
Le Cirque d’été opère sa réouverture avec l’éclat accoutumé. Tous les amateurs millionnaires vi
sitent sur les quatre heures régulièrement l’hôtel de la rue Drouot, où il se vend toujours et de plus en plus de fort jolies choses. — Avez-vous vu l’exposition Fortuny? Il s’y trouve d’admirables faïences mauresques ; on y voit aussi d’in
comparables étoffes. La collection du comte de G*** vient d’être vendue. Trente chefs-d’œuvre.
— Bast ! ils reviendront, peut-être, au même endroit, le mois prochain, pour être achetés de nouveau et revendus encore !
Il y a recrudescence de concerts. Les grands dîners recommencent, parce qu’on veut se voir avant de se séparer pour aller aux eaux ou en villégiature. Au dehors, partout où il y a trois arbres groupés ensemble, on organise l’orchestre d’un beuglant. Guignol, imitant les grands théâ
tres, vient de renouveler ses acteurs. Tous sont faits au tour — par le tourneur du coin. Le Salon des refusés, ne pouvant trouver de place au pa
lais de l’Industrie, émigre toile à toile jusqu’à la place du Château-d’Eau ; on le logera, paraît-il,
dans les anciens Magasins-Réunis. Bref, ons’agite partout, on vit, on ne fait plus de politique, puis
qu’on a la chanc^ de voir encore MM. les députés en vacances. mint donc combien est brillant cet entre-d x de la belle saison, les étrangers accourent en foule ; on les rencontre à chaque pas, étonnés, rapides, bariolés, ouvrant de grands
yeux pour contempler ce spectacle. Que de bruit ! que d’allées et venues ! que de cris de surprise ou de joie! que d’or qui ruisselle à travers les rues !
B n’y a de figures mélancoliques que dix ou douzç personnages qu’on aperçoit, ça et là, s’ar
rêtant aux portes pour s’y pendre, en tremblant, aux cordons de sonnette. Ce sont les dix candidats en train de faire les visites académiques.
On prépare une exposition des œuvres de Corot. Le buste en marbre du paysagiste y figurera. Mais comment couronner ce buste ? Estce avec du laurier? est-ce avec du myrte?
— Non, a dit MJle J***. Nous sommes en avril. Prenez une branche d’amandier en fleurs; voilà la couronne de Corot.
Une affiche annonce la mise en vente très-prochaine de la maison de Paul de Kock.
L’auteur de Monsieur Dupont avait son Abbotsford tout comme Walter Scott.
C’est dans cette retraite de Belleville, entourée de frênes et de lilas, que le conteur populaire a composé presque tous ses romans.
En 1870, au commencement de l’été, Paul de Ivock, encore joyeux quoique septuagénaire, ha
bitait sa maison des champs. Ce sont nos revers qui l’ont ramené à Paris. -— Il avait déjà !e cœur bien gros à la vue de la France humiliée.
Pendant le siège, en hiver, on s’est mis tout à coup à couper ses arbres. Plus de lilas! Plus de frênes. — Henry de Kock, son fils, nous disait : — C’est un coup de serpe qui l’a tué !
On a vu figurer dans tous les journaux du comment la Note belge en réponse à la Note allemande de M. de Bismark; c’est un travail excellent dans le fond et dans la forme. Nous autres, nous devons en aimer autant les sentiments que la grammaire.
Cependantdeslinguisles trop exigeants accusent nos amis les Belges de parler une vilaine langue.
A les en croire, le belge actuel ne serait que du mauvais français.
Peut-être ces puristes sont-ils trop difficiles, peut-être sont-ils envieux.
D’ailleurs si les Belges ne patient pas le français avec cette pureté qui est l’exclusif apanage des habitants de la Touraine, au dire des Touran
geaux, il y en a parmi eux qui parlent très-bien le latin.
Aux environs de Liège, il y avait, il n’y a pas longtemps, un ancien meunier fort riche, homme très-honorable, qui a été élu, un jour, sénateur.
N .-B. — En Belgique, on nomme la chambre haute par élection, comme cela va avoir lieu chez nous.
Bref, M. K***, sénateur, avait un jeune fils dont il surveillait les études avec beaucoup de soin.
Un jour que ce dernier revenait du collège, le père prit un de ses livres classiques ; il y vit que la première page avait pour épigraphe ces mots écrits de la main même de l’élève :
Ex libris K***.
— Qu’est-ce que ça veut dire? demanda le père.
— Ça veut dire, — savez-vous? — que ça m’appartient.


— Très-bien, mon fils; je vois que tu fais des. progrès.


Le lendemain, M. K*** père, le sénateur, se rend chez son chapelier et lui commande n feutre à la mode.
;— Mon cher, ajouta-t-il, en s’adressant au fabricant, vous ajouterez, au fond, en lettres d’or., retenez bien les mots, car c’est du latin :
Ex libris A * *, sénateur.
— Qu’est-ce que ça veut dire? demanda à son tour le chapelier.
— Ça veut dire que ça m’appartient.
Philibert Audebrand.