mer de la même ligne, mais allant en sens conlraire du premier, salua, lui aussi, le voyageur, en hissant les couleurs françaises. Vers six heures du soir, il devint évident, pour les marins comme pour le méde
cin, que les forces du capitaine faiblissaient, et comme le jour tombait rapidement, que le vent s’élevait, que la mer, devenue très-forte, ne permettait plus au commandant du steamerderépondrede laviedu coura
geux expérimentateur, ni même d’exposer ses hommes dans un canot pour communiquer avec lui, M. Boyton frère dut se soumettre aux observations et fit le si
gnal d accoster. A six heures un quart, après avoir protesté que c’était contre sa volonté qu’il abandon
nait l’entreprise, le capitaine monta à bord. Pas la
moindre goutte d’eau n’avait traversé le costume, bien que le nageur fût dans l eau depuis seize heures. Le steamer arriva enfin en vue de Boulogne où, prévenue
pari eNapoléon, une foule énorme l’attendait. Elle salua de ses acclamations le capitaine Boyton qui, revêtu de son costume, descendit dans le canot Richard-Wallace envoyé à sa rencontre, débarqua près de l’établisse
ment des bains, prit quelque repos, après toutefois avoir envoyé à la reine d’Angleterre, suivant le désir qu’elle en avait exprimé, un télégramme annonçant son arrivée à Boulogne.
Si le capitaine Boyton n’a pas accompli l’entière traversée du pas de Calais, il faut l’attribuer non à un défaut de son appareil, mais à l’état de la mer, à la force des courants, aux nombreuses inconnues que
présentait une entreprise aussi nouvelle et aussi hardie. Il n’en reste pas moins acquis par ce séjour de seize heures dans une mer tourmentée qu’un homme revêtu du costume Boyton peut être considéré comme insubmersible.
P. Ladrencin.
Les fêtes de Cliâteaudun
Le 11 avril dernier Châteaudun donnait une fête pour ses pauvres.
La jolie petite ville, qui a lutté si vaillamment contre les Prussiens, en 1870, s’était mise en frais pour la circonstance. Un bouquet à la ceinture, en
guirlandée, souriante, elle était pleine d’animation et de bruit. En effet, à vingt lieues à la ronde, toute la campagne s’y était donné rendez-vous. Aussi, jugez du coup d’œil !
C’est qu’aussi la cavalcade était charmante à voir, et elle avait été réglée de la plus aimable façon. On y passait du grave au doux, du sévère au plaisant avec une belle grâce parfaite. Tout le monde devait y trou
ver son compte. Au char de Mars succédait le char du Printemps, précédant le char des Amours; la note héroïque se terminait en langoureux soupir. Avec le char de l’Agriculture venait la note champêtre, mu
sette et hautbois. Le char de l’Apothicaire rappelait un autre instrument.
Le programme de la fête a été complètement rempli, car la quête a été fort abondante. Excellente au
baine pour les pauvres qui, par-dessus le marché, ont eu leur part du plaisir. L’œuvre a donc été doublement bonne.
C’est par un bal que s’est terminée cette belle fêle, qu’un soleil splendide n’a cessé d’éclairer. Elle avait été annoncée à son de trompe, la veille, à travers les rues, par une troupe de hérauts d’armes, vêtus de la classique colle de velours, coiffés de la loque à torsade d’or, chaussés de brodequins. Celte chevau
chée et ces cris d’un autre âge ont dû réveiller, dans la vieille tour de Thibaut le Tricheur, plus d’un écho
depuis longtemps endormi, et faire tressaillir dans leur caveau mortuaire les ombres des comtes de Dunois.
Les lagunes vénitiennes
J’ai Iraversé le nord de l’Italie, de l’ouest à l’est, pour me rendre à Chioggia, dans la lagune de Venise, afin d’y étudier les pèches de l’Adriatique. Arrivant de Gênes, je m’arrêtai pendant quelques heures à Sestri-Lévanti, séduit par le mouvement qu’offre ce port, dont l’église pittoresque est tellement rappro
chée de la mer que les beauprés des petits navires
pêcheurs pénètrent sous les colonnes de son porche et en froissent les murs. Ma seconde étape fut non loin de l’embouchure de l’Arno, où je visitai les caschines de San-Rossore, splendide rendez-vous de chasse du roi d’Italie.
Un petit bateau à vapeur fait le service du quai des Esclavons, dont on part à neuf heures et demie, au port de Chioggia où l’on entre à midi, en s’arrêtant dans les différentes localités de la digue.
DeVenise à Chioggia, quoiqu’il y ait au moins22kilomètres de navigation en droite ligne, le temps ne paraît pas long, tant l’œil est occupé d’abord par les gondoles qui peuplent la mer environnant la Giudecca aux bords verdoyants, ensuite les profils variés des
îles et des conslruciions qui les couvrent; le tout sillonne par les bateaux aux voiles capricieusement tendues, couvertes d’illustrations fantaisistes, des chi
mères, des cœurs percés d’épées, des chevaliers avec des dragons, des monstres marins rehaussés de cou
leurs un peu vives. Le jaune, le rouge et le noir, en font les seuls frais.
L’entrée du port est protégée par une strie de digues naturelles, qui sont les lidi ou rivages sablon
neux les plus élevés des lagunes, celles-ci dites lagunes rives, parce que les eaux qui les côtoient sont profondes et navigables. On nomme lagunes mortes celles qui sont du côté de la terre ferme. L’eau n’v est pas courante et délaye le sol en amas fangeux et in
cultes qu’on désigne sous les noms de barennes et maremmes. Le rivage le plus rapproché de la ville s’ap
pelle le Lido. Les autres ajoutent à ce nom celui du village bâti sur la langue de terre qui ferme l’estuaire vénitien du côté de la haute mer. Le golfe est cana
lisé entre une piste formée par des pieux. Pour guider les navires et même les embarcations, la direction du chenal, plus ou moins profond, est jalonnée par des pilotis dépassant l’eau de plus d’un mètre dans les marées les plus fortes. Isolés, on les nomme bornes, ou méé ou gruppi, faisceau de plusieurs pieux reliés par un cercle de fer; fari, phares, quand on y entretient une lanterne. C’est en passant au mi
lieu de ces signaux qu’on franchit le canal San- Spirito, pour arriver en face de Mala-Mocco, village ne comptant pas moins de cinq mille habitants. Puis on longe la crête de Palestrino, qui se prolonge jus
qu’en face de Chioggia par l’imposante muraille de marbre : les Murazzi.
La ville de Chioggia est la limite des lagunes. Elle renferme plus de vingt-cinq mille habitants.
L’occupation exclusive des hommes est la pêche, qui se pratique en pleine mer, par environ neuf cents bateaux, sans compter les innombrables petites barques qui fouillent journellement dans les lagunes. La pêche lointaine tient presque constamment dehors six mdle hommes de ce centre maritime. Les grandes barques descendent jusqu’à Ancône et Corfou.
Ces barques prennent différents noms, suivant leur importance : la plus grande est la tartane, d’environ trente tonnes ; le bragozzo, de huit ou dix tonnes,
enfin les bragozzetli, de deux à six tonnes. Je joins à celte lettre les croquis de ces bateaux ainsi que les filets qu’emploient ces vigoureux marins, si pittoresquement groupés par Léopold Robert dans sa der
nière œuvre, tableau saisissant de vérité, dont il fit l’esquisse à l’endroit même d’où je vous adresse ces lignes, au milieu de ces pêcheurs de l’Adriatique,
dessinés à Chioggia, tels que je les vois autour de moi aujourd’hui. Un demi-siècle n’a apporté aucun changement ni à leurs costumes, ni à leurs habitudes.
E Duhousset.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
Histoire de Marie Stuart, par Jules Gauthier, 2 vol. in-8’, chez Thorin, 7, rue de Médicis, — L’Histoire de Murie Stuart, dont la seconde édition vient de paraître, est un livre remarquable à tous égards. Ainsi en a jugé l’Académie française, en lui décernant une de ses hautes distinctions ; et le public, en l’accueillant avec faveur, s’est associé à ce jugement; ce n’était que justice.
L’œuvre de M. Jules Gauthier est le fruit de longues et patientes recherches. L’auteur ne croyait pas tout d abord, il le dit dans son avant-propos, à l’innocence de Marie Stuart Ce ne fut qu’après avoir poursuivi, durant plu
sieurs années, les investigations qu’il avait entreprises pour s’éclairer lui-même sur ce procès historique, pen
dant depuis trois siècles, qu’il changea d’opinion; et le changement fut complet. 11 resta persuadé avec Brantôme, dont on a bien à tort, dans une occasion récente, invoque le témoignage, que la reine d’Ecosse « estoit du tout bonne et très-doulce..... et que les crimes mis sur elle n’estoient que des inventions d’un athée Buchanan ».
Pour arriver à cette conviction, ce ne sont pas seule ment les écrits publiés depuis le xvi siècle, pour et
contre Marie Stuart, que l’historien a consultés, ce sont les sources, les témoignages contemporains, les textes officiels, les correspondances des ambassadeurs, qu’il a com
pris dans un vaste travail d’analyse et de confrontation, il y a joint des voyages qui lui ont permis do retrouver sur les lieux les traces des événements qu’il raconte. Il a pu recueillir ainsi les éléments d’un récit presque entièrement neuf, et les plus solides preuves à l’appui d une conclusion
qui n’avait été formulée nulle part avec autant de rigueur et d’autorité.
Au point de vue de la critique, de la richesse des documents, par le nombre et le choix des citations, la force des preuves, la solidité du raisonnement, le, talent de l’ex
position, ce livre est l’œuvre la plus considérable qui ait été publiée en France sur Marie Stuart, la plus complète
qu’on ait consacrée à la défense d’une grande infortune et au rétablissement de la vérité; c’est à beaucoup d’égards
une œuvre définitive. Au point de vue de l’intérêt, il est peu de lectures qui soient aussi saisissantes; c’est un vaste drame taillé en pleine histoire, raconté avec élégance et une émotion contenue, riche en péripéties et en scènes tragiques, en portraits habilement tracés, dans lequel la malheureuse princesse, presque depuis son berceau jus
qu’à son échafaud, se débat sans trêve ni merci, avec un courage, une énergie héroïque, contre les complots et les férocités des barons écossais, les perfidies et la haine de sa rivale, l’hypocrite Elisabeth. M Gauthier a fait des der
niers moments de Marie Stuart le tableau le plus touchant et le plus pathétique.
Dans celte seconde édition, que nous annonçons aujourd’hui, l’historien a encore ajouté à son beau travail de nouveaux documents, afin de lé rendre de plus en plus digne du succès qu’il a si justement obtenu. Il est en train de devenir populaire ; et nous ne croyons pas nous trom
per en prédisant qu’il sera un des rares livres de ce temps- ci qui resteront.
Les militaires blessés et invalides, leur histoire, leur situation en France et à I étranger. — l.a situation des militaires devenus invalides, soit par l’âge, soit par suite d’infirmités ou de blessures contractées dans le service,
est encore précaire, et cela malgré toutes les améliorations que Ton a essayé d’y apporter depuis le commencement du siècle. Dans un travail considérable : Les militaires blessés et invalides, leur histoire, leur situation en France et à Vétranger, M. le comte de Biencourt étudie la situation faite à ces intéressantes victimes de la guerre dans les temps anciens comme à l’époque moderne ; il résume les ordonnances des rois et des gouvernements et expose l’état actuel de la question. Nulle part, cette situation n’est en rapport avec les services rendus ; elle est peu satisfaisante au point de vue de l’humanité, peu faite pour attirer les hommes vers la carrière militaire ou pour les retenir dans les rangs de l’armée quand ils y sont entrés. En France, dit M. de Biencourt, on est en quelque sorte indifférent pour le sort du militaire devenu incapable de servir. Celte indifférence a pour cause, non un manque de générosité, mais un respect de la force qui détourne notre attention de la faiblesse, quelle soit originelle, accidentelle ou même résulte de blessures reçues à l’ennemi. Si, dans ces dernières années, on a reconnu l insuffisance des lois et des tarifs de retraite, on a malheureusement été amené à constater que l’exiguïté de nos ressources financières ne permet pas d’améliorer la situation faite aux victimes de la guerre.
Après le tableau de ce qui existe, M. de Biencourt expose par quels moyens l’Etat pourrait, avec les sommes dont il dispose, faire plus et faire mieux et il arrive à con
clure que c’est dans un examen plus attentif des droits acquis, par une répartition mieux raisonnée des secours, des emplois et même des distinctions honorifiques que Ton arrivera à améliorer et à relever l’état des invalides de la guerre, aussi bien sous le rapport social que sous le rap
port moral. .En procédant ainsi, ce n’est pas seulement un acte de justice qui s’accomplira, mais une garantie de plus sera acquise pour l’avenir de l’armée. N’est-il pas permis, en effet, d’espérer que le soldat et le sous-ofiieier consentiront à rester dans les rangs de l’armée, à aimer la car
rière des armes, quand ils sauront que leur dévouement et leur bonne volonté n’aboutiront plus à une existence étroite et gênée, parfois même misérable, et qu’eux aussi pourront penser à ce bien-être auquel tout homme ayant accompli sa tâche a le droit de prétendre. P. L.
De la longévité humaine, par le docteur Uurggraeve. (1 vol. A. Ghio.) — Il paraît que vivre cent ans est la chose du monde la plus facile. Ce n’est qu’une question d’hygiène. On naît centenaire, comme, au dire de Brillat-Savarin, on naît rôtisseur. « User et lie pas abuser, » tout est là. Le mot est d’Hippocrate : il est plus que centenaire. M. le doc
teur Burggraevc prétend qu’avec sa méthode, la médecine dosimétrigue, les centenaires pulluleront. Pourquoi pas? Sa seule méthode, en somme, c’est la sagesse. Ni tabac,
ni liqueurs, ni excitants, ni excès de table, soins de la santé, ventilation dans nos demeures. On n’est pas sorcier pour avoir inventé cela, mais mieux vaut un bon conseil qu’un sorcier. « Experte crede Roberto, » nous dit M. Burggraeve. Je voudrais bien savoir si M. Burggraeve est cen
tenaire. Non? Mais il le deviendra, je l’espère pour lui, car son livre m’a fait plaisir. Ce jour-là, je croirai à sa méde
cine dosimétrique, à la longévité et à la macrobiotique. — Mais d’ici là...
Le roi, l âne ou moi nous mourrons! La Fontaine avait tout prévu!
L’Histoire d’un Ane et de deux jeunes Filles. (1 vol. in-18, Hetzel.) — Ce joli récit est aujourd’hui publié en un volume de la bibliothèque d’éducation et de récréation. Stahl prête tout son esprit au baudet Chariot, et naturel
lement. jamais âne moins àne n’écrivit ses mémoires. « Je ne suis,’ dit Chariot, ni le premier âne ni la première bête
à qui soit venue l’idée de léguer aux âges futurs le récit de sa vie. » Et ce récit, disons-le, est aussi divertissant qu’utile. Le lecteur homme en sourit de bon cœur et le
lecteur enfant y prend de bonnes leçons sans se fausser l’imagination comme dans le royaume des fées. Heureux auteur que P.-J. btahl, qui instruit ainsi en amusant aussi profondément !