SOMMAIRE.
Texte : Histoire de la semaine. — Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand — Le Salon de 1S75: renseignements pré
liminaires. — Le Chaudron du diable, nouvelle, par M G. de Chemlle (suite). — Nos gravures : Salon de 1875 : tableaux reproduits par l’Illustration : Cerf forcé, tenant les abois, tableau de M. de Penne; — Un jour de calme dans la haute Egypte, tableau de M. Bridgman; — Les plaisirs du soir, danse antique, tableau de Corot; — Un petit sou, tableau de M. Perrault; — La France pittoresque : Provins; — Sénégal : retour de la colonne expéditionnaire française envoyée contre Amadou-Sékou. — bulletin bibliographique. — Les Théâtres. — Chronique du Sport. — Revue comique du mois, par Bertall. — Revue financière de la semaine. — Faits divers. — Léo Lespès.
Gravures : Salon de 1875 : Cerf forcé, tenant les abois, tableau de M. de Penne; — Un jour de calme dans la haute Egypte, tableau de M. Bridgman; — Les plaisirs du soir, danse antique, tableau de Corot; — Un petit sou, tableau de M. Perrault. — La France pittoresque : Provins. — Colonies françaises (Sénégal) : réception par le colonel Valhère de la colonn- expédi
tionnaire envoyée au Cayor, à son retour à Saint-Louis. — Revue comique du mois, par Bertall (11 sujets). — Léo Lespès. — Echecs. — Rébus.
HISTOIRE DE LA SEMAINE
FRANCE
On dit que M. Buffet a fait un retour sur lui-même et qu’après un examen attentif, scrupuleux, il a fini par reconnaître que toutn’est pas parfait dans le per
sonnel administratif que lui ont légué MM. de Broglie et de Chabaud-Latour. Du moins le Moniteur universel l’assurait naguère, ajoutant que des change
ments assez considérables allaient avoir lieu. Ce n’est sans doute pas du mouvement préfectoral d’a­ vant-hier, purement hiérarchique et parfaitement insignifiant qu’il s’agissait? Autrement à quoi bon parler? D’ailleurs, il apparaît à certains signes qu’il s’est opéré un mouvement dans les idées de M. le vice-président du conseil. Ainsi, dernièrement, il a restitué leur écharpe à quelques maires auxquels M. de Broglie l’avait enlevée. Il en est jusqu’à quatre que l’on pourrait nommer. Il est vrai que, tandis que les républicains se frottent les mains à Plemet, à Tarbes, à Annecy et à Saint-IIilaire-des-Loges, voilà que M. le général Ladmirault, de sa grande épée, leur donne sur les doigts à Paris. Et cela parce qu’un ac
teur, pour faire l’habile homme, s’est avisé fort mal à propos d’ajouter à son rôle un mot qui a provoqué quelque tumulte. On a interdit la pièce. Et les rovalistes de rire à leur tour. Système de compensation.
Mais pas plus que les républicains, les royalistes ne se montrent satisfaits pour cela du ministère en majo
rité centre droit qui nous gouverne. Si les premiers lui tirent aux jambes à peu près journellement, les seconds ne se font pas faute de jeter des pierres dans ses carreaux. M. Benezet, président du congrès de la presse catholique et royaliste de province, vient même d’y jeter un pavé. Il Vagit d’un manifeste adressé « aux dissidents du congrès de Tours » qui, on se le rappelle, dans une circonstance importante, s’étaient séparés de leurs confrères parce qu’ils « avaient foi encore à cette époque en la sincérité du centre droit ».
M. Benezet les invite à se rallier aux approches des élections générales, auxquelles le parti royaliste est très-décidé à prendre part. Et c’est à ce propos qu’il frappe à tour de bras sur le centre droit, « sur les meneurs peu scrupuleux de l’orléanisme », ces « Tar
tufes » qui veulent transformer la constitution du 25 février, faite contre les légitimistes, « et qui Tout ou
tillée de telle sorte qu’elle pût servir de transition au régime qui a leurs préférences et dont ils préparent obstinément le retour ».
Voyez cependant comment, suivant le point de vue, les choses peuvent changer d’aspect! Cet outillage si perfectionné qui fait dresser les cheveux sur la tête de M. Benezet échappe tout à fait aux regards du chef du parti radical, M. Gambetta, qui, sur les hauteurs de Belleville, au milieu de ses électeurs charmés, vient au contraire de faire un long panégyrique de la même constitution et d’expliquer tout le parti que les radicaux peuvent en tirer.
Ce discours de M. Gambetta, qui n’a pas « coupé sa queue » et qui n’est pas « prêt à le faire », vaut la peine qu’on s’y arrête, ne fût-ce qu’à cause de l’at
tention que la presse lui a prêtée. Nous allons donc essayer d’en donner une courte analyse, ce qui n’est pas précisément facile, vu sa longueur. En effet, il occupe huit grandes colonnes, ou peu s’en faut, delà République française.
Après avoir passé rapidement, en revue les événements accomplis depuis deux ans : la tentative vaine de restauration de la monarchie légitime, puis celle
de la monarchie constitutionnelle ou du septennat, qui eut pour résultat de ressusciter le parti bonapartiste, M. Gambetta rappelle que la reconstitution ra
pide, menaçante de ce parti, ses agissements dévoilés par certaines dépositions à la suite de l’instruction à laquelle donna lieu l’affaire du comilé de l’appel au peuple, en effrayant l’Assemblée, l’amenèrent à se confier enfin résolùment à la démocratie. Une majo
rité d’hommes de bonne foi et de bonne volonté se forma et la Bépublique fut faite. Mais ce n’est pas sans certains sacrifices que celte majorité put se constituer.
Les républicains en firent pour leur part de fort grands; mais « les agglomérations humaines ne vont pas d’un seul bond à la perfection absolue, ni même à un temps meilleur ». Telle qu’elle est cependant l’œuvre du 25 février est un progrès ; elle vaut mieux que les circonstances qui l’ont produite, et il pourrait bien se faire « qu’elle offrît à la démocratie républi
caine le meilleur des instruments d’affranchissement qu’on lui ait encore mis dans la main ».
La constitution comporte une Chambre des députés, un Sénat et un président de la République nommé par ces deux assemblées. Grâce à ce mode d’élection, le président ne sera plus « comme une sorte de lieu
tenant général d’un empire ou d’une monarchie». Toutefois sa situation, quoique modeste, restera « as
sez haute pour que l’autorité entre ses mains soit digne de la France, qu’il représentera, et de la loi, qu’il sera chargé de faire exécuter ».
Puis M. Gambetta passe au Sénat, dont la création fait l’objet « de la préoccupation générale ».
L’orateur dit que ceux qui ont eu les premiers l’idée de constituer un Sénat ont voulu en faire une citadelle pour l’esprit de réaction, mais que cette Chambre de résistance, telle qu’elle a été organisée, est en réalité « un pouvoir essentiellement démocra
tique par son origine, par ses tendances, par son avenir ».
Le Sénat sera composé de 300 membres, dont 75 élus par l’Assemblée nationale et 225 par un corps électoral formé des députés, des conseillers généraux et d’arrondissement, et, chose à noter, car c’est le point important, des délégués de chaque commune, c’est-à-dire de ce qu’il y a de plus démocratique en France.
Ainsi les communes, jusqu’ici tenues en tutelle, exclues de la politique, ne vont pas faire aujourd’hui une seule élection de conseiller municipal sans s’en
quérir auparavant des opinions politiques de chaque candidat. Mieux encore, ces communes, entre les
quelles on avait établi des fossés infranchissables,
voilà qu’on va leur donner la cohésion, la force, la vie, « en faire une véritable personne morale, parlant et agissant au nom de toutes les communes fran
çaises ». Et ce n’est pas tout. Cette commune, jusque là indifférente, privée d’activité politique, va être obligée de s’instruire, de s’informer, de savoir non
seulement les choses de la politique, mais encore ce que valent les hommes qui veulent s’en occuper. Et, grâce à la constitution du Sénat, cette première édu
cation ne s’arrêtera pas là. Elle ira s’achever au cheflieu du département, où tous les délégués, se rencontrant, s’entretiendront des aspirations, des opi
nions, des volontés de leurs communes respectives,
ce qui ne contribuera pas peu à répandre partout la lumière, à élargir les idées de tout le monde. Si bien que, finalement, après cette délibération commune,
il sortira des urnes, quoi? un Sénat à l’ancienne mode ? non, mais une assemblée « animée de l’esprit de notre démocratie laborieuse et patiente, énergique et tenace », et qu’il convient d’appeler « le Grand- Conseil des communes françaises ».
Tel est, en effet, le nom que M. Gambetta propose de donner au Sénat, et telles sont les espérances que lui ont fait concevoir les nouvelles lois constitution
nelles. Mais pour cela, il ne faut pas « s’endormir »,
se montrer indifférent; il faut au contraire déployer de la vigilance, faire de bonnes listes sénatoriales. A ces conditions, le résultat est certain, et « la démocratie est souveraine maîtresse de la France ».
Ce discours devait faire et a fait dans la presse un certain bruit. Vivement attaqué par les journaux mo
narchiques, qui tous, s’appliquant à faire ressortir que M. Gambetta ne renie rien de son passé, ne désa
voue rien de ses anciens programmes, en ont conclu que le péril social est plus menaçant que jamais, il a été non moins vivement approuvé par les journaux des gauches, à quelques exceptions près, comme le Temps et le Journal des Débats, qui ont fait certaines réserves, et l Evénement, qui s’est séparé tout à fait de ses confrères, et a cru devoir protester au nom des doctrines radicales.
« Nous refusons formellement, a-t-il dit, de nous associer à l’apologie audacieuse, enthousiaste, sans mesure, que M. Gambetta a faite non-seulement de
l’institution du Sénat, mais du suffrage restreint, oligarchique, privilégié, arbitraire, que l’on a témérairement substitué au suffrage universel pour la nomination des sénateurs ».
C’est d’ailleurs la seule note complètement discordante que l’on ait entendue de ce côté, au milieu du concert élogieux qui a salué « l’hymne admirative et débordante » du leader du parti radical. Le Rappel lui-même, qui a tant ri pourtant du « Sénat rural »,
n’y a pas résisté ; et, dans sa joie, il a exécuté sur ses petits tambours, en l’honneur de l’enthousiasle par
rain du « Grand-Conseil des communes françaises » un roulement des mieux nourris.
Ce discours, dont les conclusions nous semblent un peu hasardées, a été, en ce temps de vacances parle
mentaires, c’est-à-dire de disette, l’événement de la semaine. L’inauguration de la statue de Berryer qui vient d’avoir lieu à Marseille a aussi un instant occupé l’attention publique. Cette statue, œuvre de M. Barre, a été placée au centre de TEsplnnade, devant le Palais de Justice. « Elle rappellera, a dit l’un des magistrats municipaux de la ville après avoir fait tomber le voile qui la couvrait, l’union du barreau et de la magistra
ture, la noblesse du caractère et l’immense talent de
Berryer. » Les journaux de tous les partis, en parlant de cette inauguration, n’ont fait que paraphraser, plus ou moins longuement, ces simples lignes; puis ils ont repris leurs interminables discussions sur les élec
tions sénatoriales et le mode de votalion qui doit être adopté pour la future loi électorale. Sera-ce le scrutin d’arrondissement? Sera ce le scrutin de liste? Telle est la question. Au milieu de cette polémique, il y a un moyen terme qui semble peu à peu se faire jour et qui pourrait bien finir par réunir la majorité des suffrages. C’est celui qui consisterait à appliquer à l’arrondissement électoral agrandi le scrutin de liste réduit à trois ou quatre noms.
ALLEMAGNE
Un journal allemand avait dit que l’Autriche et la Russie s’élaient. associées aux réclamalions du cabinet de Berlin auprès de la Belgique, il a fallu démentir le fait. Voici aujourd’hui un journal anglais qui annonce que les mêmes puissances ne demandent qu’à appuyer M. de Bismark dans son projet de convoquer un con
grès chargé de rédiger un code international de la presse. Il en sera de cette nouvelle comme de l’autre, la proposition étant tout ce qu’il y a de moins pra
tique. Elle n’a été mise en avant par M. de Bismark que pour masquer sa retraite en cette chicane d’Alle
mand indirectement cherchéepar lui à la France, jusqu’à ce qu’il ait trouvé moyen de soulever, à même inten
tion, quelque autre difficulté ici ou là, en Suisse ou en Hollande, il n’importe. Cetle persistance du chan
celier d’Allemagne et des journaux qui s’inspirent de sa pensée à nous chercher continuellement noise, à essayer de nous faire sortir de notre calme, est un avertissement qu’il ne faut pas négliger. Un jour peut venir, et prochain, où, malgré nous, nous soyons entraînés à faire la guerre. Qu’on nous mette donc en état, et le plus rapidement possible, même par des moyens improvisés, de faire face, avec de sérieuses chances de succès, à une aggression soudaine. Gela fait, on travaillera avec toute la maturité, pour ne pas dire la lenteur, que l’on voudra, à notre réorganisa
tion militaire. Le supportant avec moins de soucis, nous le supporterons avec plus de patience.
Il n’y a qu’une voix sur la fête qui vient d’être donnée à l’ambassade ottomane. On vous dira que ça été le plus beau bal de la saison. Ali pacha, le nouvel ambassadeur, ne pouvait entrer en fonctions d’une manière plus brillante. Vous devez savoir, en effet, que ce ministre de la Su
blime Porte n’était, l’autre jour encore, qu’un simple secrétaire. Un firman de date récente lui a donné tout à coup la première place, pour la
quelle il est si bien lait, puisqu’il sait faire danser ensemble la diplomatie et les Parisiens.
Régler vingt-cinq quadrilles, les entrelacer de valses ou de mazurkessans rien déranger à l’équi
libre de l’Europe, c’est presque un trait de génie. Ne parvient pas qui veut à organiser un tel programme. Il n’y a pas longtemps, c’était le grand mérite du prince Richard de Metternich et de la princesse sa femme. C’était l’âpre souci de lord Cowley. Jadis la légation du roi de Prusse y dé
COURRIER
DE
PARIS