SOMMAIRE.
Texte ; Histoire de la semaine. — Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand — Le Salon de 1*75 (I). — Nos gravures :
Fleurs de mai; — Les fêtes de lllois; — Inauguration de la statue de Berryer à Marseille; — Le paysage au Salon; — Les fêtes d’Arles. — Le Chaudron du diable, nouvelle, par M. G. de Cherville (suite). — Les Théâtres. — Chronique du
Sport. —Revue financière de la semaine. — Faits divers. — bulletin bibliographique. — Dn portrait authentique de Jeanne d’Arc.
Gravures : Fleurs de mai, d’après le tableau de M. Pallières. — L’Exposition de Blois : la grande salle des fêtes. — Inaugu
ration de la slatue de Berryer à Marseille. — Salon de 1875 : Choix de paysages. — Fêtes données à Arles à l’occasion de l’inauguration du nouveau nont construit sur le lihône (2 gravures) — Un portrait authentique de Jeanne d’Arc. — Echecs. — Rébus.


HISTOIRE DE LA SEMAINE


FRANCE
La Commission de permanence a tenu sa quatrième et dernière séance. Tout s’est passé dans le plus grand calme et aucune question n’a été adressée au gouvernement. Non que la matière manquât, oli non ! certes ! mais, avant l’ouverture de la séance, les membres de la Commission appartenant aux groupes de la gauche avaient décidé qu’en présence du retour imminent de l’Assemblée, mieux valait se tenir sur la réserve. Par suite, M. Buffet, qui s’était tout exprès rendu à Versailles pour n’y pas répondre aux ques
tions qu’on aurait pu lui poser, en est revenu sans s’être donné le malin plaisir de mettre une dernière fois à l’épreuve l impatience de M. de Mahy.
Dans ces conditions on ne sera pas surpris que la séance ait manqué, sinon tout à fait d’intérêt, au moins d’un peu de gaieté. Elle a d’ailleurs été fort courte. Le président, M. d’Audiffret, s’est borné à appeler l’attention des membres présents sur un do
cument législatif qu’il leur avait fait préalablement remettre, et qui sera prochainement distribué à tous
les députés. Ce document contient l’état des travaux législatifs jusqu’au I I mai 1875. L’Assemblée est en
ce moment saisie d’environ deux cents projets, dont une soixantaine prêts à être immédiatement discutés. C’est un peu trop de pam sur la planche pour le peu de temps qu’elle a encore vraisemblablement à vivre. Bon gré malgré il faudra donc choisir entre tant de richesses et en jeter les trois quarts par-dessus bord. L’est de ce travail d’élimination que M. Picard a invité le président et le gouvernement à prendre l ini
tiative, la décision appartenant à l’Assemblée. M. d’Audiffret n’a pas dit non, et il n’y a pas de rai
son de penser que le gouvernement de sou côté y mette la moindre mauvaise volonté, tout le monde paraissant s’accorder à regarder la prochaine session comme devant être la dernière de la présente législature.
Parmi les projets que l’Assemblée devra nécessairement discuter dans cette session figurent, en pre
mière ligne, sans parler du budget de 1876, le projet relatif à l’état-major et à l’organisation de l’armée, qui n’est pas encore à l’état de rapport sur le font ; celui sur la nomination des maires et les attributions des conseils municipaux, quia déjà passé en deuxième lecture, le 22 juin 1874; la proposition Courcelle sur les élections partielles ; la loi sur la presse et les lois constitutionnelles complémentaires, notamment la loi organique du Sénat et ta loi électorale politique, dont la première lecture a eu lieu le 4 juin 1874.
Pour ce qui regarde la loi organique du Sénat, on sait que le gouvernement s’en occupe avec activité. Le Temps a même publié les articles du projet relatif a l’élection des sénateurs, réglés par M. le garde des sceaux et qui, si l’on en croit cette feuille, viennent d’etre communiqués au conseil des mi
nistres. Mais nous ne nous y arrêterons pas, au moins jusqu’à plus ample informé. Ce sera, croyons-nous, plus sage.
Quant à la loi sur la presse, M. Dufaure s’en occupe non moins activement de compte à demi avec la commission consultative récemment nommée par lui pour la préparer. L’état de siège, au régime duquel la moitié de la France est soumise depuis bientôt cinq ans, affecte le gouvernement pour plus d une raison qu’il est inutile de déduire. Aussi voudrait-il bien le lever, mais il n’ose. Il redoute la presse, sur laquelle ce régime lui donne ipso facto droit de vie et de mort.
Il ue demanderait donc pas mieux que de renoncer à l’état de siège, mais à la condition que le législateur lui accordât préalablement sous une autre forme un droit équivalent, ou à peu près. Tous les gouverne
ments ont eu peur de la liberté de la presse, ce qui évidemment prouve qu’elle ne vaut rien. Donc, que le gouvernement actuel songe à forger de nouvelles en
traves pour cette grande coupable, cela n’est point.
fait pour surprendre ; mais ce qui est étonnant, c’est qu’il demande aux représentants de cette même presse, il est bon prince, de quelle façon ils préfèrent être enchaînés. — Voulez-vous l’être du pied droit ou du pied gauche? Préférez-vous un collier ou des menotes? NTe craignez pas de le dire, nous ne deman
dons qu’à vous être agréables. — Pardon, répondent timidement MM. Ilébrard, du Temps, et Janicot, de la Galette de France, puisqu’il en est ainsi, nous aimerions mieux n’êlre pas enchaînés du tout. — Sotte réponse, on l’avouera, et qui ne mérite seule
ment. pas d’être examinée. En effet, ces journalistes insensés sortent tout à fait de la question.
Aussi, au lieu de les interroger, eux et leurs pareils, eût-ctn mieux fait de proposer tout de suite une bonne loi bien draconienne en vertu de laquelle tous les crimes et délits, étant déclarés égaux devant le châtiment, eussent été frappés indistinctement de la même peine : pécuniairement, amende égale au to
tal du cautionnement déposé; corporellement, n’en déplaise à MM. About et Dalloz, peine de mort. De cette façon, il y a longtemps déjà que l’on aurait pu en toute tranquillité lever l’état de siège. Mais, qui sait? peut être est-ce beaucoup s’avancer, et ceci de
mande encore réflexion. « Laissez dire, laissez-vous blâmer, condamner, laissez-vous pendre, mais pu
bliez votre pensée, » écrivait Paul-Louis Courier, il y a tout près de cinquante et un ans. Ces mauvais jour
nalistes sont si pervers que, malgré les défaillances du temps, il pourrait bien s’en trouver encore parmi eux quelques-uns qui n’hésiteraient pas à payer de leur tète le plaisir de rendre publiquement hommage à ce qu’iis croiraient être la vérité.
En attendant., ils continuent à se chamailler à qui mieux mieux à propos du scrutin de IBte et du scru
tin d’arrondissement. Le Français, d’accord en cela avec les journaux bonapartistes, plus fins que lui en cette occurrence, veut absolument convaincre le centre gauche qu’il doit se prononcer en faveur du second. Mais celui-ci n’a pas l’air de se vouloir lais
ser convaincre. Un de ses membres, M. Emile Beaussire, député de la Vendée, a même écrit une lettre qu’a publiée le Temps et dans laquelle il avertit le Français qu’il conduit le centre droit aux abîmes. Voici comment il raisonne :
« Le scrutin uninominal place les candidats directement et personnellement en face du suffrage uni
versel. Or les masses ne comprennent bien que les opinions simples et tranchées. Elles iront à la répu
blique; elles pourront aller à l’empire; elles pourront même aller, dans un ou deux départements, à la royauté légitime, elles n’iront jamais d’elles-même
au centre droit. Pour que le suffrage universel accepte des candidais d’une nuance complexe et indécise, il faut que des comités, plus accessibles aux finesses de la politique, leur donnent place sur une liste, soit par considération pour leur valeur personnelle, soit pour se ménager l’appui des groupes plus ou moins impor
tants qu’ils représentent : le scrutin de liste semble inventé pour assurer des succès au centre droit. »
Mais le Français n’en veut pas démordre. Il se révolte, il s’indigne. Alors que les conservateurs monarchistes, au nord, au midi, à l’ouest, un peu par
tout, semblent faire en ce moment un mouvement de conversion vers la république du 25 février; alors qu’à Marseille M. Clapier lui-même plaide en faveur de celle ci les circonstances atténuantes, le journal de M. de Broglie déclare que jamais il ne s’alliera avec les radicaux qui ont contribué à l’établir. Il s’ou
blie même jusqu’à prononcer un gros mot. Ce serait pour lui, dit-il, un « déshonneur ». Sur ce, vous jugez les cris. Heureusement que tout cela va finir. Voici l’Assemblée sur son retour, et dans peu elle aura tranché le différend.
Ce retour nous ramène à notre point de départ, la dernière séance de la commission de permanence, où l’on s’est occupé aussi du futur logement de la future Chambre. Nous avons dit, dans notre avant-dernier numéro, que M. de Joli proposait d’élever la nouvelle salle dans une cour de l’aile sud du palais de Ver
sailles. Le bureau, à l’unanimité, a adopte son pian,
réservant toutefois au Sénat Je soin de décider dans quel local il entendait fixer le lieu de ses séances. Il
siégerait provisoirement dans la salle de l’Opéra. Le bureau fera à ce sujet une proposition à l’Assemblée dès son retour.
Tout cela sent, on l’avouera, furieusement la dissolution, autre question brûlante qu’il est également urgent de trancher.
BELGIQUE
Ainsi qu’on l’avait annoncé, le ministre des affaires étrangères de Belgique a donné, le 4 mai, lecture à la Chambre des représentants de la réponse du gou
vernement à la deuxième note allemande. Dans cette réponse, le ministre dit que le gouvernement n’a pas
décliné les demandes formulées dans la note du 3 février. Il a déclaré que, si les puissances modifiaient leur droit pénal commun, la Belgique suivrait probablement le mouvement; que, relativement à l’invita
tion adressée à chaque Etat de rechercher les moyens d’empêcher ses nationaux de troubler la paix intérieure des Etats voisins, le gouvernement belge at
tend pour agir d’être renseigné sur les disposilions adoptées à cet égard en Allemagne ; qu’enfin la Bel
gique n’a jamais cessé d’étre animée du désir de
« remplir ses devoirs d’état neutre dans un esprit amical et dans l’étendue que leur assigne le droit international ».
Voilà qui est parfaitement répondu. Et maintenant espérons qu’il ne sera plus question de cette chicane aussi plaisante que louche.
TURQUIE
Un changement important vient d’avoir lieu dans le ministère. Hussein-Avni-Pacha, grand-vizir, a été destitué et remplacé par Essed-Pacha. Ali Saïb, soussecrétaire d’Etat au ministère de la guerre, est devenu chef de ce même ministère, et Raouf, ministre de la marine.
Cette disgrâce subite, d’après le Mémorial diplomatique, se rattacherait aux questions financières ainsi qu’à la question des chemins de fer. D’autre part, on annonce que Hussein-Avni-Pacha va être nommé gouverneur général d’Aïdin.
Le nouveau grand-vizir, d’abord ministre de la guerre sous Mehemed-Ruchdi-Paeha, avait succédé à
celui-ci au vizirat et avait eu à cette époque, février 1873, pour collègue au ministère de la guerre ce même Hussein-Avni qu’il vient de remplacer. Révoqué de ses fonctions au mois d’avril suivant, il était rentré en janvier 1874 au ministère de la marine. Son passage à ces divers postes n’ayant laissé aucune trace qui mérite d’être signalée, il serait donc assez difficile de juger dès aujourd’hui de sa politique future.
Vous le savez, le Salon est ce qu’il y a de plus actuel pour le quart d’heure. On vous en parlera un peu plus loin avec tout le délail que comporte l’importance d’un tel sujet. — Cette année encore, on voit se renouveler à ce propos la vieille fable : Le meunier, son fils et l’âne. —
Parmi les amateurs, beaucoup trouvent le Salon trop nombreux. «-—Ce n’est plus un concours, »
disent-ils. Pour un peu, ils y verraient une suile à la Foire aux jambons et à la Foire au pain d’é­
pice, une cohue. — D’autres, au contraire, se réjouissent. « — Il y a progrès, disent ceux-là, la grande peinture renaît, le paysage se rajeu
nit; la fantaisie et le genre se sont sensiblement améliorés. » — Qu’on se tire de ces contradictions comme on pourra. Ce sera donc à la cri
tique à prendre la parole et nous la lui laissons bien volontiers tout entière.
En attendant, notons pourtant une remarque.
Le 1“ mai, à l’ouverture de l’Exposition, il n’y avait pas que des Parisiens, des peintres et des journalistes; on y coudoyait aussi un grand nombre d’étrangers accourus pour la circonstance. Les Russes s’y montraient en majorité.
Il ne manquait pas non plus de Hongrois ni d’Anglais. Conclusion ; l’Europe ne tient pas moins que la France elie-même à l’exposition universelle. Disons tout, on ne distinguait que peu d’Allemands. L’empressement des autres nations à accourir à nos fêtes n’a pas cessé d’offusquer nos vainqueurs. Il paraît qu’ils nous ja
lousent ou nous boudent. N’en disons rien; c’est encore ce que nous pourrons en dire de mieux,
Samedi dernier a eu lieu dans la salle du Conservatoire l’audition du Partisan, opéra iné
dit du comte d’Osmond. Ce partisan n’est autre que cet André Hofer, si habile à tirer un coup de fusil qu’il ne manquait jamais son homme, à ce que dit la légende. C’était un ancien meunier qui avait soulevé le Tyrol et que Napoléon Ier a fait passer par les armes. Je vous engage à lire cette touchante et dramatique histoire dans les Souvenirs de Charles Nodier qui avait connu le personnage.


COURRIER DE PARIS