Au reste, nous n’avons rien à dire du poëine, écrit, à ce qu’il parait, par MM. Mario Uehard et E. Cadol, la musique seule ayant été soumise à l’appréciation des invités. Mais quel public d’é­
lite! Undes premiers entrés était le roi Georges V de Hanovre, notre hôte assidu ; Mmî la maréchale de Mac-Mahon était là aussi près de la duchesse de Montpensier et de vingt autres grandes dames,
des sommités du sport, du grand monde, du beau monde, des écrivains, des artistes, des chanteurs en renom.
Entre autres interprètes de valeur, le Partisan réunissait MUs Heilbronn, M ,n Berthe Bandevolli,
MM. Vergnet, Barré, Bouhy, Couturier, aidés d un orchestre et de chœurs conduits par M. Maton.
Grâce à tant de soins, l’exécution ne pouvait être qu’irréprochable. On raconte que l’auteur a, pen
dant six ans, consacré ses loisirs à cette œuvre dans sa jolie résidence de la porte Maillot. — Le Partisan sera-t-il transporté au théâtre et soumis au jugement du véritable public? c’est ce qu’on ne sait pas encore. — Quoi qu’il en soit, M. le comte d’Osmond vient d’allonger d’une ligne la nomenclature des gentilshommes mélomanes; il pourra y ligurer dans l’avenir avec le prince de la Moskowa, le prince Joseph Poniatowski et le marquis de Masse.
Où en est au juste l’affaire du phvl
loxera?
Toutle monde sait que les historiens ont faitune carte des pays qu’a jadis ravagés Attila, le fléau de Dieu. Il en est de mèmepourl insecte dévastateur. Un membre de l’Académie des sciences, l’hono
rable M. Duclaux, a dressé un bristol, teinté de diverses couleurs, ayant pour but de faire voir aux yeux du monde effrayé la marche du terrible rongeur à travers la France vinieole. Jugez si les vignerons étaient dans les transes ! Cette année, on a remarqué que les pies choisissent le fade des arbres pour installer leurs nids. D’après une croyance populaire, cela signifie qu’il n’y aura ni averses ni grêle, par conséquent d’heureuses et abondantes vendanges; mais quoi! le phylloxéra est là qui fait trembler pour ces espéiances. — Eh bien, par bonheur, la science arrête tout à coup le monstre en lui disant :
— Non-seulement tu n’iras pas plus ioin, mais encore tu vas mourir !
A la dernière fête donnée par le duc d’Audiffret-Pasquier, M. Dumas, le chimiste, a prononcé
ces paroles, non moins belles que celles que Lécnidas criait aux Perses de Xerxès. Le savant a ajouté qu’on avait enfin trouvé un poison victo
rieux et vengeur; le phylloxéra n’aura même pas le loisir de faire son testament. Aussitôt les qua
drilles se sont arrêtés; les dames elles-mêmes ont applaudi en remuant leurs éventails de gaze et d’ivoire.
En quoi consiste la recette, c’est ce que je ne saurais vous dire. Il s’agit de l’emploi des sulfocarbonales de sodium. Dans le monde, on ignore, bien entendu, ce que peut être cette substance, mais nos coteaux généreux sont sau
vés; voilà l’essentiel. Une des gloires de la France est à l’abri. La nouvelle, répandue mardi soir sur les boulevards, y a produit une sensation sans pareille.
Nous avons entendu alors, au milieu des vivat, Z***, un vrai dégustateur, s’écrier, tout plein d’enthousiasme :
— Le phylloxéra vaincu ! ah ça, pourquoi n’illumine-t-on pas Paris?
11 n’est pas nécessaire de tonner pour le dire, mais il faut bien le dire : la prodigalité entre de plus en plus dans nos mœurs. Qui ne jette pas l’argent par les fenêtres est un avare, voilà qui est convenu plus que jamais. Feu M. Guizot, si réservé dans ses dépenses, visait, il y a un an, ce mouvement de notre époque; i! en parlait dans une conférence au Consistoire protestant et il en faisait un nouveau signe de décadence. Mais M. Guizot était un octogénaire re
vêche, peut-être radoteur. En parlant comme il le faisait, il rabâchait, puisqu’il venait après la fameuse harangue de M. Dupin aîné sur le luxe effréné des femmes. 11 est mort, il y a neuf mois,
M. Guizot, et c’est fort bienfait, et les prodigues prennent de jour en jour un peu mieux le haut du pavé.
Cependant il se passe de temps en temps des épisodes qui font broncher les têtes les plus folles.
Ainsi la société parisienne s’est émue, la semaine dernière, de la liquidation d’un fils de fa
mille qui était parvenu en quelques années à manger, non-seulement, la fortune qu’il tenait de son père, mais encore l’héritage de deux tantes et d’un oncle.
Les voitures et les chevaux figuraient pour un chiffre assez rond dans le passif de l’héritier ; on s’y attendait, ainsi qu’aux mémoires du bijoutier, du tapissier et du tailleur.
Mais un article tout à lait imprévu sauta aux yeux des liquidateurs.
Le jeune prodigue devait 72 000 francs à son marchand de cannes.
Si nombreuses que soient les cannes qu’on porte, qu’on brise, qu’on perd, qu’on donne, qu on se laisse voler, si riche que fût sa collec
tion, il est difficile d’expliquer comment un éventé a pu, en cinq ans, dépenser pour 72 000 francs de cannes, même en les supposant toutes sur
montées d’or guilloché, même en les admettant avec le concours d’un grand nombre d’orrbrellcs.
Voilà encoie un acte de folie contre lequel les lois et les philosophes ne pourraient rien.


On interrogea le valet de chambre, etceFrontin répondit :


— Rien de plus simple; mon maître avait une canne pour chacun des jours de l’année, et il ne portait jamais trois fois la même.
Il y a peu de temps, tous les journaux ont parlé de la fête qu’a donnée le comte de W’al
deck, peintre et voyageur, afin de célébrer son cent neuvième anniversaire. Le vieillard, si bien entouré, a fini par mourir. On a naturellement déploré sa fin. Mais tenez pour sûr qu’il sera vite remplacé; Paris s’arrange de façon à avoir toujours un centenaire.
Ne riez point. Il n’y a pas de position sociale plus enviable.
Méry avait imaginé un type bizarre : le Quatorzième. C’était un homme auquel on ne deman
dait que d’être bien mis et de savoir se présenter agréablement. A un repas de corps, à une noce, à un baptême, à une fête de famille, on décou
vrait tout à coup qu’on serait exposé à être treize à table.
A Paris, ville d’espriis forts, le préjugé a force de loi. Qui dit treize à table dit que l’un des con
vives mourra dans l’armée. Eh bien, il n’y avait plus à se mettre en peine. On envoyait quérir le Quatorzième. L’homme venait, saluait, souriait,
s’asseyait devant un quatorzième couvert et le maléfice était conjuré.
Nestor Roqueplan, non moins inventif, avait forgé le centenaire.
A quoi ne servait pas cet autre type? On en faisait un objet d’utilré ou une affaire d’agrément, au choix. Vous aviez des créanciers impi
toyables, fort impatients ; vous les faisiez venir
chez vous; vous leur montriez un vieillard chauve qui toussait dans les cendres.
— C’est un vénérable oncle de cent et un ans ; il m’a mis sur son testament. Les médecins affirment qu’il nous sera enlevé aux feuilles d’automne.
Et les créanciers promettaient d’attendre.
K*’*, peintre sans talent, n’avait réussi ni dans le tableau d’histoire, ni dans le paysage,
ni dans le portrait, ni dans rien. Il ne lui restait plus qu’à se jeter à l’eau. Un matin, il se réveille avec une idée. — « Je suis sauvé! » s’écria-t-il.
— Et il se fit centenaire. — Un centenaire ! un homme qui avait vu le dernier siècle ! on l’invi
lait partout et sans cesse; tout le monde était plein de déférence pour sa personne. Les enfants le regardaient comme un monument, les femmes comme une curiosité, les hommes comme un oracle. A lui les meilleurs morceaux, les vins fins, les sourires. Si l’on avait un acte à signer,
un bal à donner, un modèle à invoquer, il était là. Les billets de théâtre et de concert, les passes de chemin de fer, les petits cadeaux, pleuraient autour de lui. Quelle bonne idée K*** avait eue là et comme il était heureux de vieillir!
Un soir, à la suite d’un réveillon, K*** mangea trop vite. Un os de perdreau s’engagea mal dans le gosier et l’étrangla. — Ce fut une désolation universelle. Le digne homme !
— Douze mois de plus et il avait cent et un ans! disait-on.
Mais quand on eut à faire les constatations d’usage, il fallut lire l’acte de naissance. On dé
couvrit alors qu’il n’avait que quatre-vingt-quinze ans !
— Voyez-vous ce drôle, s’écriait un banquier dépité, il nous a tous pris pour dupes : ce n’était qu’un centenaire pour rire !
Une chanson dont on nous régale un peu trop dit que les lilas sont en fleurs. Pardieu ! tout est en fleurs en ce moment; tout est vert;
tout est plein de parfums agrestes et de chants d’oiseaux. — Aussitôt s’apprête-t-on partout à quitter la ville.
Oui, mais il y a sept cent cinquante forçats qui sont condamnés à traîner dans Versailles le boulet de la politique.
Parmi les hommes du jour qui d’ordinaire cherchent dans la villégiature un refuge contre les exigences et les tracas de leur notoriété, on peut citer M. Barthélémy Saint-Hilaire, le secré
taire intime et l’ami de M. Thiers. Nul ne bêche,
ne taille, ne sarcle et ne ratisse un jardin avec plus d’ardeur que le savant académicien dans sa campagne de Meaux.
Citons à ce sujet un trait qui se rapporte aux dernières années de l’empire.
Etant en tournée dans les environs .de la capitale de la Brie, un officier de gendarmerie réso
lut de consacrer une journée de loisir à la visite des curiosités locales. On lui recommande le château de *** et il en prit la route; mais, peu fami
lier avec le pays, il hésita bientôt sur la direction qu’il avait à prendre et alla chercher quelques renseignements à la grille d’une maison voisine.
Un brave homme, en blouse bleue, était là, courbé sur sa pioche.
L’officier l’interpella.
— Hé! l’ami! Est-ce bien par ici la route du château ?
— Pas tout à fait, monsieur. — Ah! et où alier, alors?
— Ce serait un peu long à détailler et les zigzags qu’il vous faut faire pour regagner le droit chemin pourraient bien vous causer de l’em
barras. Tenez, j’aurai plus tôt fait de vous conduire.
Et l’homme à la pioche guide l’officier jusqu’à destination, puis il s’éloigne sans vouloir accepter la plus légère indemnité pour son dérangement,
De retour à Meaux, le touriste galonné fit à un imprimeur de la ville le récit de son excursion.
— Il y a de braves gens dans votre pays, ajouta-t-il. Le premier venu est obligeant, serviable,
pas trop bête, un peu fier peut-être, mais le défaut est assez rare pour devenir une qualité.
De là, il en vint à raconter son embarras de la veille.
— Ah ! malheureux ! je ne m’étonne plus qu’il ait refusé vos libéralités. Cet homme en blouse, c’est M. Barthélémy Saint-Ililaire, ancien repré
sentant du peuple, membre de l’Institut, officier de la Légion d’honneur, etc., etc.
L’énumération de ces titres n’était pas terminée que le coupable allait faire sa visite de condoléance. Il n’est pas besoin de dire s’il fut gracieusement excusé.
Phiubert Audebrand.