qui ne se décide pas à changer. Ce renouveau était néanmoins une bien belle occasion pour opérer une révolution radicale à cet égard. Résignons-nous. 11 paraît que ce ne sera pas encore pour cette année.
Je reviens au printemps de Paris. Il met de plus en plus toutes les têtes à l’envers. Combien durera cette ivresse? Un très-petit, bout de temps,
quelques heures fugitives, puisque nous sommes tantôt à l’été, et qu’en été il faut déclarer déci
dément inhabitable ce Paris auquel on trouve tant de charmes en ce moment. Hâtez-vous donc de savourer les plaisirs du jour. Il y a quelques ’erniers dîners, en vue des primeurs, mais com


ent dîner quand il n’y a plus de poisson frais?


y a quelques dernières soirées, mais encore
n’y entend qu’un refrain : « Je fais mes les. » Le reste des heures, on le passe à
tel des commissaires-priseurs, où il y a déci
dément trop de ventes de tableaux. La mode est encore d’aller aux concerts Besselièvre, ou bien au cirque des Champs-Elysées.
Voilà pour Paris proprement dit, mais, vous devez le savoir, du 15 avril au 15 octobre,
il y a un autre Paris, celui de la petite et de la grande banlieue et des communes suburbaines, qui se mirent dans la Seine. Celui-là n’est plus dans .nos murs ; il a déjà émigré : Rusticatur, com ae dit Cicéron. Il s’est fait campagnard. On le rencontre d’Asnières à Ville-d’Avray, dès le leve” lu jour, dans quelque enclos, s’exerçant à l’hortolage, une bêche à la main, un chapeau de paille sur la tête, dans les pieds des sabots. Ah !
vous ne savez pas la volupté que le Parisien éprouve à porter des sabots ! Feu M. Séguin, le célèbre antagoniste du célèbre Ouvrard, s’était acheté aux environs de Versailles une terre d’un million exprès pour s’y promener en sabots, tout en arrosant des laitues. Léon Gozlan prétendait que c’est l’habitude invétérée de l’Opéra-Comique qui nous a inculqué ces goûts champêtres. Ce qu’il y a de sûr, c’est que c’est maintenant dans le sang. Les jeunes gens d’aujourd’hui disent à leur fiancée : « — Une paire de. sabots en rase campagne et ton cœur. »
Puisque nous en sommes à l’idylle des environs de Paris, n’oublions pas le chapitre des rosières. Dans un moment oû il y a tant d’églantines vierges sur les haies, cela devient une affaire d’ac
tualité. Quoi qu’en disent les mauvais plaisants,
la rosière fleurit chez nous de cent pas en cent pas. Toute commune est jalouse d’avoir la sienne. Le vénérable Dulaure assure que cet usage de couronner une jeune fille des premières fleurs de l’année a commencé par Nanterre, à cause de sainte Geneviève, cette auguste gardeuse de mou
tons qui a empêché Attila d’entrer dans Paris et peut-être de le brûler. Si c’est là l’origine qu’il faut assigner à ces fêtes, ajoutons qu’il n’y en a pas de plus belle ni de plus patriotique. Sainte Geneviève fait venir à l’esprit le souvenir de Jeanne-d’Are que Villon, notre vieux poète, ap
pelle si magnifiquement « la brave Lorraine ».
Vous voyez comment les beaux noms, les belles paroles et les beaux sentiments s’enchaînent entre eux. Il est donc très-français, pour le moment, de couronner des rosières.
Dimanche dernier, Paris presque tout entier s’éparpillait dans ses environs. On allait à Chantilly/ oû c’était le jour du Derby. Tout le
monde connaît le triomphe que Salvator a valu à M. Lupin. A Sures nés, on allait assister au couronnement de la rosière.
Un jour, je ne sais plus en quelle année, une jeune fille du monde fut tuée sur une des côtes du pays, à la suite d’un accident de voiture.
Mme Desbassayns de Richemont, sa mère, voulut fixer par un souvenir de bienfaisance cette date de deuil. Elle fonda donc un prix annuel, à l’effet de couronner , chaque année, celle des jeunes filles de la commune dont la conduite serait le plus digne d’éloges. Il y avait une autre condition,
celle de donner le nom de la victime, le nom de Camille au premier enfant qu’elle aurait après
son mariage. — Il s’est déjà passé bien des années depuis cet événement, et la rosière de Suresnes revient régulièrement, au mois de mai, au milieu d’une solennité qui est un grand jour pour la petite ville.
Il n’est pas sans intérêt de noter ici quelquesuns des détails de cette touchante cérémonie.
Suresnes, comme beaucoup de localités, est avant tout une station de villégiature. Les Pari
siens de distinction y sont nombreux. C’est dire
que, de bonne heure, l’église de Saint-Leufroy a ouvert ses portes à de brillantes toilettes. Des
ordonnateurs marqués d’un ruban vert avaient charge de faire placer les invités. Au milieu de la nef deux estrades parallèles avaient été prépa
rées. L’une était à droite, près de la chaire ; c’é­ tait celle des autorités, du maire, des adjoints, du corps municipal. On y avait pratiqué un bu
reau, garni de tout ce qu’il faut pour écrire des votes. C’est en cet endroit, en effet, que prennent place les électeurs ayant mission de nommer la rosière. Ces électeurs, n’en riez pas! ont quel
que chose de patriarcal. Ils ont été choisis parmi les vieillards les plus honorables de la commune et ils sont au nombre de douze. Pour former une sorte de conclave d’une force numérique suffi
sante, on leur adjoint les pères des rosières des années précédentes. Enfin le curé de la paroisse jouit, de son côté, du droit de jeter son vote dans l’urne.
Ainsi qu’on peut le voir, tel qu’il est composé, ce groupe renferme toutes les garanties de respectability et d’indépendance.
En regard de cette première estrade, il s’en élève une seconde, à gauche. Si la première a quelque chose d’imposant, l’autre a tout ce qu’il faut pour faire naître l’intérêt. Là, sont placées,
sur deux rangs, les candidates à la couronne, dix jeunes filles nées et élevées à Suresnes. Toutes sont habillées de blanc, toutes sont parées dit voile des vierges.
Au moment de leur entrée, pas une ne sait laquelle sera choisie, puisque l’élection n’a pas encore eu lieu. Ainsi l’espoir les anime toutes au même point. L’orgue se fait entendre, l’en
cens fume, les cloches sonnent. Pendant que les exercices religieux commencent à l’autel, on in
troduit la marraine (à Suresnes on l’appelle la couronneusè). Cette année ces fonctions ont été remplies par Mme la baronne de Trétaigne, femme de l’ancien maire de Montmartre.
Je l’ai déjà dit, des mains savantes sont à l’orgue et elles accompagnent le Veni creator, et l’auditoire est vivement impressionné. On recon
naît bien vite qu’il y a près de l’autel plus d’un grand artiste. En effet, l’Opéra a envoyé, pour le
moins, deux des siens à la cérémonie ; Villaret se fait entendre ; Manoury chante, Manoury, enfant de ce pays, et naturellement ces voix si ai
mées des dilettantes causent un très-grand charme. Mais à mesure que l’office s’avance, le dépouil
lement du scrutin s’achève. Pour les jeunes filles, c’est un moment de vive anxiété; pour l’auditoire,
l’aiguillon d’une grande curiosité. Le curé monte en chaire ; il tient à la main un papier sur lequel est rapporté le résultat du vote. A la majorité de 22 voix sur 2h votants, Marie Gaudrey est pro
clamée rosière. Tout émue, avec des larmes de joie sur les joues, la jeune fille se fait conduire près de la marraine devant laquelle elle s’incline.
Alors la dame patronnesse lui pose sur la tête la couronne de roses symboliques, non sans laisser voir un ruban noir, souvenir du deuil d’oû est sortie jadis cette fondation.
Il resterait encore bien des choses à dire sur cette fête, mais il faut savoir se borner.
N’oublions pourtant pas d’apprendre que, dès le moment où la rosière a été nommée, on est allé planter devant la maison où elle a été élevée un mai, un peuplier chargé de rubans de diverses couleurs. Quand elle sort de l’église, un nombreux cortège l’accompagne, musique en tête, bannières déployées ; on commence par se rendre chez ses parents et là les scènes attendrissantes recommencent. Ce serait l’instant de
dire comment la marraine a ajouté de délicates libéralités à celles du prix fondé, mais nous nous rappelons le précepte qui ne veut pas que la main gauche sache ce qu’a donné la main droite. Il y aurait encore à rapporter un fait qui a beaucoup frappé les gens de Suresnes. Un des assistants,
qui ne s’était pas fait connaître, a pris tout à coup la parole, et, très-simplement, avec beau
coup d’à propos, il a adressé à la rosière et aux autres jeunes filles une allocution qui avivement
impressionné tous ceux qui font entendue. Cet orateur inconnu n’était autre que le sous-préfet de Saint-Denis.
/v-.™ Un mot, en passant, à la mémoire d’Emile Taigny, qui vient de mourir.
Emile Taigny n’a pas toujours été régisseur de la Gaîté. Il y a quarante ans, il faisait partie de celte admirable troupe d’artistes qui avait placé alors le Vaudeville au premier rang des théâtres de genre. Très-jeune, presque imberbe,
très-vif, fort élégant, il passait avec raison pour le type des jeunes premiers. Cela était si bien
établi qu’on lui faisait jouer même des rôles de femme, comme dans Faublas et la Chevalière d’Eon.
Ce fut dans ce temps-là qu’un jour, un vieux comédien voulut lui faire un cadeau de jour de l’an, cadeau passablement original ; c’était un pantalon fort étroit et des plus solides.
— Ecoute bien, lui dit-il, mon cher Emile; rien n’engraisse un artiste comme de faire tous les soirs, devant le public, des déclarations d’a­ mour. Je ne sais qu’un préservatif : c’est le pan
talon; mets-le, renouvelle-le, n’en prends jamais d’autre et tu seras toujours jeune.
Emile Taigny prit tout cela pour une plaisanterie ; il n’accepta pas et il a fini comme tous les amoureux de théâtre par un embonpoint qui frisait l’obésité.
On nous a annoncé la mort de Marie- Frédérique-Amélie d’Oldenbourg, veuve d’O- thon I r, l’ex-roi des Hellènes. Toute l’Europe sait qu’elle avait été fort aimée en Grèce, ce qui ne l’a pas empêchée de tomber du haut du trône comme tant d’autres. C’est à elle qu’on doit, pa
raît-il, le seul véritable palais moderne qui se trouve dans Athènes. Elle avait rêvé de faire boiser l’Hymette, qui est un mont nu et pelé ;
mais elle avait l’idée peu pratique de n’y mettre que des arbres à fruits, des pommiers, des pê
chers, des cerisiers, des figuiers, des abricotiers et des pruniers. M. Mavrocordatos lui dit, un jour, pour la dissuader :
— Majesté, si votre projet réussissait, les Grecs mangeraient tous ces fruits un à un et ils vous jetteraient les noyaux à la tête, quand vous passeriez en voiture.
A l’époque de sa jeunesse, elle avait été tout à la fois belle et jolie. Mais, déjà, dès ce temps, elle passait pour avoir la tête un peu tournée. Comme on avait lu devant elle un conte d’Hoffmann, celui de Kreisler, je crois, où l’on voit un musicien renfermer un gnome dans un étui à violon, celte image l’amusa au plus haut point et elle dit qu’elle voulait, elle aussi, être renfermée dans un étui de même nature. Une envie de princesse n’est pas facile à éluder. Il fallut en passer par ce que souhaitait la petite altesse : on fit donc faire à Munich un étui de grande dimension, l’étui d’un violoncelle, et on l’y renferma quelques instants, après avoir mé
nagé, bien entendu, des trous assez grands pour lui fournir un peu d’air respirable. — La petite duchesse Amélie fut trimbalée ensuite, à dos d’homme, des appartements de son père, qui était chambellan, à ceux du vieux roi Louis de Bavière, le faiseur de vers.
Plus tard, la reine des Hellènes faisait souvent allusion à cet épisode de sa vie.
— Ah! disait-elle, j’ai été enlevée, un jour, et enlevée dans un étui à violon !
Philibert Audebrand...