à mettre en lumière tout ce qui nous paraissait dénoter un effort personnel et original. Obligé d’arriver la semaine prochaine à la sculpture, si nous voulons l’examiner avant la fermeture du Salon, il va nous falloir terminer aujourd’hui notre promenade a travers les salles du premier étage : c’est dire que nous serons, forcé de lais
ser dans 1 ombre bien des ouvrages intéressants,
pour nous attacher principalement à ceux que nous désignent leurs qualités et leurs défauts mêmes, aussi bien que la répulation de leurs auteurs.
Le Gynécée de M. Gustave Boulanger aurait peut-être pu être placé auprès de l’atelier de peinture de M. Alma-Tadéma ; c’est pourtant à dessein que nous le rangeons parmi les tableaux de genre; sans doute, la vie antique y est bien étudiée, et l’auteur a heureusement rendu le calme et l’insouciance de cet intérieur de femmes et d’enfants, où pénètre le chef de la famille,
grave et préoccupé ; mais l’impression générale manque de grandeur, on y cherche vainement un sentiment élevé, et le joli y est trop triom
phant pour qu’il soit possible de considérer ce gynécée comme une véritable œuvre historique.
VAtelier d’un peintre de fleurs de M Roux est, au contraire , de la peinture de genre, traitée sans aucune prétention, mais où, malgré la grâce
des détails, on sent l’habileté d’arrangement et la fermeté de facture de l’artiste accoutumé à aborder les grands sujets; nous trouvons, en effet, un peu plus loin, deux petits cadres du même auteur, qui contiennent les esquisses d’im
portantes peintures sur lave, qui décorent les murs de l’église de la Madeleine, à Rouen ; il faut voir en place dans leurs vraies dimensions cette Déposition de croix et cette Mise au tombeau, avec les tons pleins et fondus que leur donne la cuisson pouiyse rendre compte de l’effet produit par cette peinture aujourd’hui trop négligée; mais^ telles que nous les trouvons au Salon, les esquisses de M. Roux nous permettent déjà d’ap
précier, une fois de plus, le talent avec lequel il groupe tant de personnages, la justesse de leurs altitudes et de leurs mouvements, la simplicité de la couleur, la fermeté du dessin, la sévère ordonnance de toute la composition.
La vigueur de l’exécution est malheureusement un mérite trop rare parmi les peintres de genre; nous citerons, à titre d’heureuses exceptions,
Y Ambulance privée de M. Eugène Le Roux, la Veille d’une exécution capitale à Rome, de M. Sautai, la Triste recette, de M. Dumoulin;
tous les trois ont été médaillés par le jury; le dernier, entre autres, représente une troupe de musiciens ambulants qui piétinent dans la neige ; les habitants des maisons d’alentour ont trop froid pour ouvrir leurs fenêtres et le charivari des malheureux reste sans écho ; tous ces types de pauvres diables, s’efforçant de tromperie froid et la faim en souillant dans leurs instruments sont très-originaux et rendus avec beaucoup de
puissance ; auprès d’eux nous placerons la Jeune mère et le Nouveau serviteur de Mlle Alix Duval, qui fait chaque année de nouveaux progrès, et la Table et la Vérité de M. Pinel de Grandchamp,
grande toile qui eût gagné à être traitée dans de moindres proportions, mais où il n’est que juste de remarquer une Vérité d’un dessin très-pur et d’un très-beau modelé.
Sous le titre de la Proie, M; Marchai a peint un jeune homme endormi à la suite d’un souper,
et, auprès de lui, sa compagne debout, sûre de
sa victoire et fière de son succès ; sans insister sur la fausseté de ton qui éclate dans ce tableau, nous regretterons que M. Marchai s’abandonne
à de telles déclamations. Les Amateurs de bois sculptés de M. Zescel sont jolis sans doute; mais le faire en est bien sec ; il nous mène tout droit à la peinture sur porcelaine de M. Zambron, et de cette foule d’artistes qu’a produits la photographie.
L’Orient, comme toujours, a sa part au Salon de cette année ; il nous faudrait longtemps pour énumérer tous les intérieurs de harems, toutes les odalisques, tous les marchands de tapis et
d’esclaves qui encombrent le Palais des Champs- Elysées ; nous nous bornerons à citer les vues du Nil de M. Berchère, rendues avec beaucoup d’am
pleur, le Bivouac de chameliers, de M. Guillaumet, qui marche de bien près sur les traces de
M. Fromentin ; enfin une Promenade dans le
jardin du harem, de M. Pasini, et une Entrevue, de chefs métualis dans le Liban, du même au
teur, sorte de fantasia éclatante de couleur et de mouvement.
Pour d’autres la franchise de la lumière orientale est trop pleine et trop accentuée ; ils recher
chent les oppositions d’ombres, ils aiment les décolorations ou se plaisent à traduire les tons argentés de la nuit. ; pour ces derniers surtout,
le péril est grand ; à force de côtoyer le faux, ils y tombent souvent. Voyez le Retour du frère quêteur qu’on aperçoit dans une espèce de cave en contre-bas, dont les fenêtres ornées de car
reaux verts et rouges laissent filtrer à peine les rayons d’une lumière décomposée; l’effet trouvé par M, Sellier est juste sans doute, mais non sans
prétention. De même, dans Ia Pyrame et Thisbé de M. Delobbe, qui vient d’obtenir une médaille de seconde classe , le ton généra! est d’un bleuâtre qui manque de simplicité.
La Madeleine rencontrant Jésus pour la pre
mière fois, de M. Beaulieu, est un exemple encore plus frappant du danger qu’il y a à chercher la couleur pour elle-même, danger où M. Le
comte du Noüy s’est précipité cette année, sans que le succès justifie en rien tant de témérité :
sa Lune de miel, gondole où se laissent bercer deux amants du xvie siècle est une œuvre factice à tous égards; la restitution des costumes d’une époque ne saurait .dispenser l’artiste de certaines obligations élémentaires ; pas plus au xvie siè
cle qu’au nôtre, les nuits de Venise ne connurent les teintes blafardes que leur attribue M. Lecomte du Noüy, et partout il fallut toujours un air res
pirable pour respirer. Le Songe de l’eunuque Cosron, du même auteur, étant un sujet de pure imagination, on y excuserait plus volontiers la fausseté des colorations ambiantes, s’il n’y avait pas là un parti pris inadmissible de placer con
stamment des personnages vivants au sein d’une atmosphère de convention.
La Bouquetière de M. Saintin et le Jardin de Marguerite de M. Subiet peuvent se rapprocher du Jardin de la Marraine et des Premières Caresses de M. Firmin Girard; chez les premiers,
les deux jeunes filles sont entièrement effacées par l’éclat des fleurs qui les environnent ; chez le dernier, dont la palette est plus vibrante, tout est mis en relief, tout a une valeur égale; aussi,
malgré tout son talent, M. Firmin Girard ne réussit-il qu’à produire de magnifiques gravures de modes, mieux peintes seulement et plus ensoleillées que celles de ses rivaux.
M. Leloir a groupé habilement tous les petits personnages si fraîchement costumés de sa Fête du grand-père ; mais un des succès du genre est aujourd’hui à M. Adrien Moreau ; sa Représenta
tion japonaise, sa Noce au moyen âge, qui défile au milieu des épis mûrs, son interprétation d’un passage de Rabelais, sont sans doute des oeuvres où le dernier manque de fermeté; du moins,
l’agencement en est gracieux, et 11 couleur, sans rien qui paraisse voulu, toujours franche et heu
reuse. Ne quittons pas ce qu’on appelle le petit genre, sans nommer M. Yibert, toujours spiri
tuel, avec une nuance de sécheresse; M. Worms, dont la Vocation, premier essai d’une enfant es
pagnole, dansant à cinq ans comme marcherait une Anglaise, est d’un mouvement plein de na
turel ; M. Brillouin, qui continue à observer finement des types individuels, et qui expose un vieux fumeur et un vieux bouquinbte excellents;
enfin, M. Simon Durand, dont le Mariage à la mairie, où l’époux se fait attendre, est une pein
ture moderne, prise sur le vil, d’un comique sobre et juste, tout à fait amusant.
Signalons encore, avant d arriver au paysage, l҆Embarquement de Manon Lescaut, de M. Delort, le Dernier jour de vente, de M. Adan, médaillés tous deux par le jury; deux tableaux
pleins de gaieté et d’entrain, par M. Jules Noël, Pauvreté n’est pas vice, et II n y a pas de sot métier; puis, pour finir, le Marché à Anvers et la Lecture du décret du. ili février 1793 en Bre
tagne par M. Pille, d’une grande vérité l’un et l’autre et d’une puissante intensité d’effet.
Nous voici au paysage : peu d’efforts nouveaux à encourager, peu ou môme point de noms in
connus à mettre en lumière; en revanche, les anciens soutiennent dignement leur réputation et celle de l’école contemporaine, qui occupera
une place si considérable dans l’histoire de l’art du. xixE siècle. Il faudrait de longues descriptions pour passer en revue toutes ces études de la na
ture, les unes si larges d’aspect, les autres si élevées de sentiment, si consciencieuses pour la plupart, et l’espace nous manquerait bien vite; nous avons déjà parlé de Corot, si grand encore
dans l’œuvre de ses derniers jours ; que répéter sur le talent toujours si ferme de M. Harpignies; sur les inspirations si poétiques de MM. Benouviile, Busson, Gendron, Nazon, Français; sur les soleil- couchants de M. Courdouan; sur les ri
vières si finies et si éclairées de MM. de Mesgrigny et Lambinet, sur MM. César et Xavier de Cork, Bernier, Bodmer, Imer, Kœmmerer, Segé, Pelouse, Defaux, Vuiliefroy? Mentionnons seule
ment à part un effet de soir, très-beau et trèspuissant, de M. Desbrosses, l’élève et l’ami de Ghintreuil; une vallée et un lever de soleil par un temps de neige, très-réussis, de M. Karl Daubigny; enfin, les deux vues de la Seine, de M. Yon, pleines d’air et de lumière, œuvres tout à fait distinguées d’un artiste bien connu des lecteurs de Y Illustration, auxquelles, d’ailleurs, le jury a décerné une médaille.
Les marines sont moins nombreuses; nous retrouvons ici encore les noms de l’an passé : M. Lansyer, qui aime les vagues écumantes, M. Walhberg, avec ses effets de lune, M. Mesdag, toujours Hollandais, M. Masure, M. Courant, M. Van Hier et ses horizons infinis.
De même pour la peinture d’animaux, les anciens restent encore les premiers; M. Yran Marche est toujours l élève, presque l’émule de Troyon,
avec ses vaches normandes ; M. Ginain continue à tenir la corde pour les chevaux de poste et les chevaux de chasse, qu’il dessine avec le même soin, et auxquels il excelle à donner la vie et le mouvement; les chevaux de trait et, de labour de M. Veyrassat sont également étudiés avec con
science; les chiens de M. Jadin, les meutes de M. de Penne, les moutons de MM. Schenck,
Vayson et Palizzi n’ont pas davantage déchu de leur réputation, et les jolis petits chats de M. Lambert de sont pas près de cesser d’amuser la foule.
M. Philippe Rousseau, qui demeure égal à luimême dans ses fromages, se révèle sous un as
pect nouveau dans sa fable du Loup et de l’Agneau, représentée avec une simplicité très-juste et trèsvraie; MM. Bouvin et Vollon se sont rencontrés dans le même sujet, le cochon, qu’ils ont traité, l’un et l’autre, avec leur habileté consommée, sans réussir à en faire une image plaisante;
M. Bergeret, un nouveau venu, a obtenu une médaille pour des natures mortes; Mme Escaliier,
MM. Maisiat et Ghabal Dussurgey font assaut d’éclat et de velouté dans la peinture des fruits et des fleurs, tandis que M. Kreyder évoque le printemps dans ses lilas, l’automne dans ses raisins, l’été dans ses roses.
Si la place nous manque pour faire même une rapide excursion parmi les dessins, les aquarelles et les huit cents œuvres diverses qui en
combrent la galerie intérieure du Palais des Champs-Elysées, ayons du moins un mot pour un magnifique portrait de femme au pastel, signé de M°“ Carolus Duran : c’est le seul de tous les ouvrages de ce genre qui ait été récompensé par le jury; à ce titre, il mérite bien une exception,
et c’est un plaisir pour nous de retrouver ici le nom de la femme après celui du mari, réunis une fois de plus par le talent et le succès.
Francion.