SOMMAIRE.
Texte : Histoire de la semaine. — Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand — Nos gravures: La place de La Concorde,
par M. de Nittis; — L’Instruction obligatoire, par M. Karl
Schloesser ; — Inauguration du monument élevé à .1 -B. la Salle; — Centenaire de Boïeldieu ; — Chateldon; — Ratitication à Hué du traité d’alliance conclu entre la France et le royaume d’Annam. — Le Chaudron du diable, nouvelle, par M. G. de Cherville (suite). — Le Salon de 1875 (VI). — Revue financière de la semaine. — Chronique du Sport.
Gravures : L’Instruction obligatoire, d’après le tableau de
M. Karl Schloesser. — La place de la Concorde, tableau de M. de Nittis. — Statue du vénérable J,-B. de la Salle, inau
gurée à Rouen le 2 juin 1875. — Maison où est né Boïeldieu, à Rouen. — Les têtes de Rouen, données à l’occasion du centenaire de Boïeldieu, les 15, 14, 15 et 16 juin 1875 (9 sujets). — La France pittoresque : Chateldon. — Le traite d’alliance entre la France et l’empereur d’Annam : Audience royale donnée par le roi Thu-Duc à la mission française;
Echange des ratifications à la porte Ngo-môu, citadelle de Hué.


HISTOIRE DE LA SEMAINE


FRANCE
La nouvelle commission des Trente ne faiblit pas. Elle siège avec une régularité digne d’éloges et travaille avec une dévorante activité. La semaine der
nière elle examinait le projet sur les rapports des
pouvoirs publics aujourd’hui déposé sur le bureau de l’Assemblée. Cette semaine, elle a examiné le projet sur l’élection des sénateurs. Examiné, est-ce bien le mot? Approuvé serait mieux dit, car elle lui a fait subir si peu de modifications que ce n’est vraiment guère la peine d’en parler.
Ainsi, elle a sanctionné la disposition qui exige un intervalle d’un mois au moins entre le choix des dé
légués des communes et l’élection des sénateurs, et elle a maintenu : au maire ne faisant pas partie du conseil municipal la présidence de ce conseil pour l’é­ lection des délégués; au conseil de préfecture le juge
ment. des proie hâtions relatives à l’éleclion des délégués, en lui enlevant toutefois le droit de juger sans ressort ; au président du tribunal civil la présidence du collège électoral; au bureau du collège la nomination des présidents et scrutateurs de chaque section de vote. Si la droite modérée et le centre droit ne sont pas satisfaits de la nouvelle commission des Trente, nom
mée par les gauches, ils y mettront de la mauvaise grâce. Mais nous estimons que cela n’est pas à craindre. Aussi ne sommes nous pas très-rassurés sur l’ac
cueil final qui sera fait par l’Assemblée au projet dont nous venons de parler, car il nous semble difficile que T extrême gauche et une partie de la gauche, pour le moins, sanctionnent par leur vote une si flagrante violation de leurs principes. Cela n’est cependant pas impossible. D’ailleurs nous verrons bientôt : M. Christophle, nommé rapporteur de ce second projet, ap
portera certainement à l’accomplissement de sa tâelic la même célérité que M. Laboulaye, rapporteur du premier.
En atten lant, continuons de résumer les travaux de l’Assemblée.
Elle a d’abord discuté le projet de loi aux termes duquel l’application des décimes additionnels devait être étendue à divers droits de douane, contributions indirectes et timbre, non augmentés depuis 1870.
Les cinq premiers articles du projet ont été votés sans difficulté, mais il n’en a pas été de même de l’article 6 qui surtaxait le sel. Malgré les efforts opiniâtres de M. de Ventavon, il a cependant été adopté, et cela est vraiment méritoire de la part des gauches, à l’ap
proche des élections générales, car s’il est un impôt impopulaire, à coup sûr, c’est bien celui-là. Ces huit millions que gagne le Trésor à la surtaxe du sel se
ront sans doute chèrement payés devant l’urne par plus d’un de ceux qui l’ont voté. Après cet exploit héroïque, l’Assemblée s’est occupée du projet de loi re
latif au régime des prisons départementales. Depuis quarante ans on n’a cessé de demander que les pré
venus fussent soustraits à la promiscuité. C’est à ce vœu là précisément que la loi se proposait de donner satisfaction, au moins en partie. C’est un commence
ment et la Chambre a eu le bon esprit de l’adopter, malgré tout, dans sa teneur. Désormais les inculpés, prévenus et condamnés d’un an et au-dessous, seront séparés de jour et de nuit. Les condamnés à plus d’un an auront le droit d’opter entre la cellule et la prison en commun, mais la durée de la détention sera réduite d’un quart pour ceux qui auront choisi le régime cel
lulaire. En dernier lieu est venue la discussion de la loi sur la liberté de l’enseignement supérieur. On se rappelle dans quelles circonstances cette discussion avait été interrompue. Un amendement de M. Fournier, soutenu par le ministre de l’instruction publi
que, avait été pris en considération et la commission mise en demeure d’entourer de garanties plus fortes l’exercice de ce droit d’enseigner que le projet reconnaît aux individus et aux associations. Ces ga
ranties ont été formulées dans la rédaction nouvelle de la loi, dont, au moment où nous écrivons, l arti
cle 2 a été seulement adopté, mais avec un amende
ment de M. Chesnelong qui introduit non-seulement dans la loi en discussion, mais encore dans le sys
tème de notre droit public, une grave innovation. A
côté des communes et des départements, M. Chesnelong a demandé et obtenu qu’on inscrivît les diocèses,
et qu’on leur donnât la faculté d’ouvrir des cours ou de fonder des établissements d’instruction supérieure; c’était reconnaître leur personnalité civile, leur ac
corder le droit à la propriété, qui depuis 1840 leur avait toujours été refusé. Mais à certains indices, il est permis de croire dès aujourd’hui qu’à la troisième délibération ou l’amendement ou l’ensemble de la loi sera repoussé.
Notons encore, pour être complets, un incident qui s’est produit au cours de l’une des séances^ dont nous venons de parler. M. de Bourgoiug, élu député dans la Nièvre eu mai 1874, s’est plaint avec une certaine vivacité de ce que l’on n’avait pas encore statué sur son élection. C’était faire la parlie trop belle à qui de droit. En effet, n’a-t-il pas fallu que M. Tailhand eût été remplacé à la justice par M. Dufaure, pour que la commission d’enquête sur l’élection de la Nièvre reçût communication des pièces dont l’examen était indispensable, afin qu’elle pût statuer en con
naissance de cause? Du reste, le dépôt du rapport ne
se fera pas attendre; M. Albert Grévy, président de la commission, en a donné l’assurance à l’Assemblée.
En effet, ce rapport vient d’être déposé, et il conclut à l’invalidation de l’élection. La commission l’a ap
prouvé à l’unanimité, moins une voix, après quelque hésitation; mais finalement elle s’est rangée à cet avis « que les faits concernant l’élection de la Nièvre sont trop graves pour permettre de tenir compte de la situation créée par la suppression des élections partielles ».
On annonçait dernièrement qu’une grande manifestation catholique allait avoir lieu à l’occasion de la bénédiction et de la pose de la première pierre de l’église du Sacré-Cœur à Montmartre. De nombreux pèlerins, accompagnés de tous les prélats de France, devaient, disait-on, arriver à Paris, dont ils traverse
raient proccssionaellement les rues. La nouvelle était prématurée. Un mandement de M. le cardinal-arche
vêque de Paris vient de régler que, le 46 juin, on se bornerait simplement à poser la première pierre de l’église. M. Guihert présidera à cette cérémonie, as
sisté de son chapitre métropolitain, et il invite les
prélats résidant à Paris et les curés, que 1rs soins de leur ministère ne retiendraient pas, à y assister. Quant à la « consécration de la France au Sacré-Cœur »,
elle aura lieu seulement lors de l’inauguration de la crypte de l’église, ce qui renvoie la cérémonie à deux ou trois ans pour le moins. C’est un peu loin, croyonsnous, pour 1 époque où nous vivons.
Terminons par une douloureuse nouvelle : celle de la mort de M. de Rémusat, qui a succombé le 5 juin à la maladie dont il était atteint depuis quelques jours.
M. Charles de Rémusat était né en 1797. A peine reçu avocat, il publia des travaux politiques et de législation fort estimés, entre autres un traité De la procédure par jurés en matière criminelle, qui eut l’hon
neur, quelques années plus tard, d’être traduit en espagnol. Puis il collabora, de 1820 à 1830, à diverses feuilles libérales du temps. En juillet, il signa la pro
testation des journalistes ; et, la révolution accomplie, il fut élu député par la ville de Toulouse. Il suivit d abord la ligne de conduite de l’école doctrinaire, mais bientôt après, il passa à l’opposition et y resta jusqu’à la chute de la monarchie de Juillet. Eloigné
momentanément de France, après le coup d’Etat du 2 décembre, il rentra dans la vie privée et n’en sortit, après 1870, que pour se vouer corps et âme à la ré
paration des désastres subis par la France et à la libé
ration de son territoire. Publiciste, député, soussecrétaire d’Etat, ministre, philosophe et écrivain, M. de Rémusat a laissé dans tous les champs de l’ac
tivité humaine la marque toute personnelle d’un es
prit élevé, délicat et libéral. Aussi, l’Assemblée, l’Académie, française, la politique et les lettres res
sentiront-elles cruellement la perte qu’elles viennent de faire en sa personne.
Les obsèques de M. de Rémusat ont eu lieu mardi dernier.
ÉTATS-UNIS.
Le président Grant vient de faire une déclaration que ses amis politiques, dit le Mémorial diplomatique, attendaient de lui depuis longtemps.
Al’occasiond’unerésolution vofée’parla Convention républicaine de Philadelphie, siégeant en ce moment pour choisir les candidats deson parti aux fonctions de l’Etat, et qui s’est énergiquement prononcée contre le principe de la troisième élection d’un même président., le général Grant a adressé une lettre au prési
dent de la Convention, par laquelle il décline toute candidature future.
« Je ne suis ni n’ai jamais été candidat pour une réélection, dit-il. Je n’accepterais pas une nomina
tion, si elle m’était offerte, à moins quelle ne le fut dans des circonstances qui en fissent un devoir im
périeux, circonstances qu’il n’est pas probable de voir surgir. »
Cette espèce de réticence, qui termine la lettre du président, explique jusqu’à un certain point le long silence qu’il a gardé sur celte question brûlante d’une troisième réélection. Il se réservait d’accepter une troisième candidature pour le cas où elle serait utile au pays. Aujourd’hui il juge que le pays peut s’en passer, et, dès lors, il la décline. Il faut le féliciter d’être arrivé à cette conclusion, car la croyance qu’il pourrait de nouveau briguer les suffrages de ses amis
politiques a beaucoup contribué à affaiblir le parti républicain. Cette déclaration du général Grant est donc faite pour donner à son parti un nouvel élan, et imposer aux démocrates autant de circonspection que d’activité, s’ils ne veulent perdre le fruit des victoires qu’ils ont remportées depuis huit mois.
On le sait maintenant partout, même en Chine, même à Zanzibar, dimanche dernier a été un grand jour pour le monde cheval. La France l’a emporté sur l’Angleterre. Ce qu’on a fait en
tendre de vivats sous les acacias du bois ne saurait se dire. Trois chevaux appartenant à MM. Lu
pin, le comte de Lagrange et M. Schickler ont été chaudement et très-légitimement acclamés. En particulier, Salvator a été applaudi à trois reprises, à la manière d’un acteur que le public prend plaisir à rappeler sur la scène. Rien ne manquera plus à la gloire de Salvator. Déjà vainqueur du Derby, à Chantilly, il vient de ga
gner le grand prix de Paris à Long champs. Ainsi donc il aura renouvelé en 1875 l’exploit jus
qu’alors demeuré unique de Boïard, vainqueur en 187.) des mêmes courses. Une popularité ef
frénée commence pour ce triomphateur. Les photographes se disputent sa tête. Celte même tête, on la pétrit en terre glaise; on va la tirer en or à 200 000 exemplaires. Elle servira alors de bracelets ou de pendants d’oreilles aux femmes à la mode.
Rarement la foule aura été plus nombreuse ou plus brillante. On se serait cru à une grande revue. Les Anglais ont été vaincus sur le turf, d’accord. A l’accueil sympathique qu’ils ont reçu de tous côtés, on a bientôt vu que la défaite ne devait pas trop leur peser. Dans les groupes, où l’on ne s’occupait naturellement point de politique, personne n’avait oublié quelle main bienveillante nos voisins d’outre-mer nous ont récem
ment tendue au milieu de circonstances difficiles.
Peut-être dira-t-on ; « Les courses, voilà une cause bien frivole de rapprochement. » Laissez dire ; voyez le résultat. Les liens de fraternité qui nous rattachent à d’anciens alliés deviennent de plus en plus solides. Quand même elle n’aurait servi qu’à rendre ce fait plus manifeste, il faudrait encore se féliciter de cette belle fête hippique.
Une remarque, en passant, à propos des arbres.
Avant la désastreuse entreprise de 1870, le bois était un des principaux attraits de Paris. Demandez aux dix millions d’étrangers qui sont venus nous voir en vingt-cinq ans : il n’y a qu’une voix là-dessus. Hélas! nos massifs se remettent bien lentement des suites de la guerre. Tailladé, coupé,
défiguré de la manière la plus inepte, ceux qui l’avaient fait mutiler avaient promis de le faire replanter, du moins dans ses contours. Les pro
meneurs constatent avec tristesse qu’il n’en est rien. On a bien mis quelques boutures d’ormes


Courrier dePARIS