NOS GRAVURES
La place de la Concorde”, par M. de Nitti
M. de Nitlis s’est fait, depuis quelques années, une place à part parmi les plus habiles peintres de genre ;
il réunit le mérite de l’observation à une rare finesse d’exécution. Si petits que soient ses personnages, ils sont toujours vivants et pris sur le vif; ils ont surtout le mérite exceptionnel d’être franchement modernes, sans jamais ressembler à des gravures de modes.
Voyez tout ce monde qui va et vient entre la rue Royale et le Corps législatif, entre le jardin des Tuile
ries et les Champs-Elysées, comme il a bien froid,
comme il est bien mouillé, et tout cela sans que la vaste perspective de la place de la Concorde en soit aucunement diminué : c’est le mouvement parisien saisi au passage, rendu avec toute sa vivacité, toute son infinie variété ; la fermeté de la touche, la préci
sion du dessin, l’harmonie de l’ensemble, tout y est, tout concourt en faire un charmant et excellent tableau.
“L’instruction obligatoire”, par
M. Karl Sehloesser
La scène se passe au village, dans la cour d’une ferme quelconque. Deux bambins et une vieille femme, voilà les personnages. Les enfants sont nantis de tout leur attirail de classe : cartons, livres,
cahiers. Mais ils ne semblent nullement pressés de se rendre à l’école. L’un deux témoigne même fran
chement de sa répugnance, en pleurant à chaudes larmes. Ils avaient sans doute quelque bonne partie de billes engagée quand l’heure a sonné, ces parti
sans un peu trop froids de l’instruction obligatoire,
et il a fallu tout laisser là. Non qu’ils aient entendu chanter le coucou; ils avaient bien l’esprit à cela, vraiment ! Mais il y avait une oreille tendue qui écou
tait pour eux : celle de la grand’maman, une de ces
vieilles qui, comme celle de la fable, n’a jamais eu de plus pressant souci que celui de distribuer aux autres leur tâche. Et vite elle est accourue interrompre la bonne partie. Les bambins s’éloignent donc, mais à pas lents et non sans tourner de temps en temps la tête. Mais la grand’maman est toujours là, un poing surlahauche, appuyée d’une main sur son balai. Oh!
ce balai ! L’épée flamboyante du chérubin placé à la porte du paradis a-t-elle jamais eu un aspect si formidable?
Inauguration du monument élevé à
J. B la Salle
Le 2 juin a eu lieu à Rouen l’inauguration du monument du vénérable J.-B. de la Salle, le fondateur des écoles des Frères.
Il était né en 1651, à Reims, où il avait fait ses premières études, puis il était entré au séminaire de Saint-Sulpice. C’est à Reims, à Laon, à Rethel et à Paris qu’il fonda ses premières écoles. Appelé à Rouen en 1705, il s’y rendit avec quelques frères, et bientôt après il y dirigeait cinq écoles florissantes, car le succès raccompagna dans toutes ses créations. Devenu vieux et infirme, J.-B. de la Salle se fixa dé
finitivement dans le célèbre pensionnat de Saint-Yon,
qu’il avait également fondé, et il y mourut le 7 avril 1719. Il fut inhumé dans la chapelle Sainte-Suzanne de l’église Saint-Sever, d’où ses restes furent trans
portés, d’abord, en 1734, dans la nouvelle chapelle de Saint-Yon, puis, en 1835, à l’Ecole normale de Rouen, rue Saint-Lô.
Le monument élevé à J.-B. de la Salle est le produit d’une souscription publique. On l’a érigé place Saint-Sever. Il s’élance du milieu d’un bassin et repose sur un soubassement formé d’une vasque circulaire divisée en quatre parties égales par des piédes
taux supportant quatre dauphins. Au-dessus de l’orifice des jets d’eau, les armoiries des villes de Rouen, de Reims, etc., s’encadrent dans des car
touches entourés de branches de laurier. Sur deux faces sont disposées des inscriptions sur marbre rouge, rappelant, l’une, la date de la naissance et de la mort de la Salle, l’autre la fondation des écoles des Frères. Les deux autres faces portent des bas-reliefs
représentant le roi d’Angleterre Jacques II visitant les écoles de la Salle, et la Salle secourant les malheureux et les infirmes. Aux quatre angles se trouvent quatre statues d’enfant personnifiant la Lec
ture, la Prière, l’Ecriture et le Calcul. Enfin la statue de la Salle domine le tout. Ce très-remarquable groupe est l’œuvre de M. A. Falguière, ainsi que les statues d’angle et les bas-reliefs. L’ensemble du pro
jet est dû à M. de Perthes, et la sculpture décorative et l’ornementation ont été exécutées par M. Legrain.
L’inauguration de ce monument, qui a eu lieu,
comme nous l’avons dit, le 2 juin, avait attiré à Rouen une foule énorme. Il va de soi qu’assistaient à cette fête tous les élèves des écoles des Frères de Rouen,
et des députations des écoles de Paris, du Havre, de Dieppe, de Beauvais, d’Amiens, de Reims et d’Elbeuf.
La cérémonie a commencé par une messe en musique célébrée à la cathédrale. Après le panégyrique du héros de la fête, prononcé en chaire, a été exécutée une cantale de Gounod, composée pour la circon
stance, et qui a été d’un effet saisissant. La partie la plus intéressante de la fête s’est passée sur la place SainbSever, où d’élégantes tribunes avaient été éle
vées près du monument. Plusieurs discours ont été prononcés par l’archevêque de Rouen, le préfet, le maire de Rouen, le chef dü cabinet du ministère de l’instruction publique, etc. Puis les élèves des Frères chantèrent une nouvelle cantate, de M. C. Vervoitte, chant vraiment populaire, à la musique entraînante et bien rbythmée, qui a produit la plus vive impression.
Finalement, on a procédé à la bénédiction du monument ; l’eau s’est échappée de la fontaine, chargée de couronnes de fleurs ; la cérémonie était terminée.
Centenaire de Roïeldieu
La ville de Rouen s’apprête à célébrer avec éclat le centenaire du célèbre auteur de la Dame blanche.
Quatre jours doivent être consacrés à cette solennité : les 13, 14, 15 et 16 juin prochain, et ces fêtes commenceront au moment même où paraîtra ce nu
méro. On nous promet qu elles seront splendides et nous le croyons volontiers. On en jugera par ce simple aperçu de programme :
Premier jour, concert devant la statue de Boïeldieu, puis retraite aux flambeaux avec station devant la maison où est né le grand musicien, cette modeste
maison à deux étages, ayant pignon sur la rue aux Ours, avec un grand toit de tuiles rouges, et que re
présente l’un de nos dessins. Deuxième jour, concours d’orphéons, d’harmonies et de fanfares, distribution solennelle des prix sur la place de l’hôtel de ville, feu d’artifice, danses et illumination générale. Troi
sième jour, ascension du ballon la Muse, carrousel
par le 12e chasseurs, représentation de gala au théâtre des Arts et fête Vénitienne avec concert sur la Seine. Quatrième, jour, messe en musique à la cathédrale, et le soir, au théâtre du Cirque grand fes
tival composé exclusivement d’œuvres de Boïeldieu, donné avec le concours de Ml e Miolan-Carvalho, et qui se terminera par une cantate d’Ambroise Thomas en l’honneur de Boïeldieu.
En attendant, toute la ville est en mouvement, et la foule ne cesse d’y arriver de toutes parts, encom
brant les hôtels, les restaurants et les rues où elle va admirer les nombreux arcs de triomphe dressés à tous les coins de la cité, et dont les dessins, que nous publions dans notre page du milieu, donneront une idée au lecteur. C’est l’arc de triomphe de la rue Jeanne-d’Ârc, largement exécuté dans le style de la Renaissance; celui de la rue aux Ours, de moindre importance ; la porte du Mont-Riboudet, bâtie dans
le genre oriental; Tare de triomphe du Pont-de- Pierre, constellé de guirlandes et de transparents ; la porte de la rue de la République, couverte de lierre et de fleurs grimpantes; les portes Saint-IIilaire et
Cauchoise, représentant l’une et l’autre une ancienne porte de Rouen, comme celle de la place du Vieux- Marché, représentant une enceinte fortifiée, composée de grosses tours reliées par des courtines, et bien d’autres constructions curieuses ou charmantes sur lesquelles nous comptons bien revenir dans notre prochain numéro.
Chateldon
Chateldon est une très-curieuse petite ville du département du Puy-de-Dôme, bâtie presque sur la lisière du département de l’Ailier, au pied de montagnes taillées à pic.
Un ruisseau l’arrose : le Vauziron.
L’aspect de cette petite ville est saisissant. En pénétrant dans ses rues étroites, tortueuses et escarpées, on se croirait transporté en plein moyen âge. Ses mai
sons, percées de fenêtres étroites et assez rares, sont pour la plupart en bois, et leur charpente apparente en fait presque toute la décoration. Les étages sont placés en encorbellement les uns au-dessus des autres,
ceux du dessus débordent sur ceux du dessous et forment abri sur les rues.
Tout rappelle cette époque éloignée à Chateldon : son église, sa tour de l’horloge, les débris de ses vieilles fortifications, surtout son château, vieux ma
noir aux murs de 20 mètres de hauteur, couverts de lierre, et qui a dû braver plus d’un assaut. Il a encore sa tour d’observation cl où 1 on pouvait apercevoir de. loin l’ennemi. En effet, du haut de cette
tour, la vue, plongeant librement au loin, plane sur une partie delà Limagne et découvre jusqu’aux cimes dentelées des montagnes de l’Auvergne.
Ratification à Hué du traité d’alliance conclu entre la France et le royaume d’Annam
AU DIRECTEUR.
Saigon, le 25 avril 1875.
Un traité d’alliance passé entre la France et le royaume d’Annam (Cochinchine), le 15 mars 1874, vient d’être ratifié à Hué, capitale de l’Annam.
La mission diplomatique formée dans ce but à Saïgon se composait de MM. le baron Brassard de Corbigny, capitaine de vaisseau, envoyé extraordinaire ; Régnault de Prémesnil, capitaine de frégate, deuxième envoyé ; de MM. les lieutenants de vaisseau Brassard
de Corbigny et Blouët, et de M. Prioux, interprètetraducteur, attachés. Ajoutons 2 officiers et 35 hommes formant l’escorte.
Le 8 avril, les envoyés arrivaient à Touranne, sur le Duc h a/faut et l’Antilope, et le 9 ce dernier aviso prenant a son bord tout le personnel remontait la petite rivière de Hué. Le lendemain, les barques du roi venaient chercher les ambassadeurs et les condui
saient près de la résidence préparée pour eux en face de la citadelle sur la rive droite.
Au débarcadère, une députation de mandarins les attendaient entre deux rangées de soldats annamites, porteurs de lances à drapeaux triangulaires. Le cof
fret contenant le traité, suivi de la mission et de l’escorte, fut ainsi conduit à la résidence des ambas
sadeurs, où au jour et à l’heure fixés pour l’échange des ratifications, une députation de mandarins vint prendre ces derniers avec 1 s parasols jaunes, cou
leurs du roi, et les hamacs rouges, apanage des hauts dignitaires.
Ces hamacs, soute us par une traverse ornementée, sont portés par deux ddats ; un troisième tient ou
vert le parasol, insig le de haut grade. L’exemplaire français du traité, v ré sur une table rouge ad hoc, portée par quatre c ;urs du roi, prit la tête du cor
tège, entouré de m re parasols jaunes, signe qu’il était destiné au roi Pour les ambassadeurs, portés dans les hamacs, ils suivirent le traité jusqu’aux jon
ques du roi, où l’on plaça dans une barque à part la pièce officielle. Bientôt après ils débarquaient au pied des murs de la citadelle de Hué, et, entre deux haies de soldats porte-drapeaux, ils franchissaient la première enceinte, mur d’une trentaine de mètres d’é­ paisseur, terre et pierre, défendu par un fossé profond.
La citadelle annamite est carrée. Chaque face, longue de 3 kilomètres, est bastionnée et défendue par quelques canons. Elle donne asile aux seuls employés de l’Etat, de tout grade, aux soldats, aux man
darins, et bien entendu au roi et à ses nombreuses femmes, dont la résidence est inaccessible pour tous.
Après avoir franchi la première porte, les ambassadeurs traversèrent une Vaste esplanade encombrée de lettrés des derniers grades, petits employés du roi. Bientôt après, ils firent halte dans un local réservé, tendu en rouge, où le thé les attendait. Presque aus
sitôt un cortège semblable au leur, conduit par deux mandarins annamites en grand costume, vintsejoindre à eux avec l’exemplaire annamite du traité. Les textes ayant alors été vérifiés une dernière fois furent repla
cés sur les tables, que le cortège suivit jusqu’à la porte appelée Ngo-môn, entrée de la deuxième en
ceinte. Là, entre plusieurs hai?s de soldats bariolés, au milieu de porteurs de brûle-parfums, d’écrans, de drapeaux de toutes couleurs, les premiers envoyés desdeuxnationss’avancèrentl’un versl’autreet échangèrent les exemplaires du traité (premier dessin).
Tout ceci n’était que le prélude de la solennité du lendemain. Le soir même, en effet, les mandarins des rites venaient instruire les ambassadeurs français des usages à respecter devant le roi. Les rites constituent à Hué un ministère plus important que celui de la guerre. Il est chargé de garder intacts, de faire observer au roi lui-même à l’occasion, les us et cou
tumes sacrés, les traditions si scrupuleusement suivies par tous les peuples de l’extrême Orient. Les rites par leur veto ont empêché bien des progrès danstoutes les mers de Chine.
Donc, le 14 avril au malin, la mission française en grande tenue, comme la veille., fut conduite dans
les hamacs de gala à la porte Ngo-môn, où se voyait, comme la veille, une double haie de portedrapeaux, de porte-écrans, d’encenseurs, etc., auxquels on avait ajouté deux rangées d’éléphants capa
raçonnés de mille couleurs et porteurs de leurs chaises de promenade. Autour d’eux de longues files de lances agitaient au vent leurs banderoles de toutes couleurs, et au milieu de la place, entre ces deux baies de colosses, se trouvaient les voitures du roi, entourées de parasols jaunes. Ces voitures, faites évi