demment sur les formes Louis XVI, remontent par leur aspect au moins à l’époque où i’Annam recevait de France les premières idées sur bien des choses inconnues jusque-là.
Les ambassadeurs pénétrèrent alors dans la deuxième enceinte, construite et défendue comme la première, et dont l’entrée était gardée par deux énormes éléphants du roi, superbement harnachés de jaune à dragons brochés, et ayant les défenses et les pieds cerclés d’or.
Là, nouvelles haies de drapeaux, de soldais à boucliers ou à fusils à pierre, et enfin, adossés à la troisième enceinte, un groupe de mandarins devant les
quels passèrent les ambassadeurs pour aller attendre dans un local voisin le moment de l audience. Dix minutes après, deux hauts mandarins en grand cos
tume de soie brochée, bonnets à ailettes en tête, vinrent les prendre et les conduire, mais sans leur escorte, dans la troisième enceinte. Iis traversèrent alors une cour remplie de musiciens porteurs d instruments bizarres : cymbales en forme de trèfle, vio
lons à une corde, claquettes de bois, cornemuses d’ivoire; puis, après avoir passé sous une grande porte à battants rouge et cr, ils pénétrèrent enfin dans la cour de réception.
Dans cette cour, sur deux rangs, le long des faces opposées du vaste carré, se tenaient immobiles plus de 200 grands mandarins du roi, vêtus de leur grand costume brodé de dragons et de tortues, coiffés du chapeau à ailetles et chaussés de bottes à la chinoise.
Derrière eux, sur quatre .rangs, des gens du roi portaient des écrans, des c!?l’Sse-mouches, des ban
nières de toutes couleurs UJnQ nombre si grand que les murs de la cour en étà/rft masqués. Tout à coup un grand cri suivi de confis de canon retentit, une porte s’ouvre et le roi ThJ? Duc vint s’asseoir sous la galerie couverte formantde troisième côté de la cour, en face de la porte d’entrée.
Aussitôt le ministre des rites se prosterna devant le roi, demandant la permission d’introduire en audience les ambassadeurs, qui prirent alors place sur des tapis carrés préparés eu face du roi (deuxième dessin). Tous les membres de la mission saluèrent du chapeau, et l’envoyé extraordinaire prenant la parole au nom du président de la [république française, demanda des nouvelles du roi, lui présenta le grand cordon de la Légion d’honneur, puis la liste ries cadeaux de noire gouvernement.
Le roi remercia en quelques mots, et ses paroles répélées à haute voix de l’estrade royale par un grand dignitaire des rites, furent aussitôt traduites par l’in
terprète de la mission. Puis, après de nouveaux saluts, les ambassadeurs se retirèrent avec te même cérémo
nial qu’à l’arrivée et firent une nouvelle halle hors de la troisième enceinte, pendant laquelle, en prenant le thé, ils reçurent un messager du roi qui faisait de
mander des nouvelles personnelles de la mission, distinction non prévue qui est du meilleur augure.
Le roi Tliu-Duc n’a eu occasion de donner que deux fois, pendant ses vingt-huit ans de règne, de
pareilles entrevues à des Européens. Cette fois le traité qu’il vient de contracter avec la Franco recon
naît nos possessions en basse Cochinchine. Ce traité deviendra pour l’Aunam un commencement de relations commerciales avec l’Europe. Bientôt une con
vention ouvrira trois ports de ces côtes, jusqu’ici her
métiquement fermées, aux négociants d Occident. Les missionnaires ne seront plus inquiétés ; notre appui fortifiera le royaume, et les envois des navires et des armes qui lui seront donnés par la France le mettront à même de réprimer la piraterie sur ses côtes. De plus, la France aura à Hué et dans trois ports du royaume des représentants chargés des intérêts de nos nationaux. Enfin, l’Annam enverra des consuls à Saïgon et à Paris. . X...


LE CHAUDRON DU DIABLE


NOUVELLE


(Suile)


Alors M. de Tanearville lui raconta brièvement la scène dont il avait été le témoin, mais en taisant soigneusement la part qu’il y avait prise, en laissant tous les bénéfices du salut de la jeune fille au pauvre chien qui avait été la victime de son dévouement.
Tout en parlant, il remarquait chez M. de Chastel-Chignon une préoccupation complètement étrangère à l’événement, et assez extraordinaire en raison de la gravité de celui-ci.
Lorsque, en arrivant sur le promontoire, il avait aperçu sa fille pâle et froide, étendue sur le gazon, le châtelain de Colleville s’était montré vraiment père ; il avait eu des larmes dans les yeux, dans la voix ; si sa physionomie était ordi
nairement triviale, par son expression et par l’empâtement graisseux qui la caractérisait, transfigurée par la douleur, elle avait été momentanément touchante; mais cette manifestation de sen
sibilité avait été bien fugitive. Aussitôt qu’il avait pu s’assurer que l’accident de Denise n’aurait pas de suites graves, il avait visiblement été envahi par des inquiétudes qui n’avaient plus l’état de la jeune fille pour unique cause.
C’était avec quelque stupeur qu’il avait semblé reconnaître l’endroit où il se trouvait, puis ses
yeux s’étaient arrêtés sur un brick que l’on voyait à une lieue au large, courant des bordées pour se maintenir dans le vent; il n’avait pu retenir un geste de désappointement, et depuis lors, partagé entre les soucis de sa tendresse pater
nelle et une autre pensée qui paraissait lui être importune, il était en proie à une agitation bizarre. Tantôt il s’agenouillait auprès de son enfant, il la soulevait dans ses bras, il l’appelait des noms les plus doux, et tantôt se rele
vant, il allait et venait, gourmandait ses gens,
accusant la lenteur de celui qu’il avait envoyé chercher des moyens de transport à Colleville, maudissant cent fois son oncle de Bourguebus, dont le retour lui aurait été si funeste, suppu
tant les pertes, les dépenses que l’intervention de celui-ci dans ses affaires allait lui causer, et cela avec un accent lamentable qu’Harpagon n’eût pas désavoué, et qui certainement, en
d’autres circonstances, eût provoqué plus d’un sourire. »
M. de Tanearville le considérait avec étonnement.
Lorsque l’officier eut terminé son récit, un des valets se dirigea vers l’endroit oû les terres éboulées marquaient l’emplacement de la chute, et se penchant sur l’abîme, il jeta un regard au bas de la falaise sur laquelle, en ce moment, les vagues déferlaient avec fracas ; mais aussitôt M. de Chastel-Chignon, se précipitant vers cet homme, le saisit par le bras et le rejeta brusquement en arrière.
— Que voulez-vous voir, imbécile? s’écria-t- il d un ton menaçant, la mer est dans son plein ; en supposant que ce cheval — ce misérable che
val, un cheval de soixante pistoles, et qui sont à payer encore ! — ne se soit pas brisé dans sa culbute, n’est-il pas noyé, cent fois noyé, à présent?
— Sans doute, monsieur, répondit le valet; mais un chien peut se tirer d’affaire par une mer encore plus dure que celle-ci; celui de M. le chevalier est une bête intrépide, et j’avais pensé...
Le châtelain ne le laissa pas achever, et cette phrase servit de texte à des récriminations beaucoup plus violentes que les précédentes ; il re
procha aigrement à cet homme de s inquiéter d’une aussi misérable bête, lorsque son maître avait à regretter la perte d’animaux d’une valeur autrement considérable.
Pendant qu’il donnait un libre cours à ses ressentiments, Denise revint à elle ; elle souleva sa tête allanguie, passa à plusieurs reprises sa main sur son front, et ouvrant les yeux, elle aperçut M. de Tanearville. Un cri étouffé échappa à sa poitrine; son regard appela le jeune homme; celui-ci s’étant approché, elle lui tendit la main ;
en même temps, les larmes jaillissaient de ses paupières et ruisselaient sur ses joues; suffoquée par les sanglots, elle fut quelque temps sans pouvoir articuler une parole.
— Vous êtes vivant, Dieu soit béni, s’écria-t- elle ; si votre générosité vous avait coûté l’existence, jamais je ne m’en serais consolée!
Elle avait prononcé cette phrase avec simplicité, mais avec un tel élan de reconnaissance, que, malgré les préventions qu’il nourrissait,
M. de Tanearville se sentit remué jusqu’au fond de l’âme.
— Et Caporal, oû est Caporal? reprit-elle avec vivacité.
Tout le monde garda le silence.
— Hélas! mademoiselle, lui dit l’officier, il faut espérer que la Providence lui aura fait la grâce d’une courte agonie.
La jeune fille fit un effort, parvint à s’asseoir sur le gazon et joignant les mains :
— Ah ! mon Dieu ! s’écria-t-elle, quel chagrin pour mon pauvre oncle.
Et, sans s’arrêter à l’impatience que manifestait M. de Chastel-Chignon :
— Mon père, mon bon père, ajouta-t-elle, c’est à ce brave chien que vous devez de ne pas revenir au château avec le cadavre de votre fille ;
a-t on fait tout ce qu’il était possible pour le sauver? Peut-être se sera-t-il accroché à quelque rocher; peut-être a-t-il lutté contre les vagues; je vous en conjure, mon père, promettez cinq louis, promettez dix louis à qui tentera de nous le ramener.
Le piqueur et les valets s’avancèrent de nouveau vers la falaise ; un geste impérieux de M. de Chastel-Chignon les arrêta.
— Le premier qui fait un pas sera chassé, s’écria-t-il.
Alors, s’abandonnant à un incroyable emportement, il reprocha durement à sa fille la faiblesse avec laquelle elle avait cédé aux conseils de M. de Bourguebus, et les ruineuses fantaisies qui en avaient été la conséquence.
La présence de M. de Tanearville, celle des domestiques, rendait l’épreuve bien cruelle pour la fierté de la jeune fille ; rouge de honte, dévorant ses larmes, elle n’en oublia pas moins l’hu
miliation qu’elle subissait pour revenir à la charge, pour supplier son père de s’assurer du sort de Caporal.
Touché de son désespoir, M. de Tanearville intervint; s’adressant à Denise il lui représenta que l’état de la mer rendait toute espérance bien incertaine, mais il lui promit de sonder les anfractuosités des rochers et de voir si, par un miracle, le chien n’aurait pas survécu.
Cette promesse parut redoubler la mauvaise humeur de M. de Chastel-Chignon; il ordonna à ses gens de coupler ce qui restait de la meute,
à deux d’entre eux, de prendre sa fille entre leurs bras, et gourmandant leur lenteur, il les dirigea vers la voiture que l’on apercevait dans le lointain.
M. de Tanearville resta seul sur le promontoire. Il regardait le groupe s’éloigner lentement à tra
vers la lande, lorsque, à sa grande surprise, il s’aperçut que M. de Chastel-Chignon ne faisait pas un pas sans se retourner pour l’observer,
puis il le vit revenir sur ses pas et se diriger vers lui.
— Monsieur, lui dit le châtelain, je serais désespéré qu’un caprice de ma fille devînt le pré
texte d’un nouveau malheur ; la nuit vient, vous avez pu apprécier tous les dangers de la falaise, il serait d’autant plus sage à vous de ne pas pousser plus loin vos investigations que vous svvez aussi bien que moi qu’elles seraient vaines.
En parlant ainsi. M. de Chastel-Chignon tournait obstinément les yeux du côté de la mer et, en suivant la direction du regard de son interlo
cuteur, l’officier reconnut que le brick dont nous avons parlé s’était rapproché de la côte et lou
voyait à une demi-douzaine d’encâblures ; mais l’idée ne pouvait lui venir d’établir une corréla
tion, quelle qu’elle fût, entre la singulière insistance du père de M e Denise et les mouvements de ce bâtiment inconnu.
G. DE CllERVILLE.
( La suite prochainement. )
M. Louis Ernest, le célèbre dentiste américain, dont les salons de la rue de la. Chaussée-d’Antin, 24, ne sont fré
quentée que par le monde le plus distingué de- Paris, vient d’obtenir la liaute clientèle de la cour impériale-royale d’Autriche-IIongrie, avec l’autorisation de prendre le titre de dentiste de cette cour. Cette distinction était bien due au mérite si rare de l’habile opérateur qui, comme on sait, pose dents et dentiers sans crochets ni ressorts, par un système perfectionné, inconnu en Europe.