SOMMAIRE.
Texte : Histoire de la semaine. — Courrier de Paris, par M. Philibcrt Àudebrand — Nos gravures : Le paysage au Salon,
Le concours des écoles libres de Paris, à l’Orangerie du Luxembourg. — Le Chaudron du diable, nouvelle, par M. 0. de Cherville (suite). — Chronique du Sport. — Revue financière de la semaine. — Variétés : De la langue populaire et de deux vieux mots. — Revue littéraire. — Faits divers. — Echecs, Rébus.
Gravures : Les fêtes de Rouen : Décoration de la statue de Boïeldieu; — Monument élevé à la mémoire du vénérable de la Salle, sur la place Saint-Sever; — La retraite aux flam
beaux, sur le cours Boïeldieu; — Tribune du jury pendant le concours des orphéons. — Autriche : l’inauguration du nou
veau lit du Danube, à Vienne. —Choix de paysages (2e serie). — Monument élevé à la mémoire de J. Janin, dans le cimetière d’Evreux. — La défense des nouvelles frontières de 1 Est; _ Le chemin de fer incliné servant au transport des
matériaux de construction du fort Salbert, à Belfort. — Le concours des écoles libres de Paris, dansl Orangerie du Luxembourg.
HISTOIRE DE LA SEMAINE
FRANCE
Le rapport de M. Laboulaye sur le projet de loi organique relatif aux rapports des pouvoirs publics, a été lu, imprimé et distribué aux députés. C’est un court et substantiel résume des délibérations de la commission.
Un mot de ce document :
Après avoir rappelé le caractère complémentaire de la loi et établi que la plupart des articles qu’elle ren
ferme étant des règles depuis longtemps connues et appliquées chez tous les peuples libres, ne pouvaient prêter à de longues discussions, M. Laboulaye dit qu’en conséquence la tâche de la commission s’est réduite à quelques corrections du texte primitif et à l addition de certaines dispositions oubliées dans Je piojet.
Un seul point l’a arrêtée, celui qui concerne la convocation et la prorogation du parlement. La commis
sion a accorde au président le droit de dissolution,
mais le projet demandait plus. Il réclamait celui de convoquer, de proroger et d ajourner au besoin les Chambres. Il décidait en outre que, chaque année,
la session ordinaire serait de cinq mois au moins et qu’à l’expiration de ce terme légal le président pour
rait faire la clôture de la session. Droit nouveau dans une république, où la délégation de la souveraineté nationale a toujours reposé jusqu’ici entre les mains des Assemblées. Aussi « ce sont les usages de la monarchie constitutionnelle », dit lerapport. Néanmoins,
comme le gouvernement, qui repousse la permanence de la représentation, ne lui déniait pas, au moins en principe, le droit de mettre le pouvoir exécutif en de
meure de la convoquer, la commission, désireuse d’ailleurs de terminer au plus tôt l’œuvre constitutionm Ile « afin de remettre entre les mains du pays le dépôt de la souveraineté », a consenti à tout. Ce
pendant elle a essayé de rendre un peu moins illusoire le droit de convocation réservé aux Chambres en cas d’urgence, de danger public amené par les errements du gouvernement, les visées particulières ou l’ambi
tion personnelle du président. Le projet disposait, on le, sait, que ce dernier devrait convoquer extraordi
nairement le parlement si la demande lui en était faite par ia moitié plus un des membres composant chaque Chambre. La commission a réduit ce chiffre de la moitié au tiers plus un, article 2. Nous ne savons s’il ne sera pas absolument impossible d’obtenir ce chiffre dans 1 intervalle des sessions; mais le rapporteur con
vient lui-même que « ce sera malaise », et nous l’on croyons volontiers.
Cet article 2, dans le projet du gouvernement, était incomplet. Il ne prévoyait pas le cas de mort ou de démission du président de la République. La com
mission a comblé cette lacune en décidant (article 3) que, dans ce eas-là, les Chambres se réuniraient im
médiatement et de plein droit et que, si la Chambre des députés se trouvait alors dissoute, le Sénat prendrait aussitôt les mesufes nécessaires pour la convo
cation des collèges électoraux. La commission a trouvé également l’article 3 rédigé d’une façon incomplète, et elle en a modifié le second paragraphe. Elle re
connaît au président le droit de négocier et de ratifier les traités, admettant qu’il en doit donner connais
sance aux Chambres aussitôt que l’intérêt et la sûreté de l’Etat le, permettent, et le laissant juge des cas qui exigent le secret. Mais elle demande que les traités relatifs à l’état des personnes et au droit de propriété des Français à l’étranger, ainsi que les traités de paix, qui ne figuraient pas dans ie texte du projet, ne deviennent définitifs qu’après avoir été votés par les deux
Chambres. La question des traités appelait naturellement celle du droit de paix ou de guerre, sur lequel le projet du gouvernement était également muet. La commission n’a pas cru devoir laisser ce point capital dans le doute, et elle a tranché la question en déci
dant que l’on ne pourra ni entreprendre, ni déclarer la guerre sans l’aveu de la représentation nationale,
ce qu’elle a formulé en un article ainsi conçu : « Le Président ne peut déclarer la guerre sans l’assentiment préalable des deux Chambres. »
Telles sont les principales dispositions du projet de loi dont la commission, par l’organe de son rap
porteur, propose l’adoption à l’Assemblée. « Elles donnent à la République, dit M. Laboulaye, les garan
ties de la monarchie constitutionnelle. » Et de fait, le gouvernement fondé le 25 février n’est pas autre chose que cette monarchie, seulement elle est élective et temporaire. Ce gouvernement est donc de nature à donner satisfaction et aux partisans de la royauté constitutionnelle et aux républicains qui, en le fon
dant, ne sont pourtant « pas ceux qui ont fait le moins de sacrifices ». C’est d’ailleurs une œuvre transitoire et assez imparfaite. Elle ne pouvait guère être autre, étant données les circonstances au milieu desquelles elle est née; mais « si la France, rassurée sur ses droits et scs intérêts les plus chers, prend goût à se gouverner elle-même, elle s’améliorera peu à peu.
La réforme en est facile », ce qui est^ parfaitement vrai. « Si, au contraire, le pays venait à s’éffrayer et à s’éloigner de la République, la meilleure des con
stitutions serait impuissante à maintenir un régime qui tire de l’opinion toute sa force, » ce qui est encore plus vrai. A quelque parti que l’on appartienne^il est donc sage de se contenter de l’œuvre de février et d’en tirer le meilleur parti possible au point de vue des vrais intérêts du pays, qui va d’ailleurs, selon toutes les probabilités, être très-prochainement appelé à prononcer le mot dont tout doit dépendre.
Il est évident, en effet, que la nouvelle constitution sera ce que seront les futures élections.
Aussi, les partis qui ne sont malheureusement pas toujours sages, ni désintéressés, travaillent-ils dès
aujourd’hui à les préparer de la façon qu’ils esliment devoir leur offrir les plus grandes chances de réélec
tion. De là les déterminations qu’ils ont prises, qui en faveur du scrutin de liste, qui en faveur du scrutin d’arrondissement. Les gauches et le centre gauche se sont prononcés pour le premier; les droites, sauf une petite fraction de l’extrême droite, et le centre droit, y compris presque tout le groupe Lavergne et moins iin petit nombre des membres du groupe de l’appel au peuple, pour le second. Chacun de ces groupes a nomme une commission pour étudier à fond cette question de réélection qui les préoccupe; mais il est peu probable que cette enquête influe beaucoup sur le résultat final, attendu qu’une majorité semble aujourd’hui acquise au scrutin de liste, avec ce tem
pérament que les départements les plus populeux seront fractionnés en deux, trois ou quatre circonscriptions, selon le chiffre de leur population.
A l’Assemblée nationale, vote de deux lois : la première relative à la taxe unique des vins, alcools, etc.,
dans les villes de 10 000 âmes et au-dessus; elle a été adoptée; la seconde se rapportant à l achèvement du pavillon de Marsan et à l’installation, dans ce pavil
lon, de la Cour des comptes. Adoptée également, malgré les efforts de M. D’Aboville, réclamant son
pavillon au nom du roi, voire de l’empereur, qu’un sourire de la fortune peut rendre un jour à la France. Puis ia discussion de ia loi sur la liberté de l’ensei
gnement supérieur a été reprise et dure encore. Pour sa part, depuis quatre jours l’article 13 est sur le tapis. Combien de temps y restera-t-il ? nous l’igno
rons. C’est qu il s’agit de la grande question de la collation des grades, sur laquelle on est loin de s’entendre. La commission tient pour une délégation par l’Etat aux facultés libres du droit de les conférer, mais sous la condition de pouvoir retirer ce droit en cas où l’on en userait mal. C’est un système auquel,
sous forme d’amendement, sont opposés plusieurs autres systèmes. Ainsi M. Raoul Duval demande la création d’un jury spécial, fonctionnant pour toutes les universités indifféremment.. M. Paris, soutenu par M. Dupanloup, réclame d’autre part un jury mixte,
composée d’un nombre égal de professeurs de l’Etat et de professeurs des facultés libres. M. Ferry, au con
traire, est partisan du droit exclusif de l’Etat. C’est ce dernier amendement qui est venu d’abord en discus
sion. Il a été repoussé, et cela nous laisse assez froid. Car, sauf pour la médecine etla pharmacie, à quoi bon des grades ? Et qu’est-ce que l’instruction publique a jamais gagné à cela? Voilà donc un nouvel amende
ment auquel personne encore n’a songé. Mais quoi d’étonnant?Il est si simple!
BELGIQUE.
Le gouvernement belge dépassé les promesses qu’il avait faites à l’Allemagne. 11 natlend pas que les autres peu pies réforment leur législation, il commence par combler les lacunes de la sienne. En effet, le ministre de la justice vient de déposer un projet de loi tendant à réprimer l’offre de commellreun crime.
En verlu de ce projet quiconque aura fait ou accepté une pareille offre ou proposé de prendre part âu crime sera puni d’un emprisonnement de trois mois
à cinq ans, à moins de circonstances atténuantes. Le coupable pourra en oulre être, condamné à l’interdic
tion et placé sous la surveillance de la haute police pendant cinq ou dix ans.
Ces dispositions, dit l’exposé des motifs, ne contiennent rien qui ne soit conforme aux principes du
droit criminel. Elles ajoutent un délit spécial à la liste des crimes et délits contre la sûreté publique. Leur adoption aura pour effet de prévenir, par la menace d’une répression sévère et assurée, le retour de faits à la fois immoraux et dangereux.
ITALIE.
On est en train de discuter en ce moment au Parlement italien, la loi de sûreté, ou pour mieux dire
les mesures transitoires réclamées pour un an par le gouvernement, pour garantir la sécurité publique en Sicile où fleurit, paraît-il, le brigandage.
Ces mesures devront être promulguées par ordonnance royale et après délibération du conseil des mi
nistres. Mais dès que le décret aura été rendu, le
préfet du département auquel ils s’appliquera pourra ordonner la détention préventive de foute personne soupçonnée d’appartenir à des bandes ou de leur prêter un concours quelconque; des perquisitions do
miciliaires seront faites partout où l’autorité adminis
trative le jugera nécessaire ; les individus arrêtés ne
seront en aucun cas mis en liberté provisoire avant leur jugement, et. ils pourront même être internés, alors qu’il ne s’élèverait contre eux aucune charge précise.
Ce sont là, il faut, l’avouer, des mesures d’une sévérité excessive, et que peut seule justifier la question de salut public. R y a péril en la demeure, sans doute, et nous devons le croire. Seulement, ce qui nous étonne c’est, en un cas pareil, l’attitude de l’op
position qui proteste avec violence contre les mesures proposées et accuse hautement le ministère de ne chercher, sous prétexte d’atleindre les brigands, qu’à frapper « les libéraux ». Y aurait-il, en effet,
anguille sous roche, et seraii-ce réellement autre chose que le brigandage qu’il s’agirait d’atleindre en Sicile ?
Depuis quelques heures à peine, les fêles du centenaire de Boïeldieu sont finies. Ainsi qu’on devait s’y attendre, la solennité a eu un grand éclat. Rouen peut se flatter d’avoir donné un pendant à ce fameux centenaire de Corneil e,
oùlaComédie-Française avait joué, où Alexandre Dumas père a prononcé un discours, où Charles
Nodier faisait, des mots. L’auteur de Beniowshi passe définitivement dieu en face de l’auteur de Cinna. Un grand nombre de Parisiens auront assisté à son apothéose, ce qui n’est que juste, Boïeldieu ayant été un enfant adoptif de Paris.
Bouen avait mis la nappe partout. On a donc beaucoup mangé, on a donc beaucoup bu ; c’est la coutume en Normandie. — Nos avons-t-y bu,
nus avons-t-y ri, — chez la mère Grivelle, disait une chanson paloisée qu’Achard (du Palais-Royal) chantait avec rondeur sous Louis-Philippe. — On l’a encore chantée, l’autre jour, à Rouen, cette joyeuse chanson normande. Mais, à ce sujet, dans un des nombreux banquels qu’a donnés la capitale du pays des pommes, un orateur de dessert n’a pas manqué de rappeler aux convives l’incompa
rable succès de la Dame blanche, le chef-d’œuvre du musicien qu’on était venu fêler.
La Dame blanche a été jouée passé deux mille fois à Paris seulement; la Tour de Nesle serait en reste de huit cents fois avec elle. On sait que la Dame blanche date du milieu de la Restauration.
Un soir, un Nestor de la littérature et de l’art, le baron Taylor, nous contait que c’était l’époque par excellence des succès.
— On ne verra jamais rien, disait-il, comme ces trois triomphes : la Dame blanche de Boïel
COURRIER DE PARIS