dieu, la girafe du pacha d’Egypte et le Solitaire du vicomte d’Arlincour!.
Ah ! le Solitaire, quel souvenir ! Ce fut comme un étourdissement.
Le Solitaire, aujourd’hui si profondément oublié, fit tourner la tète, non plus à la France, mais à l’Europe entière. On traduisit ce roman en italien, en allemand, en espagnol, en russe, en portugais, en suédois, en anglais et en provençal. On le mit en opéra-comique. On le moula en cho
colat. On le feuilleta en galette chez les pâtissiers. Mais ce fut surtout chez les orfèvres qu’il réus
sissait! On ne parlait plus d’autre chose dans la bijouterie. Un joaillier de la rue Richelieu l’avait traduit en bagues. On ne pouvait faire un pas sans rencontrer des gens qui portaient le Soli
taire à l’index de la main droite. L’orfévre faillit entrer à l’Académie française à cause de sa tra
duction. Ce qui le sauva, c’est qu’on ne put pas réunir assez de témoins pour constater le fait et l’identité ; cependant il l’a échappé belle.
Quoique, depuis le 8 juin, jour de la saint Médard, le ciel ait été souvent noir, souvent même pluvieux, l’imagination s’ouvre aux idées champêtres. On connaît la passion que les Pari
siens professent pour la campagne, qui recule toujours devant eux, à mesure que la ville s’étend. C’est une monomanie générale que chacun satis
fait selon ses moyens. Les plus fortunés passent plusieurs mois dans leurs terres ; les plus pauvres,
les travailleurs de l’atelier et .du bureau, font de la villégiature en détail, le dimanche, quand le temps le permet.
Entre ces deux degrés de l’échelle sociale, il y a le chalet de l’artiste, du poète, du petit rentier)
du comédien et du petit marchand : une bastide de la grande banlieue, un jardin, quatre arbres et des fleurs à profusion.
Après ceux-là, il y a les excentriques, les turbulents, les curieux, ceux qui n’aiment pas à rester en place et qui mourraient d’ennui au fond du même paysage comme au fond d’une prison. Ceux-là louent une résidence tantôt au milieu des prés, tantôt aux bords de la Seine, tantôt au milieu des bois.
A notre sens, ce sont les plus heureux. Etant également à l’abri de la privation et de la satiété,
ils n’ont ni trop ni trop peu de campagne. Do plus, ils jouissent de la variété, qui ajoute tant de charme à tous les plaisirs. Tous les ans, comme
ils ne louent jamais pour plus d’une saison, ils peuvent à leur gré changer d’aspects et d’om
brages. Le soin de chercher leur abri d’été les occupe déjà tout l’hiver, c’est un thème tout trouvé pour la causerie et pour la correspondance.
On cite beaucoup à ce sujet le mot de feu Mélesville, un auteur dramatique qui avait ce goût des nomades.
— Vous me demandez pourquoi j’ai quitté Nogcnt? Dame, c’est à cause d’un vieux merle qui, tous les matins, venait se jucher sur les branches de mon pommier. 11 sifflait sans cesse, il sifflait à outrance, comme le public du temps où je commençais à faire des vaudevilles.


Et l’auteur A’Elle est folle ajoutait :


— Je quitte Nogent et ses merles ; je vais à Ville-d’Avray, où il n’y a que des coucous.
L’année d’après, les coucous l’assourdissant, il allait à Sceaux, où l’on n’enlend jamais que le hôlement des ombres historiques.
Au bout de sept années, il avait fait ainsi le tour de Paris.
Cette année, beaucoup de Parisiens, du bel air, au lieu d’aller en Suisse, s’en vont visiter entons sens la forêt de Fontainebleau, une des plus belles du monde. Un fait curieux à ce sujet.
L’ex-reine Christine se trouvait, la semaine dernière, avec presque toute sa famille dans la ville chère à François 1er.
En même temps, on y signalait deux touristes d’outre-Manche ; c’étaient un Anglais et une Anglaise, nouvellement mariés, qui venaient passer
près des grands arbres le dernier quartier de la lune de miel.
Jeudi, en se promenant dans le château, tout rempli de souvenirs historiques, ils ne se las
saient pas de regarder ni d’entendre. Tout à coup le cicerone en litre leur dit :
;— Madame et monsieur, voici la galerie où la reine Christine a fait assassiner Monaldeschi.
A ces mots, les deux insulaires reculèrent d’étonnement et d’horreur. La veille, aux alen
tours de Barbison, ils avaient passé la soirée tout près de Christine, l’ex-reine d’Espagne.
Ce quiproquo a beaucoup réjoui toute la colonie parisienne.
On s’obstine à prêter un grand dessein à M. Dufaure, ministre de la justice.
Premier causeur. — M. Dufaure vient de commander au conseil d’Etat un projet de loi contre le duel.
Deuxième causeur. — M. Dufaure, garde des sceaux, songe à ressusciter les édits de Louis XIII contre le duel.
Informations prises, il n’y a pas un mot de vrai dans ce qu’on dit.
M. Dufaure se serait écrié :
— R n’y a pas besoin de loi. Le duel s’en va assez de lui-même. Il n’en sera plus question en 1900.
C’était à très-peu de chose près l’opinion de Méry.
— En 1900, disait l’auteur d’Eva, on ne se battra plus, ni à la savate, ni au bâton, ni à l’épée, ni au pistolet, ni au sabre, ni au fusil; on se battra à la vapeur, ce qui revient à dire que le duel n’existera plus.
Et pour donner plus de consistance à sa pensée, il ajoutait :
— Tenez, je vais vous raconter ce qui s’est passé hier, 1er mars 1900, sur le boulevard des Italiens. M. Jean Frédol en voulait depuis long
temps à M. Norbert Lansac, une affaire de femme sans doute. L’un d’eux, en passant, avait dit à l’autre : « — Monsieur, vous êtes conducteur de » locomotive. Eh bien, je vous assure que votre » mécanique ne vaut pas deux sous. — Monsieur,
» si la mienne ne vaut pas deux sous, je vous jure » devant témoins que la vôtre ne vaut pas un » cenlime. » Il était impossible de trouver une injure plus sanglante. On s’envoya des témoins. 11 fut convenu qu’ü y aurait rencontre, le lendemain, sur le chemin de fer de l’Est.
» Le 2 mars 1900, ces deux hommes montèrent seuls sur^ leur machine à vapeur. Je dis seuls parce qu’ils refusèrent d’y admettre plusieurs ingénieurs et élèves de l’Ecole polytechnique qui voulaient les suivre. Elevant aussitôt la vapeur au plus haut degré, iis partirent à la distance de deux kilomètres l un de l’autre, à la vue d’une foule considérable que cette rencontre étrange avait attirée. Ils arrivèrent l’un sur l’autre et, sans cesser de se regarder, ils se heurtèrent. Les deux machines passèrent réciproquement l’une sur l’autre.
» On retrouva les deux têtes, les quatre jambes encore bottées, les quatre bras dans une attitude menaçante. Quant aux deux corps, ils furent re
trouvés sur la tôle des locomotives, aplatis comme deux limandes.
» Au récit de cet événement, Paris entier se souleva d’horreur et dit : « On ne se battra plus » en duel. » Et c’est à dater de ce jour-là que le duel sera aboli pour tout de bon. »
Méry a fait ce même conte à une vingtaine de ses amis ; mais je ne crois pas qu’il ait jamais été publié nulle part.
Juin est peut-être le mois où Paris aura repu dans ses murs le plus de visiteurs. Les étrangers et les provinciaux abondent plus particulièrement cette année, et cette affluence s’ex
plique par le concours de plusieurs circonstances. En juin, on aura vu coup sur coup bien des choses qui parfois ne se montrent que séparées. Ça été d’abord l’exposition des Champs-Elysées ;
en second lieu, le grand prix de Paris, qui a ému simultanément la France et l’Anglelerre. En même temps s’ouvrait à l’Orangerie l’exposition d’horticulture, puis, en quatrième lieu, la revue de l’armée à Longehamps, un spectacle curieux et un événement patriotique.
Il n’y a donc pas à s’étonner si, à l’heure qu’il est, nous avons 150 000 hôtes et même plus.
Faut-il ajouter que, parmi ces oiseaux de passage, beaucoup se plaignent d’être quelque peu écorchés vifs? Dans certains établissements, peu nombreux il est vrai, où l’hospitalité n’est nulle - ment pratiquée à la manière des Ecossais (qui la donnent et ne la vendent jamais), on a fait des cartes tout exprès pour eux, avec des prix exa
gérés. Ailleurs on a mis en jeu d’autres ruses,
afin de tirer de l’encombrement de ces visites tout le parti possible.
Z*** dînait dernièrement dans un café des boulevards des plus renommés. Pressé par un rendezvous d’affaires qu’il avait dans les environs, il jette tout à coup les yeux sur la pendule.
— Déjà sept heures, dit-il. Dépêchez-vous, garçon; servez-moi vite.
Le garçon, qui connaissait Z*** pour un Parisien, se pencha à son oreille et lui dit tout bas :
— Ne vous laissez pas influencer par la pendule, monsieur.


— Comment! est-ce qu’elle va mal?


— Elle marque l’heure des étrangers et des provinciaux. Vous savez que ces voyageurs vont tous au théâtre après dîner. Il n’est réellement que six heures et demie.
L’explication de cette tactique est bien simple : on voulait avoir de la place et renouveler le public. 11 fallait, en conséquence, faire dîner lestement les premiers venus. Dès qu’ils avaient com
mandé leur repas, on avançait mystérieusement la pendule d’une demi-heure, afin de les mettre au galop. En effet, tous se hâtaient en disant :


— Il faut que nous arrivions avant le lever du rideau.


Le prince Richard de Metternich s’occupe, dit-on, de la publication des Mémoires de son père. On dit qu’il s’agit de quatre volumes de 500 pages. La vie du personnage a été assez variée pour donner matière à une telle étendue. Ceux de la génération de 1830 se rappellent encore quelle renommée retentissante et diversement appréciée entourait la personne du vieux prince de Metternich, alors encore premier ministre de l’empereur d’Autriche. Etant jeune, il avait été ambassadeur auprès de Napoléon Ier. Au Congrès de Vienne, si ostensiblement formé contre la France, il était le Bismarck du quart d’heure ; il lenait en ses mains tous les fils de la diplomatie européenne. Presque tout-puissant, il a eu des aventures de tout genre, dont on parlait beau
coup alors, mais à mots couverts. Sylvio Pellico, Maroncelli et Andryane, les prisonniers du Spiel
berg, l’ont fait connaître sous un autre rapport.
Mais que de choses tragi-comiques il a vues sur son passage!
Il est tombé, un jour, car tous les grands finissent par là. Réfugié à Bruxelles, il assistait, en philosophe très-peu résigné, à la lente décom
position de son œuvre, la prédominance de la maison d’Autriche en Europe. On allait le voir, il
causait très-finement, très-spirituellement; c’est alors qu’il a dit à P*** cette chose si curieuse :
-—J’ai eu à lutter contre le plus grand des soldats; j’ai eu à mettre d’accord des empereurs, un czar, un sultan, un pape, des rois, des princes,
des républiques; j’ai eu à nouer et à dénouer vingt fois des intrigues de cour, mais ce qui m’a
donné le plus de fil à retordre, ça été un petit b... d’Italien maigre, pâle, râpé, mal peigné, souliers éculés, mais éloquent comme la tempête, fougueux comme un apôtre, rusé comme un vo
leur, délié comme un comédien, infatigable comme un amoureux : il s’appelle Joseph Mazzini.
PHILIBERT AUDEBRAND.