Le paysage au Salon
Nous donnons aujourd’hui notre deuxième série des paysages choisis par nous au Salon, toiles char
mantes dont notre collaborateur, M. Francion, a déjà signalé les qualités. Il ne nous reste donc qu’à indi
quer ici, comme nous l’avons fait précédemment, le sujet de chacun d’éux, d’après le livret officiel :
2. Abraham, La source de Kergvarech. — 1923. Van Marke. Un pré communal en Normandie. — 596. Defaux. La ferme du Vieux-Chêne, à Chérence. — 1530. M““ Moraton. Un souvenir. —561. Damoye.
Leschamps. — 971. Groiseilliez. Les rochesdeGuisseny (Finistère). — 557. Daliphard. Mélancolie. — ,267. Boudin. Le port de Bordeaux, vu du quai des Chartrons. — 1431. Mazure. Une vague. — 242.
Bonnefoy. Juillet. — 967. Grandsire. La Seine et le quai d’Orsay, vus des Bains de la Frégate. — 1704.
Reignier. Fleurs dans une grotte. — 2017. Zuber.
Lisière de forêt dans la haute Alsace. — 1721. Richner. Souvenirs du Raincy (Seine-et-Oise). — 461.
Clays. Sur l’Escaut. — 1981. Wahlberg. Bouleaux aux environs de Stockholm. — 650. Desbrosses. Les. bords de la Semoie, le soir. — 329. Busson. Après la pluie. — 988. Guillemet. Le quai d’Orsay. — 1956. Vidal. Bords de l’étang de Quimerc’h. — 1465. De Mesgrigny. Le soir, à Poissy. — 236. Germain Bon
heur. La lande de Bosi, en Sologne. — 872. Gau- Cherel. Bateaux d’Arromancbes. — 294,-Emile Bre
ton. Le canal de Courrières, en automne. — 344. Caillou. La source (Bretagne).
Le concoufs des écoles libres de Paris, si l’Orangerie du Luxembourg
La Société pour l’instruction élémentaire a été fondée en 1815 et déclarée d’utilité publique en 1832.
Il serait bien difficile d’énumérer tous les services qu’elle arendus à l’enseignement primaire en France, pendant cette longue série d’années. Les amis les plus illustres et les plus dévoués de l éducation po
pulaire dans notre pays ont participé à ses travaux et l’ont présidée tour à tour. Son président actuel est M. Jules Simon.
La fâche que cette société libre s’impose est considérable, Elle examine tous les ouvrages d’enseigne
ment élémentaire et leur accorde, s’il y a lieu, des récompenses, elle publie tous les mois un bulletin traitant de toutes les questions qui peuvent intéresser les instituteurs ; elle a créé pour les institutrices et les futures institutrices des cours normaux dont le pro
gramme est des plus variés et des plus complets. Elle inspecte à Paris et dans les départements toutes les écoles libres qui lui en font la demande, et leur accorde des récompenses et des encouragements. Elle a institué à Paris des examens auxquels sont conviés tous les ans l’élite des élèves fréquentant les écoles libres, et délivre aux plus méritants des diplômes qui,
pour n’avoir point de caractère officiel, n’en sont pas moins précieux, aux enfants, aux maîtres et aux familles. Plus de deux mille cinq cents élèves ont pris part cette année aux examens du premier, deuxième et troisième degré. C’est le jeudi 10 juin qu’a eu lieu dans la grande salle de l’Orangerie du Luxembourg le concours pour le troisième degré, qui est le plus élémentaire. Les compositions portaient sur la dictée, le style, l’arithmétique, le système métrique, l’his
toire, la géographie, le dessin, la tenue des livres,
l’écriture et les travaux à l’aiguille. Plus de quinze cents enfants des deux sexes se trouvaient réunis et la grande salle présentait l’aspect le plus pittoresque.
Les récompenses seront prochainement décernées à la séance solennelle de la Société qui a lieu tous les ans dans la salle du Cirque d’hiver.
LE CHAUDRON DU DIABLE NOUVELLE
(Suite )
Il le remercia de sa courtoise sollicitude et comme il lui représentait que bien qu’il fût par
faitement convaincu que ses recherches seraient inutiles, il n en devait pas moins faire honneur à la promesse qu’il avait donnée :
— Votre bon vouloir pour les miens peut plus utilement se traduire, monsieur, lui répondit M. de Castel-Chignon; vous êtes, je crois, l’ami deiVl. le chevalier de Bourguebus ; je l’ai’laissé sur la lisière dubois, où, en raison de son infirmité, il doit se trouver fort empêché; voici son
cheval qui, beaucoup plus adroit que celui de ma fille, a préféré la terre ferme aux voyages de long cours ; je crois que vous rendrez un véritable service à votre ami en le lui reconduisant.
En achevant ces paroles, M. de Chastel- Chignon salua le jeune homme et rejoignit son monde.
M. de Tancarville resta un instant indécis ; il se pencha sur l’abîme, il regarda, il. écouta; déjà les ombres commençaient à envelopper la base des falaises, il ne vit que la frange d’écume qui se détachait sur la nappe mouvante, noire comme un drap mortuaire, il n’entendit que le monotone gémissement des vagues sur les brisants.
Il réfléchit que M. de Chaslel-Chignon avait eu raison, que ses recherches seraient inutiles; il pensa à son vieil ami que son neveu abandonnait avec des intentions évidemment peu charitables. Le cheval de M. de Bourguebus broutait à quel
ques pas de là ; il s’en empara, se mit en selle et le lança dans la direction que le châtelain lui avait indiquée.
Chemin faisant, il voulut s’efforcer de trouver une explication à la singulière conduite du maître de Colleville ; mais il n’était plus le maître de sa pensée, elle lui échappait, et le ramenait sans cesse à Denise, si touchante dans ses larmes et dans son désespoir.
IX
M. de Tancarville avait mis le cheval au galop, il traversa rapidement la lande. Mais la nuit avait enveloppé la terre de ses ombres; bien que la masse noire des taillis, formant silhouette sui
le clair obscur de la voûte étoilée, lui servît à se diriger, il ne trouvait pas celui qu’il cherchait.
Le chevalier de Bourguebus était cependant où M. de Chaslel-Chignon l’avait laissé, assis sur un coin du rocher, calme en apparence, mais faisant des efforts surhumains pour dompter les an
goisses que chaque minute qui s’écoulait rendait plus poignantes.
U entendit heureusement le bruit des pas du cheval et supposant que son neveu avait envoyé le piqueur à sa recherche :


— Est-ce toi, Lafeuille, cria-t-il ?


A l’accent aveelequel avaient été prononcées ces paroles, M. de Tancarville pressentit les émotions qui agitaient son vieil ami.
— Non, ce n’est pas Lafeuille, répondit-il, en descendant de sa monture, mais je n’en serai pas moins le bienvenu, car je vous apporte de bonnes nouvelles.
Le chevalier fut quelques secondes sans parler, mais l’officier sentait trembler sa main qu’il avail prise entre les siennes, il entendait ses efforts pour arracher la respiration à sa poitrin e gonilée; il vit scintiller une larme sur la joue ridée du vieillard.
— Mademoiselle votre nièce a couru un grand danger, reprit-il, mais elle est saine et sauve, Dieu merci !
M. de Bourguebus se roidissait de plus en plus contre le sentiment qui envahissait son âme; mais il n’était pas le plus fort, un sanglot nettement caractérisé lui échappa ; il est vrai qu’une imprécation lui servit immédiatement de correctif.
— Maugrebleu ! s’écria-t-il, voilà que je déshonore le régiment de Navarre par ma lâcheté.
Je ne me la pardonnerais jamais si elle avait un autre témoin que vous, qui ne la divulguerez à personne. Vous qui voulez vieillir seul, comme j’ai vécu, vous connaîtrez un jour ce que j’é­
prouve, mon enfant, continua-t-il en se rasseyant sur sa pierre; c’est le châtiment de ceux qui en
freignent celte loi de Dieu, qui nous a donné un cœur pour aimer. On se croit bien avisé en débarrassant sa voie de tout ce qui entrave l’é­
goïsme, mais c’est en vain; le besoin de nous attacher à quelque chose nous tient par les jambes, comme la terre à laquelle, un jour, tous nous appartiendrons. Au bout de dix ans, de vingt ans, quand les joies ont perdu leurs ailes, quand les passions sont aux invalides, on cède
malgré soi au besoin d’épancher sa tendresse sur un être qui survivra et se souviendra, et on arrive bêtement à se procurer les douleurs de la paternité sans en avoir jamais connu les consolations.
C’est mon histoire avec ma pauvre Denise, mon ami. L’infernale torture que je subis depuis une heure m’a donné la mesure des proportions de mon affection pour elle, et j’avais besoin de vous l’expliquer pour que vous me pardonniez ma faiblesse.
Sans lui confesser combien le parallèle qu’il faisait mentalement de celte touchante émotion avec la singulière attitude du père de Denise éiait à son avantage, M. de Tancarville assura à son vieil ami qu’il n’avait été nullement scandalisé
du trouble qu’il avait laissé apparaître; puis il lui raconta ce qui s’était passé sur le promon
toire. Quelque soin qu’il apportât à diminuer l’importance du rôle qu’il avait joué dans cet événement, M. de Bourguebus comprit pat fuitement que c’était à lui qu’il devait le salut de sa nièce; il lui sauta au col et le tint étroitement embrassé.
— Mordieu ! s’écria-t-il, je bénis deux fois la Providence qui a préservé la pauvre enfant et qui, pour l’arracher à l’horrible fin qui l’allendait, a chobi la main de mon ami le meilleur.
Mes rêveiies conjugales étaient-elles donc si folles ! Voilà votre histoire qui tourne au roman;
ce serait la première fois que l’on verrait le jeune et beau chevalier ne pas épouser l’héroïne qu’il a sauvée.
— Attendez-vous cependant à la voir se terminer par ce dénoùment,. en dehors de toules.les règles, mon cher chevalier.
— Et pourquoi, s’il vous plaît?
— Parce que, tantôt, nous n’étions que Jeux à vouloir donner ce croc-en-jambe à la tradition, et que nous serons trois désormais,


— Et le troisième?


— M. de Chastel - Chignon, qui me semble d’humeur peu accommodante et fort jaloux des privilèges que vous avez quelque peu usurpés, répondit en souriant M. de Tancarville.
Cette allusion sembla avoir ramené le chevalier à un ordre d’idées désagréables; quelques interjections sourdes, mais accentuées avec une
mauvaise humeur très-caractérisée s’échappèrent de sa gorge ; puis il procura un nouveau cours à sa hile en sifflant un bien-aller, qui s’accentuait
de plus en plus ; en même temps, il commença de regarder autour de lui et entre les jairf ; du cheval avec une certaine inquiétude.
M. de Tancarville comprit ce qu’il cherchait ; mais connaissant son attachement pour Caporal,
il hésitait à lui apprendre qu’il ne le reverrait plus. Cependant il fallut bien s’y décider.
Le chevalier l’avait écouté en silence ; quand il eut fini, un profond soupir souleva la poitrine du vieux gentilhomme.
— Tout ce que lait Dieu est bien fait, murmura-t-il. Certainement Caporal élait plus digne de marcher sur ses pattes de derrière et d’être appelé un homme que bien des gens que je pour
rais nommer; mais c’était un chien, et en face de l’immense douleur qui m’a été épargnée, je n’ai pas le droit de me plaindre si le malheur l’a choisi pour victime. Qu’il dorme en paix dans son linceul d’algues vertes.
Alors M. de Tançai ville ayant aidé son vieil ami à se mettre en selle, ils reprirent le chemin qui devait les ramener à la tour de Bourguebus.
Le lendemain, au moment où M. de Tancarville allait descendre pour le déjeuner, le cheva
lier de Bourguebus entra dans sa chambre. Le vieux gentilhomme était en proie à une agitation qui se traduisait par des manifestations physionomiques des plus bizarres. Tantôt il semblait en proie à la colère, ses sourcils se fronçaient avec une expression de menace, son œil unique jetait des flammes; puis, tout à coup, presque sans transition, une révolution s’opérait sur sa figure et dans ses gestes, l’œil seul gardait son animation caractéristique ; mais ses traits se détendaient dans une sorte de satisfaction épanouie,