Les autres : « Sa Ilautesse s’est fait lire la Gazette » des tribunaux qui relate le procès du Chinois » Tin-Tum-Ling et elle a eu des scrupules. —
» Si les Français mettent en prison un fils du
» Céleste - Empire convaincu d’avoir eu deux » femmes, que feront-ils à un Africain de l’Afri» que centrale qui en possède trois cents? » Voilà encore ce qu’on dit. A la vérité, c’est master Punch, un intrépide farceur, qui s’étend sur ces motifs. Vous pensez bien que je ne me porte pas garant de ce qu’il dit à cet égard. Ce qu’il y a de vrai dans tout cela, c’est que le sultan de Zanzibar ne viendra pas à Paris.
Il en résulte une grande tristesse chez MM. les photographes. On comptait quela tête de Sa Hautesse pourrait être vendue à 1500 000 exemplaires.
Une autre industrie a beaucoup à se plaindre de l’inclémence de la saison; c’est celle des bains froids. Rappelez-vous ce qu’ont été, il
n’y a pas longtemps, les bains Ouarnier, les bains Deligny et même les bains à quatre sous. A dater du 15 juin, la Seine se couvrait de Parisiens qui
paraissaient tous être des frères de ces Tritons que Couslou et Coysevox ont sculptés sous Louis XIV et que les Keller ont coulés en bronze pour servir d’ornements aux bassins du parc. Parmi les baigneurs, on voyait là, pêle-mêle, comme dans une piscine, le vieux maréchal Ba
r guay-d’Hilliers, lequel ne nageait que d’un bras e! pour cause, le colonel Guinard, le marquis de Boissv, le comte d’Alton-Shée, des députés, des conseillers d’Etat, des journalistes, des gens de Bourse, qui étudiaient, disait G***, l’art de faire proprement le plongeon.
Le Corps législatif, le palais du quai d’Orsay et le Sénat enrichissaient encore la clientèle des bains froids. A la suite de la guerre désastreuse de 1870 et de tout ce qui devait en être la suite,
toute la vieille assiette politique a croulé. On a émigré à Versailles. Ouarnier et Deligny en pleu
rent deslarmes de naïades. Le publicdes baigneurs a baissé comme sommités sociales et comme nombre. Surviennent les pluies diluviennes de cette année. L’averse est en permanence. On ne peut faire dix pas sans essuyer une ondée. Toute branche d’arbre produit l’effet d’une lance d’hy
drothérapie. Songez donc à aller vous jeter dans la Seine au milieu d’un tel désordre !
Il a plu sans discontinuer. Au moment même où nous écrivons ces lignes, les cataractes du firmament se sont ouvertes. Il pleut à torrents.
Que faire? Le plus gai devient morose. On est irrité, énervé, malade. Il faut avoir recours à ce
qu’Osymandias, le roi d’Egypte, appelait « la pharmacie de l’âme », c’est-à-dire aux livres. — Les livres ! on est convenu de dire beaucoup de mal de ceux, qu’on publie à présent et de ceux (jui les écrivent; mais, au bout du compte, on s’estime bien heureux de les avoir sous la main,
toutes les fois qu’on a besoin de dissiper un ennui ou de retrouver l’équilibre moral. Au reste, on nous en donne en ce moment un grand nombre et de fort bons. —Voyez, par exemple,
le Voyage au pays des milliards, par Victor Tissot ; c’est un coup d’œii très-curieux jeté sur l’Allemagne, que nous sommes de plus en plus intéressés à connaître. Voyez Silex, un très-joli
roman de M. Henry de la Madelène. Rien de plus lestement enlevé. Carpentras, la petite ville du Comtat, y est décrite de main de maître. La chose est si vraie que le comte de Pontmartin, dont la critique est toujours si fine, a vivement égrati
gné le conteur. Charmer le lecteur, c’est bien, mais médire de Carpentras !
Pour combattre le spleen que communique la pluie, on lit surtout les Mille et une nuits parisiennes, de M. Arsène lloussaye. L’au
teur est un maître homme, qu’on croirait être de la lignée de Beaumarchais. Il a fait de tout, et avec succès. Il a commencé par faire de la farine dans un moulin ni plus ni moins que le marquis deCarabas; c’est lui-même qui le raconte. Il a
publié des journaux, fait des vers, écrit des romans, vendu des tableaux, mis la main, l’un des premiers, à la confection de la seconde république avec Hetzel et Bocage. Il a acheté et re
vendu des terrains, bâti des hôtels, dirigé le premier le théâtre du monde, inspecté des mu
sées, fait jouer des pièces, essayé de l’histoire. Il a, le premier, instauré dans Paris ces nuits vénitiennes, fêtes du carnaval, qui ont répandu sur la ville les lueurs scintillantes de la voie
lactée. Mais avant tout et par-dessus tout, il est celui des conteurs du jour qui réussit le mieux à montrer ce que sont les mœurs du temps.
Entendons-nous, M. Arsène lloussaye ne s’occupe que du monde d’en haut, d’une société à part, mais qu’il a l’air de connaître comme s’il l’avait inventée. Là, il n’y a pas de secret qu’il ne pénètre, pas de mystère dont sa main ne par
vienne à déchirer les voiles. Toutes ses héroïnes sont des princesses ou des comédiennes et toutes sont des courtisanes. Pour cadrer avec les jeunes
premières, les hommes sont inévitablement des grands seigneurs ou de riches coquins, le plus
souvent trois fois dignes de la corde. Mais que d’or ils jettent sur leur chemin. Jamais on n’a vu tant de beaux messieurs avoir tant de louis
d’or dans leurs poches. Jamais on n’a tant parlé de petits soupers, de grandes alcôves, ni de tromperies de toute sorte. Le vice se promène en maître dans tous les chapitres, le crime à toutes les pages, tout cela ambré, enrubanné, brodé,
passementé, en sorte qu’il n’est pas possible de ne point s’écrier :
— Ah ! que le grand monde de 1S75 e t donc beau et comme on doit être fier de vivre à celte époque !
Celte première partie des Mille et une nuits parisiennes a pour titre : le Marquis de Satanas. M. Arsène lloussaye y fait voir le diable en per
sonne; Satan s’y montre à cinq jeunes filles,
mais en gommeux de la plus belle eau. Un grand penseur du moyen âge voulait qu’il n’y eût pas de diable, raison pour laquelle on voulait le brûler. Sublato diabolo, tollitur sacerdos. « Sup
primez le diable, disait-il, vous n’avez plus de prêtre. » Mais ce penseur n’avait pas le sens
commun. Byron a rétabli le diable dans un poème, qui est un chef-d’œuvre d’ironie et de sublimité lyrique ; Frédéric Soulié a fait comme lui et voilà que M. Arsène lloussaye fait comme eux. Mais le diable du quartier Beaujon est aussi par trop un gandin de nos jours. Si l’ange des ténèbres se bornait à vivre de l’existence que lui donne le romancier, ce serait un sacripant de la maison d’Or, un coureur d’opérettes, un amateur des petites orgies et des tableaux vivants,
ce ne serait plus Lucifer, le génie du mal, assez
fort pour tenir tête à Dieu. Mais M. Arsène lloussaye a voulu faire un diable de boudoir, bien ganté, bien chaussé, ayant toujours vingtcinq louis d’or dans sa poche. Le Méphistophélès de Gœthe en rit peut-être, mais les Parisiennes d’aujourd’hui en raffoleront.
Plaignez le Vaudeville ! Le vieux théâtre, si cher à nos pères, est encore une fois comme l’oiseau sur la branche. Nous l’avons connu tour à tour rue de Chartres, où il a été brûlé; à la salle Bonne-Nouvelle, où il s’était fait un pied à terre ; place de la Bourse, d’où la rigueur de l’aligne
ment municipal l’a forcé à sortir. Il est venu à la Chaussée-d’Antin, dans la salle monumentale qu’il occupe encore pendant ce semestre. Mais la maison n’était pas à lui ; c’était une propriété de la ville qui l’a mise tout dernièrement aux enchères. M. Lebaudy en est devenu acquéreur. L’argent est le nerf de la guerre et du théâtre.
On disait : « M. Lebaudy est un Parisien de race; il va s’appliquer à faire renaître le Vaudevdle. » Mais point. Enbonpropriétaire, M. Le
baudy tient, avant tout, à tirer, pécuniairement parlant, le meilleur parti possible de son immeuble. De ce bel édifice il va faire des décom
bres; il en fera ensuite un bengalow de la civili
sation, genre « Grand-Hôtel » ou bien une série de bureaux pour un établissement de crédit.
Lugete, Veneres, cupidinesque. A bas les flonflons ! vivent les écus !
Chose très-curieuse, on lit dans les Mémoires d’autrefois qu’il y a cent ans et plus, le Vaude
ville ne pouvait déjà pas parvenir à se tenir en place. Sous Louis XV, au théâtre de la Foire, une pièce satirique du petit Poinsinet de Sivry le raillait sur sa mobilité. On voyait là-dedans une
bergère montrer du doigt, ironiquement, un vieillard coiffé de grelots. Entre autres choses, elle lui chantait ce couplet moqueur :
Bonhomme Vaudeville,
Demeurez donc tranquille; Amusez-nous par vos propos
Et ne quittez plus nos hameaux, Bonhomme Vaudeville.
Où l’infortuné bonhomme va-t-il aller, l’année prochaine?
Ici-bas, vous le savez, il n’y a qu’heur et malheur.
En même temps que la ville de Paris vendait à la criée le Vaudeville, elle élaitmise en demeure de débourser 3 millions pour achever un théâtre voisin, c’est-à-dire le nouvel Opéra.
Prodigieux monument que cet Opéra !
Alors qu’il est terminé, il n’est pas encore fini, au contraire. Bref, il est toujours, non à recommencer, mais à achever. Cependant 3 millions sont une somme, surtout quand on considère qu’il en a déjà coûté 35.
Les curieux se demandent d’ailleurs où 1 on va Irouvcr l’emploi de ce nouveau subside.
Un faiseur de livrels s’est écrié ;
— Ces 3 millions ! pardieu, ils serviront à faire passer toute la troupe à la dorure !
Alphonse Karr était à Saint-Raphaël, occupé à soigner ses tulipes. On lui apporta un télégramme; c’était Garibaldi qui 1 appelait à Rome. L’auleur de Sous les Tilleuls partit.
Arrivé au palais du général, il voulut entrer, on lui barra passage. H se nomma, on lui rit au nez. Il montra le télégramme, on monta un étage et Ton revint en disant ; « Le général dort; il ne peut vous recevoir. » r
Furieux à bon droit, Alphonse Karr écrivit a Garibaldi : « Vous m’avez appelé, je suis venu,
» mais que vous dire? 11 n’y a jamais eu ^de » tyran plus gardé que vous. Adieu, je m en » viis. » Et il parfit.
Telle est la jolie histoire qui nous.a été apportée par un journal d’Italie et que, cette semaine, Paris s’est transmise de cercle en cercle.
En regard de ce trait, permettez que je vous en raconte un autre qui sera le contraire et qui néanmoins formera un pendant.
Cela se passait en 1858, au temps où l’auteur des Guêpes s’élait fait jardinier.
Deux blondes Anglaises, portant les noms les plus aristocratiques de la Grande-Bretagne, arri
vant à Nice, allèrent frapper tout droit à la porte de la villa d’Alphonse Karr. Un jardinier se pré
sente et leur ouvre la grille. Les voyageuses
demandent à visiter l’enclos d’où Ton tire tant de beaux bouquets. L’homme s’acquitte à merveille de son rôle de cicerone.
Après avoir tout vu, les Anglaises expriment le désir de voir le romancier lui-même.
— Certainement, mesdames. Veuillez me suivre.
Il les introduit alors dans une charmante salle à manger, se débarrasse de son tablier et de son énorme chapeau de paille ; puis, plaçant sa main gauche sur sa droite.
— Permettez, myladies, ajoute-t-il avec un malin sourire, permettez à la main droite du
jardinier de vous présenter la main gauche du remancier.
Un peu déconcertées d’abord, les deux étrangères rirent ensuite et finirent par accepter sans façon une collation composée des meilleurs fruits récoltés par l’écrivain arboriculteur.
Philibert Audebrand.