en s’aigrissant, a perdu son ressort et s’est faite malléable jusqu’à la docilité.
Donc, M. Buffet est un caractère, mais ce caractère n’est point des plus faciles ; il y a beau temps que,
dans le style qui lui est propre, M. de Tillancourt l a dit : « Ce Buffet n’est point commode. »
C’est une personnalité marquée d’une empreinte profonde et fortement accusée; le moral et le phy
sique, tous deux vigoureusement accentués, ont réagi l’un sur l’autre, se sont intimement pénétrés, mé
langés et modifiés réciproquement : je connais peu d’hommes dont la physionomie et le caractère soient plus concordants, plus étroitement corrélatifs, plus révélateurs l’un de l’autre.
Le tempérament est bilieux, l’œil myope. Celte myopie est le trait distinctif de la physionomie, ce tempérament bilieux est le trait distinctif du caractère.
C’est la myopie qui a tiré les traits de ce visage, plissé ce front, rapproché ces sourcils, imprimé à ces paupières à peine entr’ouvertes cette contraction per
pétuelle. L’œil, toujours à demi fermé, n’est qu’une ligne, une sorte de fissure par où jaillit le regard; cette contraction, cette tension des muscles particulière aux myopes, donne au regard une rigidité sin
gulière; on y sent l’effort de la volonté et l’intensité de l’attention.
C’est encore la myopie et non l’âge qui a courbé celle taille haute et mince, infléchi les épaules, penché la tète en avant. C’est la myopie qui donne à ces mouvements, malgré quelque roideur et quelque séche
resse, une apparence d’hésitation, de tâtonnement, d’indécision un peu gauche.
La structure du corps y prête d’ailleurs; l’ossature est forte, robustement. charpentée; solidement et car
rément ajustée, elle n’a pas de courbes, mais des angles; la stature est au-dessus de la moyenne et, quoique suffisamment dégagée, annonce plus de vigueur que de souplesse.
La tête est forte, le front haut, les traits accentués, le nez est droit, la lèvre mince, le menton proémi
nent, les pommettes saillantes; les cheveux sont abondants encore, d’un blond châtain, naturellement on
dulés, presque crépus. Le teint a le mat et la rousseur pâle qui caractérise les bilieux.
Cet ensemble rappelle ce type de la race saxonne que nous appelons assez improprement « le type an
glais ». De fait, et dans le sens que nous attachons à ce mot, M. Buffet est Anglais de tournure, de tempérament, de caractère.
Froideur, roideur, énergie, ténacité, voilà le fond de cette race et de ce tempérament ; il n’a rien de cette spontanéité pétulante, de cette initiative prime
saulière, de cette mobilité rapide qui caractérise le tempérament français. Il a les mouvements un peu lents, mais puissants et continus ; les impressions ne sont pas de premier jet, mais plus lentement formées elles ont la profondeur et la persistance que donne la réflexion.
L’Anglais n’est point de premier mouvement; il manque d’élan, d’impétuosité, d’ardeur première, la furia francese n’est poit son fait ; ce n’est pas un sol
dat d’entraînement et d’attaque ; mais c’est un rude soldat de résistance ; le Français a le courage sanguin, l’Anglais le courage bilieux.
C’est par là surtout que M. Buffet est Anglais ; il est la personnification de la résistance. La défensive est son attitude naturelle, son rôle prédestiné ; c’est l’essence même de son esprit, de son talent, de son ca
ractère. Il est fait pour cela, tout en lui concourt à ce but, et ses qualités comme ses défauts y sont merveilleusement appropriés.
Il ne l’ignore point, d’ailleurs, et c est là qu’apparaît la signification profonde de cette boutade que je rappelais en commençant : « Je le sais bien que fai mauvais caractère, mais c est ma plus grande qualité. »
Ce n’est pas le fait du premier venu de se connaître ainsi lui-même, d’analyser sa propre nature et de soumettre ses défauts eux-mêmes au pouvoir de sa vo
lonté, de façon à s’en faire des qualités et des mérites.
Le propre des esprits défectueux est d’ignorer leurs défectuosités, le propre des esprits vigoureux est de les connaître, d’en tirer parti, de s’en faire une force. Si M. Buffet, se connaissant, garde son « mauvais ca
ractère», c’est parce que ce caractère est une force dont il conuaît l’emploi, dont il sait le prix ; c’est la formule naturelle que prennent chez lui l’énergie, la volonté, la conscience du devoir, l’inébranlable fer
meté de l’esprit. Ainsi compris, ainsi mis en œuvre,
ce mauvais caractère est, comme il le dit, une qualité des plus hautes.
« Mauvais caractère, » d’ailleurs, cela ne s’entend — ai-je besoin de le dire ? — que du caractère politique. je le dis pourtant, car ceux qui ne connaissent
point M. Buffet pourraient aisément s’y tromper. Pour qui ne le connaît que dans la vie publique — et c’est le plus grand nombre — l’impression que produit cette physionomie sévère, froide, refrognée, ces al
lures sèches et tranchantes, celte correction âpre et glaciale, l’impression, dis-je, est si profonde, qu’on a peine à s’en affranchir ; ceux qui l approchent savent combien le caractère rébarbatif de l’homme public cache de courtoisie et de bienveillance chez l’homme privé ; mais ceux qui ne l’ont vu qu’à la tribune ou au fauteuil ne sauraient s’en douter.
Par exemple, au point de vue politique, ce « mauvais caractère » est complet. Les complaisances lui sont inconnues; refuser ne lui coûte pas et on lui fait malaisément faire ce dont il n’a point envie. Une fois son but choisi, ses vues arrêtées, son plan tracé, ce n’est point chose facile que de l’en faire dévier. Quand il a pris position derrière une idée, il s’y défend avec une ténacité sans pareille. Impassible devant toutes les objections, indifférent à toutes les attaques, insensible à toutes les sollicitations, il s’inquiète peu des amitiés qu’il froisse ou des haines qu’il soulève, et ne se laisse jamais intimider, jamais amollir. Cramponné à ses positions, il dispute son terrain pied à pied, aussi bien contre ses amis que contre ses adversaires ;
intraitable pour ceux-là comme pour ceux-ci, ne se rebutant d’aucun échec, ne se laissant désarmer par aucune concession, il soutient froidement tous les assauts, rendant avec sang-froid coup pour coup, bles
sure pour blessure, ne cédant le terrain que pas à pas, et seulement quand la défense n’est plus possible ;
même dans ce cas, couvrant avec soin sa retraite. On l’a fait reculer plus d’une fois, mais on ne l’a mis en déroute jamais. Prudent et de sens rassis, il n’a ja
mais rien entrepris sans se ménager d’avance une retraite et un retranchement inexpugnable. Ses cam
pagnes sont faites sur le. patron de celles de Wellington à Torrès-Vedras. Poussé dans ses derniers retran
chements, il ne capitule pas, il démissionne; c’est ce qu’il a fait trois fois : en 184,9, en 1851, en 1870.
Aussi roide, d’ailleurs, et aussi « mauvais caractère » vis-à-vis du gouvernement qu’il sert que vis-à-vis (je l’opposition qu’il combat, il trouve le moyen de représenter à la fois deux résistances et d’être en même temps un modérateur pour le pouvoir, une barrière pour l’opposition. C’est ce qui explique ses appari
tions dans le gouvernement aux heures de crise et sa disparition à l’heure du dénoùment. Entre deux forces opposées, résistant à l’une et à l’autre, ii joue le rôle de tampon, destiné à être brisé quand un choc se produit et que l’une des deux forces brise l’autre. De tels hommes sont grandement utiles aux époques de lutte et de transition et les services qu’ils rendent, pour n’être pas de ceux qui excitent l’enthousiasme, n’en sont pas moins de premier ordre. Peu d’hommes
en sont capables et ceux-là sont rares qui ne craignent point d’affronter sciemment la double antipathie, la double impopularité qui s attache au rôle de modérateur, contenant à la fois les deux courants contraires.
C’est, depuis quelques mois, le rôle de M. Buffet. Entre les deux politiques qui se disputaient la France, entre « l’ordre moral » et la « république conserva
trice », il a facilité la transition, amortissant les chocs, cédant pas à pas le terrain à la République, ménageant
pas à pas la retraite des conservateurs, obligeant la droite à reculer chaque fois un peu, ne permettant à la gauche d’avancer qu’un peu chaque fois ; rôle éminemment utile, mais aussi rôle ingrat s’il en fût ja
mais ; condamné fatalement à ne satisfaire jamais personne, à mécontenter toujours tout le monde. Con
sidéré comme un transfuge par la droite, comme un obstacle par la gauche, accusé par l’une, suspecté par l autre, M. Buffet a besoin plus que jamais « d’avoir mauvais caractère ». Son œuvre ne peut être menée à bien que si, de part et d’autre, on continue à se fâcher de lui, et son œuvre serait manquée, son rôle fini, sa situation perdue, si l’un des deux partis cessait tout à fait d’en être mécontent.
L’Exposition de Blois
Dans un précédent article nous donnions à nos lecteurs un rapide aperçu de l’exposition de Blois ; depuis, nous avons été à même de la revoir dans son ensemble et d’en comprendre toute l’importance au double point de vue industriel et artistique. Son ca
ractère d’universalité nous a frappé ; il en fait pour nous la plus intéressante des expositions provinciales dont nous ayons gardé le.souvenir.
‘ Nous avons donc jugé qu’il ne serait pas superflu d’en dire quelques mots encore, en insistant sur cer
tains détails essentiels qu’il ne nous avait pas été loi
sible de relater tout d’abord, mais que nous avions à regret passé sous silence ou mentionné superficiellement.
De ce nombre est Y escalier d honneur de l’exposition des beaux-arts, dont nous reproduisons ici le dessin et qui est destiné à remplir un rôle si important dans la partie du château de Blois dite de Gas
ton d’Orléans, tout récemment remise en état par M. de la Morandière.
Cet escalier, tel qu’il est présentement, n’est que le fac-similé en bois de celui qui sera édifié ultérieu
rement ; mais il est absolument conforme au plan qu’en avait tracé Mansard.
Voici en deux mots son histoire : En feuilletant le manuscrit de Blondel à la bibliothèque de l’Institut,
M. de la Morandière y avait retrouvé le détail de tous les cartons de Mansard, et entre autres celui qui con
cernait l’escalier du château de Gaston d’Orléans.
Blondel affirmait que M. de Marigny, intendant du roi, qui avait la rage do tout changer et de tout dé
truire, s’était complu à enlever quantité de pierres, reliefs, .statues, ornements, affectés audit escalier, afin de les transporter ailleurs, vraisemblablement au
château de Mesnard; jusqu’au grand arc qui formait le palier, tout avait été détruit ou transplanté par le fougueux et endiablé intendant.
Heureusement Blondel, affecté de celte mutilation, se fit un devoir d’indiquer toutes les parties de l’œuvre du maître.
C’est grâce aux indications par lui fournies que M. de la Morandière a pu saisir la pensée de l’auteur et s’en pénétrer; avec une entente parfaite des lois
de l’esthétique architecturale, l’intelligent architecte a su reconstituer le plan de Mansard et le mettre à exécution, de telle sorte que son auteur n’eût rien trouvé à y reprendre. Non-seulement l’escalier de M. de la Morandière ne laisse rien à désirer sous le rapport de l’ordonnance générale, mais il cadre mer
veilleusement avec le style du château de Gaston d’Orléans ; il s’harmonise également avec la galerie su
périeure circulaire qui encadre l’élégante coupole de Mansard et charme par sa simplicité de bon aioi.
M. de la Morandière n’a pas voulu reconstituer le grand arc du palier ni surcharger le péristy le et les balustrades d’ornementations dans le goût du temps ; en ceci il a fait preuve de tact. Rien ne lui eût été plus facile que de plaquer les ornementations décrites par Blondel. Il ne l’a pas voulu; il s’est comporté en véritable artiste.
En jetant un rapide et dernier coup d’œil dans cette salle des beaux-arts, à laquelle aboutit l’escalier dont nous parlons, nous trouverons encore, outre les Libéra, les Dominiquin, les Luca de Leyde, les Giordano, les Greuze, les Géricault, les Vouct et les Glouet, une fort curieuse Sainte-Thérèse, de Murillo, peinte dans la première manière du maître; un Paysage, de Ruysdaë.l, d’une exécution.nerveuse; une Vierge à l’enfant, que nous croyons sincèrement d’Hemline ; de nombreux portraits de Nattier et de Van Loo. Huit émaux de Limoges de Jean Pénicault, des buffets incrustés, des plats rehaussés, des coffrets gothiques, des. bas-reliefs moyen âge, des ar
mures anciennes, îles Gobelins, des faïences et ivoires de toute beauté. Ce sont là quelques-unes des ri
chesses contenues dans cette salle. Pour ne point ou
blier les modernes nous rappellerons quelques toiles de nos peintres contemporains qui ont reçu les hon
neurs d’un salon à part contigu à celui de M. de la Morandière. Citons parmi les plus en relief une Ma
rine, d’Isabey; la Rêverie de seize ans, de Landelle,
qui s’est efforcé de se corriger des défauts que son trop illustre maître lui avait inculqués; un Exercice ci feu, de Pils ; la Résistance, d’Hersent ; Y Apparition de Jésus a ses disciples, de Doré ; un Intérieur à Pompéi, de Leloir, et enfin une œuvre sculpturale fort estimable de M. Halou, représentant la France, la Lorraine et l’Alsace, placée à l’entrée même de l’escalier d’honneur de la grande salle des beaux-arts.
Nous avons cru devoir reproduire le kiosque de l’exposition forestière, dont nous avions déjà signalé l’élégance et l’utilité. C’est l’administration des forêts qui a fait élever ce pavillon rustique dans le square de la Préfecture et autour duquel sont groupés les plus remarquables spécimens de la culture sylvicolc de la région. On y voit disséminées, avec symétrie et profusion, d’énormes rondelles de chêne rouvre, pcdonculé, tarizin, hêtre, charme, pins sylvestres et ma
ritimes. On y rencontre des modèles de pépinières et d’appareils germinateurs. Au dedans sont disposées les essences, les graines et les floraisons artificielles.
Le pourtour du pavillon est orné de produits de haute vénerie qui ajoutent à son originalité en l’embellissant.
Si de ce lieu rustique l’on se rend sur l’antique place de l’Evêché, à l’exposition d’horticulture, le tableau change de couleur et de caractère : ici tout devient gracieux, gai et souriant. Devant un merveilleux paysage, dont le cours de la Loire forme le prt