SOMMAIRE.
Texte : Histoire de la semaine. — Courrier de Paris, par M. Philibert Àudebrand — Nos gravures : M. de Waldeck; —
Michel Lévy; — La bohémienne, de Franz Hais; — L’Expo
sition de lilois : vue intérieure de l’exposition industrielle; — La ganleuse de moutons, tableau de M. Vayson; — Une ma
riée en Alsace, tableau de M. l’abst; — Les nouveaux canons de campagne allemands. — Le Chaudron du diable, nouvelle,
par M G. de Cherville (suite). — Chronique du Sport. — Les Théâtres. - Le Salon de 1875 (III). — Revue comique du Salon de 1S75, par Bertall. — Revue financière de la semaine.
— Faits divers.— bulletin bibliographique. — La crypte de l ancienne Collégiale et le tombeau de saint Cloud.
Gravures : La bohémienne, d’après Franz Hais (musée du Louvre). — M. de Waldeck. — L’Exposition de Blois : vue intérieure de l’exposition industrielle. — M. Michel Lévy. — Salon
de ISIS : La ganleuse (le moutons, tableau de M. Vayson : — Une mariée en Alsace, tableau de M. Pabst. — La nouvelle artillerie prussienne (3 gravures). — La France pittoresque: le pic de Sancy, (très du mont Dore; — Ruines romaines des bains du mont Dore. - Revue comique du Salon de 1875 (II:, par Bertall (12 sujets). — Saint-Cloud: vue des restes de la crypte de l’ancienne Collégiale récemment fouillée pour rechercher le tombeau de saint Cloud. — Echecs — Rébus.


HISTOIRE DE LA SEMAINE


FRANCE
C’est voté. « A compter de ce jour jusqu’aux prochaines élections générales, il ne sera procédé à au
cune élection partielle. » Prochaines, est-ce à dire qui doivent, dans l’ordre du temps, venir après celles dont est sortie l’Assemblée actuelle ? Ou bien qui au
ront lieu dans un temps très-rapproché ? Nous sommes libres d’entendre le mot comme il nous plaira. Donc,
entre ces deux interprétations également possibles du texte de la loi,
Devine si tu peux, et choisis si tu l’oses
Entre nous, le rapporteur, M. Clapier, a un peu équivoque, montré poil ou plume, suivant l’interlocuteur, bien qu’il ait prétendu que les déclarations con
tenues dans son rapport ne laissent « aucune prise à l’équivoque ou à la tergiversation ». La vérité est ce
pendant que, pas plus après qu’avant ce vote, nous ne savons si ce sera à Pâques ou à la Trinité que la Chambre s’en ira. Dans une portion de l’Assemblée, on tient pour la première date, dans l’autre pour la seconde, et même pour une troisième plus reculée, si c’est possible. Et nous soupçonnons quelque peu M.Cla
pier d’ètre pour celle-ci. Il ne faut pas oublier que dans son discours de Marseille, il émettait dernière
ment l’avis que, pour laisser à l’Assemblée le temps de voter les lois indispensables, il était nécessaire de
retarder la dissolution jusqu’au printemps de l’année prochaine.
Enfin, quelque obscur que fut l’article unique de la nouvelle loi, approuvé tel quel, en masse par la droite, un peu par la gauche, il a réuni contre toute attente une majorité assez respectable, et le lendemain même un décret rendu par le président de la République, sur la proposition du ministre de l’intérieur, rapportait le décret du 5 mai portant convocation des électeurs du Cher et du Lot pour le 30.
On semble s’être entendu dans la presse monarchiste pour donner a ce triomphe de la droite une portée que^selonnous il n’a pas. La défaite de la majorité du (2.) février, le 13 mai, serait chez elle, d’a­ près ces leuilles, l’indice d’un commencement de dis
location. C est aller un peu vile. Sans doute si,-après le vote des lois constitutionelles, une partie de cette majorité, dans un but. d’intérêt personnel, persistait à se ,joindre a ses adversaires d’hier pour retarder la mise en vigueur de la nouvelle constitution, il y au
rait lieu de le croire ; mais rien, dans le fait sur lequel
on s’appuie, n’indique qu’on ait, de ce côté, cédé à ces préoccupations égoïstes. Il y a eu défaut d’entente, fausse manœuvre peut-être, mais c’est tout, du moins le croyons-nous. D’ailleurs nous serons bientôt fixés sur ce point.
M. Calmon, député du Lot, vient, en effet, en son nom et eo celui de M. de Pressensé, son collègue, de déposer sur _ le- bureau de l’Assemblée, une impor
tante proposition qui avait été préalablement examinée et approuvée par les bureaux des groupes de la gauche, et qui es.t ainsi conçue :
Art. 1er. L’ordre du jour de l’Assemblée sera réglé de telle sorte, qu’ayant sa prochaine prorogation elle ait voté la loi électorale du Sénat, la. loi électorale de la Chambre des députés, la loi réglant les rapports des pouvoirs publics entre eux et le budget de l exercice 1870.
Art. A Dans la semaine qui précédera cette prorogation, 1 Assemblée nationale élira les soixante-quinze sénateurs dont le choix lui a été réservé par la loi du -5 février dernier. Immédiatement après, elle fixera la date de l élection des sénateurs des départements
et des colonies, la date de l’élection des membres de la Chambre des députés et celle de la réunion el de l’Installation des deux nouvelles assemblées.
Cette proposition a, comme on voit, pour but de réparer, dans une certaine mesure la faute commise par le vote sans conditions de la proposition Courcelle. Sans doute elle ne borne pas à cette session le cours des derniers travaux de l’Assemblée; mais, en somme, elle la met en demeure, en fixant la date de l’élection et de l’installation des deux futures cham
bres, de déterminer par cela même le jour de son départ définitif, et c’est le point important. Si la ma
jorité du 25 février ne se. retrouvait pas pour faire bon accueil à une proposilion si accommodante, ce serait à désespérer d’elle, et l’œuvre constitutionnelle ne serait plus qu’une lettre morte. Mais nous pensons que rien de pareil n’est à craindre et qu’il est impos
sible que celle majorité trompe ainsi les espérances qu’elle a fait concevoir au pays. La proposition Calrnon sera donc adoptée, et le terme qu’elle fixe à l’existence de l’Assemblée, pour n’être pas aussi rap
proché peut-être que quelques-uns auraient pu le désirer, n’en vaut pas moins infiniment mieux que la « date morale » de M. Clapier.
Après avoir voté la proposition Courcelle, l’Assemblée nationale a repris la discusssion du projet de loi sur les caisses d’épargne, qu’elle avait précédem
ment commencée. En vertu de ce projet de loi, le ministre des finances élait autorisé à mettre à la dis
position des caisses d’épargne qui en feraient la demande le concours des percepteurs et receveurs des postes; le maximum des livrets était élevé de 1000 à 2000 francs; les mineurs et les femmes mariées, quel que fùl le régime de leur contrat de ma
riage, étaient autorisés à faire ouvrir des livrets et à retirer les sommes déposées sans l’assentiment de leur représentant légal pour les pruniers, et sans l’as
sistance de leurs maris pour les secondes; enfin l’Etat se réservait le droit, en cas de nécessité, de déclarer que les sommes déposées dans les caisses d’épargne pourraient être remboursées par à-comptes successifs payés à intervalles réguliers.
Mais l’Assemblée a fort mal accueilli ce projet par trop novateur, et le rapporteur, M. de Normandie, s’est empressé de le retirer.
Après cetle exécution, la Chambre, à l’occassion des letes de la Pentecôte, s’est donné deux jours de congé et n’a repris ses travaux que mardi. Séance mémorable, et qui a dû affecter désagréablement les journaux dont nous parlions tout à l’heure et qui décidément s’étaient un peu trop bâtés de croire à la dis
location de la majorité du 25 février. Cetle majorité s’est retrouvée tout entière en effet, et dans quelle circonstance encore ! Pour faire échec au minisire qui la personnifie le mieux et dans lequel elle a mis
toutes ses expérances, à M. Dufaure, qui venait de donner lecture des lois constitutionnelles complé
mentaires, si impatiemment attendues. Non que la nouvelle majorité improuvât k teneur de ces lois,
bien au contraire. Tandis que le ministre lisait, elle ne se sentait pas d’aise; à chaque instant elle approu
vait de la tête, elle applaudissait des deux mains. Mais M. le garde des sceaux demandait que ces nou
velles lois fussent renvoyées à la commission des Trente, par celte raison que la loi électorale est déjà soumise à cetle commission. De là le mécontente
ment de la majorité de février, dont M. Luro s’est, fait aussitôt l’interprète. « Quel est donc le rôle d’une commission parlementaire? s’est-il écrié, c’est d’êire l’auxiliaire de l’Assemblée. Mais est-ce que la com
mission des Trente peut revendiquer la maternité des lois conslilulionnelles Non, et son passé ne lui attri
bue aucun droit sur le présent. N oubiiez pas ce fait : Le 25 février, l’Assemblée a voté les lois conslilulion
nelles malgré les efforts, malgré les résistances de la commission des Trente. Ces lois, la commission les a repoussées jusqu’à la dernière heure. Est-ce qu’elles ne sont pas l’expression d’une pensée nouvelle qui domine dans l’Assemblée? Il s’agit d’v ajouter des dispositions complémentaires. Ces dispositions doi
vent être inspirées par le même esprit. Cet esprit était contraire à celui qui animait la commission, et c’est celte commission qui serait saisie de nouveau ! Le pays ne le comprendrait pas ! » Ainsi a parlé M. Luro avec véhémence, et non sans une certaine apparence de raison. Eu effet, le lendemain du 24 mai, auraiton chargé une commission animée de l’esprit de M. Thiers, d’organiser le gouvernement ditdecombat? Qu’eût répondu M. Dufaure à cette question? Il allait donc de lui-même au-devant d’un échec à peu près certain. Il l’a rencontré. Les lois complémentaires ont été renvoyées à une commission spéciale. Mais, qui
sait? au fond peut-être n’en est-il pas lâché autant qu’on pourrait le croire. Il avait engagé un peu imprudemment sa parole avant les vacances, il ne faut
pas l’oublier. La majorité, en se retrouvant, a fait ce qu’il ne pouvait pas faire, elle l’a dégagée.
Un mot maintenant des deux projets dont il vient d’être question. Le premier énumère les droits du président et. des deux chambres, trace à chacun la limite de ses fonctions, indique les points de contact entre ces fonctions différentes et la manière dont les pouvoirs publics doivent se mettre en rapport les uns avec les autres, sans empiètement ni invasion. Le second a trait à l’éleclion des sénateurs. Il établit que
le maire, président de droit des conseils municipaux réunis en assemblées électorales, ne pourra prendre part au vole s’il n’est membre du conseil ; que dans les communes administrées par une commission mu
nicipale, appel sera fait aux électeurs qui auront à élire un nouveau conseil ; qu’aux sénateurs sera allouée la même indemnité qu’aux députés, etqueles délégués des communes qui auront accepté le mandat d’électeurs, obligés sous peine d’une amende de 50 francs de se rendre au chef-lieu du département, toucheront de leur côté une indemnité de déplace
ment; que toute tentative de corruption sera punie d’une amende et de la prison; qu’il y aura trois tours de scrutin et que nul ne pourra être sénateur à l’un des deux premiers tours s’il ne réunit la majorité ab
solue des suffrages exprimés et un nombre de voix égal au quart des électeurs inscrits; qu’enfin seront inéligibles dans les départements où ils exercent leurs fondions, et dans les six mois qui suivront l’époque où ils auraient cessé de les exercer : les préfets, se
crétaires généraux et sous-préfets, les membres des
parquets, des Cours et des tribunaux, ainsi que les trésoriers, payeurs généraux et les receveurs particuliers des finances.
Enregistrons, en terminant, le récent mouvement diplomatique qui vient d’avoir lieu. M. d’Harcourt a été nommé ambassadeur à Londres, M. de Vogué, à Vienne et M. de Bourgoing à Constantinople.
M. John Lemoinne vient d’être élu membre de l’Académie française. Si, en faisant
sortir ce nom de l’urne, les illustres vieillards ont éprouvé le désir de remplacer un journaliste par un autre, ils ne pouvaient faire un meilleur choix Sans doute le nouvel élu n’est pas le seul homme de talent qu’on puisse rencontrer de nos jours parmi les improvisateurs de gazelle. M. Louis Veuillot s’entend mieux à lancer l’in
vective ; M. Emile de Girardin est plus abondant ; M. J.-J. Weiss est plus précis; M. Challemel- Lacour est plus incisif. Trois ou quatre, que je pourrais nommer, mettent en œuvre des qualités précieuses et une variété de formes qu’il ne possède pas. Tout ce que vous voudrez, mais ce faiseur d’entrefilets, qui est pourtant d’origine bri
tannique, ainsi que l’indique assez la structure de son nom, est sans contredit celui dont la prose de cristal résume le mieux l’esprit français d’au
jourd’hui. Avant tout, j’y reviens, ce qu’il écrit est d’une clarté sans pareille. Il dit ce qu’il veut dire et il ne dit que ce qu’il veut dire, chose rare, surtout dansla presse.
Arrivons à son mérite spécial.
Sachant qu’on ne réussit jamais chez nous sans ce qu’on appelle l’agrément, il sème à profusion dans ce qui tombe de sa plume les perles de l’es
prit ou les aiguillons de l’épigramme. D’un thème grave il n’hésite pas à faire une ou deux pages qu’on lit comme un chapitre de roman ou encore comme un tronçon de comédie. Que de fois, à propos de débats parlementaires, il a pimenté une discussion fade ou rebutante par les mots du plus fin ou du plus piquant ragoût. On croirai I qu’il a toujours à la main un morceau de quelque vieux crayon trouvé dans la défroque de Jacques Callot. Ce qu’il y a de sûr c’est qu’il a trouvé Tari, d’encadrer une anecdote dans une affaire de chiffres. Il égaye le lecteur à propos de houille.
Dans le premier moment, les tètes sérieuses sont déroutées et se hérissent; au second alinéa, elles se sont déridées; à la fin de l’article, en considé
rant cette prose si line, lout à fail comparable au vieux-sèvres, les plus rébarbatifs désarment
Sainte-Beuve qui avait, comme on sait, des instincts de janséniste farouche, n’y pouvait tenir.
Courrier de Paris