Nous passons sous silence le poids des caissons et la contenance des coffres à munitions, ces détails étant du ressort des ouvrages techniques. Nous ferons
seulement remarquer que les roues de i’affùt et de l’avant-train sont de même hauteur, tandis que dans l’ancien système les roues de l’avant-train étaient, plus basses. La convergence des flasques a permis de con
server le même tournant, malgré l’exhaussement des roues, ce qui facilite le tirage. Mais il nous paraît essentiel d’insister sur les immenses progrès réalisés depuis 1870 par l’artillerie prussienne, et, pour cela, il nous suffira de mettre en regard les zones dange
reuses et les vitesses à différentes distances pour les anciens et les nouveaux canons. Pour ne pas fatiguer l’attention, nous ne comparerons que l’ancien canon de 6 avec le nouveau canon de 9 centimètres, les deux calibres se correspondant exactement, puisque la premier lance un obus du poids de 6 k. 900 et le
second un obus de 7 kilos; les diamètres des âmes ne présentent qu’une différence de 3 millimètres, 91 dans l’ancien canon et 88 dans le nouveau.
DISTANCES ,
116 T I R
VITESSES
AUX DU-FÉftEKTDS DISTANCES
ZONES DANGEREUSES POUR UN BUT HAUT DE lm80
(B
Canon de 6
Canon de 0Canon de GCanon de î)
0331 2
445
500
30737272117 1000280
3263342 15002662951926 2000248
2731318 2500231257914 3000210
247710
On dit beaucoup de bien du nouveau canon français de 5, au sujet duquel rien n’a encore été publié. Quant au canon en bronze de 7, il constitue aujourd’hui une pièce d’une infériorité notoire et qu’ii im
porte de remplacer au plus tôt. Pour le démontrer sommairement, il suffit de dire que le canon alle
mand de 9 centimètres, pesant 450 kilos, lance un obus de 7 kilos avec une vitesse initiale de 445 mè
tres, pendant que notre canon de 7, pesant 640 kilos,
lance un obus du même poids avec une vitesse d’un peu moins de 400 mètres. Hâtons-nous d’ajouter que
notre artillerie fait de grands efforts pour améliorer son matériel et que nous avons beaucoup à espérer de l’intervention de l’industrie privée dans la fabri
cation des canons. Le Creusot prend, dit-on, la tète du mouvement par la construction d’un marteaupilon supérieur à tous ceux qu’on a vus jusqu’ici.
A. Wachter. LE CHAUDRON DU DIABLE
NOUVELLE
(Suite)
Un jour que M. de Bourguebus avait essayé la nouvelle meute dont il avait doté le chenil de son neveu, lorsqu’il fut de retour au don jon, il prit un malin plaisir à raconter à son jeune ami, qui s’était refusé de prendre parta la fête, tousles inci
dents qui l’avaient rendue charmante, et, comme celui-ci reconnaissait qu’effectivement une pa
reille chasse était de nature à passionner ceux qui avaient eu le bonheur d’y assister :
— Il ne tenait qu’à vous d’en jouir avec nous, mon cher, répliqua le vétéran , avec une nuance d’aigreur, ce n’est pas faute à moi de l’a­ voir sollicité comme une grâce ; il eût fallu pro
bablement que ma nièce vînt se mettre aux genoux de Votre Grandeur pour la décider? Kh bien ! soyez satisfait. Cette petite personne, que vous accusez d’être fière et hautaine, s’est aper
çue de votre absence ; elle m’a chargé de vous dire qu’elle la regrettait et de vous proposer de monter un des chevaux de son père à notre prochain laisser-courre. Trouvez-vous la démarche
(1) La zone dangereuse est déterminée par un triangle rec-, tan nie dont le petit côté de lra,80 est la verticale qui marque la hauteur d’un fantassin et dont l hypothénusc est la paitie de la trajectoire parcourue par le projectile comprise entre le sommet de la verticale et le point où l’obus frappe le sol Cela dit, on se rend immédiatement compte de l’immense supériorité du canon de 9 centimètres sur l’ancien canon de (i. La supériorité est aussi marquée en faveur (lu canon des batteries a cheval, dont l’obus a une vitesse initiale de 404 mètres, tandis que celle de l’ancien canon de 4 n’est que de 3(19 métrés.
assez flatteuse, et prétendrez-vous toujours que mon amitié pour vous se repaît d’illusions touchant la bonne volonté de ma nièce à votre égard?
M. de Tancarville interrompit son vieux camarade pour le rappeler à leurs conventions sur cette question délicate; il ajouta qu’il était ex
trêmement touché de l’aimable attention de MUede Chaslel-Chignon; que, bien qu’il ne se fit au
cune illusion sur sa valeur, et qu’il la tînt pour une politesse banale adressée à l’ami d’un oncle qu’elle aimait, il n’irait pas moins offrir ses remercîments à la jeune châtelaine; qu’il se con
sidérait comme d’autant plus obligé à ce devoir,
que sa santé le forçait de décliner la gracieuse proposition qui lui était faite.
L’inanité du prétexte sautait aux yeux de M. de Bourguebus. Les cinq à six lieues de pro
menade, que le jeune homme accomplissait tous les jours, témoignaient que jamais il ne s’était mieux porté ; d’un autre côté, il savait qu’excel
lent cavalier, M. de Tancarville aimait passionné
ment le cheval. Cette fin de non-recevoir, opposée à une invitation qui avait ravivé ses espérances, il la considéra comme une offense, et son dépit prit les proportions de l’indignation.
11 souhaita le bonsoir à son jeune ami d’un ton très-sec et, le lendemain, lorsque M. de Tancarville, auquel les dispositions de son hôte n’a­
vaient point échappé, annonça à celui-ci qu’il désirait retourner à Paris, le chevalier n’essaya point de le retenir et, pour la première fois, il ne trouva aucune objection à opposer à cette résolution.
Mais le jour que le jeune officier avait fixé pour sou départ se trouva être précisément celui de la seconde chasse de l’équipage; lorsqu’il quitta sa chambre Jean-Louis lui annonça que depuis longtemps déjà M. de Bourguebus était monté à cheval et parti pour Colleviile. M. de Tancarville ne voulut pas quitter le donjon sans avoir embrassé son vieux camarade, sans lui avoir exprimé sa reconnaissance pour cette pa
ternelle amitié, aux manifestations de laquelle il pouvait bien ne pas se prêter, mais dont il n’ap
préciait pas moins la valeur. D’un autre côté, et quels que. fussent les sentiments que lui inspirait M1 de Chastel-Chignon, il lui paraissait conve
nable de ne pas s’éloigner sans avoir été pi endre congé d’elle ; il ajourna donc son voyage,
et, suivant son habitude, après son déjeuner, il
s’en alla promener ses rêveries du côté de la mer.
De leur côté M. de Bourguebus et sa nièce étaient déjà en chasse.
Le cerf, un daguet, avait été attaqué avec douze chiens, les six autres ayant été disposés en relais volant. Les conditions dans lesquelles on se trou
vait faisaient de ce pelit nombre de chiens un
avantage; les bois n’étaient pas assez étendus pour qu’un animal jflus vivement mené ne se décidât pas à en sortir et à essayer de quelques refuites où les veneurs eussent eu peine à le suivre. Devant ce petit bruit, le daguet se con
tenta longtemps de tourner dans son enceinte d’attaque, se donnant plusieurs fois à vue et sem
blant, tant i! pu”- ‘ sai;. pou effrayé, trouver quelque char e i tnfares qui éclataient
derrière lui. Cep a ii finit par soupçonner que ce joli tapage n’était pas précisément une aubade dont on avait entendu le régaler. Avec cet admirable instinct qui touche de si près à l’intelligence, il avait compris que les bois de Colleviile, situés sur les contre-forts des falaises, rocheux et profondément découpés comme
celles-ci, sillonnés de gorges marécageuses et très-abondamment garnis de fauve, étaient plus propices à ses défenses que le plateau à peine ondulé sur lequel il était; une seconde fois il débucha; mais au lieu de revenir dans ses pre
mières voies, il prit la plaine dans la direction de Cany, suivit pendant près d’un quart de lieue un chemin pierreux sur lequel ni branches, ni
broussailles ne devaient garder le sentiment de son passage, se jeta à gauche, et il avait réussi à distancer les chiens lorsqu’il se retrouva dans son pays.
Admirablement gorgés, très-col lés à la voie, les recrues de M. de Bourguebus avaient les incon
vénients de leurs qualités, ils étaient lents. A mesure qu’ils se trouvèrent plus loin du ceif, ils commencèrent à chasser plus froidement, et quand les veneurs arrivèrent en vue des masses grisâtres étagées sur un triple rang de collines qui étaient les bois de Colleviile, la chasse avait pris le caractère d’un rapprocher. On alla ainsi
en annonant jusqu’à la bordure des taillis qui s’ouvraient sur une suite de coteaux dénudés, jalonnés ça et là de quelques touffes d’ajoncs rabou
gris et, à l’extrémité desquels, à une lieue de distance à pou près, on apercevait les aspérités grisâtres de la cime des falaises. Là, la meute se trouva tout à fait à bout de voie, et sur ce terrain, desséché par le vent du nord, il devint impossible d’en revoir. La journée avançait : dans la saison d’hiver la terre se refroidit rapidement aussitôt que le soleil décline ; les moments devenaient de plus en plus précieux.
Même quand il chassait à courre, le chevalier ne se décidait pas à se séparer de Caporal ; seu
lement alors il le tenait en laisse. Or, depuis que la meute était en défaut, il remarquait que son chien flairait la bruyère avec une expression voluptueuse, que les vives ondulations de sa queue rendaient encore plus caractéristique, il pria sa nièce de tenir son cheval, et se disposa à mettre pied à terre.
Vainement celle-ci lui représentant qu avec son infirmité et sans aide, une telle manœuvre n’était pas sans danger, lui proposa-t-elle d’appeler leurs gens, le vieux gentilhomme s’en défendit comme d’une offense.
— A mon âge, ma chère enfant, lui réponditil, les victoires sont trop rares pour que, volon
tiers, on se résigne à les partager; laissez-rnoi donc tout l’honneur de la mienne. J’en suis sûr,
Caporal empaume la bonne voie ; regardez, il marque qu’une fois encore cette voie tourne k gauche, et vous avez assez d’expérience en vé
nerie pour ne pas ignorer qu un cerf tourne toujours sur la même main ; il y a donc gros à parier qu’il est sur notre bêle de meute.
Les difficultés contre lesquelles le bon chevavalier eut à lutter pour quitter la selle donnaient la mesure du sacrifice qu’il était disposé à faire
au triomphe de son opinion. Enfin, il parvint à se laisser glisser sur le sol et délacha Caporal.
Aussitôt qu’il se sentit libre, le chien fit une pointe, revint sur ses pas, aspira largement, à plusieurs reprises, les émanations que la subti
lité de son odorat lui faisait découvrir, et partit le nez en terre, le plumet au vent, en jetant de loin en loin un aboi étouffé.
Il avait pris une direction parallèle à la lisière des bois, et M. de Bourguebus qui, à l’aide de son fouet, avait improvisé _ une béquille, le suivait clopin-clopant, mais cependant avec une agilité étonnante chez un invalide.
Caporal semblait partager l’animation de son maître, il s’échauffait de plus en plus, de plus en plus son allure devenait rapide et ses abois ac
centués. Il alla ainsi jusqu’à un buisson de saules, de nerpruns et de genets rabougris, qui,
dans le bas-fond du coteau, couvrait à peine un arpent de terrain, il y pénétra. Il n eut pas plus
tôt disparu, qu’on l’entendit donner à pleine voix et que le cerf bondit dans la lande.
— Tayaut! Balya..., il dit vrai! Ralya, ha! cria le chevalier, dont l’ivresse est plus lacue a deviner qu’à décrire. . , ,
Beaucoup plus curieux de jouir du succès^ de Caporal, que d’aller retrouver son cheval, il s assit sur un rocher et sonna une vue que des pou
mons de vingt ans n’eussent certainement pas soufflée aussi triomphale.
G. de Cherville.
(La suite prochainement.)