Saint-Mandrier.
Il y a près d’un an qu’en terminant, dans ce recueil, une série d’articles sur le premier port de guerre de la France dans la Méditerranée, NOus promîmes aux lecteurs de l Il
lustration de les conduire un jour à travers les ombrages de Saint-Mandrier, et de leur dé
crire les vastes établissements que la marine royale a fondés sur ce promontoire, dont la chaîne ferme, au midi, la ra
de de Toulon. Aujourd’hui que l’été verse des torrents de lu
mière et de fleurs sur ce beau rivage, n’est-ce pas le moment de tenir NOtre promesse ?
N’est-ce pas le moment de proposer à NOs testeurs assidus un voyage d’une heure dans ces vertes oasis qui versent généreusement à qui les visite la fraîcheur de leurs ombres et les parfums de leur plantu
reuse végétation ? N’est-ce pas
le moment enfin de faire un pèlerinage sur ces collines couronnées de pins, et décrivant dansl’azur du ciel des courbes si harmonieu
ses, qu’it semble que Dieu les caressa de sa
main paternelle, pour les apaiser, lorsque, sous l’effort des volcans, elles jaillirent émues et fumantes du sein des flots?...
En route donc, c’est-à-dire en mer ! NOus traversons la rade de Toulon, et NOus voguons vers celte belle presqu’île reliée au cap Sicier par un isthme de sables étincelants, lesquels tiennent lieu, dans le pays, de sources minérales. C’est là que, sous des tentes improvi
sées, enveloppés d’un bain de sable chauffé par le soleil à 45 degrés, les malades viennent suer et enterrer les rhumatismes de l’hiver.
Sur la pointe orientale de la presqu’île, désignée dans le portulan sous le NOm de cap Cepet, s’élève le tombeau de l’amiral Latouche-Tréville, chanté dans la Némésis par les deux plus grands poètes du Midi. Tout à côté de ce tombeau est bâti le sémaphore dont les
bras agiles signalent l’arrivée des navires des guerre qui apparaissent à l’horizon. Que de regards sont, h toute heure, fixés sur cette sentinelle vigilante qui transmet la première de la ville à la mer, du foyer natal au navire, les émotions heureuses du retour !
On débarque à la presqu île dans une petite darse bordée de quais solides et commodes. Une esplanade plantée de tamarins conduit à la porte de l’hôpital, ouverte entre deux spa
cieux pavillons, soutenus chacun par quatre colonnes toscanes, et destinés au logement des gardiens. C’est sur ce rivage même, au dire de la légende, que le céleste parrain du lieu, saint Mandrier, proconsul romain, con
verti au catholicisme et baptisé par l’évêque saint Cyprien, patron de Toulon, vint consa
crer dans la solitude et la prière le reste de sa vie au dieu des chrétiens. C’est là que, vers
l’an 800, il fut assassiné par les Sarrasins, qui occupaient à cette époque la colonie du Fraissinet, et dont les hordes sanguinaires désolèrent longtemps tout le littoral de la Provence et du Pié
mont.
L’immense cour dans laquelle on pénètre en entrant dans l’enceinte de l hôpital a servi, sous Louis XIV, d’ambulance aux malades des esca
dres française et espagNOle, guerroyant alors avec les croisières anglaises établies de
vant Toulon. Une batterie espagNOle en ruine, NOmmée on ne sait trop pourquoi la Tour de la Vieille, dont on aperçoit les restes sur la pointe N.-E. du lazaret, témoigne encore de la protec
tion dont NOs alliés entou
raient les hangars remplis de leurs blessés et des nôtres.
Il paraît que sous Louis XV et Louis XVI, cette portion de la colline échut en partage au clergé qui y fonda une ab
baye. Un prieuré était même établi dans la belle maison de campagne que M. Laydet, chi
rurgien de marine, possède au
jourd’hui aux environs de Saint-Mandrier : villa couverte de grands arbres et d’ombrage profonds, où Méry a placé le
Vue de l’hôpital de Saint-Mandrier prise de la mer.
Une aile des façades de Saint-Mandrier prise de la galerie du fond. Chapelle de Saint-Mandrier.
théâtre d’un de ses drames les plus émouvants : le Bonnet vert.
Lors du siège de Toulon, un camp de cinq mille hommes ayant été placé dans le voisina
ge du Lazaret, les républicains rétablirent sur l’emplacement de cette cour les hangars d’am
bulance qu’on y avait vu figurer sous le règne de Louis XIV. Ces hangars subsis
tèrent pendant toute la durée de l’empire, et ce ne fut que sous la restauration, lorsque la France épuisée eut repris haleine, que Ton put songer définiti
vement à établir un hôpital pour la marine, sur ce rivage qui, de tout temps, avait été reconnu propre à cette destination.
En effet, dès 1819, M. de Lavinty, qui cumulait, à Toulon, sous ie titre d’intendant géné
ral de la marine, la dignité de
major-général et celle de préfet maritime, fit dresser les plans des deux grands pavillons pa
rallèles, qui forment la cour, à l’est et au couchant. Il s’agissait à cette époque de restituer aux jésuites le local de l’hôpital de la marine, situé dans la rue Royale, qui leur avait appartenu avant la révolution ; et les pavillons de Saint-Mandrier étaient sans doute destinés, dans la pensée du gouvernement, à remplacer entièrement l’hôpital principal qu’on aurait abandonné aux réclamations ultramon
taines. Mais les événements de 1830 éclatèrent avant l’achèvement de ce grand travail, et la marine conserva ces deux hospices, que ses développements ultérieurs auraient, du reste, rendus indispensables.
Ce fut M. Kocourt de Charleville qui dressa les plans des deux ailes dont NOus veNOns de
parler. M. Bernard, aujourd’hui inspecteur général des travaux hydrauliques, qui suc
céda à M. de Charleville, modifia les plans de son prédécesseur, et ajouta aux bâtisses déjà faites les belles galeries à voûtes d’arête qui circulent tout autour de l’hôpital. L’aile du fond, qui ferme la cour au midi, et qui est perpendiculaire aux autres, fut élevée en 1828 sur les mêmes plans.
Chacun de ces pavillons a cent mètres de longueur sur à peu près vingt delarge. Chaque façade est percée de soixante-six ouvertures à plein cintre, reliées d’un plancher à l’autre par des balcons en fer. Ces pavillons, séparés [un de l’autre par des fossés de dix métrés de large, sont réunis par des poiits de com
munication qu’ou peut dresser au besoin. En
cas d invasion de maladie épidémique, par exemple, le pavillon dans lequel elle se ma
nifesterait pourrait être immédiatement isolé des autres pavillons, et même de tout l’établissement.
La cour occupeune surface de quinze mille mètres, tout ombragée par de jeunes ormeaux et tapissée littéralement de plates-bandes de camomille, dont les malades respirent .le parfum amer et sain. C’est à l’aspect des tra
ces des civilisations éteintes que les forçats ont exhumées en creusant les fondations de cet hôpital que ces vers du poète nîmois reçoi
vent une éclatante confirmation :
Et l’on ne peut fouler un pouce
de surface Dont la mort, mille fois,;n’aitjdéjà pris la place !
En effet, chaque coup de pioche dans cette grève a décou
vert des tombes, des urnes lacrymales, des médailles romaines, des chapelets de verro
terie et de scarabées, des monnaies, des crucifix, des cuiras
ses : Rome et le moyen âge, le
Paganisme et l’Evangile, tout cela mêlé et confondu dans la même poussière, dans le même oubli! Qui pourrait mieux prouver le triomphe du grand prin
cipe divin de l’égalité et de la fraternité, que ce repos commun entre les hommes de toutes les croyances et de tous les siècles, dans le sein maternel de la terre?...
Il m’est impossible, cher lecteur , de vous introduire dans l’intérieur de l’hôpital, d’abord parce que je vous ai promis un voyage d’agrément, et que si je faisais défiler devant vous
F1
Il y a près d’un an qu’en terminant, dans ce recueil, une série d’articles sur le premier port de guerre de la France dans la Méditerranée, NOus promîmes aux lecteurs de l Il
lustration de les conduire un jour à travers les ombrages de Saint-Mandrier, et de leur dé
crire les vastes établissements que la marine royale a fondés sur ce promontoire, dont la chaîne ferme, au midi, la ra
de de Toulon. Aujourd’hui que l’été verse des torrents de lu
mière et de fleurs sur ce beau rivage, n’est-ce pas le moment de tenir NOtre promesse ?
N’est-ce pas le moment de proposer à NOs testeurs assidus un voyage d’une heure dans ces vertes oasis qui versent généreusement à qui les visite la fraîcheur de leurs ombres et les parfums de leur plantu
reuse végétation ? N’est-ce pas
le moment enfin de faire un pèlerinage sur ces collines couronnées de pins, et décrivant dansl’azur du ciel des courbes si harmonieu
ses, qu’it semble que Dieu les caressa de sa
main paternelle, pour les apaiser, lorsque, sous l’effort des volcans, elles jaillirent émues et fumantes du sein des flots?...
En route donc, c’est-à-dire en mer ! NOus traversons la rade de Toulon, et NOus voguons vers celte belle presqu’île reliée au cap Sicier par un isthme de sables étincelants, lesquels tiennent lieu, dans le pays, de sources minérales. C’est là que, sous des tentes improvi
sées, enveloppés d’un bain de sable chauffé par le soleil à 45 degrés, les malades viennent suer et enterrer les rhumatismes de l’hiver.
Sur la pointe orientale de la presqu’île, désignée dans le portulan sous le NOm de cap Cepet, s’élève le tombeau de l’amiral Latouche-Tréville, chanté dans la Némésis par les deux plus grands poètes du Midi. Tout à côté de ce tombeau est bâti le sémaphore dont les
bras agiles signalent l’arrivée des navires des guerre qui apparaissent à l’horizon. Que de regards sont, h toute heure, fixés sur cette sentinelle vigilante qui transmet la première de la ville à la mer, du foyer natal au navire, les émotions heureuses du retour !
On débarque à la presqu île dans une petite darse bordée de quais solides et commodes. Une esplanade plantée de tamarins conduit à la porte de l’hôpital, ouverte entre deux spa
cieux pavillons, soutenus chacun par quatre colonnes toscanes, et destinés au logement des gardiens. C’est sur ce rivage même, au dire de la légende, que le céleste parrain du lieu, saint Mandrier, proconsul romain, con
verti au catholicisme et baptisé par l’évêque saint Cyprien, patron de Toulon, vint consa
crer dans la solitude et la prière le reste de sa vie au dieu des chrétiens. C’est là que, vers
l’an 800, il fut assassiné par les Sarrasins, qui occupaient à cette époque la colonie du Fraissinet, et dont les hordes sanguinaires désolèrent longtemps tout le littoral de la Provence et du Pié
mont.
L’immense cour dans laquelle on pénètre en entrant dans l’enceinte de l hôpital a servi, sous Louis XIV, d’ambulance aux malades des esca
dres française et espagNOle, guerroyant alors avec les croisières anglaises établies de
vant Toulon. Une batterie espagNOle en ruine, NOmmée on ne sait trop pourquoi la Tour de la Vieille, dont on aperçoit les restes sur la pointe N.-E. du lazaret, témoigne encore de la protec
tion dont NOs alliés entou
raient les hangars remplis de leurs blessés et des nôtres.
Il paraît que sous Louis XV et Louis XVI, cette portion de la colline échut en partage au clergé qui y fonda une ab
baye. Un prieuré était même établi dans la belle maison de campagne que M. Laydet, chi
rurgien de marine, possède au
jourd’hui aux environs de Saint-Mandrier : villa couverte de grands arbres et d’ombrage profonds, où Méry a placé le
Vue de l’hôpital de Saint-Mandrier prise de la mer.
Une aile des façades de Saint-Mandrier prise de la galerie du fond. Chapelle de Saint-Mandrier.
théâtre d’un de ses drames les plus émouvants : le Bonnet vert.
Lors du siège de Toulon, un camp de cinq mille hommes ayant été placé dans le voisina
ge du Lazaret, les républicains rétablirent sur l’emplacement de cette cour les hangars d’am
bulance qu’on y avait vu figurer sous le règne de Louis XIV. Ces hangars subsis
tèrent pendant toute la durée de l’empire, et ce ne fut que sous la restauration, lorsque la France épuisée eut repris haleine, que Ton put songer définiti
vement à établir un hôpital pour la marine, sur ce rivage qui, de tout temps, avait été reconnu propre à cette destination.
En effet, dès 1819, M. de Lavinty, qui cumulait, à Toulon, sous ie titre d’intendant géné
ral de la marine, la dignité de
major-général et celle de préfet maritime, fit dresser les plans des deux grands pavillons pa
rallèles, qui forment la cour, à l’est et au couchant. Il s’agissait à cette époque de restituer aux jésuites le local de l’hôpital de la marine, situé dans la rue Royale, qui leur avait appartenu avant la révolution ; et les pavillons de Saint-Mandrier étaient sans doute destinés, dans la pensée du gouvernement, à remplacer entièrement l’hôpital principal qu’on aurait abandonné aux réclamations ultramon
taines. Mais les événements de 1830 éclatèrent avant l’achèvement de ce grand travail, et la marine conserva ces deux hospices, que ses développements ultérieurs auraient, du reste, rendus indispensables.
Ce fut M. Kocourt de Charleville qui dressa les plans des deux ailes dont NOus veNOns de
parler. M. Bernard, aujourd’hui inspecteur général des travaux hydrauliques, qui suc
céda à M. de Charleville, modifia les plans de son prédécesseur, et ajouta aux bâtisses déjà faites les belles galeries à voûtes d’arête qui circulent tout autour de l’hôpital. L’aile du fond, qui ferme la cour au midi, et qui est perpendiculaire aux autres, fut élevée en 1828 sur les mêmes plans.
Chacun de ces pavillons a cent mètres de longueur sur à peu près vingt delarge. Chaque façade est percée de soixante-six ouvertures à plein cintre, reliées d’un plancher à l’autre par des balcons en fer. Ces pavillons, séparés [un de l’autre par des fossés de dix métrés de large, sont réunis par des poiits de com
munication qu’ou peut dresser au besoin. En
cas d invasion de maladie épidémique, par exemple, le pavillon dans lequel elle se ma
nifesterait pourrait être immédiatement isolé des autres pavillons, et même de tout l’établissement.
La cour occupeune surface de quinze mille mètres, tout ombragée par de jeunes ormeaux et tapissée littéralement de plates-bandes de camomille, dont les malades respirent .le parfum amer et sain. C’est à l’aspect des tra
ces des civilisations éteintes que les forçats ont exhumées en creusant les fondations de cet hôpital que ces vers du poète nîmois reçoi
vent une éclatante confirmation :
Et l’on ne peut fouler un pouce
de surface Dont la mort, mille fois,;n’aitjdéjà pris la place !
En effet, chaque coup de pioche dans cette grève a décou
vert des tombes, des urnes lacrymales, des médailles romaines, des chapelets de verro
terie et de scarabées, des monnaies, des crucifix, des cuiras
ses : Rome et le moyen âge, le
Paganisme et l’Evangile, tout cela mêlé et confondu dans la même poussière, dans le même oubli! Qui pourrait mieux prouver le triomphe du grand prin
cipe divin de l’égalité et de la fraternité, que ce repos commun entre les hommes de toutes les croyances et de tous les siècles, dans le sein maternel de la terre?...
Il m’est impossible, cher lecteur , de vous introduire dans l’intérieur de l’hôpital, d’abord parce que je vous ai promis un voyage d’agrément, et que si je faisais défiler devant vous
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