une procession de malades en robe de bure et en casque à mèc ip, je mentirais eiïrpptifljent à mon programme.
Visitons en passant, si vous vouiez, la chapelle de l’hôpital, Elle eu vaut bien la peine. Elle a été construite sur le plan du temple du Spleit, rapporté de Rome (le plan bien entendu), par M. Bernard, lorsque ce savant ingénieur vint prendre la direction des travaux de Saint-Mandrier. Cette chapelle, de forme circulaire, est un petit chef-d’œuvre de grâce et de coquetterie. Son enceinte est tout entière en pierres taillées, tirées des carrières reNOmmées de Cassis. Sa coupole est soutenue à l’intérieur par seize colonnes accouplées d’ordre corinthien, et à l’extérieur par vingt-quatre colonnes d’ordre ionique, qui, saillantes d’un mètre cinquante centimètres du mur d’enceinte, forment tout autour une charmante galerie d’crà i’on aperçoit un paNOrama superbe. La colonnade a vingt-cinq mètres de diamètre. Un beau ta
bleau deM. Duc’inchamp, représentant le baptême de saint Mandrier par saint Cyprian, orne le panneau de l’hôtel uni
que delà chapelle. Est-il beaucoup de familles en France dont on n’ait vu, depuis vingt ans que la marine envoie ses malades rétablir leur santé dans ce beau pays, quelque en
fant ageNOuillé sur le marbre de celte jolie chapelle ?... Derrière l’aile sud de l’hôpital est une vaste citerne dont on évalue la capacité à un million huit cent mille litres. Elle alimente le service général de l’établissement. Sur sa voûte, on a formé une belle terrasse qui conduit par des degrés en taille aux gradins élevés en espaliers de la colline.
Rien de plus gracieux que ces jardins suspendus dont l’harmonieuse et savante disposition rappelle les terrasses aériennes de Séiniramis. Ils sont l’œuvre d’un homme intel
ligent qui, depuis 1828, a voué sa vie à faire, de ce coin béni du globe, un des sites les plus comp ets et les plus ravissants de NOtre Midi. Cet homme, c’est M. Roux, conduc
teur des travaux hydrauliques, qui a dirigé en personne l’exécution de tous les édilices de Saint-Mandner. Lorsque sa tâche, comme architecte, a été remplie, il a reporté l’ac
tivité merveilleuse qu’il a puisée dans les rudes fatigues de son métier et dans l accomplissement des devoirs austères de la famille, vers un but tout aussi grandiose et plus poétique encore que le premier. Il a semé d’arbres de toute es
pèce, de fleurs de tous les climats, les lianes de la col ine ; il les a nivelés, aplanis, coupés de chemins sablés et d’une pente si douce, qu’on ne s’aperçoit pas, en les traversant, qu’on escalade un des plus rapides coteaux du pays.
Aussi M. Roux jouit-il aujourd’hui du fruit de ses labeurs et de son dévouement. Il peut dire, à l’exemple d un grand roi : « Saint-Mandrier, c’est moi ! » Ce n’est pas sans un lé
gitime orgueil qu’il cite les illu-tres visiteurs qui sont venus applaudir à ses riantes créations. Ce n’est pas sans une joie toute paternelle qu’ii accueille, sons ses treilles fleuries, 1rs douze mille curieux qui font tous les ans le pèlerinage de Saint-Mandrier! Deux charmants pavillons bâtis à mi-hau
teur de ia colline,-entourés de fontaines, de bouquets et d’a-
joupas, abritent l’un, sa famille, l’autre les matériaux de sa double existence : ses plans et ses graines, ses compas et sa serpe, son Viguole et son manuel du jardinier fleuriste.
Immédiatement au-dessous de ces pavillons et un peu avant d’y arriver, on trouve une immense citerne formée de deux bassins concentriques, dont les murs décrivent dans ,1e roc un arc de 70 mètres de développement, et dont les déversoirs correspondent à ia -citerne inférieure de l’hôpital. Cette citerne cube S,000,000 de litres. Tous les cours d’eau de la colline y viennent aboutir par une terrasse bâtie sur sa voûte et percée de puisards de trois mètres de profon
deur, au fond desquels l’eau s’épure en filtrant à travers une épaisse couche de gros sable.
Cette citerne n est pas seulement remarquable par sa forme et par ses dimensions ; elle l’est encore par un prodige d’acoustique que le hasard y a ménagé. La réputation de l’écho de Saint-flandrier commence à être et sera avant peu connue du monde voyageur. Le phéNOmène de la répercus
sion y est si complet, qu’il répète jusqu’à soixante-dix fois la détonation d’un simple pistolet de poche. La voix humaine y est si fidèlement reproduite, que de naïfs et super
stitieux paysans sont sortis tout épouvantés de la citerne, persuadés que c’était une succursale de l’enfer, peuplée de sorciers moqueurs, facétieux et invisibles.
Je ne résiste pas à la tentation de donner au lecteur un échantillon de cas conversations entremêlées de mauvais ca
lembours et diatroces jeux de mots, mais qui, grâce à une certaine habileté d’intonation acquise par ia connaissance exacte de la force des poumons de l’échu et par une expé
rience quotidienne, ne laissent pas que de produire l’effet le plus drôle et, le plus réjouissant. « Echo, bonjour.
— Bonjour, bonjour.
— Te portes-tu toujours bien ? — Bien, bien, bien.
— On dit que tu es uu voleur. — Leurre, leurre.
— Qu’aimerais-tu mieux, la bourse ou la vie ? — La vie, la vie.
— Es-tu toujours galant beaucoup? —Beaucoup, beaucoup.
— Qu’aimes-tu mieux, les hommes ou les femmes? — Les femmes, les femmes, les femmes!
— Comment trouves-tu le parfum de la mer? — Amer... amer...
— Je veux te faire le plus doux compliment qu’on t’ait jamais fait.
— Fais, fais, fais.
— Tu es le plus grand prodige de ces mers-ci. — Merci, merci.
— Qui t’a donné une aussi belle langue, scélérat? — C’est les rats, c’est les rats.
— Et vient-on te voir très-souvent? — Très-souvent, très-souvent.
— Et tu bavardes ainsi toujours ?
— Toujours, toujours, toujours. — Adieu.
— Adieu, adieu. »
Et mille autres choses de cette force. Quelquefois, c’est plus prétentieusement bêle encore, et alors il faut se bouclier les oreilles et s’enfuir.
En sortant de la citerne, on monte par cinquante marches en taille dans des parterres couverls d’une végétation équa
toriale. D’immenses groupes de pins embaument de résine les sentiers qu’ils ombragent. Les murs qui soutiennent les espaliers sont tapissés de lierre et d’aloès. De tous côtés se pressent des touffes de genêts grandes comme des oliviers, et leurs grappes de fleurs d’or forment un contraste éblouis
sant avec la verdure austère et sombre des cyprès et des cac
tus. Partout on voit les plantes les plus sauvages se mêler aux fleurs les plus délicates : les ientisques aux troènes, le thym à la balsamine, le romarin aux grands dalbias, le ser
polet aux rosiers, les bruyères blanches aimées d’Ossian, aux œillets écarlates, aux reNOncules bariolées si chéries d’Alphonse Karr. Partout on voit jaillir des géraniums avec des feuilles larges comme des pampres de vigne, des verveines comme des arbres, et des tiges de feNOuil qui balan
cent leur tête à quatre mètres de hauteur. Puis, dans les coins abrités et chauffés par le soleil, on admire rie beaux végétaux exotiques, des produits étranges de la flore afri
caine, tels que des figuiers de Barbarie aussi épais que ceux dont les Kabyles clôturent leurs gourbis ; des cactus-agaves
aussi vigoureux que ceux qui bordent lés chemins de la Boudjaréah. Un de ces agaves a poussé cette année une tige
de trente pieds de haut. Sa fleur, semblable à un grand candélabre, s’est élevée,-pendant vingt-huit jours, d’uncenr timèlre et demi à l’heure. Puis encore, on y voit des profusions de stapélies dont les étoiles constellent le sol ; des traî
nées d escolzia, cette magnifique plante californienne dont les fleurs semblent tissées avec les rayons du soleil ; puis enfin, aux points les plus embrasés par ia chaleur, on voit, en pleine terre, des patates et % bananiers chargés de
régimes demi-mûrs, aussi dorés y,-te lts grappes de dattes qui pendent au cou des palmiers voisins. Et que d’oiseaux chanteurs! que de rossigNOls, que de fauvettes! que d’insecles diaprés, que de papillons lumineux!..,
De quelque côlé que la vue se porte, ou découvre de beaux horizons, des plaints de verdure, des montagnes et des ro
chers célèbres par quelques souvenirs glorieux : ia falaise de la Malgue, reNOmmée pour ses vins, et sous laquelle le vaisseau le Romulus livra son immortel combat contre toute une escadre anglaise; le Faron, dans les précipices duquel dix-huit cents soldats de la république, surpris par les trou
pes anglaises, s’engloutirent aux cris de : Vive la France! le Petit-Gibraltar, qui fut le marche-pied de la gloire de Napoléon; les gorges d O lioulles, ces Thermopyles proven
çales, où une aimée piémontaise fut anéantie; et derrière leur chaîne grise et sauvage, les coteaux de GémèNOs et de la Sainte-Baume, chantés par Deliile.
Mais ce qu’on y admire, ce qui étonne et charme le plus, ce sont ces échappées de mer entre deux montagnes, dont les arêtes s’ouvrent sur le ciel, et qui ont inspiré à un poète du cru cette image hardie :
On dirait que l’horizon coupe Ce grand angle par le milieu,
Comme une gigantesque coupe
Remplie, à moitié, d un vin bleu!
La dernière visiteque NOus fîmes à Saint-Mandrier pouraller y recueillir les matériaux de cet article fut singulièrement attristée par un de ces événements qui arrivent cependant tous les jours dans les grands ports de mer. Tandis que, à l’abri d’un soleil de cinquante-huit degrés, NOus écoutions sods les pins résineux, comme Socrate et Phèdre sous les lauriers fleuris de l’Hyssus, les cigales converser au-dessus de NOs têtes, NOus vîmes, à travers une de ces échappées de mer, passer sous toutes voiles la frégate la Poursuivante, montée par M. l’amiral Legoarant de Tromebn, débutant dans fa carrière maritime par une campagne de cinq ans, et emportant NOs frères et NOs amis vers la station st souvent ensanglantée des îles Marquises.
Quand NOus quittâmes Saint-Mandrier, M. le docteur Lauvprgne, une des célébrités médicales et littéraires du Midi, qui NOus avait accompagné dans NOtre poétique excursion, NOus proposa d’aller voir de loin, pour mieux en saisir l’en
semble, le rivage que NOus venions d’explorer en détail. A cet effet, il NOus conduisit sur la côte opposée à Saint-Man
drier, dans une charmante bastide qu’il possède à côté de la villa d’un de ses plus célèbres confrères, M. le docteur J. Cloquet. En entrant dans cette coquette habitation, NOus étions loin de soupçonner la surprise qui NOus y accueillit. Au-des
sous d’uue ravissante marine de Jadin, peinte contre le mur de la cheminée du salon, NOus trouvâmes, écrit aussi sur le crépissage du tuyau, un autographe au crayon d’Alexandre Dumas, portant la date de 1855.
NOs lecteurs sauront gré à M. le docteur Lauvergne de NOus avoir laissé copier, pour eux, ces vers héroïques.
LA ROMANCE DU C1D.
A sa table d’honneur splendidement servie, Don Diègue était assis, triste et silencieux; Et ses pages tentaient sa faim inassouvie
Avec des mets exquis et des vins précieux.
Mais rien ne triomphait de son refus farouche; Son verre débordait, plein de viu étranger;
Aucun mets ne tentait sa bouche : Don Diègue ne pouvait manger J
Le Cid lui dit alors : « Qu’avez-vous donc, mon père? « A la table, inactif, pourquoi rester ainsi? »
Don Diègue répondit : « Don Rodrigue, j’espère « De l’honneur paternel que vous avez souci.
« Je vous l’avais gardé toujours pur et sans tache; « Ainsi qu’une couronne il brillait à mou front.
« Mais voilà que la main d’un lâche « L’a souillé du dernier affront! —
« Mon père, dit le Cid, en rougissant de honte, « Pourquoi vous raillez-vous de ma crédulité?
« Votre âme, je le sais, à la vengeance est prompte : « Il serait mort celui qui vous eût insulté. —
« Ma main, comme autrefois, Rodrigue, n’est plus sûre. « La force a lâchement abandonné le cœur,
« Et j’ai béante la blessure
« Par où s’écoula mou honneur!,..
« Or, je le dis, mon cœur n’aura ni paix ni trêve
« Qu’un vengeur, quel qu’il soit, n’ait lavé mon affront. « Et, comme une âme en peine errante sur la grève, « Jusque-là, nuit et jour, mes vœux l’appelleront. « J’écoute donc toujours si, de la sombre route,
« L’écho s éveille, au loin, sous le bruit de ses pas : « Comprends-tu, Rodrigue?,., J’écoute! « C’est pourquoi je ne mange pas. —
« Qu’après sa mort ii soit traîné sur une claie,
« Le bis qu’un tel appel pourrait trouver absent. « Mon père, c’est à moi de fermer votre plaie, « Et je mettrai sur elle un appareil de sang.
« NOuimez-moi donc celui qu’a marqué votre haine, « Et de son dernier jour le soleil aura lui ;
« Fût-ce le père de Chimène... »
Don Diègue répondit : « C’est lui! »
Le Cid prit son épée et se perdit dans l’ombre... Une heure s’écoula, ia porte se rouvrit :
Et le Cid reparut, mais plus pâle et plus sombre Que si de don Gomès il eût été l’esprit.
Fuis, s’arrêtant, sans plainte et sans discours frivoles, Devant le saint vieillard qu’il venait de venger,
11 ne lui dit que ces paroles :
« Mon père, vous pouvez manger ! »
A. DUMAS.
12 juin 1855.
Quand NOus vînmes, sur la terrasse de la villa, respirer la brise du soir, qui ridait d’imperceptibles frissons l’épiderme bleu et glacé de la mer, NOus admirâmes une dernière fois, à travers la brume pourprée par le soleil couchant, la cha
pelle de Saint-Mandrier, perdue dans les cactus comme un marabout algérien, et ce beau rivage, couronné d’une ver
dure étincelante, où le gouvernement, dans sa sollicitude paternelle pour ses fils souffrants, a dépensé déjà plus de deux millions, et où des centaines de torçals ont travaillé pendant, vingt-cinq ans à élever des monuments aussi beaux qu’utiles, aussi précieux à l’art qu’à l humanité;
C. P.
La Casdami.
Voir pages 6, 26, 36, 58 et 70.
VI.
La route d’Argeiès à Elne, qui longe d’assez près les rivages de ia Méditerranée, traverse un grand bois dans le
quel sont cachés deux villages portant le même NOm : l’un, Taxe d’Aval (on ajoute ce dernier mot pour le distinguer de son homonyme) est sur la route même, et fort hanté par les rou iers ; l autre, tout à fait enfoui dans la forêt, n’est qu’une misérable bourgade où rien n’appelle le voyageur, et qui, par le fait, ne reçoit pas un étranger tous les deux ans.
Là fut commis, vers la fin de i année où s’étaient passés les événements que NOus avons déjà fait connaître à NOs lecteurs, un crime qui provoqua, on ne sait comment, la sus
ceptibilité du parquet, d’ordinaire assez mal informé quand il s’agit de localités aussi désertes, aussi peu surveillées. Un substitut et un juge de paix, dûment escorlés d’un briga
dier de gendarmerie, vinrent y faire enquête et descente sur les lieux, — NOus croyons que c’est là le mot, — avec toute la solennité dont ils purent s entourer. Trois jours en
tiers, ces dignes magistrats dînèrent fort mal et couchèrent sur ia dure, harcelés par toute sorte d’insectes. Il résulta de cette assiduité louable, de ce zèle si rudement éprouvé, un procès-verbal dont NOus allons présenter une analyse sommaire.
A la mi-NOvembre, deux inconnus, un homme et une femme, s’arrêtèrent un soir chez une pauvre veuve, NOmmée Clayra, qui tenait le seul cabaret du village. Ils y soupèrent et demandèrent une chambre pour la nuit. La veuve Clayra n’était pas très-disposée à leur donner l’hospitalité, car elle les avait entendus causer pendant leur repas dans une langue étrangère qu’elle crut reconnaître pour être celle dont se servent les Caracos (bohémiens). Cependant, connue ils avaient payé leur écot, elle n’osa pas les refuser, et ils [lassè
rent la nuit chez elle. La femme était souffrante et dans un état de grossesse fort avancé. L’homme semblait inquiet pour sa compagne et pour lui de tout ce qui trahirait leur présence. Il s’informait des gens qu’on avait pu voir rôder aux environs, de ceux qui fréquentaient habituelle
ment ce village perdu, bref ses discours donnaient à penser qu’il se croyait poursuivi, soit par la justice, soit par une vengeance privée. Son hôtesse ne prit ceci en considération que par rapport à elle-même : bien assurée de là solvabilité du voyageur, elle fit de son mieux pour seconder ses vues et le dérober à tous les regards.
Le surlendemain du jour où elle avait reçu les deux per sonnages, vers huit heures du soir, les premières douleurs de l’enfantement se déclarèrent chez la voyageuse inconnue. Aucun médecin n’élait assez voisin pour qu’on imaginât d’a­ voir recours à son aide. D’ailleurs, les deux voyageurs, pré
voyant ce qui devait infailliblement arriver, c’est-à-dire l’accouchement prochain de la jeune femme, avaient déclaré qu’ils n’auraient besoin d’aucune aide étrangère.
Cependant, après quatre heures de souffrances, la délivrance paraissant offrir de sérieuses difficultés, la veuve Clayra, sans en prévenir ses hôtes, jugea qu’elle devait re
courir à l’expérience tfsriel Ofespisines, et se glissa hors de la maison pour leri qtmrirçEène homme et sa compagne y demeurèrent ieuis.