Les femmes, qui, sous l’influeuce des écrits de J. J. Rousseau, avaient, vers la fin du siècle dernier, pris l’habitude de NOurrir elles-mêmes leurs enfants, semblent y avoir aujourd’hui reNOncé pour la plupart, et les NOurrices sont tellement NOmbreuses à Paris, qu’elles y forment pour ainsi
dire une population à ptrt, une classe qui a ses mœurs, ses habitudes, son costume et un caractère spécial qui la différencie de toutes les autres classes de la population parisienne. L’étude de ces mœurs particulières a NOn-seulement son côté pittoresque, mais encore une certaine uti
lité, puisque des hommes spéciaux, des médecins aussi savants que recommandables n’ont pas craint de consacrer des volumes à tout ce qui pouvait concerner cette partie NOmbreuse de la population si bigarrée de la capitale.
Certaines contrées sont beaucoup plus riches que d’autres
en sujets; le NOmbre que chacune d’entre elles peut fournir est généralement en raison inverse de la richesse du pays et de l’activité de ses relations. Dans les pays pauvres NOtamment, dans la haute Bourgogne et dans les cantons limitrophes de la Nièvre et du Morvan, presque toute la population féminine émigre à tour de rôle pour venir NOurrir les enfants de la capitale ou de
ses environs. C’est ce qui, en terme du mé
tier, s’appelle descendre. Dans les pays plus riches, au contraire, où l’aisance générale imprime à la race entière une plus grande acti
vité, les femmes, partageant avec leurs maris les soins du ménage, d’une exploitation rurale ou d’une industrie quelconque, gagnent plus par leur présence dans leur maison ou par leur participation aux travaux delà famille, qu’elles ne pourraient le faire en allant chercher une NOurriture à Paris. Aussi compte-t-on parmi elles peu de NOrmandes. Les femmes de Picardie, du Vexin et de la Briesont également en petit NOmbre; on en trouve cepen
dant quelques-unes des environs de Gisors, mais c’est une population .mêlée qui, géné
ralement, est loin d’inspirer la même con
fiance que les BourguigNOnnes. Lepaysmanceau envoie aussi un certain NOmbre de su
jets. Aujourd’hui, du reste, toute la faveur est pour les BourguigNOnnes. Ce sont aussi les plus NOmbreuses. Deux bureaux sur quatre ou cinq qui existent à Paris se recrutent pour ainsi dire exclusivement de femmes de ce
pays. C’est parmi elles que la cour spécialement et ensuite les classes aisées de la société choi
sissent leurs NOurrices. Pour partager au moins la faveur dont sont environnées les BourguigNOnnes, les autres établissements ont soin, aussitôt qu’elles arrivent, de leur faire la plupart du temps quitter la coif
fure de leur pays pour prendre le bonnet bourguigNOn, ou plutôt l’un des bonnets bourguigNOns, afin de donner le change sur leur origine.
En effet, si l’on a dit : «Lé style, c’est l’homme,» on peut dire également: «Le bonnet, c’estla NOurrice.» Le bon
net c’est, si l’on peut parler ainsi, le brevet, l’uniforme, le signe distinctif de l’origine et de la profession. Chaque pays,
chaque ville, chaque village a son bonnet particulier qui sert à reconnaître le lieu d’où elles viennent. Quelques-unes
de ces coiffures ne manquent pas de grâce et d’originale simplicité; quelques-unes même ont une certaine élégance. Aussi dans la toilette de ces femmes, que leur vie de cam
pagne n’a pu préserverd’un sentiment inné de coquetterie, le bonnet est-il l’objet d’une prédilection particulière. Celle
qui est assez heureuse pour l’orner d’un joli ruban est secrètement l’objet de l’envie, on pourrait même dire de la jalousie de ses payses, qui attachent au moins autant de prix à cet ornement qu’à une robe voyante ou à un châle aux couleurs éclatantes.
Dans la presque totalité de la Bourgogne, c’est une indus
trie régulière que celle qui consiste à passer une partie de sa vie à Paris, à fait s .f-s NOurritures, tantôt dans une mai
son, tantôt dans une autre, et cette in dustrie est exercée NOnseulement par les femmes des nauvres gens, mais aussi par celles qui trouvent dans 1er, pays une aisance relative. C’est
en effet pour ëhës le seul moyen de rapporter quelque chose à l’association. Le mari tra
vaille au petit champ, surveille les enfants avec l’aide des grands parents s’il y en a, et de son côté la femme produit de quoi ajouter au bout de l’année à l’héritage de la famille. C’est ainsi que, dans une autre classe, agissent les Auvergnats, les Savoyards, qui en
voient religieusement au pays ce qu’ils ga
gnent, et s’imposent les privations les plus dures, soit pour arrondir leur pécule, soit pour se créer dans leur pays un petit patrimoine.
La seule différence, c’est que, pour les NOurrices, elles n’ont pas de privations à s’im
poser, car elles sont défrayées de tout, choyées, gâtées quelquefois, et mènent généralement une fort douce existence dans les maisons où elles sont entrées ; mais elles se croiraient déshoNOrées si elles ne rapportaient exactement au pays tout ce qu’elles ont reçu pen
dant le temps de leur NOurriture, et cela sans qu’il en manque la fraction la p\us minime.
Actuellement suivons-les dansméurs pérégrinations.
Les bureaux, tel est le NOm de ces établissements spéciaux qui recrutent les .NOurrices et se chargent d’en fournir aux familles, ont ordinairement-des voyageuses pour connaître dans chaque localité les femmes qui ont l’in
tention de venir exercer à Paris l’industrie de
NOurrices. Ces relations sont très-activement suivies, à . tel point que si le bureau appartient à plusieurs personnes, il y en a toujours au moins une en route ou en tournée pour reconduire des NOurrices dans leur pays, et surtout pour en ramener.
Du moment qu’une femme est entrée en relation avec la maîtresse du bureau ou avec ses représentants, elle ne s’ap
partient plus ; elle devient en quelque sorte la propriété de cette femme qui ne la quittera plus un seul instant, jusqu’à ce qu’elle soit placée, et qu’elle ait reçu son salaire et le bénéfice de son industrie.
Les NOurrices ont soin de se munir de certificats. Celui du maire, atteste que la titulaire est mariée et de bonne vie et mœurs. Mais il n’est pas aussi facile d’obtenir le certificat du curé. Dans beaucoup de communes les curés se refusent
à donner aux NOurrices un certificat, à moins que leur enfant n’ait quatre mois au moins. L’expérience, en effet, leur a appris que les enfants qu’on faisait voyager à Paris dans un âge aussi rapproché de leur naissance, et qu’on renvoyait
quelquefois au pays quelques jours après, confiés à des mains imprudentes, étaient exposés à une éNOrme mortalité. Ils exigent donc que l’enfant ait au moins quatre mois. Mais, dans ce cas, les NOurrices se contentent du certificat du
Les Bureaux de Nourrices à Paris.