cherchaient à se gagner la faveur du public par la construction de thermes somptueux, témoin Néron, qui en bâtit un très-grand NOmbre, et eut l’attention, aussi délicate qu’origi
nale, de faire venir dans ceux dits d’Agrippa l’eau de mer,
afin que la canaille de Rome pût, à son choix, se détremper dans l’eau salée où dans l’eau douce.
Grâce à Vitruve, à Athénée et à Pline surtout (voir la description de sa princière maison de campagne), on possède des NOtions fort exactes sur le mode d’ablution du peuple souverain. La science thermale était poussée à Rome à un raffinement iNOuï et qui doit NOus faire grande honte, à NOus autres peuples spiritualistes.
Voici ce qu’en l’année du Christ, quatre-vingt ou cent, la plèbe infime, le dernier portefaix de Rome, pouvait obte
nir de jouissances et de comfort pour un quadrant, une me
nue monnaie imperceptible, à peu près comme le liard, dont tout le monde parle et que personne n’a jamais vu.
Les thermes, ainsi qu’à Paris même on en peut avoir une idée tort affaiblie par ceux de Julien, construits, il faut s’en souvenir, pour une petite ville de province, occupaient une immense superficie, nécessaire au vaste développement de toutes les salles et appareils qui composaient un bain public.
Le baigneur, s’il le jugeait convenable, était d’abord introduit dans le sphéristère, lieu consacré aux exercices gymnastiques, et NOtamment au jeu de paume. Après s’y être récréé, il entrait au vestiaire, NOmmé apodytère, et y dépouillait ses vêtements, confiés aux mains de gardiens particuliers, NOmmés capsaires.
Du vestiaire, le baigneur, passait dans Yonctuaire, salle affectée aux frictions et au dépôt d’huiles de tous genres; puis de là au bain proprement dit, ou callida lavatio.
Un vaste bassin (lavacrum), rempli d’eau chaude sans cesse reNOuvelée, occupait le centre de la salle. Les bai
gneurs s’y introduisaient au NOmbre de douze ou de quinze. On leur versait de l’eau sur la tête, les épaules, et, au sortir de là, on les frictionnait avec le strigil (brosse, étrille).
Ils entraient de là dans l’étuve pour s’y offrir à la vapeur (iconcamerata sudatî o);puis ils passaient au tépidaire, où on les abluait d’eau tiède; puis enfin ils pouvaient, suffisam
ment préparés par cette gradation savante, affronter sans inconvénient le frigidaire, où les recevait une piscine d’eau
froide assez vaste, pour que l’on pût commodément s’y livrer à la natation. Il y avait dans la même salle le baptistère, destiné aux ablutions partielles, puis des reunctores, employés
qui massaient de NOuveau les baigneurs et leur enduisaient le corps d’essences. Dans les thermes bien organisés, il y avait jusqu à trois onctions. On y trouvait aussi, outre les bains communs, des baigNOires d’airain et de marbre, dont
quelques-unes suspendues et balancées par des esclaves, afin que le baigneur eût le double plaisir du bercement et de
l’immersion. Je passe sous silence une multitude de vases et d’ustensiles répartis dans les diverses salles, attestant le soin
minutieux et la recherche précieuse qui présidaient à toutes lés phases du bain, tour à tour chaud, tiède, froid.
Après l’immersion dans la dernière piscine et la réonction, le baigneur était enveloppé dans le sindon, ample étoffe de laine qui séchait et réchauffait, son épiderme. Puis il rentrait pour s’habiller au vestiaire, d’où il lui était loisible de re
tourner à la salle des jeux et des exercices, afin de compléter
par le mouvement physique la réaction qui rend salutaire le bain.
Tout ce vaste appareil était porté au degré de chaleur convenable par l’hypocaustum, immense four chauffé de toute espèce de bois, excepté celui d’olivier, et dans lequel, pour attiser une flamme égale partout, les fornacatores (chauffeurs) faisaient rouler des globes de métal enduits d’une couche de térébenthine.
Les esclaves chantaient en frictionnant le public, comme font encore en Orient les baigneurs de profession ; mais il n’était pas de bon ton de chanter soi-même dans le bain, ainsi que NOus l’apprend Théophraste.
Les principaux thermes étaient d’une grande magnificence : les empereurs y prodiguaient le marbre, le bronze,
les peintures. Les femmes y étaient admises, séparément des hommes d’abord ; mais plus tard, et malgré les défenses d’A­
drien et autres empereurs vertueux, le débordement sans cesse croissant des mauvaises mœurs y amena souvent la promiscuité des sexes.
Les bains précédaient d’ordinaire le repas du soir. Us étaient ouverts à deux heures de l’après-midi, et se prolon
geaient jusqu’à la brune. Le son d’une cloche avertissait le public de l’instant précis où il pouvait prendre le bain.
On peut juger, par ce très-court aperçu du bain-omnibus chez les Romains, de ce qu’étaient les thermes particuliers des riches, des Mécène, des Atticus, des Crassus, et mieux encore ceux des empereurs voluptueux et dépravés, ou des Julie, des Messaline, des Faustine.
Introduites dans les Gaules, les habitudes thermales des Romains s’y perpétuèrent, bien que singulièrement oblitérées, jusque vers l’époque où le bain d’étuve fut importé d’Orient en Europe par les croisés, avec la peste, l’ogive, et divers autres apanages de la société sarrasine.
Cette inNOvation eut le plus grand succès, et les étuvistes ne tardèrent pas à se multiplier dans Paris. Le prix d’admis
sion fut d’abord fort modique : il était fixé à deux deniers parisis pour le bain d’étuve simple, et à quatre pour le bain
suivi de l’immersion dans une baigNOire. Mais bientôt le luxe porté dans ces établissements rivaux en éloigna le peuple,
qui fut longtemps réduit aux seuls bains de rivière, dans des taues, bateaux fixes amarrés dans la Seine, couverts de toi
les, pourvus d’échelles et de pieux plantés de distance en distance qu’embrassaient les baigneurs pour résister au courant.
Quant aux étuvistes, ils étaient encore, au milieu du siècle dernier, en possession de recevoir exclusivement la classe riche, et ce que NOus NOmmons baigneurs aujourd’hui n’exis
tait même pas. L’auteur de Y Encyclopédie n’en fait aucune
mention. L’aristocratie avait ses bains domestiques, car c’est ainsique les désigne Diderot, en conseillant de déployer dans leur ornementation toutes les richesses du luxe et de la fantaisie; mais le NOmbre des baigNOires publiques était excessivement restreint.
En 1760, un NOmmé Poithevin, baigneur étuviste, s’avisa de faire construire sur la Seine deux bateaux de près de cin
quante mètres de longueur, supportant un étage de construc
tions divisées par un large couloir ouvrant de chaque côté sur une rangée de cellules qui donnaient vue sur la rivière. Il avait su utiliser et écoNOmiser l’espace, ce à quoi ses de
vanciers avaient jusqu’à ce jour fort mal réussi, et chaque bateau pouvait contenir environ trente cabinets de bains.
L’un fut amarré au pont Royal; l’autre resta mobile, allant d’un point à l’autre, selon les besoins du moment. Cette idée si simple, dont l’invention est à tort attribuée à M. Vigier
père, eut un succès d’enthousiasme. Le lieutenant de police, le prévôt des marchands, l’Académie de médecine, voire l’A­
cadémie des sciences, battirent des mains, comme s’il se lût agi d’une NOuvelle planète, et l’honnête Poithevin reçut ap
probation et privilège ; il fut choyé, complimenté, et, ce qui vaut mieux, enrichi. Son échafaudage flottant porta un coup funeste à l’industrie de ses anciens confrères, les barbiersétuvistes, dont il ne restait plus que huit ou dix à peine dès
l’an 1780. A cette époque on comptait déjà 250 baigNOires publiques.
L’assemblée constituante acheva de détruire les étuves et les étuvistes, en abolissant les privilèges des corporations comme ceux de la NOblesse et du clergé, et en ouvrant ainsi une libre carrière au génie naissant des baigneurs. Plusieurs très-grands établissements de bains furent fondés vers cette époque, entre autres ceux du Vauxhall et du Temple ; plus tard, sous l’empire, les bains ChiNOis et les célèbres bains Vigier. Néanmoins, la progression de ce genre d’industrie sous la république et sous l’empire est insignifiante, si on la compare au développement qu’elle a pris dans ces trente dernières années. Eu 1816, le NOmbre des baigNOires publi
ques de Paris n’était encore que de çinq cents, et en 1852, il atteignait déjà le chiffre comparativement éNOrme de deux mille trois cent soixante-quatorze, sans parler de mille cin
quante-neuf baigNOires mobiles : en tout, près de trois mille cinq cents. J’igNOre quel est le chiffre actuel ; mais il doit s’être pour le moins accru dans la même proportion. C’est là apparemment un bienfait de la paix. Je ne m’étonne pas si Rome défendait d’employer l’olivier pour le chauffage des thermes.
Les progrès de l’hygiène et du bien-être public peuvent aussi revendiquer leur part dans cet accroissement. A mesure ue s’élève le niveau général, les instincts de délicatesse se éveloppent, et les riches n’ont plus désormais le privilège d’être propres et bien vêtus. Réciproquement, l’habitude des