neur de cette objection, qui a du poids. Cependant à l’Odéon, comme jadis au Louvre, elle n’arrête guère d’abord l’impétueux Valois, et il faut que Duprat, mieux avisé que son seigneur et maître, dérange un rendez-vous qui pourrait de
venir fécond en disgrâces et couper l’arbre des Valois à sa racine. Les moyens employés par le vénérable magistrat pour arriver à son but n’ont jamais manqué leur effet au théâtre. Il arrive le premier au pavillon, où ne viendra pas Rosine, il souffle les bougies,’et François-Almaviva lui baise tendre
ment les mains. Au fiat lux, le Valois se fâche tout rouge, puis il s’apaise, puis il pardonne, et NOmme Duprat prési
dent de n’importe quoi : la couronne de France vaut bien ça. Clément Marot est mêlé à cette aventure, où il joue son rôle en Crispin courant après sa Lisette. Il obtient aussi son rendez-vous, et attrape sa mystification. M. Louis Monrose, l’au
teur de cette pièce, a joué son rôle de Marot avec un aplomb et un sang-froid des plus rares dans un père qui, naturelle
ment, doit trembler pour son enfant. Cette attitude Spartiate a touché le parterre, et il a rappelé vivement Marot-Brutus pour lui décerner une ovation doublement méritée.
Que si maintenant je m’avise de vous raconter Elle ou la mort, vous allez vous récrier. Entre Elle et la mort, qui ne placera tout de suite un extravagant, amoureux jusqu’à la
folie, et qui veut se tuer parce qu’on refuse de l’unir à Nancy, Betty ouKitty. C’est que le pauvre Percy, NONObstant l’illustration britannique de son NOm, est loin d’être un gentil
homme ; il est garçon de taverne, et même il a perdu cette position sociale : le voilà sur le pavé, très-pauvre siNOn tout à fait nu; il ne lui reste pour prendre patience et se distraire qu’une idée fixe, la mort ! Mais comment et par quel moyen se tuer? « Je pourrais bien, dit à ce sujet ce charmant per
sifleur d’Arnaî, me brûler la cervelle, mais ça défigure trop. Tiens, si je me NOyais !... Impossible, je sais nager. Allons, je vais m’asphyxier, mais je suis sur le pavé, on m’a privé d’un domicile ! » Tout autre prendrait son mal en patience et la vie comme elle est; Percy cherche un assassin et le trouve. « Bravo! s’écrie encore Arnal, c’en est un (bravo).» Cet as
sassin hospitalier est un rival et un scélérat fieffé; il a donc toutes les qualités requises pour s’acquitter delà commission;
la victime ne demande que le temps nécessaire pour rédiger un testament des plus ridicules, et s’offre résolument à la mort, couvert d’un manteau NOisette; heureusement une let
tre vient changer la situation. Percy est riche ; il hérite de sa tante, il épousera Kitty... Mais à quoi bon constater le ma
riage final, quand la pièce s’est terminée par un divorce réel, le divorce d’Arnal avec l’administration du Vaudeville?
Les jeux et les ris ont pris le deuil, et les spectateurs s’affligent : pour peu que la NOuvelle se confirme, qui ne parta
gera leur affliction ? On prétend que le successeur d’Arnal est déjà trouvé ; cependant on peut se demander si Arnal n’appartient pas à la race de ces grands hommes et de Ces grands comiques qui ne sauraient laisser ni héritiers ni remplaçants : toute la question est là.
Mais à quoi songe la presse, de quoi s’occupe le public ? M. Meyerbeer est à Paris, et personne n’en parle. On garde le silence sur le Prophète; il n’est nullement question de l A
fricaine. Les soleils les plus éclatants ont leurs éclipses, et combien de gloires bruyantes se sont éteintes dans le si
lence : est-ce que le grand compositeur prussien en serait arrivé là? S’il veut remonter au ciel de la publicité, n’est-il pas temps qu’il tienne en éveil la curiosité publique avec ses ouvrages, au lieu de lui jeter sans cesse la trompeuse amorce de ses allées et venues et de ses voyages? De NOs jours, d’ailleurs, l’admiration se lasse vite, et l’on ne croit pas longtemps à l’éclatante durée des chefs-d’œuvre, pas même à celle de chefs-d’œuvre inédits.
Cependant, le plus grand événement de la semaine, c’est le ballon de M. Green, qui est parti dimanche dernier de l’Hippodrome, et qui en repartira dimanche prochain. Avis
Cour d’assises de la Seine, novembre 1847. — Bande Thibert. Soixante accusés.
aux voyageurs aériens, car M. Green admet volontiers dans sa nacelle des compagNOns. Deux étrangers, l’un EspagNOl et l’autre Anglais, avaient pris place à ses côtés, et au dernier moment, une jeune et intrépide écuyère, tout à fait décidée à se faire enlever, s’est envolée dans les airs du môme élan que ces messieurs. Pour cette périlleuse épreuve, la jeune fille s’était parée et travestie comme pour un bal masqué ; elle a fait sa première campagne aérienne en costume de hussard. Le voyage a été aussi heureux que rapide, et une heure après son départ de l’Arc-de-Triomphe, la petite ca
ravane descendait au hameau de Bougival, à deux lieues de Paris. On avait prétendu que la dernière ascension de M. Margat avait reçu un encouragement pécuniaire du gou
vernement : M. Margat, pas plus queM. Green, n’a touché d’indemnité si ce n’est celle qui leur est attribuée par l’établissement qui devient le théâtre de leur départ. Le Directoire et l’Empire, qui croyaient à la possibilité d’uti
liser l’aérostatique, firent autrefois, dans un même but, des sacrifices, dont il ne paraît pas que l’exemple doive se re
NOuveler prochainement. C’est ainsi que pour chacun de ses deux voyages, de 1801 et de 1804, Jacques Garnerin re
çut une somme de 20,000 francs. A cette première époque, le ballon dont il se servit, étant de la même dimension que celui de M. Green, i’aéronaute admit pareillement trois personnes dans sa nacelle, sa femme et deux amis. Dans la relation de ce voyage, l’un des plus longs qu’ort ait encore
tentés, il raconte ses promenades dans l’atmosphère au sein de laquelle il voltigeait, rasant fréquemment le sol et mettant parfois pied à terre pour envoyer de ses NOuvelles à la capi
tale et faire signer par les autorités les procès-verbaux de son passage. Dans cette course aérostatique, dont la durée fut d’environ vingt heures, les voyageurs parcoururent suc
cessivement huit départements et allèrent descendre aux frontières de la Belgique. Si le chemin de fer n’est pas pré
cisément la voie la plus sûre, on voit qu’il est encore la
plus courte et qu’il n’a rien à redouter de la concurrence du ballon.
Après cette station en l’air, NOus repreNOns terre pour aller en Chine, sous la conduite de M. Bouton. Son pinceau fait constamment merveille, sous tous les climats et dans toutes les latitudes : un jour à Venise, un autre à Edim
bourg, hier en Amérique et aujourd’hui en Chine. Vous connaissez sa manière de procéder, et comment il NOus initie graduellement aux plus éclatants effets de la peinture.
Voilà que NOus sommes plongés dans l’obscurité la plus rofonde, puis un léger sillon lumineux apparaît dans l’otnre, et bientôt la lumière se fait, complète, ruisselante, splendide. Est-ce une illusion ou la réalité, une décoration
ou la nature? Le doute est permis. Dans tous les cas, la Chine n’est pas plus vraie à NOs antipodes qu’au boulevard Bonne-NOuvelle. Je vous dis que NOus sommes entrés dans l’un des faubourgs de Canton. Voici un tableau colorié au
point de communiquer le vertige ; c’est une profusion, une variété et une richesse incroyables de lignes et de cou
leurs. Le bleu du ciel, l’oulre-mer des eaux, l’ivoire des pagodes, la porcelaine des maisons, les fonds d’émeraude , que regarderons-NOus de préférence?... Mais pendant qu’on s’émerveille devant les bariolages de cette architecture fine, élancée, légère, coquette, riche surtout, le jour vient à baisser, le ciel se cuivre, les contours se bistrent, la dégradation successive de ta lumière aboutit à une nuit té
nébreuse. Ensuite, NOuveau prodige, une étoile brille dans l’obscurité; c’est la fusée qui doit en allumer mille au
tres : au jour le plus vif succède l’illumination la plus splendide ; c’est un foyer immense de lumière qui se brise en jets et ondoie en gerbes que reflètent les eaux trans
parentes du canal ; cent barques le sillonnent, ses rives se couvrent d’une population eu habits de fêtes, et les nmveilles de la couleur éclatent de NOuveau et recommencenl.
Rien ne manque à l’harmonie du tableau, et tout concourt à l’illusion, jusqu’aux murmures des clochettes et aux voix soNOres des tam-tam. Est-il nécessaire maintenant de con
stater le succès de vogue qu’obtient ce NOuveau tableau du peintre du Déluge et de l’Eglise Saint-Marc ? A quelque surprise qu’on puisse s’attendre devant une œuvre de M. Bouton, il faut bien reconnaître cependant que jamais la surprise ne fut plus grande, et que jamais son talent ne NOus avait paru plus admirable.
venir fécond en disgrâces et couper l’arbre des Valois à sa racine. Les moyens employés par le vénérable magistrat pour arriver à son but n’ont jamais manqué leur effet au théâtre. Il arrive le premier au pavillon, où ne viendra pas Rosine, il souffle les bougies,’et François-Almaviva lui baise tendre
ment les mains. Au fiat lux, le Valois se fâche tout rouge, puis il s’apaise, puis il pardonne, et NOmme Duprat prési
dent de n’importe quoi : la couronne de France vaut bien ça. Clément Marot est mêlé à cette aventure, où il joue son rôle en Crispin courant après sa Lisette. Il obtient aussi son rendez-vous, et attrape sa mystification. M. Louis Monrose, l’au
teur de cette pièce, a joué son rôle de Marot avec un aplomb et un sang-froid des plus rares dans un père qui, naturelle
ment, doit trembler pour son enfant. Cette attitude Spartiate a touché le parterre, et il a rappelé vivement Marot-Brutus pour lui décerner une ovation doublement méritée.
Que si maintenant je m’avise de vous raconter Elle ou la mort, vous allez vous récrier. Entre Elle et la mort, qui ne placera tout de suite un extravagant, amoureux jusqu’à la
folie, et qui veut se tuer parce qu’on refuse de l’unir à Nancy, Betty ouKitty. C’est que le pauvre Percy, NONObstant l’illustration britannique de son NOm, est loin d’être un gentil
homme ; il est garçon de taverne, et même il a perdu cette position sociale : le voilà sur le pavé, très-pauvre siNOn tout à fait nu; il ne lui reste pour prendre patience et se distraire qu’une idée fixe, la mort ! Mais comment et par quel moyen se tuer? « Je pourrais bien, dit à ce sujet ce charmant per
sifleur d’Arnaî, me brûler la cervelle, mais ça défigure trop. Tiens, si je me NOyais !... Impossible, je sais nager. Allons, je vais m’asphyxier, mais je suis sur le pavé, on m’a privé d’un domicile ! » Tout autre prendrait son mal en patience et la vie comme elle est; Percy cherche un assassin et le trouve. « Bravo! s’écrie encore Arnal, c’en est un (bravo).» Cet as
sassin hospitalier est un rival et un scélérat fieffé; il a donc toutes les qualités requises pour s’acquitter delà commission;
la victime ne demande que le temps nécessaire pour rédiger un testament des plus ridicules, et s’offre résolument à la mort, couvert d’un manteau NOisette; heureusement une let
tre vient changer la situation. Percy est riche ; il hérite de sa tante, il épousera Kitty... Mais à quoi bon constater le ma
riage final, quand la pièce s’est terminée par un divorce réel, le divorce d’Arnal avec l’administration du Vaudeville?
Les jeux et les ris ont pris le deuil, et les spectateurs s’affligent : pour peu que la NOuvelle se confirme, qui ne parta
gera leur affliction ? On prétend que le successeur d’Arnal est déjà trouvé ; cependant on peut se demander si Arnal n’appartient pas à la race de ces grands hommes et de Ces grands comiques qui ne sauraient laisser ni héritiers ni remplaçants : toute la question est là.
Mais à quoi songe la presse, de quoi s’occupe le public ? M. Meyerbeer est à Paris, et personne n’en parle. On garde le silence sur le Prophète; il n’est nullement question de l A
fricaine. Les soleils les plus éclatants ont leurs éclipses, et combien de gloires bruyantes se sont éteintes dans le si
lence : est-ce que le grand compositeur prussien en serait arrivé là? S’il veut remonter au ciel de la publicité, n’est-il pas temps qu’il tienne en éveil la curiosité publique avec ses ouvrages, au lieu de lui jeter sans cesse la trompeuse amorce de ses allées et venues et de ses voyages? De NOs jours, d’ailleurs, l’admiration se lasse vite, et l’on ne croit pas longtemps à l’éclatante durée des chefs-d’œuvre, pas même à celle de chefs-d’œuvre inédits.
Cependant, le plus grand événement de la semaine, c’est le ballon de M. Green, qui est parti dimanche dernier de l’Hippodrome, et qui en repartira dimanche prochain. Avis
Cour d’assises de la Seine, novembre 1847. — Bande Thibert. Soixante accusés.
aux voyageurs aériens, car M. Green admet volontiers dans sa nacelle des compagNOns. Deux étrangers, l’un EspagNOl et l’autre Anglais, avaient pris place à ses côtés, et au dernier moment, une jeune et intrépide écuyère, tout à fait décidée à se faire enlever, s’est envolée dans les airs du môme élan que ces messieurs. Pour cette périlleuse épreuve, la jeune fille s’était parée et travestie comme pour un bal masqué ; elle a fait sa première campagne aérienne en costume de hussard. Le voyage a été aussi heureux que rapide, et une heure après son départ de l’Arc-de-Triomphe, la petite ca
ravane descendait au hameau de Bougival, à deux lieues de Paris. On avait prétendu que la dernière ascension de M. Margat avait reçu un encouragement pécuniaire du gou
vernement : M. Margat, pas plus queM. Green, n’a touché d’indemnité si ce n’est celle qui leur est attribuée par l’établissement qui devient le théâtre de leur départ. Le Directoire et l’Empire, qui croyaient à la possibilité d’uti
liser l’aérostatique, firent autrefois, dans un même but, des sacrifices, dont il ne paraît pas que l’exemple doive se re
NOuveler prochainement. C’est ainsi que pour chacun de ses deux voyages, de 1801 et de 1804, Jacques Garnerin re
çut une somme de 20,000 francs. A cette première époque, le ballon dont il se servit, étant de la même dimension que celui de M. Green, i’aéronaute admit pareillement trois personnes dans sa nacelle, sa femme et deux amis. Dans la relation de ce voyage, l’un des plus longs qu’ort ait encore
tentés, il raconte ses promenades dans l’atmosphère au sein de laquelle il voltigeait, rasant fréquemment le sol et mettant parfois pied à terre pour envoyer de ses NOuvelles à la capi
tale et faire signer par les autorités les procès-verbaux de son passage. Dans cette course aérostatique, dont la durée fut d’environ vingt heures, les voyageurs parcoururent suc
cessivement huit départements et allèrent descendre aux frontières de la Belgique. Si le chemin de fer n’est pas pré
cisément la voie la plus sûre, on voit qu’il est encore la
plus courte et qu’il n’a rien à redouter de la concurrence du ballon.
Après cette station en l’air, NOus repreNOns terre pour aller en Chine, sous la conduite de M. Bouton. Son pinceau fait constamment merveille, sous tous les climats et dans toutes les latitudes : un jour à Venise, un autre à Edim
bourg, hier en Amérique et aujourd’hui en Chine. Vous connaissez sa manière de procéder, et comment il NOus initie graduellement aux plus éclatants effets de la peinture.
Voilà que NOus sommes plongés dans l’obscurité la plus rofonde, puis un léger sillon lumineux apparaît dans l’otnre, et bientôt la lumière se fait, complète, ruisselante, splendide. Est-ce une illusion ou la réalité, une décoration
ou la nature? Le doute est permis. Dans tous les cas, la Chine n’est pas plus vraie à NOs antipodes qu’au boulevard Bonne-NOuvelle. Je vous dis que NOus sommes entrés dans l’un des faubourgs de Canton. Voici un tableau colorié au
point de communiquer le vertige ; c’est une profusion, une variété et une richesse incroyables de lignes et de cou
leurs. Le bleu du ciel, l’oulre-mer des eaux, l’ivoire des pagodes, la porcelaine des maisons, les fonds d’émeraude , que regarderons-NOus de préférence?... Mais pendant qu’on s’émerveille devant les bariolages de cette architecture fine, élancée, légère, coquette, riche surtout, le jour vient à baisser, le ciel se cuivre, les contours se bistrent, la dégradation successive de ta lumière aboutit à une nuit té
nébreuse. Ensuite, NOuveau prodige, une étoile brille dans l’obscurité; c’est la fusée qui doit en allumer mille au
tres : au jour le plus vif succède l’illumination la plus splendide ; c’est un foyer immense de lumière qui se brise en jets et ondoie en gerbes que reflètent les eaux trans
parentes du canal ; cent barques le sillonnent, ses rives se couvrent d’une population eu habits de fêtes, et les nmveilles de la couleur éclatent de NOuveau et recommencenl.
Rien ne manque à l’harmonie du tableau, et tout concourt à l’illusion, jusqu’aux murmures des clochettes et aux voix soNOres des tam-tam. Est-il nécessaire maintenant de con
stater le succès de vogue qu’obtient ce NOuveau tableau du peintre du Déluge et de l’Eglise Saint-Marc ? A quelque surprise qu’on puisse s’attendre devant une œuvre de M. Bouton, il faut bien reconnaître cependant que jamais la surprise ne fut plus grande, et que jamais son talent ne NOus avait paru plus admirable.