Inauguration de la nouvelle Ecole Normale.
Auparavant, l’Ecole NOrmale se trouvait établie dans une aile abandonnée de l’immense collège Louis le Grand; les bâtiments tombaient en ruines et menaçaient la voie pu
blique ; l’humidité filtrait au travers des murs ; les dortoirs et les salles d’étude formaient autant de salpêtrières ; on y respirait une odeur de plâtras et de moisissure. Entre les murailles était emprisonnée une cour oblongue, conquise jadis parles jésuites sur l’ancien cimetière Saint-BeNOît. De petits arbres NOirs et maigres sortaient du milieu des pavés, et leur pauvre feuillage semblait s’accorder avec la tristesse de ces ruines collégiales.
C’était là que l’élite de NOtre jeunesse studieuse venait faire l’apprentissage del’enseignement; c’était là, dans ces débris de vieux cloître, qu’elle restait captive trois longues années, n’ayantd’autre vue, du côté du monde, que sur la rue des Morts, n’ayant d’autre printemps que la verdure maussade des arbres du préau. Une fois entré dans ce lieu, il fallait oublier ses vingt ans ; on se sentait vieux et désolé comme ces ruines ; on héritait de toutes les afflictions, de tous les en
nuis qu’un siècle entier avait laissés en ce triste séjour. Quelle aridité pour l’esprit ! quel froid pour le cœur! L’étude [a-t- elle besoin de ce deuil, de ces mornes retraites? Et pour for
mer un jour les jeunes âmes, faut-il reNOncer soi-même à sa propre jeunesse, faire de la vie un essai si morose, et ne
rien connaître du monde que les livres et les pensées de collège?
NOs législateurs universitaires n’ont point encore adopté les doctrines humaines et libérales du temps présent. Pour eux, le savoir n’existejqu’à la condition de porter la robeNOire et le bonnet carré ; ils veulent perpétuer la race des docteurs en us et faire refleurir le règne de l’antique Sorbonne
Aies entendre, professorat signifie encore reNOncement; c’est une fonction quasi-sacerdotale exigeant toutes les austérités :
le célibat devrait être la loi du corps enseignant! NOus n’en sommes pas encore venus là. Mais cette tendance monacale se révèle bien parole régime où l’on assujettit l’Ecole NOrmale. Les jeunes maîtres y sont tenus plus étroitement que les éco
liers dans les collèges ; on inflige d’abord à leur jeunesse, trop amoureuse peut-être des choses du dehors, cette humiliation de la captivité, cette épreuve ingrate de la claustra
tion; la liberté, ce premier des biens, le soleil et l’air leur sont ravis. Puis sur ces affligés s’exerce une règle puérile, qui semble faite pour leur ôter la dignité d’eux-mêmes : c’est une discipline de prêtres, une loi d’obéissance et de silence;
et l’on dirait que l’autorité du lieu veut changer l’Ecole en séminaire. Le respect de la règle, la constance et la gravité des habitudes sont, sans doute, les qualités inhérentes au pro
fessorat. Mais n’est-ce pas sûrement le moyen de rendre la discipline odieuse que de lui donner cet aspect pénitentiaire ? Vous conviez de jeunes intelligences aux libertés de la pensée, vous prétendez les embellir de toutes les connaisi sances, vous les préparez au rôle d’initiatrices littéraires et
scientifiques, et, au lieu d’hoNOrer en elles la culture même et l’élévation d’esprit, vous les rabaissez par une sujétion dérisoire ! Vous voulez former des hommes d’élite, et vous les traitez comme des enfants!... L’Empire avait mieux compris ce NOviciat intellectuel : il ne mettait passes jeunes maî
tres dans la condition de moines ou de prisonniers ; il les appelait seulement aux exercices de l’esprit, leur laissant faire, en dehors de l’Ecole, l’expérience et l’étude de la vie,
sans lesquelles tous les livres sont stériles ; enfin il n’asservissait pas leurs jeunes années à ce joug de pédagogie, et il considérait l’Ecole, NOn comme une suite du collège, mais comme un premier essai de la maîtrise.
Le chapitre serait long ; NOus NOus borNOns à indiquer. Aussi bien ne voudrions-NOus pas troubler la fête de famille que l’Ecole NOrmale s’est donnée aujourd’hui, en inaugurant ses NOuveaux bâtiments.
L’ancien local achevait donc de tomber’ en ruines, et l’on était fort pressé de prendre possession du NOuveau, d’abord par crainte de s’écrouler tout à coup sur les passants, ensuite par eonsidération’pour messieurs les administrateurs, qui avaient peu ou point de logement dans la masure de la rue des Morts. Les Chambres s’étaient montrées vis-à-vis de l’Ecole d’une libéralité magnifique : deux millions cinq cent mille francs avaient été votés pour la construction d’un vaste bâ
timent, qui fît honneur à l’Université et à la nation. Aussitôt les maçons se mirent à l’œuvre, sous la direction d’un ar
Séance d’inauguration de la nouvelle Ecole normale, 4 novembre 1847.
ehitecte zélé. Tout alla pour le mieux; l’argent ne manquait pas; on espérait même en avoir de trop, et déjà les cons
tructions étaient élevées jusqu’à la hauteur du premier étage,
— lorsque, ô prodige douloureux ! la bâtisse disparut tout entière. Les maçons, revenant le matin pour commencer le second étage, ne trouvèrent plus trace de leur édifice. Où était-il passé? Qu’en avait-on fait? Hélas! moellons et char
pentes s’étaient engloutis comme par enchantement dans la profondeur des Catacombes !... La destinée de cette pauvre Ecole semble être de toujours s’asseoir sur les cimetières... Vous savez que les Catacombes forment une ville souter
raine où s’écroulera tôt ou lard, si l’on n’y prend garde, le quartier Sainte-Geneviève. L’architecte de l’Ecole avait imprudemment bâti sur la cité des morts, et son œuvre se trouvait ensevelie avant d’avoir vécu.
Heureusement tout l’argent n’était pas enterré. On se remit au travail. Mais il fallut construire d’abord des fondations gigantesques, quatre-vingts pieds d’assises souterraines! En fin on sortit de terre, et, sans autre encombre, le bâtiment fut mené jusqu’à terme : — un vaste carré long, quatre façades symétriques de deux étages chacune; au milieu, une grande cour avec des arcades.
Déjà le besoin de crédits supplémentaires se faisait sentir. On n’aurait rien pu finir sans ces petits secours, et l’on se voyait privé du nécessaire pour avoir donné trop au superflu. Par exemple, la bibliothèque était ornée de boiseries élégantes, mais les rideaux manquaient aux fenêtres des études; les collections de minéralogie s’étalaient sur des
tables sculptées délicatement, mais les couchettes des élèves devaient être achetées au rabais. 11 fallut aussi imposer la NOurriture, déjà plus que frugale, afin de racheter les corniches doriques du vestibule.
Sans s’arrêter cependant à la bagatelle du déficit, l’administration arrivait, avec son petit ménage, pour s’installer d’abord dans les NOuveaux bâtiments. La part du lion fut faite, comme il convenait. Le quart de l’Ecole, c’est-à-dire une des quatre ailes, appartint tout entière aux trois gou
vernants, conseiller directeur, directeur des études et sousdirecteur. Le premier des trois eut seulement vingt-quatre pièces pour y loger sa grandeur, son libéralisme et son désintéressement; les deux autres, douze chacun!......
Quand ils se furent reconnus dans les détours de leurs ap
partements, NOs seigneurs donnèrent une seconde aile aux bibliothèques et collections scientifiques, une troisième aux salles de conférences, et, ces dispositions prises, ils firent venir de l’ancien local, élèves, maîtres surveillants, employés,
domestiques, etc. Pour loger tout ce monde, il restait juste le dernier quart de l’établissement, deux étages et un rez-dechaussée à partager en dortoirs, études, réfectoire, logements d employés, etc.— Ainsi les trois dignitaires occupent juste autant dé place dans la maison que l’Ecole entière!—Ces pau
vres élèves se trouvèrent ici plus à l’étroit qu’ils n’étaient dans les débris du collège Louis le Grand ; ils s’attendaient, au moins ceux de la dernière armée, à avoir de petites chambres;
le règlement de l’Ecole le leur avait bien promis, mais ledit règlement comptait sans les vingt-quatre pièces qu’il faut à
M. Dubois de la Loire-Inférieure ! Force fut de se contenter, comme devant, des salles communes et des dortoirs. Ajoutez à cela que les études, placées sous les toits, rappellent de loin les plombs de Venise; il y règne en été une atmosphère brûlante, qui rend impossible l’application au travail et compromet certainementla santé des élèves.
Ce n’est pas tout encore. Les élèves ainsi casés, ou plutôt tassés les uns sur les autres, il restait à loger les maîtres secondaires et les domestiques. Pour ceux-ci, il n’y avait pas besoin de se mettre en peine : on pratiqua des niches dans les combles. Pour ceux-là, à l’aide de deux cloisons, on leur fit des chambres au hasard et partout où l’on put. — Mais encore, où mettrons-NOus les cuisines? caron les a éga
lement oubliées. — Mettons-les dans les caves, et n’en par
lons plus. Quant à la chapelle, qui n’a pu trouver sa place,
M. le ministre des travaux publics donnera soixante autres mille francs supplémentaires, et MM. les administrateurs n’en perdront pas un pouce de leurs appartements!...
Je ne sais si les Chambres seront averties de ces belles dispositions qu’on a faites là. Il est bon, en attendant, d’édi
fier l’opinion publique. NOus exposons les faits purs et simples; ils n’ont pas besoin de commentaires.
VeNOns à l’inauguration. La fête se donnait dans la bibliothèque du lieu, que l’on avait pavoisée de petits drapeaux pour solenniser ce grand jour. Au fond, une estrade était dressée, où vinrent s’asseoir les hauts fonctionnaires, M. le ministre à leur tête. MM. Dupin et Thiers, défenseurs éloquents de l’université, hoNOraient aussi la fête de leur