quitter son diocèse, avait vu venir à l’évêché un émissaire du trésorier de la province, porteur d’une somme assez ronde qu’envoyait ce dernier à l’intendant de l’évêque, avec prière de la remettre à un de ses parents, aussitôt qu’il serait rendu à Paris. La tentation était trop forte : le bon prélat, réduit sans cesse aux expédients par la lésine de son fidèle major
dome, imagina de jouer lui-même le rôle de son intendant et se fit délivrer la somme. Selon saxoulume, il ne manqua pas de la distribuer chemin faisant à tous les pauvres de la route; puis, selon sa coutume encore, il n’y songea plus, aussitôt que la dernière demi-pistole se fut enfuie d’entre ses mains. Le trésorier, instruit au bout de quelque temps que son pa
rent n’avait pas reçu la somme à lui expédiée, en fit des plaintes à l’intendant. Celui-ci jura ses grands dieux de la meilleure foi du monde qu’il igNOrait absolument ce dont on lui voulait parler. Comme il était fort honnête homme, on le crut sans peine sur parole. Il demeura démontré alors qu’un intrigant avait pris îe NOm de l’intendant épiscopal pour es
croquer la somme confiée aux bons soins de ce dernier. De là, plainte à Paris au lieutenant de police et signalement du quidam, lequel se trouva s’appliquer d une scandaleuse façon à monseigneur l’évêque lui-même. On voit d’ici le quiproquo. Le pauvre Nesmond, tout confus et grondé par son in
tendant, échappa NOn sans peine à l’arrestation, grâce à son sacré caractère. Cette petite équipée ne le corrigea pas, et il continua, sa vie durant, de faire tout à la fois les délices des pauvres et le désespoir de ses gens.
L’hôtel Nesmond passa au dix- huitième siècle dans la famille Schomberg, qui compte parmi ses membres un maré
chal de France illustre, plusieurs généraux, et le migNOn célèbre qui fut tué, avec Quélus et Maugiron, par Antraguet et ses seconds, dans ce fameux duel qui coûta tant de larmes honteuses au dernier Valois.
Sous la révolution, l’hôtel fut acheté par un particulier pour 60,000 livres. A trente ans de là, l’acquéreur en refu
sait trois cent mille francs. Il a depuis appartenu à un homme de lettres, et sera mis en vente le 24 de ce mois aux criées du Palais-de-Justice. Il couvre, tant en bâtiments qu’en superficie de terrain un parallélogramme de près de 2,000 mè
tres, et les entrepreneurs, qui vraisemblablement l’achèteront pour le mettre bas, n’auront que l’embarras du choix quant aux constructions à y édifier. On peut y élever, soit, une cité,
soit un groupe de maisons, soit même un vaste monument public. Cette partie de Paris, trop négligée de la ville et des spéculateurs, appelle de tous ses vœux et de tous ses besoins des embellissements et des constructions neuves. Il avait été question, il y a quelques années, de choisir l’emplacement de l’hôtel Nesmond pour y élever un NOuveau palais archi
épiscopal. Cette idée était bonne et pourrait être encore fa
cilement mise en pratique : le siège de l’archevêché serait merveilleusement placé en face de la métropole.
Nouvelles mœurs administratives.
On a dit, et avec raison, qu’un tableau de Paris, pour être vrai, devrait être refait tous les vingt ou trente ans. Il en est de même, ou à peu près, des peintures de mœurs, bien que la France soit le pays de la routine. Les mœurs de l’adminis
tration, particulièrement, qui paraissent le plus frappées d’immobilisme, n’échappent point à cette transformation graduelle et incessante qui fatalement reNOuvelle, en une pé
riode plus ou moins longue, la face des hommes et des choses. Plus que d’autres peut-être elles sont variables, car elles subissent directement l’influence et sont le thermomètre des régimes et des pouvoirs, c’est-à-dire de ce qui est le moins stable parmi NOus.
Un écrivain d’esprit et de talent, très-compétent, en la matière, et de plus bon observateur, Imbert, vers le milieu de la restauration, a tracé un tableau piquant de ces mœurs ad
ministratives qu’une longue pratique ou pour mieux dire un long servage dans les bureaux l’avait mis à même d’étudier. Sa verve railleuse a inspiré le crayon d’Henri Monnier, et tout ce qu’on a écrit ou dessiné depuis sur ce sujet n’est guère que la répétition, le calque des portraits et des tableaux de genre dus à cette quasi-collaboration dont le succès fut colossal. L’imagination du public ne se représente guère l’employé autrement que sous les traits du vénérable et pa
terne M. Bellemain. Il a été entretenu dans cette erreur par les esquisses subséquentes à ce type célèbre qui toutes cô
toient plus ou moins l’ornière de la convention. Gela vient de ce que les peintres ne connaissaient pas leurs modèles.
Les portraits ont vieilli pourtant,; des tableaux, très-fidèles en 1825, ont cessé de l’être et nécessitent, siNOn une refonte totale, du moins une forte retouche.
Il ne s’agirait de rien moins que d’écrire tout un NOuveau livre sur le sujel qui NOus occupe. Ce côté curieux et sou
vent très-plaisant de NOs mœurs en vaut bien la peine. Il a été démesurément élargi depuis dix-sept ans par l’extension prodigieuse de tous les services publics qui tend à faire de la nation un peuple d’administrateurs. NOus avons plus d’une
fois pensé à entreprendre ce travail qui aurait tout au moins le mérite d’une actualité plus vive et plus étendue que jamais. Il va sans dire que les limites de ce recueil NOus in
terdisent, quant à présent, de songer à rien de semblable. Le lecteur est prié de ne considérer les observations som
maires qui vont suivre que comme une sorte d’ébauche, une introduction mêlée de traits épars et d’aphorismes généraux à la moNOgraphie de l’employé, telle que NOtre régime la com
porte, et qu’un jour NOus-même peut-être oserons-NOus l’offrir au public.
Sorte de meubles dépendant des administrations publiques, les employés NOn-seulement voient d’un œil impassi
ble les changements de dynasties et de systèmes; mais sans affection ni enthousiasme pour le présent, sans inquiétude pour l’avenir contre les éventualités duquel les protège leur infimité, s’ils ont quelque affection ou quelques sympathies, c’est au passé qu’elles s’adressent. C’est, on le sait, un faible
de la nature humaine. Mais les réminiscences plaintives de l’employé ne sont pas sans quelque justesse. Ils se rappelle la brillante position des commis de Versailles pourvus de larges traitements et hoNOrés sous la monarchie absolue. Le titre sonnait haut alors et la chose bien plus encore. C’était une espèce de seigneur qu’un commis : on savait son NOm ; il pouvait parvenir à tout; aujourd’hui, c’est moins que rien.
L’empire condamna les commis à une besogne excessive; il fit régner dans les bureaux la discipline des armées ; il sévit sans pitié sur les paresseux et les malhonnêtes. Mais les gens de mérite avaient de belles chances : un habile mémoire,
une lettre bien faite, suffisaient quelquefois à appeler sur eux la faveur de l’astre impérial : l’œil du maître brillait sur tout. Son doigt allait chercher remployé de talent dans le fond igNOré de quelque ministère et l’élevait sans transition au grade de chef de division, à un siège au conseil d’Etat. La restauration elle-même eut du bon ; elle s’enquérait un peu trop du NOmbre de messes entendues par les serviteurs de l’Etat ; mais elle avait de grandes manières et, somme toute, se montrait paternelle et munificente.
Aujourd’hui,,rien de tout cela. Aux commis de l’ancien régime ont succédé les employés, les attachés de ministères. Le mot commis est déprécié, j’igNOre par quelle dérivation ou quel caprice de langage ; toujours est-il qu’on le rejette et que l’on apporte la même affectation à s’en cacher qu’autrefois à s’en revêtir. Pourtant Colbert était commis avant d’être premier ministre. Les employés ne sont plus rien que les fractions obscures, infinitésimales d’un tout qui s enfle chaque jour. Ils ont peu de travail, mais peu ou point d’a
venir ; ils sont pauvrement rétribués. La multiplication des grades, le développement de ce qu’on NOmme la hiérarchie oppose à leur avancement une telle filière de classes, de titres et d’emplois qu’aujourd’hui Turgot ou Louvois, bien qu’ils en eussent, mettraient trente ans à devenir chefs de bureau. Les dernières grandes fortunes administratives da
tent de la restauration. Depuis, je ne sais pas d’exemple d’un commis qui soit parvenu aux sommités de la carrière. Les
derniers arrivés ont eu soin de couper le pont qu’ils venaient de franchir, comme s’ils eussent eu à leurs trousses les
Croates ou les Hulans. Grâce à Dieu, ces messieurs peuvent vivre tranquilles : à couvert sous la triple ligne de fortifica
tions dont ils ont su flanquer hur position inaccessible, ils peuvent s’endormir en paix dans leur fauteuil. Ils n’ont rien à craindre du mérite subalterne qui se morfond dans les bu
reaux. Celui-ci aura beau s’agiter, s’il s’agite ; il ne saurait pas plus percer qu’un pâle et froid soleil d’hiver en pleine brume de décembre. Mais il reconnaît lui-même l’inutilité de la lutte. Après quelques révoltes, il s’apaise et comprend qu’une vie entière suffit à peine à gravir les six classes de commis ordinaires, les trois ou quatre classes de commis principaux, les deux ou trois au moins de sous-chets et de chefs qui barrent savamment la route à chaque pas comme les écluses d’un canal ou des barricades qu’il faut, bon gré, mal gré prendre d assaut.
Les seuls ennemis qu’aient à redouter les gens arrivés, les hauts barons des ministères, sont dans les Chambres. Ceuxlà, en revanche, ne sont point indifférents ni méprisables. Ce n’est pas l’épée, c’est la boule de Damoclès qui sans cesse plane sur toutes les têtes directoriales. En règle générale,
voulez-vous parvenir dans les voies administratives? Gardezvous bien d’entamer votre carrière par le début : gardezvous de pâlir toute votre jeunesse sur l’apprentissage d’un métier qui, en somme, semble valoir la peine qu’on l’étudie un peu : l’art de faire les règles et de les appliquer, en un mot, l’art de gouverner. Il n’appartenait qu’à un sauvage comme Pierre-le-Grand de vouloir être matelot pour être amiral. NOus avons changé tout cela. Vivez bien, chassez et dansez jusqu’à trente ans ; trouvez ensuite des électeurs, et,
si l’envie vous en prend, vous aborderez de plain-pied les hauteurs administratives. SiNOn, vous ne serez jamais qu’un scribe nécessiteux et inconnu ; vous gagnerez de quoi justifier cette boutade d’un poète qui fut sans doute bureaucrate :
Une pâle déesse à la face flétrie
Moins par l’âge que par lesdégoûts delà vie, Me barrant le passage au milieu du chemin,
Pour m’aider à tomber, me présenta la main ; Ce qui revient à dire, en langage vulgaire,
Qu’un jour il me fallut entrer au ministère; Et j’en franchis le seuil béant, à cette fin
De gagner juste assez pour n’avoir pas de pain.
Après trente ans de cette vie, vous quitterez l’administration avec quinze cents francs de retraite.
Il n’y a point d’effets sans causes. On voyait des hommes de rien arriver sous la monarchie malgré l’obstacle permanent d’une aristocratie puissante. Pourquoi est-ce précisé
ment l’époque où un Français peut parvenir à tout, selon le dire de la Charte, et mieux encore, selon le vœu de la rai
son et du progrès; pourquoi, dis-je, est-ce cette époque où il est le plus difficile de se frayer, par la seule force du mérite,
en administration surtout, une voie directe, sûre et prompte ? Ces causes, c’est ce que je vais tâcher d’exposer ici sommairement.
De même qu’il n’y a plus de commis, il n’y a plus guère de ministres. On devient ministre par la Chambre, sans plus de peine et peut-être même à moins de frais que directeur. Pour tout NOviciat, pour toute préparation à la science admi
nistrative, on apporte quelques idées politiques, bonnes ou mauvaises. Ce sont là des faits bien connus. Etant convenu qu’un ministère marche tout seul, abstraction faite de celui qu’on place à sa tête, il est bien clair que les devoirs d’un ministre, en tant que ministre, sont la chose dont habituel
lement il se préoccupe le moins. La bonne volonté y fût-elle d’ailleurs, la puissance ferait défaut. La Chambre ne laisse pas le temps aux ministres même d’entreprendre cette édu
cation personnelle que semble tout au moins, au premier abord, leur imposer leur NOuveau titre. De là, l’obligation pour eux de s’en remettre exclusivement et à peu près aveu
glément, à trois ou quatre directeurs qui personnifient eu absorbent toute l’armée bureaucratique. Le ministre ne con
naît qu’eux, et ne tient à connaître qu’eux. Il ne daigne eu ne peut suivre dans les échelons inférieurs l’élaboration de la tâche administrative. Qu’importe le NOm de celui qui a rédigé cette dépêche ou ce rapport, des vues et du style du
quel le ministre a paru frappé, un jour qu’il avait le temps de lire ? C’est une pièce émanée du directeur un tel qui luimême peut-être l’avait à peine lue : c’est à lui qu’en revient l’honneur. Ce n’est pas tout à fait ainsi que procédait Napoléon. Il trouvait le temps d’administrer et déjuger les hom
mes capables, en faisant la guerre à l’Europe ; mais NOus avons la guerre des boules, ce qui est bien une autre affaire.
Je n’examine point les conséquences fâcheuses que peut déterminer un tel état de choses pour l’administration, et partant le pays. Je veux rester dans mon sujet et ne m’oc
cupe que des hommes. Il résulte de tout ceci que les em
ployés obéissent à leurs chefs immédiats comme de pures machines. Point d’émulation, point d’initiative. Ce qu’on demande aux employés avant tout, c’est l’assiduité, c’est la présence continue. NOus verrons tout à l’heure comment on obtient d’eux cette vertu immobilière. Privés de tout rapport avec leur chef suprême, fondés à se croire de sa part l’objet du plus profond dédain, ils languissent et s’étiolent morale
ment comme ces plantes cultivées dans des lieux bas, que
n’a jamais frappées un rayon de soleil. Un colonel passable connaît ou à peu près tout son régiment ; César savait le NOm de ses vingt mille soldats. Les employés vivent aussi igNO
rés de leur chef de file que si une muraille de la Chine s’é levait entre eux et lui. J’ai été employé dix ans, et n’ai jamais vu mon ministre.
Cette situation affligeante n’est point uniquement le fait du système représentatif. L’incurie, l’indolence des hommes, y entrent pour une égale part. Il ne coûterait pas beaucoup à un ministre de s’astreindre dans ses bureaux à une tournée trimestrielle, — annuelle si c’est demander trop, — de juger par lui-même de l’état du service, de recevoir les vœux de ses subordonnés, de rechercher si, dans cette tourbe aNOnyme, ne se trouvent pas par hasard fourvoyées et découragées quelques intelligences d’élite.
En Angleterre, où le même mode de gouvernement prédomine, les choses ne vont point ainsi. Le système adminis
tratif se rapproche de ce qu’il était chez NOus sous la royauté de droit divin. Les employés sont hoNOrés ; on s’enquiei t d’eux ; ils sont libéralement traités, peu NOmbreux; on exige d’eux beaucoup de travail, ce dont ils sont loin de se plaindre.
On suit en France une marche précisément inverse. On ne vise qu’à dédoubler, à multiplier les emplois. On croit ainsi se faire beaucoup de créatures : on se trompe. Outre qu’on imite le berger de la fable qui échange son mâtin robuste contre (rois roquets inutiles, on ne peut contenter tout le monde,
il s’en faut. Quel que soit le NOmbre des places, il est toujours en grande disproportion avec le chiffre des deman
des. Ceux que vous ne pouvez renvoyer satisfaits se tournent nécessairement contre vous. Et quant à ceux que vous pla
cez, n’imaginez pas qu’ils vous sachent le moindre gré de la faveur. Insuffisamment rétribués et profondément oubliés, du jouroùon les inféode à la plèbe administrative, ils ne se trou
vent pas traités selon leurs mérites, s’ils en ont, et encore moins, s’ils en manquent. La tiédeur, le mécompte et, je
voudrais ne pas ajouter la désaffection régnent parmi les employés. Leur zèle est au niveau de leurs appointements;
ils sont mécontents de leur sort, et passent à maudire leur chaîne les longues heures d’oisiveté bureaucratique. De là l’humeur rogue et bourrue de l’employé, que Dieu a pour
tant pétri du même limon que le commun des autres hommes.
Ainsi, de quelque manière que vous procédiez dans le système actuel, vous êtes sûrs de vous créer au moins dix ennemis pour un ami douteux. Plus vous multiplierez les places, plus vous accumulerez autour de vous, en échange de quelques succès éphémères, de sourdes animosités, d’irrita
tion, d’aigreur, de haine. Les ministres ont fait, évidemment fausse route : la spéculation est mauvaise ; c’est une duperie, c’est une impasse.
On est allé si loin dans cette voie, que déjà une réaction se fait sentir. Les ministres, qui naguère encore, pareils aux neveux classiques de l’ancienne comédie, attendaient avec une certaine impatience la mort de leurs oncles, c’est à-dire des fonctionnaires, pour distribuer leurs dépouilles, commen
cent à s’apercevoir que l’héritage est, somme toute, plus onéreux que profitable, et ne veulent plus l’accepter que sous bénéfice d’inventaire. NOus assistons depuis quelque temps
à ce singulier spectacle de gouvernants qui se dépossèdent eux-mêmes de leurs prérogatives et se lient les mains pour échapper soit à l’embarras du choix, soit au conflit et à la fureur des demandes. C’est ainsi que l’on voit plusieurs na
tures d’emplois, dont la disposition était précédemment lais
sée à l’arbitraire des ministres, être, par ces mêmes ministres, soumises à des épreuves et à des conditions d’admissibilité qui leur ôtent virtuellement des mains la faculté d’y pourvoir. C’est là un grave symptôme et qui découvre bien toute l’é
tendue de la plaie. Ceci a-lieu déjà dans quelques ministères, quant au mode de recrutement des employés qui ne doivent plus être admis dorénavant qu’après un examen et par voie de concours. Un concours d’administrateurs, cela paraît assez étrange. Comme il ne s’agit pas là d’algèbre m de con
naissances techniques, le mode peut n’être pas très-bon ; mais il témoigne d’un progrès, d’une velléité de réforme.
On sent aussi confusément le besoin d’améliorer la position des employés, enlarendanttoutàjafoisplussortable et
plus sérieuse. Il est question de garanties d’existence à leur assurer. Puis, quelques ministères ont commencé d’élever le minimum de leur traitement à un taux qui, siNOn suffise, du moins leur permette de vivre à peu près aussi décem
ment qu’un bon ouvrier en charpente. Il est probable qu’en retour une plus grande somme de travail leur est demandée,
dome, imagina de jouer lui-même le rôle de son intendant et se fit délivrer la somme. Selon saxoulume, il ne manqua pas de la distribuer chemin faisant à tous les pauvres de la route; puis, selon sa coutume encore, il n’y songea plus, aussitôt que la dernière demi-pistole se fut enfuie d’entre ses mains. Le trésorier, instruit au bout de quelque temps que son pa
rent n’avait pas reçu la somme à lui expédiée, en fit des plaintes à l’intendant. Celui-ci jura ses grands dieux de la meilleure foi du monde qu’il igNOrait absolument ce dont on lui voulait parler. Comme il était fort honnête homme, on le crut sans peine sur parole. Il demeura démontré alors qu’un intrigant avait pris îe NOm de l’intendant épiscopal pour es
croquer la somme confiée aux bons soins de ce dernier. De là, plainte à Paris au lieutenant de police et signalement du quidam, lequel se trouva s’appliquer d une scandaleuse façon à monseigneur l’évêque lui-même. On voit d’ici le quiproquo. Le pauvre Nesmond, tout confus et grondé par son in
tendant, échappa NOn sans peine à l’arrestation, grâce à son sacré caractère. Cette petite équipée ne le corrigea pas, et il continua, sa vie durant, de faire tout à la fois les délices des pauvres et le désespoir de ses gens.
L’hôtel Nesmond passa au dix- huitième siècle dans la famille Schomberg, qui compte parmi ses membres un maré
chal de France illustre, plusieurs généraux, et le migNOn célèbre qui fut tué, avec Quélus et Maugiron, par Antraguet et ses seconds, dans ce fameux duel qui coûta tant de larmes honteuses au dernier Valois.
Sous la révolution, l’hôtel fut acheté par un particulier pour 60,000 livres. A trente ans de là, l’acquéreur en refu
sait trois cent mille francs. Il a depuis appartenu à un homme de lettres, et sera mis en vente le 24 de ce mois aux criées du Palais-de-Justice. Il couvre, tant en bâtiments qu’en superficie de terrain un parallélogramme de près de 2,000 mè
tres, et les entrepreneurs, qui vraisemblablement l’achèteront pour le mettre bas, n’auront que l’embarras du choix quant aux constructions à y édifier. On peut y élever, soit, une cité,
soit un groupe de maisons, soit même un vaste monument public. Cette partie de Paris, trop négligée de la ville et des spéculateurs, appelle de tous ses vœux et de tous ses besoins des embellissements et des constructions neuves. Il avait été question, il y a quelques années, de choisir l’emplacement de l’hôtel Nesmond pour y élever un NOuveau palais archi
épiscopal. Cette idée était bonne et pourrait être encore fa
cilement mise en pratique : le siège de l’archevêché serait merveilleusement placé en face de la métropole.
Nouvelles mœurs administratives.
On a dit, et avec raison, qu’un tableau de Paris, pour être vrai, devrait être refait tous les vingt ou trente ans. Il en est de même, ou à peu près, des peintures de mœurs, bien que la France soit le pays de la routine. Les mœurs de l’adminis
tration, particulièrement, qui paraissent le plus frappées d’immobilisme, n’échappent point à cette transformation graduelle et incessante qui fatalement reNOuvelle, en une pé
riode plus ou moins longue, la face des hommes et des choses. Plus que d’autres peut-être elles sont variables, car elles subissent directement l’influence et sont le thermomètre des régimes et des pouvoirs, c’est-à-dire de ce qui est le moins stable parmi NOus.
Un écrivain d’esprit et de talent, très-compétent, en la matière, et de plus bon observateur, Imbert, vers le milieu de la restauration, a tracé un tableau piquant de ces mœurs ad
ministratives qu’une longue pratique ou pour mieux dire un long servage dans les bureaux l’avait mis à même d’étudier. Sa verve railleuse a inspiré le crayon d’Henri Monnier, et tout ce qu’on a écrit ou dessiné depuis sur ce sujet n’est guère que la répétition, le calque des portraits et des tableaux de genre dus à cette quasi-collaboration dont le succès fut colossal. L’imagination du public ne se représente guère l’employé autrement que sous les traits du vénérable et pa
terne M. Bellemain. Il a été entretenu dans cette erreur par les esquisses subséquentes à ce type célèbre qui toutes cô
toient plus ou moins l’ornière de la convention. Gela vient de ce que les peintres ne connaissaient pas leurs modèles.
Les portraits ont vieilli pourtant,; des tableaux, très-fidèles en 1825, ont cessé de l’être et nécessitent, siNOn une refonte totale, du moins une forte retouche.
Il ne s’agirait de rien moins que d’écrire tout un NOuveau livre sur le sujel qui NOus occupe. Ce côté curieux et sou
vent très-plaisant de NOs mœurs en vaut bien la peine. Il a été démesurément élargi depuis dix-sept ans par l’extension prodigieuse de tous les services publics qui tend à faire de la nation un peuple d’administrateurs. NOus avons plus d’une
fois pensé à entreprendre ce travail qui aurait tout au moins le mérite d’une actualité plus vive et plus étendue que jamais. Il va sans dire que les limites de ce recueil NOus in
terdisent, quant à présent, de songer à rien de semblable. Le lecteur est prié de ne considérer les observations som
maires qui vont suivre que comme une sorte d’ébauche, une introduction mêlée de traits épars et d’aphorismes généraux à la moNOgraphie de l’employé, telle que NOtre régime la com
porte, et qu’un jour NOus-même peut-être oserons-NOus l’offrir au public.
Sorte de meubles dépendant des administrations publiques, les employés NOn-seulement voient d’un œil impassi
ble les changements de dynasties et de systèmes; mais sans affection ni enthousiasme pour le présent, sans inquiétude pour l’avenir contre les éventualités duquel les protège leur infimité, s’ils ont quelque affection ou quelques sympathies, c’est au passé qu’elles s’adressent. C’est, on le sait, un faible
de la nature humaine. Mais les réminiscences plaintives de l’employé ne sont pas sans quelque justesse. Ils se rappelle la brillante position des commis de Versailles pourvus de larges traitements et hoNOrés sous la monarchie absolue. Le titre sonnait haut alors et la chose bien plus encore. C’était une espèce de seigneur qu’un commis : on savait son NOm ; il pouvait parvenir à tout; aujourd’hui, c’est moins que rien.
L’empire condamna les commis à une besogne excessive; il fit régner dans les bureaux la discipline des armées ; il sévit sans pitié sur les paresseux et les malhonnêtes. Mais les gens de mérite avaient de belles chances : un habile mémoire,
une lettre bien faite, suffisaient quelquefois à appeler sur eux la faveur de l’astre impérial : l’œil du maître brillait sur tout. Son doigt allait chercher remployé de talent dans le fond igNOré de quelque ministère et l’élevait sans transition au grade de chef de division, à un siège au conseil d’Etat. La restauration elle-même eut du bon ; elle s’enquérait un peu trop du NOmbre de messes entendues par les serviteurs de l’Etat ; mais elle avait de grandes manières et, somme toute, se montrait paternelle et munificente.
Aujourd’hui,,rien de tout cela. Aux commis de l’ancien régime ont succédé les employés, les attachés de ministères. Le mot commis est déprécié, j’igNOre par quelle dérivation ou quel caprice de langage ; toujours est-il qu’on le rejette et que l’on apporte la même affectation à s’en cacher qu’autrefois à s’en revêtir. Pourtant Colbert était commis avant d’être premier ministre. Les employés ne sont plus rien que les fractions obscures, infinitésimales d’un tout qui s enfle chaque jour. Ils ont peu de travail, mais peu ou point d’a
venir ; ils sont pauvrement rétribués. La multiplication des grades, le développement de ce qu’on NOmme la hiérarchie oppose à leur avancement une telle filière de classes, de titres et d’emplois qu’aujourd’hui Turgot ou Louvois, bien qu’ils en eussent, mettraient trente ans à devenir chefs de bureau. Les dernières grandes fortunes administratives da
tent de la restauration. Depuis, je ne sais pas d’exemple d’un commis qui soit parvenu aux sommités de la carrière. Les
derniers arrivés ont eu soin de couper le pont qu’ils venaient de franchir, comme s’ils eussent eu à leurs trousses les
Croates ou les Hulans. Grâce à Dieu, ces messieurs peuvent vivre tranquilles : à couvert sous la triple ligne de fortifica
tions dont ils ont su flanquer hur position inaccessible, ils peuvent s’endormir en paix dans leur fauteuil. Ils n’ont rien à craindre du mérite subalterne qui se morfond dans les bu
reaux. Celui-ci aura beau s’agiter, s’il s’agite ; il ne saurait pas plus percer qu’un pâle et froid soleil d’hiver en pleine brume de décembre. Mais il reconnaît lui-même l’inutilité de la lutte. Après quelques révoltes, il s’apaise et comprend qu’une vie entière suffit à peine à gravir les six classes de commis ordinaires, les trois ou quatre classes de commis principaux, les deux ou trois au moins de sous-chets et de chefs qui barrent savamment la route à chaque pas comme les écluses d’un canal ou des barricades qu’il faut, bon gré, mal gré prendre d assaut.
Les seuls ennemis qu’aient à redouter les gens arrivés, les hauts barons des ministères, sont dans les Chambres. Ceuxlà, en revanche, ne sont point indifférents ni méprisables. Ce n’est pas l’épée, c’est la boule de Damoclès qui sans cesse plane sur toutes les têtes directoriales. En règle générale,
voulez-vous parvenir dans les voies administratives? Gardezvous bien d’entamer votre carrière par le début : gardezvous de pâlir toute votre jeunesse sur l’apprentissage d’un métier qui, en somme, semble valoir la peine qu’on l’étudie un peu : l’art de faire les règles et de les appliquer, en un mot, l’art de gouverner. Il n’appartenait qu’à un sauvage comme Pierre-le-Grand de vouloir être matelot pour être amiral. NOus avons changé tout cela. Vivez bien, chassez et dansez jusqu’à trente ans ; trouvez ensuite des électeurs, et,
si l’envie vous en prend, vous aborderez de plain-pied les hauteurs administratives. SiNOn, vous ne serez jamais qu’un scribe nécessiteux et inconnu ; vous gagnerez de quoi justifier cette boutade d’un poète qui fut sans doute bureaucrate :
Une pâle déesse à la face flétrie
Moins par l’âge que par lesdégoûts delà vie, Me barrant le passage au milieu du chemin,
Pour m’aider à tomber, me présenta la main ; Ce qui revient à dire, en langage vulgaire,
Qu’un jour il me fallut entrer au ministère; Et j’en franchis le seuil béant, à cette fin
De gagner juste assez pour n’avoir pas de pain.
Après trente ans de cette vie, vous quitterez l’administration avec quinze cents francs de retraite.
Il n’y a point d’effets sans causes. On voyait des hommes de rien arriver sous la monarchie malgré l’obstacle permanent d’une aristocratie puissante. Pourquoi est-ce précisé
ment l’époque où un Français peut parvenir à tout, selon le dire de la Charte, et mieux encore, selon le vœu de la rai
son et du progrès; pourquoi, dis-je, est-ce cette époque où il est le plus difficile de se frayer, par la seule force du mérite,
en administration surtout, une voie directe, sûre et prompte ? Ces causes, c’est ce que je vais tâcher d’exposer ici sommairement.
De même qu’il n’y a plus de commis, il n’y a plus guère de ministres. On devient ministre par la Chambre, sans plus de peine et peut-être même à moins de frais que directeur. Pour tout NOviciat, pour toute préparation à la science admi
nistrative, on apporte quelques idées politiques, bonnes ou mauvaises. Ce sont là des faits bien connus. Etant convenu qu’un ministère marche tout seul, abstraction faite de celui qu’on place à sa tête, il est bien clair que les devoirs d’un ministre, en tant que ministre, sont la chose dont habituel
lement il se préoccupe le moins. La bonne volonté y fût-elle d’ailleurs, la puissance ferait défaut. La Chambre ne laisse pas le temps aux ministres même d’entreprendre cette édu
cation personnelle que semble tout au moins, au premier abord, leur imposer leur NOuveau titre. De là, l’obligation pour eux de s’en remettre exclusivement et à peu près aveu
glément, à trois ou quatre directeurs qui personnifient eu absorbent toute l’armée bureaucratique. Le ministre ne con
naît qu’eux, et ne tient à connaître qu’eux. Il ne daigne eu ne peut suivre dans les échelons inférieurs l’élaboration de la tâche administrative. Qu’importe le NOm de celui qui a rédigé cette dépêche ou ce rapport, des vues et du style du
quel le ministre a paru frappé, un jour qu’il avait le temps de lire ? C’est une pièce émanée du directeur un tel qui luimême peut-être l’avait à peine lue : c’est à lui qu’en revient l’honneur. Ce n’est pas tout à fait ainsi que procédait Napoléon. Il trouvait le temps d’administrer et déjuger les hom
mes capables, en faisant la guerre à l’Europe ; mais NOus avons la guerre des boules, ce qui est bien une autre affaire.
Je n’examine point les conséquences fâcheuses que peut déterminer un tel état de choses pour l’administration, et partant le pays. Je veux rester dans mon sujet et ne m’oc
cupe que des hommes. Il résulte de tout ceci que les em
ployés obéissent à leurs chefs immédiats comme de pures machines. Point d’émulation, point d’initiative. Ce qu’on demande aux employés avant tout, c’est l’assiduité, c’est la présence continue. NOus verrons tout à l’heure comment on obtient d’eux cette vertu immobilière. Privés de tout rapport avec leur chef suprême, fondés à se croire de sa part l’objet du plus profond dédain, ils languissent et s’étiolent morale
ment comme ces plantes cultivées dans des lieux bas, que
n’a jamais frappées un rayon de soleil. Un colonel passable connaît ou à peu près tout son régiment ; César savait le NOm de ses vingt mille soldats. Les employés vivent aussi igNO
rés de leur chef de file que si une muraille de la Chine s’é levait entre eux et lui. J’ai été employé dix ans, et n’ai jamais vu mon ministre.
Cette situation affligeante n’est point uniquement le fait du système représentatif. L’incurie, l’indolence des hommes, y entrent pour une égale part. Il ne coûterait pas beaucoup à un ministre de s’astreindre dans ses bureaux à une tournée trimestrielle, — annuelle si c’est demander trop, — de juger par lui-même de l’état du service, de recevoir les vœux de ses subordonnés, de rechercher si, dans cette tourbe aNOnyme, ne se trouvent pas par hasard fourvoyées et découragées quelques intelligences d’élite.
En Angleterre, où le même mode de gouvernement prédomine, les choses ne vont point ainsi. Le système adminis
tratif se rapproche de ce qu’il était chez NOus sous la royauté de droit divin. Les employés sont hoNOrés ; on s’enquiei t d’eux ; ils sont libéralement traités, peu NOmbreux; on exige d’eux beaucoup de travail, ce dont ils sont loin de se plaindre.
On suit en France une marche précisément inverse. On ne vise qu’à dédoubler, à multiplier les emplois. On croit ainsi se faire beaucoup de créatures : on se trompe. Outre qu’on imite le berger de la fable qui échange son mâtin robuste contre (rois roquets inutiles, on ne peut contenter tout le monde,
il s’en faut. Quel que soit le NOmbre des places, il est toujours en grande disproportion avec le chiffre des deman
des. Ceux que vous ne pouvez renvoyer satisfaits se tournent nécessairement contre vous. Et quant à ceux que vous pla
cez, n’imaginez pas qu’ils vous sachent le moindre gré de la faveur. Insuffisamment rétribués et profondément oubliés, du jouroùon les inféode à la plèbe administrative, ils ne se trou
vent pas traités selon leurs mérites, s’ils en ont, et encore moins, s’ils en manquent. La tiédeur, le mécompte et, je
voudrais ne pas ajouter la désaffection régnent parmi les employés. Leur zèle est au niveau de leurs appointements;
ils sont mécontents de leur sort, et passent à maudire leur chaîne les longues heures d’oisiveté bureaucratique. De là l’humeur rogue et bourrue de l’employé, que Dieu a pour
tant pétri du même limon que le commun des autres hommes.
Ainsi, de quelque manière que vous procédiez dans le système actuel, vous êtes sûrs de vous créer au moins dix ennemis pour un ami douteux. Plus vous multiplierez les places, plus vous accumulerez autour de vous, en échange de quelques succès éphémères, de sourdes animosités, d’irrita
tion, d’aigreur, de haine. Les ministres ont fait, évidemment fausse route : la spéculation est mauvaise ; c’est une duperie, c’est une impasse.
On est allé si loin dans cette voie, que déjà une réaction se fait sentir. Les ministres, qui naguère encore, pareils aux neveux classiques de l’ancienne comédie, attendaient avec une certaine impatience la mort de leurs oncles, c’est à-dire des fonctionnaires, pour distribuer leurs dépouilles, commen
cent à s’apercevoir que l’héritage est, somme toute, plus onéreux que profitable, et ne veulent plus l’accepter que sous bénéfice d’inventaire. NOus assistons depuis quelque temps
à ce singulier spectacle de gouvernants qui se dépossèdent eux-mêmes de leurs prérogatives et se lient les mains pour échapper soit à l’embarras du choix, soit au conflit et à la fureur des demandes. C’est ainsi que l’on voit plusieurs na
tures d’emplois, dont la disposition était précédemment lais
sée à l’arbitraire des ministres, être, par ces mêmes ministres, soumises à des épreuves et à des conditions d’admissibilité qui leur ôtent virtuellement des mains la faculté d’y pourvoir. C’est là un grave symptôme et qui découvre bien toute l’é
tendue de la plaie. Ceci a-lieu déjà dans quelques ministères, quant au mode de recrutement des employés qui ne doivent plus être admis dorénavant qu’après un examen et par voie de concours. Un concours d’administrateurs, cela paraît assez étrange. Comme il ne s’agit pas là d’algèbre m de con
naissances techniques, le mode peut n’être pas très-bon ; mais il témoigne d’un progrès, d’une velléité de réforme.
On sent aussi confusément le besoin d’améliorer la position des employés, enlarendanttoutàjafoisplussortable et
plus sérieuse. Il est question de garanties d’existence à leur assurer. Puis, quelques ministères ont commencé d’élever le minimum de leur traitement à un taux qui, siNOn suffise, du moins leur permette de vivre à peu près aussi décem
ment qu’un bon ouvrier en charpente. Il est probable qu’en retour une plus grande somme de travail leur est demandée,