et c’est justice. Il y a là un pas réel, bien que timide encore, vers l’aNOblissement, la régénération de cette classe dépri -
mée, et tôt ou tard la réduction de cette multitude d’emplois qui, inutiles à l’Etat, ne NOurrissent pas leurs titulaires et ne profitent à personne.
Malheureusement, cette tentative de mieux faire est accompagnée de mesures acerbes et humiliantes qui ravalent la condition de l’employé et tendent à lui donner une idée peu élevée de ses devoirs et de lui-même. Le mérite de l’as
siduité est évalué beaucoup trop haut parmi les vertus de la classe. La ponctualité militaire est une qualité subalterne, nécessaire tout au plus dans les relations directes avec le pu
blic, qui sont toujours l’exception. Néanmoins, pour l’obtenir de tous indistinctement, on exhume aujourd’hui les feuilles de présence, sorte de gêne et de carcan tombés en désuétude et qu’il eût convenu à toutes les époques de laisser aux ré
gents de collège. Le but est de forcer les employés à venir religieusement à leurs bureaux à neuf ou à dix heures sonnantes, et d’y séjourner jusqu’à cinq. Le résultat est de trans
former une légion d’hommes mûrs et qu’on doit croire graves en autant d’écoliers qui jouent à cache-cache avec leurs su
périeurs et dont l’esprit, au lieu de veiller sur les intérêts de l’Etat, est sans cesse tendu vers quelque scapinade propre à déjouer la surveillance, à rompre une consigne absurde. La belle avance quand vous aurez des dieux Termes dans vos bureaux! Laissez l’intelligence de côté en ce cas, et récom
pensez les fauteuils. De deux choses l’une, ou vous avez af
faire à des écervelés qu’il faut congédier, ou vous avez en face de vous des hommes raisonnables, imbus du sentiment de leur devoir, et vous devez faire fonds sur leur honnêteté, leur conscience, et les afiranchir de ces puériles entraves.
Pense-t-on, par hasard, que, pour être employé, on cesse d’appartenir à ce monde et que, sur le seuil des bureaux, on doive, on puisse laisser, en entrant, les affaires, les soucis, les préoccupations, les inquiétudes du dehors ?
Il n’en est rien, et la plupart des employés en sont réduits
à cumuler pour vivre des occupations extérieures avec les travaux de leur poste. Presque tous font plusieurs métiers, les uns tiennént des livres ou donnent des leçons d’arith
métique et d’écriture ; d’autres des leçons de musique. Il en est dont les femmes ont un petit commerce de mercerie ou de lingerie. Il faut cela pour joindre à peine les deux bouts. On en a vu même obligés par le malheur des temps et la mu
nificence de l’Etat à distribuer des contremarques dans un théâtre de boulevard. Il en est d’autres enfin qui se mêlent d’écrire, et les neuf ministères comptent dans leurs bureaux quelques douzaines de gens de lettres. De pareilles positions qui assurent au moins les premiers éléments du strict néces
saire semblent en effet couvenir aux écrivains, chez qui la folle du logis, mauvaise ménagère, compromet et oublie le garde-manger. Un gouvernement qui serait quelque peu Mécène trouverait sans peine dans la multitude d’emplois commodes dont il dispose de quoi favoriser les lettres. Mais, loin qu’ils doivent à leurs titres littéraires l’humble existence dont ils jouissent dans les bureaux, les écrivains y sont mal vus. Il est rare qu’ils y fassent leur chemin ; il l’est moins de les voir congédiés sans façon pour quelques écarts véniels ; entre autres, ce terrible manque d’assiduité avec lequel il
n’est, au ministère, point de salut. Leur capacité présumée ferait supposer qu’on leur confie des travaux de rédaction de quelque importance. Nullement : la plupart sont expéditionnaires et passent pour être dépourvus d’aptitude administrative. Un directeur que j’ai connu personnellement s’impa
tientait décompter plusieurs littérateurs parmi ses employés.
Il ne pouvait leur reprocher de consacrer le temps de l’Etat à leurs élucubrations ; la chose était tout simplement im
possible, vu le travail forcé qui, par exception, pesait in
cessamment sur les bureaux de cette direction neuve et et active. Néanmoins, il les tourmentait, se gardait de les avancer et leur jetait continuellement à la face cette formi
dable appellation d’hommes de lettres. Ceux-ci objectaient humblement que, ne trouvant pas de quoi vivre dans leur emploi, ils étaient bien forcés d’utiliser leur plume ; qu’au surplus en ceci ils ne faisaient qu’user du droit incontesta
ble de disposer à leur guise du temps que leur laissait l’ad
ministration. «A la bonne heure ! répondait le directeur poussé dans ses derniers retranchements, mais vous apportez au bureau la préoccupation de vos travaux littéraires ! je n’aime pas cela, changez de métier!—Mais lequel faire?— Eh bien! allez tenir des livres ! »
L’arrivée au bureau.
Quelques-uns réussissent cependant par la plume, mais c’est à la condition de tourner aux affaires et à la politique, c’est-à-dire de reNOncer au titre de littérateur.
Avant de terminer cet article, il me reste à jeter un rapide coup d’œil sur les quelques types retracés par la gravure et placés par NOus sous les yeux de NOs lecteurs.
Le chef de bureau.
J’ai déjà dit plus haut l’employé malheureux qui arrive à dix heures une minute, juste à point pour constater la fer
meture des portes, et se voir NOter d’infamie sur la feuille dite de présence, épouvante et deuil des absents. Il conlem
Le vieil expéditionnaire.
pie mélancoliquement cet huis inhospitalier, et suppute dans sa pensée la réprimande que lui vaudra cette fatale minute de retard, voire l’amende, s’il est en cas de récidive, avec menace d’expulsion.
Voici le chef de division ou le directeur, grand prévôt et
juge criminel, — rarement civil en effet — à l’encontre des délinquants. Les airs de tête, le col empesé et la cambrure du personnage indiquent assez que NOus avons devant NOus un homme important. Le chef de division donne beaucoup de signatures et d’audiences; c’est là sa fonction spéciale. Bien qu’il ait des airs protecteurs, il serait difficile d’induire de ses paroles l’assurance ou l’espoir qu’il vous protégera.
C’est un grand diplomate, passé maître dans l’art d’éluder les engagements et de parler pour ne rien dire. Aussi regrettet-il amèrement de ne pas être député. Il a sans cesse le mot « ministre » dans la bouche. Il se retranche derrière le mi
nistre; il verra le ministre, rendra compte au ministre...
Mais le sourire imperceptible qui détend l’arc de ses lèvres témoigne assez qu’au fond il n’est pas éloigné de s’appliquer le mot fameux de Louis XIV, et de convenir in petto que le ministre, c’est lui.
S’enfermer pour tailler des plumes, c’est, depuis Figaro, le travers de certains administrateurs. Le chef de bureau, on le voit, n’échappe pas toujours à cette moNOmanie. Sa mission
au reste est de faire travailler, plus que de travailler luimême. Je ne commettrai pas la méchante plaisanterie de le complimenter sur son zèle à remplir la seconde moitié de sa tâche. Le métier, quoi qu’on en aise, est laborieux et ardu. C’est du chef de bureau que part l’initiative, car on peut bien juger par tout ce qui précède que l’impulsion vient rare
ment des hautes régions du pouvoir. Aussi est-ce bien lui qui, sur une foule de points, est véritablement ministre, plus que le chef de division et le directeur, qui s’en targuent. On compte relativement beaucoup plus d’hommes capables parmi les chefs de bureau des ministères que dans les hauts échelons de la hiérarchie. La raison en est simple : ce grade est à peu près le seul où puissent conduire les services, l’ex
périence et l’ancienneté. On peut faire à coups d’ordonnances des ministres, des directeurs et des secrétaires généraux ; mais il est difficile de produire par ce mode d’incubation artificielle des chefs ou même des sous-chefs.
Le commis d’ordre.
Le commis d’ordre est une espèce à part, une façon de casier vivant, un répertoire monté sur deux pieds, qui revêt fantastiquement la forme humaine, et qu’eût affectionné Granville. J’imagine que, si on procédait à l’autopsie de sa cervelle, on la trouverait étiquetée et numérotée à l’encre rouge.
J’arrive à l’expéditionnaire, qui clôt cette galerie de figures au trait. Le type négligé et misérable d’aspect offert à NOs lecteurs me paraît emprunté aux idées vieillies d’Im
bert et d’Henri Monnier. Il rentre dans ce que j’appelais, en commençant, la convention. Si l’élégance et une sorte de lionnerie peuvent se glisser dans les ministères, c’est parmi les expéditionnaires et les bas employés. Cette partie jeune et fringante de la bureaucratie écrase du faste de ses sticks, de ses cravates Joinville et de ses habits Dussautoy, les em
ployés supérieurs, ceux-ci n’étant ni assez pauvres, ni assez riches pour se livrer à pareille magnificence. Les expédition
naires sont une providence pour les salons bourgeois où les jambes de bonne volonté se font de jour en jour plus rares. Il en est même qui se poussent sans beaucoup de peine jus
que dans les plus hautes régions du monde titré ou richis
sime. On se demande quel est ce parfait gentilhomme qui, chez la princesse B... conduit, avec tant d’art et une si rare perfection comme valseur, un cotillon monstre ? — ou cet autre qui, chez M. de Caslellane, joue la comédie avec tant de désinvolture, chante l’opéra et traite avec aplomb de mon cherduc les plus hautes têtes de l’assemblée?—ou ce troisième enfin qui ne manque pas une seule représentation des Bouffes, et dont le visage plaît tellement à la Grisi, qu’elle chan
terait tout de travers s’il n’était là?—Celui-là est un employé très-ordinaire de cinquième classe au ministère de la ma
rine; celui-ci touche quinze cents francs au ministère de la guerre; cet autre est expéditionnaire aux bureaux de la dette inscrite. On ne leur connaît pas un sou de revenus. Par quel procédé mystérieux, par quelle science écoNOmique réali
sent-ils cet effet de mirage qu’admire l’œil et dont s’étonne la pensée ? NOus vous dirons quelque jour ce secret dans une étude particulière, féconde, NOus l’espérons du moins, en révélations piquantes, et qui aura pour titre : Les héros
de salons. Félix MORNAND.
Le chef de division.
mée, et tôt ou tard la réduction de cette multitude d’emplois qui, inutiles à l’Etat, ne NOurrissent pas leurs titulaires et ne profitent à personne.
Malheureusement, cette tentative de mieux faire est accompagnée de mesures acerbes et humiliantes qui ravalent la condition de l’employé et tendent à lui donner une idée peu élevée de ses devoirs et de lui-même. Le mérite de l’as
siduité est évalué beaucoup trop haut parmi les vertus de la classe. La ponctualité militaire est une qualité subalterne, nécessaire tout au plus dans les relations directes avec le pu
blic, qui sont toujours l’exception. Néanmoins, pour l’obtenir de tous indistinctement, on exhume aujourd’hui les feuilles de présence, sorte de gêne et de carcan tombés en désuétude et qu’il eût convenu à toutes les époques de laisser aux ré
gents de collège. Le but est de forcer les employés à venir religieusement à leurs bureaux à neuf ou à dix heures sonnantes, et d’y séjourner jusqu’à cinq. Le résultat est de trans
former une légion d’hommes mûrs et qu’on doit croire graves en autant d’écoliers qui jouent à cache-cache avec leurs su
périeurs et dont l’esprit, au lieu de veiller sur les intérêts de l’Etat, est sans cesse tendu vers quelque scapinade propre à déjouer la surveillance, à rompre une consigne absurde. La belle avance quand vous aurez des dieux Termes dans vos bureaux! Laissez l’intelligence de côté en ce cas, et récom
pensez les fauteuils. De deux choses l’une, ou vous avez af
faire à des écervelés qu’il faut congédier, ou vous avez en face de vous des hommes raisonnables, imbus du sentiment de leur devoir, et vous devez faire fonds sur leur honnêteté, leur conscience, et les afiranchir de ces puériles entraves.
Pense-t-on, par hasard, que, pour être employé, on cesse d’appartenir à ce monde et que, sur le seuil des bureaux, on doive, on puisse laisser, en entrant, les affaires, les soucis, les préoccupations, les inquiétudes du dehors ?
Il n’en est rien, et la plupart des employés en sont réduits
à cumuler pour vivre des occupations extérieures avec les travaux de leur poste. Presque tous font plusieurs métiers, les uns tiennént des livres ou donnent des leçons d’arith
métique et d’écriture ; d’autres des leçons de musique. Il en est dont les femmes ont un petit commerce de mercerie ou de lingerie. Il faut cela pour joindre à peine les deux bouts. On en a vu même obligés par le malheur des temps et la mu
nificence de l’Etat à distribuer des contremarques dans un théâtre de boulevard. Il en est d’autres enfin qui se mêlent d’écrire, et les neuf ministères comptent dans leurs bureaux quelques douzaines de gens de lettres. De pareilles positions qui assurent au moins les premiers éléments du strict néces
saire semblent en effet couvenir aux écrivains, chez qui la folle du logis, mauvaise ménagère, compromet et oublie le garde-manger. Un gouvernement qui serait quelque peu Mécène trouverait sans peine dans la multitude d’emplois commodes dont il dispose de quoi favoriser les lettres. Mais, loin qu’ils doivent à leurs titres littéraires l’humble existence dont ils jouissent dans les bureaux, les écrivains y sont mal vus. Il est rare qu’ils y fassent leur chemin ; il l’est moins de les voir congédiés sans façon pour quelques écarts véniels ; entre autres, ce terrible manque d’assiduité avec lequel il
n’est, au ministère, point de salut. Leur capacité présumée ferait supposer qu’on leur confie des travaux de rédaction de quelque importance. Nullement : la plupart sont expéditionnaires et passent pour être dépourvus d’aptitude administrative. Un directeur que j’ai connu personnellement s’impa
tientait décompter plusieurs littérateurs parmi ses employés.
Il ne pouvait leur reprocher de consacrer le temps de l’Etat à leurs élucubrations ; la chose était tout simplement im
possible, vu le travail forcé qui, par exception, pesait in
cessamment sur les bureaux de cette direction neuve et et active. Néanmoins, il les tourmentait, se gardait de les avancer et leur jetait continuellement à la face cette formi
dable appellation d’hommes de lettres. Ceux-ci objectaient humblement que, ne trouvant pas de quoi vivre dans leur emploi, ils étaient bien forcés d’utiliser leur plume ; qu’au surplus en ceci ils ne faisaient qu’user du droit incontesta
ble de disposer à leur guise du temps que leur laissait l’ad
ministration. «A la bonne heure ! répondait le directeur poussé dans ses derniers retranchements, mais vous apportez au bureau la préoccupation de vos travaux littéraires ! je n’aime pas cela, changez de métier!—Mais lequel faire?— Eh bien! allez tenir des livres ! »
L’arrivée au bureau.
Quelques-uns réussissent cependant par la plume, mais c’est à la condition de tourner aux affaires et à la politique, c’est-à-dire de reNOncer au titre de littérateur.
Avant de terminer cet article, il me reste à jeter un rapide coup d’œil sur les quelques types retracés par la gravure et placés par NOus sous les yeux de NOs lecteurs.
Le chef de bureau.
J’ai déjà dit plus haut l’employé malheureux qui arrive à dix heures une minute, juste à point pour constater la fer
meture des portes, et se voir NOter d’infamie sur la feuille dite de présence, épouvante et deuil des absents. Il conlem
Le vieil expéditionnaire.
pie mélancoliquement cet huis inhospitalier, et suppute dans sa pensée la réprimande que lui vaudra cette fatale minute de retard, voire l’amende, s’il est en cas de récidive, avec menace d’expulsion.
Voici le chef de division ou le directeur, grand prévôt et
juge criminel, — rarement civil en effet — à l’encontre des délinquants. Les airs de tête, le col empesé et la cambrure du personnage indiquent assez que NOus avons devant NOus un homme important. Le chef de division donne beaucoup de signatures et d’audiences; c’est là sa fonction spéciale. Bien qu’il ait des airs protecteurs, il serait difficile d’induire de ses paroles l’assurance ou l’espoir qu’il vous protégera.
C’est un grand diplomate, passé maître dans l’art d’éluder les engagements et de parler pour ne rien dire. Aussi regrettet-il amèrement de ne pas être député. Il a sans cesse le mot « ministre » dans la bouche. Il se retranche derrière le mi
nistre; il verra le ministre, rendra compte au ministre...
Mais le sourire imperceptible qui détend l’arc de ses lèvres témoigne assez qu’au fond il n’est pas éloigné de s’appliquer le mot fameux de Louis XIV, et de convenir in petto que le ministre, c’est lui.
S’enfermer pour tailler des plumes, c’est, depuis Figaro, le travers de certains administrateurs. Le chef de bureau, on le voit, n’échappe pas toujours à cette moNOmanie. Sa mission
au reste est de faire travailler, plus que de travailler luimême. Je ne commettrai pas la méchante plaisanterie de le complimenter sur son zèle à remplir la seconde moitié de sa tâche. Le métier, quoi qu’on en aise, est laborieux et ardu. C’est du chef de bureau que part l’initiative, car on peut bien juger par tout ce qui précède que l’impulsion vient rare
ment des hautes régions du pouvoir. Aussi est-ce bien lui qui, sur une foule de points, est véritablement ministre, plus que le chef de division et le directeur, qui s’en targuent. On compte relativement beaucoup plus d’hommes capables parmi les chefs de bureau des ministères que dans les hauts échelons de la hiérarchie. La raison en est simple : ce grade est à peu près le seul où puissent conduire les services, l’ex
périence et l’ancienneté. On peut faire à coups d’ordonnances des ministres, des directeurs et des secrétaires généraux ; mais il est difficile de produire par ce mode d’incubation artificielle des chefs ou même des sous-chefs.
Le commis d’ordre.
Le commis d’ordre est une espèce à part, une façon de casier vivant, un répertoire monté sur deux pieds, qui revêt fantastiquement la forme humaine, et qu’eût affectionné Granville. J’imagine que, si on procédait à l’autopsie de sa cervelle, on la trouverait étiquetée et numérotée à l’encre rouge.
J’arrive à l’expéditionnaire, qui clôt cette galerie de figures au trait. Le type négligé et misérable d’aspect offert à NOs lecteurs me paraît emprunté aux idées vieillies d’Im
bert et d’Henri Monnier. Il rentre dans ce que j’appelais, en commençant, la convention. Si l’élégance et une sorte de lionnerie peuvent se glisser dans les ministères, c’est parmi les expéditionnaires et les bas employés. Cette partie jeune et fringante de la bureaucratie écrase du faste de ses sticks, de ses cravates Joinville et de ses habits Dussautoy, les em
ployés supérieurs, ceux-ci n’étant ni assez pauvres, ni assez riches pour se livrer à pareille magnificence. Les expédition
naires sont une providence pour les salons bourgeois où les jambes de bonne volonté se font de jour en jour plus rares. Il en est même qui se poussent sans beaucoup de peine jus
que dans les plus hautes régions du monde titré ou richis
sime. On se demande quel est ce parfait gentilhomme qui, chez la princesse B... conduit, avec tant d’art et une si rare perfection comme valseur, un cotillon monstre ? — ou cet autre qui, chez M. de Caslellane, joue la comédie avec tant de désinvolture, chante l’opéra et traite avec aplomb de mon cherduc les plus hautes têtes de l’assemblée?—ou ce troisième enfin qui ne manque pas une seule représentation des Bouffes, et dont le visage plaît tellement à la Grisi, qu’elle chan
terait tout de travers s’il n’était là?—Celui-là est un employé très-ordinaire de cinquième classe au ministère de la ma
rine; celui-ci touche quinze cents francs au ministère de la guerre; cet autre est expéditionnaire aux bureaux de la dette inscrite. On ne leur connaît pas un sou de revenus. Par quel procédé mystérieux, par quelle science écoNOmique réali
sent-ils cet effet de mirage qu’admire l’œil et dont s’étonne la pensée ? NOus vous dirons quelque jour ce secret dans une étude particulière, féconde, NOus l’espérons du moins, en révélations piquantes, et qui aura pour titre : Les héros
de salons. Félix MORNAND.
Le chef de division.