de vingt ans, et il n’en avoue jamais trente. Un jour ou l’autre NOus reviendrons sur ce sujet attachant, car la saison d hiver aussi bien que les événements du dehors font de 1 aspirant diplomatique un personnage indispensable et toujours de circonstance.
Vous attendez sans doute de NOtre exactitude des NOuvelles frivoles et des riens sémillants. Mais comment faire? Mous tourNOns depuis un mois dans un cercle d’événements sérieux. La politique a décidément pris le haut du pavé, et entend bien ne le céder à personne. NOs législateurs s’apprêtent a réprimer le luxe et la mendicité, deux gros abus dont les NOms jurent un peu de se trouver ensemble. Sur l’article du luxe, c est la taxe anglaise qu’on se propose d’imiter. Cette taxe trappe les domestiques mâles, les animaux de fantaisie, perruches ou king s-charl_es ; elle exige du gentleman-country une guinee par tête de chien de chasse et dix francs pour le moindre roquet; un cheval de main paye soixante francs, et un attelage, deux cents francs, carjla taxe anglaise fait un raisonnement assez logique ; elle dit au riche : J’élèverai mon tarit en proportion de votre luxe et de vos dépenses. Il fau
drait prendre garde néanmoins que ce futur impôt n’étendît demesurement le cercle de ses contribuables et ne blessât des industries utiles, en croyant ne frapper qu’un faste oné
reux; c est-à-dire que 1 on fera bien de respecter le pain des pauvres jusque dans 1 or des riches. Le code fiscal de NOs voisins n épargne pas davantage certaines fantaisies ridi
cules de la vanité, et il appose impitoyablement son timbre sur les armoiries : grâce à la manie NObiliaire qui travaille les couches dorées de NOtre bourgeoisie, ce futur impôt ne saurait manquer d’être fructueux.
Si l’on s’apprête à traiter le luxe comme un délit, que ne doit-on pas tenter pour mettre un terme aux envahissements de la mendicité? A l’aspect des inNOmbrables gueux qui grouillent sur l’asphalte de ses promenades, qui croirait que Paris est la ville la plus charitable du monde? La cha
rité parisienne ressemble un peu au Deucalion de la Fable quirepeuplaitle monde à coups de pierre : de chaque aumône qu’elle sème, il naît un men
diant ; et quand la pitié croit secourir une infortune, la plupart du temps elle n’accorde qu’une prime à la pa
resse. Il y a des quartiers où ces malheureux, organisés en
associations, rappellent les confréries de gueux qui florissaient au moyen âge; ils ont leurs saints privilégiés,
leurs fêtes chômées et leurs pique-niques. Cette bohème a ses grands dignitaires et son prolétariat, ses patriciens experts, ses apprentis et ses NO
vices; ils exercent un métier régulier comme les autres, qui a ses lois, ses règles et ses secrets.
t Les anciens exigent des adeptes une vocation décidée ; il leur faut d’abord l’extérieur
de l’emploi: la mine piteuse, le corps chétif et rabougri, la voix lamentable; et puis des professeurs habiles leur appren
nent l’art de s’en servir. Les femmes suivent un cours à part où elles apprennent à pleurer.
Ne faisons pas le procès à la misère, sous prétexte de mendicité et n’allons pas charger de la même besace les pau
vres dignes d’intérêt et les habitués de l’aumône ; mais dans ce mélange et dans cette confusion si artistement combinée de besogneux, il n’est pas absolument impossible de dis
tinguer le vrai du faux, et la mendicité industrielle de
1 autre. Qui ne sait par cœur son aveugle clairvoyant et la mère de famille aux enfants de carton peint, sans compter ces malheureuses qui en prennent à louage ? Qui ne connaît ces ,aux amputés, guerriers industriels, l’un qui a laissé son bras droit entre les mains d’Abd-el-Kader, et l’autre sa jambe gauche entre les dents d’un crocodile? A quoi bon parler de ces grands gaillards taillés en Hercule qui vous offrent des cure-dents àminuit ou des allumettes en plein midi, des
prétendus réfugiés qui vous harcèlent de leurs patois, et des petits Savoyards qui vous implorent au NOm de leur mar
motte empaillée ? Il existe une mendicité bien plus étrange et tout à fait tolérée, c’est celle qui se dispute les bonnes pla
ces à la porte des mairies, des cimetières et des églises : c’est la mendicité dorée qui a pigNOn sur rue, fait des écoNOmies, met à la caisse d épargne, afferme ou vend sa charge comme
un NOtaire, et finit par aller vivre dans ses terres du fruit de ses écoNOmies.
Les endormeurs ont reparu, et leur industrie ne peut que recevoir un perfectionnement NOuveau par le fait de la trou
vaille du chloroforme, si digne d’ailleurs de bénédictions. Mais dans l’exercice de ces tours de passe-passe, la tabatière ne joue plus le grand rôle : il est échu au mouchoir. On peut douter cependant que le fallacieux tissu devienne jamais en
tre les mains de messieurs les filous-endormeurs un agent d’iniquité aussi subtil que la petite boîte qui vient de servir à l’escamotage ci-dessous : c’est Blondin l’endormeur qui vient lui-même narrer le fait à ses juges, et qui les a tenus en éveil par son récit. « L’autre jour, a-t-il dit â peu près, je me trouvais à l’Hippodrome, où s’enlevait M. Green;
la cérémonie touchait à sa fin; la fantaisie me prit de faire une plaisanterie,et je me mis à crier au voleur! On m’en
toure, on s’attroupe, le sergent de ville accourt, et je lui désigné mon voisin de gauche comme fauteur du délit.
— Oui, sergent, cet homme m’a dérobé ma tabatière! — L’inconnu proteste de son inNOcence, mais je persiste dans
mon accusation, et le vagabond est fouillé d’un consentement unanime. «Allez! allez! disais-je, vous la trouverez; c’est une petite boîte ovale, or mat, illustrée de mes armes et pleine d’excellent makouba. » Bref, le bijou est découvert dans les bottes de l’individu, entre cuir et chair; je me sers de cette dernière expression, parce que cet honnête homme était privé de chaussettes. Une fois l’inNOcence logée au violon, je voulus que mon sergent de ville et son chef le commissaire de po
lice chez lequel NOus NOus trouvions, pussent apprécier la véracité de mon assertion touchant l’excellence du makouba, et je leur fis savourer une simple prise. O spectacle inattendu ! ô douleur! ô regret! Qui l’eût pu prévoir? Chacun de mes priseurs soupire, étend les bras, ferme l’œil et s’endort. Un
malicieux génie avait sans doute éthérisé ma tabatière. La fuite devenait ma seule chance de salut et l’unique réponse que je pus taire à d’odieux soupçons ; mais dans le trouble qui m’agitait, je fis une confusion déplorable : au lieu de la tabatière maudite, j’avais emporté la montre du commissaire, et le soir je trouvai sa bourse dans la doublure de mon pan
talon. » On conviendra qu’il serait difficile à la justice de sanctionner cet échange de prises.
La semaine a vu d’autres escamotages, et l’on cite des bilboquets capitalistes et actionnaires de chemins de fer qui ont franchi la frontière en sauvant leur caisse. D’un autre côté, dans un temps si favorable aux arts matériels, n’est-il pas triste de voir d’honnêtes inventeurs qui s’en vont porter à l’étranger le secret de leurs découvertes? L’industrie a aussi ses émigrants, et l’auteur de NOuveaux appareils hydrauliques a été forcé de prendre en Allemagne ses brevets d’in
vention ; ainsi que la fameuse Lola-Montès, ce savant va se faire naturaliser Bavarois ; en quittant le sol français, il a dit à la manière de Scipion l’Africain : « Ingrate patrie, tu n’auras pas mes eaux. »
Mais la tarentule des commères NOus a piqué et NOus avons la rage des niaiseries, comme si cette semaine n’autorisait pas des mentions moins frivoles. Un événement inattendu pour tout le monde s’est passé au Théâtre-Français, le suc
cès complet, gigantesque, étourdissant d’un tout petit acte de comédie. Il est vrai que la pièce est l’ouvrage de l’un des plus charmants esprits de ce temps-ci, M. Alfred de Musset. Qui ne se souvient du Spectacle dans un fauteuil? qui est-ce qui n’a pas lu Margot, Frédéric et Bernerette et Croisüles? je ne
vous ferai pas davantage l’injure de croire que Belcolore, Hassan et Mardoche vous sont tout à fait inconnus. M. Al
fred de Musset est donc un poète du bon coin, un délicieux conteur, un artiste d’un goût superbe et raffiné. Quoi de plus
simple alors qu’on finisse par s’aviser que dans l’âme de ce poète si fin, si spirituel et si passionné, résonne aussi la corde de l’auteur comique ! Où trouverez-vous, je vous prie, une ironie de meilleur goût, une prose plus nette, un vers plus incisif, des caractères mieux contrastés, une connaissance plus déliée du cœur humain, et pour ceux qui préfèrent, aux grandes qualités de la manière et du style, les petites délicatesses et les raffinements exquis, je vous demande si jamais on pourrait leur pincer les nerfs et leur tourner la tête avec un papillotage plus gai, plus aimable, plus étince
lant que ce Caprice. Les femmes ne s’y sont point trompées;
pour les choses d’art elles ont un insiinct qui ne les trompe pas; elles sont douées d’un certain flair divinatoire qui leur fait distinguer le joli, le beau, l’aimable, le passionné du pre
mier coup. Elles ont bien vite reconnu leur poète à certains traits, et que c’était, bien là l’homme capable de faire la comédie qui leur convient. Voilà le détail galant, voilà l’enjoue
ment, la passion souvent, la grâce toujours, voilà surtout la poésie et la vérité. A quoi bon vous conter la pièce ; vous la connaissez : elle a été imprimée, apprise, récitée, lue et relue, jouée même à la cour, à la ville, en petit comité, en pro
vince et à l’étranger ; bref, on l’avait jouée partout, excepté à la Comédie-Française. Il a fallu quinze ans pour arriver à celte découverte, qu’il y avait quel
que part, dans le recoin d’une revue, une petite comédie à trois personnages, sans mise en scène, sans métier et sans prétention, une comédie, di
sons-NOus, absolument faite pour obtenir un très-grand et très-légitime succès, et encore cette découverte, c’est l’arri
vée subite d’une actrice qui l’a causée ; il fallait le hasard de madame Allan, de son retour et de son talent pour que ce
lui de M. Alfred de Musset brillât dans tout son jour. Cette représentation a donc été une longue surprise et un plus long enchantement. Une jeune et jo
lie femme qui aime son mari,
et ce mari qui a un caprice pour une autre que sa femme ; alors vient l’amie et la confidente de la pauvre petite aban
donnée, qui ne sait comment défendre son bien et par quels moyens diaboliques ramener le
volage. Mais madame de Léry
est coquette et spirituelle; elle, a toute l’expérience nécessaire pour se frotter à une passion sans s’y piquer; elle se fait donc agaçante en tout bien tout honneur ; elle tente l’in
fidèle; elle le mène de ruses en ruses ; elle l’entoure de per
fidies; elle le crible des coups d’épingles du désir; elle tour
mente enfin si bien le pauvre jeune homme, que le voilà à ses pieds; c’est le moment de la morale : « Ah, monsieur ! qu’a
vez-vous fait là ! et Mathilde qui vous aime, qui est jalouse, qui vous pleure, et vous sacri
fieriez à un caprice son amour, son bonheur et le vôtre ! » Si vous saviez comme ce semblant d’intrigues, comme ce soupçon de pièce, et comme ces à peu près de situation sont filés, liés et déliés ; c’est d’une délica
tesse parfaite et d’un fini déicieux. Les mots rayonnent comme des diamants ; les phrases sont des perles ; chaque scène est une féerie, et cependant c’est vrai, c’est la na
ture, et l’on1 est ravi ; c’est une œuvre sérieuse et c’est un charmant ouvrage. Le jeu de madame Allan-Despréaux don
ne à ce délicieux pastel un très-grand prix: le regard, le geste, l’accent, l’enjouement, l’élégance, l’ironie douce et l’es
prit à pleine dose, rien n’y manque ; aussi madame Allan a-t-elle été redemandée et vivement applaudie; c’est une ren
trée également brillante pour le poêle et pour fautrice. Voilà du reste toute NOtre semaine dramatique, et assurément elle en vaut bien d’autres qui auraient une belle valeur.
Cependant n’allez pas prendre ce dessin qui orne NOtre compte rendu pour quelque scène de ce caprice d’Alfred de Musset ; il vous représente cette fête des enfants et des écoliers qu’on célèbre en tout pays, et particulièrement en Lor
raine, sous le patronage et l’invocation de saint Nicolas. En tête du cortège figure le grand saint, qui se promène dans l’appareil et la pompe que lui attribuent les légendaires du moyen âge. Vous reconnaîtrez tout de suite frère Fouettard, son ministre de la police, qui le suit, portant au poing le si
gne frappant de ses fonctions. Mais Fouettard se garderait bien de troubler la fête, et, comme vous voyez, Nicolas est un pa
tron débonnaire qui n’a que des douceurs à distribuer à celte population de bambins ; et comme ils ont été bien sages, l’Illustration leur a consacré cette image, qui serait peut-être aussi bien placée dans une charmante Revue pour les enfants qui a pour titre l’Image.
La Saint-Nicolas en Lorraine.
Vous attendez sans doute de NOtre exactitude des NOuvelles frivoles et des riens sémillants. Mais comment faire? Mous tourNOns depuis un mois dans un cercle d’événements sérieux. La politique a décidément pris le haut du pavé, et entend bien ne le céder à personne. NOs législateurs s’apprêtent a réprimer le luxe et la mendicité, deux gros abus dont les NOms jurent un peu de se trouver ensemble. Sur l’article du luxe, c est la taxe anglaise qu’on se propose d’imiter. Cette taxe trappe les domestiques mâles, les animaux de fantaisie, perruches ou king s-charl_es ; elle exige du gentleman-country une guinee par tête de chien de chasse et dix francs pour le moindre roquet; un cheval de main paye soixante francs, et un attelage, deux cents francs, carjla taxe anglaise fait un raisonnement assez logique ; elle dit au riche : J’élèverai mon tarit en proportion de votre luxe et de vos dépenses. Il fau
drait prendre garde néanmoins que ce futur impôt n’étendît demesurement le cercle de ses contribuables et ne blessât des industries utiles, en croyant ne frapper qu’un faste oné
reux; c est-à-dire que 1 on fera bien de respecter le pain des pauvres jusque dans 1 or des riches. Le code fiscal de NOs voisins n épargne pas davantage certaines fantaisies ridi
cules de la vanité, et il appose impitoyablement son timbre sur les armoiries : grâce à la manie NObiliaire qui travaille les couches dorées de NOtre bourgeoisie, ce futur impôt ne saurait manquer d’être fructueux.
Si l’on s’apprête à traiter le luxe comme un délit, que ne doit-on pas tenter pour mettre un terme aux envahissements de la mendicité? A l’aspect des inNOmbrables gueux qui grouillent sur l’asphalte de ses promenades, qui croirait que Paris est la ville la plus charitable du monde? La cha
rité parisienne ressemble un peu au Deucalion de la Fable quirepeuplaitle monde à coups de pierre : de chaque aumône qu’elle sème, il naît un men
diant ; et quand la pitié croit secourir une infortune, la plupart du temps elle n’accorde qu’une prime à la pa
resse. Il y a des quartiers où ces malheureux, organisés en
associations, rappellent les confréries de gueux qui florissaient au moyen âge; ils ont leurs saints privilégiés,
leurs fêtes chômées et leurs pique-niques. Cette bohème a ses grands dignitaires et son prolétariat, ses patriciens experts, ses apprentis et ses NO
vices; ils exercent un métier régulier comme les autres, qui a ses lois, ses règles et ses secrets.
t Les anciens exigent des adeptes une vocation décidée ; il leur faut d’abord l’extérieur
de l’emploi: la mine piteuse, le corps chétif et rabougri, la voix lamentable; et puis des professeurs habiles leur appren
nent l’art de s’en servir. Les femmes suivent un cours à part où elles apprennent à pleurer.
Ne faisons pas le procès à la misère, sous prétexte de mendicité et n’allons pas charger de la même besace les pau
vres dignes d’intérêt et les habitués de l’aumône ; mais dans ce mélange et dans cette confusion si artistement combinée de besogneux, il n’est pas absolument impossible de dis
tinguer le vrai du faux, et la mendicité industrielle de
1 autre. Qui ne sait par cœur son aveugle clairvoyant et la mère de famille aux enfants de carton peint, sans compter ces malheureuses qui en prennent à louage ? Qui ne connaît ces ,aux amputés, guerriers industriels, l’un qui a laissé son bras droit entre les mains d’Abd-el-Kader, et l’autre sa jambe gauche entre les dents d’un crocodile? A quoi bon parler de ces grands gaillards taillés en Hercule qui vous offrent des cure-dents àminuit ou des allumettes en plein midi, des
prétendus réfugiés qui vous harcèlent de leurs patois, et des petits Savoyards qui vous implorent au NOm de leur mar
motte empaillée ? Il existe une mendicité bien plus étrange et tout à fait tolérée, c’est celle qui se dispute les bonnes pla
ces à la porte des mairies, des cimetières et des églises : c’est la mendicité dorée qui a pigNOn sur rue, fait des écoNOmies, met à la caisse d épargne, afferme ou vend sa charge comme
un NOtaire, et finit par aller vivre dans ses terres du fruit de ses écoNOmies.
Les endormeurs ont reparu, et leur industrie ne peut que recevoir un perfectionnement NOuveau par le fait de la trou
vaille du chloroforme, si digne d’ailleurs de bénédictions. Mais dans l’exercice de ces tours de passe-passe, la tabatière ne joue plus le grand rôle : il est échu au mouchoir. On peut douter cependant que le fallacieux tissu devienne jamais en
tre les mains de messieurs les filous-endormeurs un agent d’iniquité aussi subtil que la petite boîte qui vient de servir à l’escamotage ci-dessous : c’est Blondin l’endormeur qui vient lui-même narrer le fait à ses juges, et qui les a tenus en éveil par son récit. « L’autre jour, a-t-il dit â peu près, je me trouvais à l’Hippodrome, où s’enlevait M. Green;
la cérémonie touchait à sa fin; la fantaisie me prit de faire une plaisanterie,et je me mis à crier au voleur! On m’en
toure, on s’attroupe, le sergent de ville accourt, et je lui désigné mon voisin de gauche comme fauteur du délit.
— Oui, sergent, cet homme m’a dérobé ma tabatière! — L’inconnu proteste de son inNOcence, mais je persiste dans
mon accusation, et le vagabond est fouillé d’un consentement unanime. «Allez! allez! disais-je, vous la trouverez; c’est une petite boîte ovale, or mat, illustrée de mes armes et pleine d’excellent makouba. » Bref, le bijou est découvert dans les bottes de l’individu, entre cuir et chair; je me sers de cette dernière expression, parce que cet honnête homme était privé de chaussettes. Une fois l’inNOcence logée au violon, je voulus que mon sergent de ville et son chef le commissaire de po
lice chez lequel NOus NOus trouvions, pussent apprécier la véracité de mon assertion touchant l’excellence du makouba, et je leur fis savourer une simple prise. O spectacle inattendu ! ô douleur! ô regret! Qui l’eût pu prévoir? Chacun de mes priseurs soupire, étend les bras, ferme l’œil et s’endort. Un
malicieux génie avait sans doute éthérisé ma tabatière. La fuite devenait ma seule chance de salut et l’unique réponse que je pus taire à d’odieux soupçons ; mais dans le trouble qui m’agitait, je fis une confusion déplorable : au lieu de la tabatière maudite, j’avais emporté la montre du commissaire, et le soir je trouvai sa bourse dans la doublure de mon pan
talon. » On conviendra qu’il serait difficile à la justice de sanctionner cet échange de prises.
La semaine a vu d’autres escamotages, et l’on cite des bilboquets capitalistes et actionnaires de chemins de fer qui ont franchi la frontière en sauvant leur caisse. D’un autre côté, dans un temps si favorable aux arts matériels, n’est-il pas triste de voir d’honnêtes inventeurs qui s’en vont porter à l’étranger le secret de leurs découvertes? L’industrie a aussi ses émigrants, et l’auteur de NOuveaux appareils hydrauliques a été forcé de prendre en Allemagne ses brevets d’in
vention ; ainsi que la fameuse Lola-Montès, ce savant va se faire naturaliser Bavarois ; en quittant le sol français, il a dit à la manière de Scipion l’Africain : « Ingrate patrie, tu n’auras pas mes eaux. »
Mais la tarentule des commères NOus a piqué et NOus avons la rage des niaiseries, comme si cette semaine n’autorisait pas des mentions moins frivoles. Un événement inattendu pour tout le monde s’est passé au Théâtre-Français, le suc
cès complet, gigantesque, étourdissant d’un tout petit acte de comédie. Il est vrai que la pièce est l’ouvrage de l’un des plus charmants esprits de ce temps-ci, M. Alfred de Musset. Qui ne se souvient du Spectacle dans un fauteuil? qui est-ce qui n’a pas lu Margot, Frédéric et Bernerette et Croisüles? je ne
vous ferai pas davantage l’injure de croire que Belcolore, Hassan et Mardoche vous sont tout à fait inconnus. M. Al
fred de Musset est donc un poète du bon coin, un délicieux conteur, un artiste d’un goût superbe et raffiné. Quoi de plus
simple alors qu’on finisse par s’aviser que dans l’âme de ce poète si fin, si spirituel et si passionné, résonne aussi la corde de l’auteur comique ! Où trouverez-vous, je vous prie, une ironie de meilleur goût, une prose plus nette, un vers plus incisif, des caractères mieux contrastés, une connaissance plus déliée du cœur humain, et pour ceux qui préfèrent, aux grandes qualités de la manière et du style, les petites délicatesses et les raffinements exquis, je vous demande si jamais on pourrait leur pincer les nerfs et leur tourner la tête avec un papillotage plus gai, plus aimable, plus étince
lant que ce Caprice. Les femmes ne s’y sont point trompées;
pour les choses d’art elles ont un insiinct qui ne les trompe pas; elles sont douées d’un certain flair divinatoire qui leur fait distinguer le joli, le beau, l’aimable, le passionné du pre
mier coup. Elles ont bien vite reconnu leur poète à certains traits, et que c’était, bien là l’homme capable de faire la comédie qui leur convient. Voilà le détail galant, voilà l’enjoue
ment, la passion souvent, la grâce toujours, voilà surtout la poésie et la vérité. A quoi bon vous conter la pièce ; vous la connaissez : elle a été imprimée, apprise, récitée, lue et relue, jouée même à la cour, à la ville, en petit comité, en pro
vince et à l’étranger ; bref, on l’avait jouée partout, excepté à la Comédie-Française. Il a fallu quinze ans pour arriver à celte découverte, qu’il y avait quel
que part, dans le recoin d’une revue, une petite comédie à trois personnages, sans mise en scène, sans métier et sans prétention, une comédie, di
sons-NOus, absolument faite pour obtenir un très-grand et très-légitime succès, et encore cette découverte, c’est l’arri
vée subite d’une actrice qui l’a causée ; il fallait le hasard de madame Allan, de son retour et de son talent pour que ce
lui de M. Alfred de Musset brillât dans tout son jour. Cette représentation a donc été une longue surprise et un plus long enchantement. Une jeune et jo
lie femme qui aime son mari,
et ce mari qui a un caprice pour une autre que sa femme ; alors vient l’amie et la confidente de la pauvre petite aban
donnée, qui ne sait comment défendre son bien et par quels moyens diaboliques ramener le
volage. Mais madame de Léry
est coquette et spirituelle; elle, a toute l’expérience nécessaire pour se frotter à une passion sans s’y piquer; elle se fait donc agaçante en tout bien tout honneur ; elle tente l’in
fidèle; elle le mène de ruses en ruses ; elle l’entoure de per
fidies; elle le crible des coups d’épingles du désir; elle tour
mente enfin si bien le pauvre jeune homme, que le voilà à ses pieds; c’est le moment de la morale : « Ah, monsieur ! qu’a
vez-vous fait là ! et Mathilde qui vous aime, qui est jalouse, qui vous pleure, et vous sacri
fieriez à un caprice son amour, son bonheur et le vôtre ! » Si vous saviez comme ce semblant d’intrigues, comme ce soupçon de pièce, et comme ces à peu près de situation sont filés, liés et déliés ; c’est d’une délica
tesse parfaite et d’un fini déicieux. Les mots rayonnent comme des diamants ; les phrases sont des perles ; chaque scène est une féerie, et cependant c’est vrai, c’est la na
ture, et l’on1 est ravi ; c’est une œuvre sérieuse et c’est un charmant ouvrage. Le jeu de madame Allan-Despréaux don
ne à ce délicieux pastel un très-grand prix: le regard, le geste, l’accent, l’enjouement, l’élégance, l’ironie douce et l’es
prit à pleine dose, rien n’y manque ; aussi madame Allan a-t-elle été redemandée et vivement applaudie; c’est une ren
trée également brillante pour le poêle et pour fautrice. Voilà du reste toute NOtre semaine dramatique, et assurément elle en vaut bien d’autres qui auraient une belle valeur.
Cependant n’allez pas prendre ce dessin qui orne NOtre compte rendu pour quelque scène de ce caprice d’Alfred de Musset ; il vous représente cette fête des enfants et des écoliers qu’on célèbre en tout pays, et particulièrement en Lor
raine, sous le patronage et l’invocation de saint Nicolas. En tête du cortège figure le grand saint, qui se promène dans l’appareil et la pompe que lui attribuent les légendaires du moyen âge. Vous reconnaîtrez tout de suite frère Fouettard, son ministre de la police, qui le suit, portant au poing le si
gne frappant de ses fonctions. Mais Fouettard se garderait bien de troubler la fête, et, comme vous voyez, Nicolas est un pa
tron débonnaire qui n’a que des douceurs à distribuer à celte population de bambins ; et comme ils ont été bien sages, l’Illustration leur a consacré cette image, qui serait peut-être aussi bien placée dans une charmante Revue pour les enfants qui a pour titre l’Image.
La Saint-Nicolas en Lorraine.