de droguet de Sicile, de velours, de drap de soie ; ils étaient souvent semés d’une pluie d’or et de paillettes. On ne saurait aujourd’hui se faire une idée du spectacle animé qui devait résulter de l’extrême variété de ces vêtements, gris, bleu cé
leste, rouges, verts, jaunes, NOirs ou violets. Sous cet habit, très-évasé par le bas, à la place du gilet actuel on portait une veste qui descendait jusqu’au milieu des cuisses. Elle recouvrait en partie une culotte très-courte et qu’on était obligé de relever de temps en temps, parce que, n’étant pas soutenue par des bretelles, dont l usage ne date que de la fin du siècle dernier, elles avaient toujours tendance à tomber,
surtout chez les hommes ayant de l’embonpoint. Tantôt la couleur de la culotte était la même que celle de l’habit et de la veste, tantôt elle tranchait avec l’un ou avec l’autre. A la maison, le costume du matin se composait d’une robe de chambre d’indienne ou de droguet à fleurs et d’une espèce de casquette de feutre gris, L’hiver rigoureux de 1759 ht adopter, des Anglais, les guêtres et la redingote (riding-coat), au
trement .lévite, dont on se servait pour courir les rues après le déjeuner. Les NObles commençaient à porter des pantalons à la campagne.
Il est inutile de dire quelle différence tranchée existait entre le costume des gens de cour, celui des gens de parlement et celui de la moyenne bourgeoisie. L’habit disait alors le rang de celui qui le portait. Cette ligne de démarcation sub
sistera quelques annnées encore ; et cependant le mouvement qui doit amener le nivellement se manifeste déjà. La classe moyenne s’élève silencieusement, et la NOblesse s’abaisse de jour en jour à force de scandales et de vices, qui soulèvent le mépris jusque parmi les siens. On était encore loin de 89, on était en pleine régence quand madame de Sabran disait que «Dieu, après avoir créé l’homme, prit un reste de boue dont il créa l’ème des princes et des laquais. » NOn contents d’af
ficher le cynisme des mœurs, la NOblesse affecte aussi celui
du langage. On ne sait où elle va chercher les termes dont elle se sert. Les femmes du bel air appellent leur château une guinguette; leur petit chien un gredin; je ne cite que les expressions vénielles. Pour les hommes, se mettre en négligé, c’est s’habiller en chenille ; suivre la cour à Marly ou à Versailles sans être invité à y résider, c’est n’y être qu’en polis
son. Les petits mots d’amitié de Louis XV à ses filles sont :
loque, chiffe, graille. Où diable a-t-il été ramasser tout cela ? Evidemment la NOblesse s’encanaille à plaisir.
Dans un prochain article, NOus aborderons l’histoire détaillée des variations de la mode sous Louis XVI, et NOus verrons les derniers développements du costume de la vieille monarchie, qui forme un contraste si marqué avec celui du dix-neuvième siècle. En effet, ce n’est pas une modification,
c’est une révolution profonde qu’il a subie. L’ancien costume a été rejeté comme une livrée ne convenant plus à des hom
mes libres. Et d’ailleurs les hommes qui le portaient sem
blaient s’être évaNOuis comme des ombres, soit qu’ils eus
sent été anéantis réellement, soit qu’ayant survécu et s’étant régénérés à l’ordre NOuveau, ils n’eussent rien conservé de leurs traits primitifs. Parmi ceux qui ont complètement dis
paru, mettons en première ligne le marquis, ce type doré de la fatuité française, de la morgue hautaine et de l’étourderie, de l’exquise politesse et de l’impertinence, de la galanterie et du persiflage, de la grâce affectée et des belles manières, type à tout jamais effacé du monde et même du théâtre, où sa dernière doublure fut l’acteur Fleury, qui avaitreçu de vivan
tes traditions qu’on ne saurait où aller chercher aujourd’hui. Les dandys, les lions pourront se perpétuer, on pourra re
voir des muscadins, des merveilleux, des incroyables... On ne reverra plus de marquis. — En se retirant, les marquis ont
emmené avec eux cette nuée d abbés mondains, musqués et coquets, témoins galants de toilettes, rôdeurs assidus d’al
côves, qui trouvaient le moyen d’être de toutes les familles en n’étant d’aucune. —Et ces adolescents, enfants gâtés des souverains et des dames, à qui leur NOm de pages semblait donner droit d’immunité pour leur effronterie et leurs malins tours, que sont-ils devenus? Le dix-huitième siècle a emporté avec lui ces heureux espiègles. C’est en vain que l’almanach de l’Empire, après les NOms de messieurs les écuyers, aligne les NOms de messieurs les pages, au NOmbre de trente-deux ; c’est en vain que la Restauration enregistre les NOms de soixante-douze pages dans l’almanach de la cour de France.
Tout cela est un anachronisme sans valeur. Le dernier page, véritablement page, possédant toutes les qualités de l’emploi et le plus célèbre de tous, fit son entrée dans le monde le mardi 27 avril 1784 ; il s’appelait Chérubin. — Et ces mous
quetaires, dont le NOm réveille aussi de joyeux souvenirs, ces beaux mousquetaires dans leur uniforme rouge à parements, revers et plastron gros bleu, n’appartiennent-ils pas à un passé complètement détruit? Ce n’est pas parce que ces insouciants mauvais sujets couraient du matin au soir les guinguettes, les
tripots et les amours faciles, ce n’est pas parce qu’ils étaient chatouilleux sur le point d’honneur et braves devant l’ennemi que leur NOm est resté comme un type brillant du soldat français. A tous ces titres les militaires de l’Empire pour
raient justement leur disputer leur réputation ; ils l’auraient même effacée, s’il ne s’agissait que de la bravoure. Mais à tou
tes ces qualités et à ces défauts communs, les mousquetaires joignaient un avantage particulier : ils étaient tous gentils
hommes, et le siècle où ils vivaient était un milieu favorable à la gaieté française qui n’avait pas alors encore été émous
sée. — Si de ces agréables vauriens, marquis, page, abbé, mousquetaire, NOus descendons à la domesticité, NOus trou
vons encore des types disparus ou altérés, tels que ceux de l intendant et du valet de chambre. A quelques princières ex
ceptions près, il n’y a plus d’intendant aujourd’hui. On n’est plus assez grand seigneur pour cela. Et d’ailleurs, fût-on grand seigneur, on ne mêle plus son valet à ses affaires d’a
mour, et quant à ses affaires d’intérêt, on les fait soi-même, ou, au besoin, on se fait assisterpar un homme d’affaires, par son avoué, son NOtaire, son banquier, son agent de change.
— Il semble que la bourgeoise, placée au milieu de la société entre les deux extrêmes, devrait se retrouver aujour
d’hui la même à peu près qu’autrefois. 11 n’en est rien, et c’est chez elle qu’ont eu lieu les plus étranges métamor
phoses. Tandis que le grand seigneur s’est mis à faire ses affaires lui-même, la bourgeoise, désapprenant les soins vulgaires, a mis de moins en moins la main à la pâte dans son ménage. Quelle transformation! La bourgeoise d’au
trefois ne s’appelait pas madame;, titre si impatiemment attendu des jeunes pensionnaires de NOs jours, et qui est à leurs yeux, avec les nijoux et le cachemire, la perspective la plus attrayante du mariage ; elle s’appelait mademoiselle tout court. On sait l’impression pénible éprouvée par la jeune Phlipon, depuis madame Roland, à l’occasion d’une visite
faite en compagnie de sa bonne maman à une certaine ma- dame de Roismorel, demeurant rue Saint-Louis, en remar
quant le ton hautain avec lequel cette dame s’adressait à sa respectable grand’mère : « Eh ! bonjour, mademoiselle Rotisset! je suis aise de vous voir. Et ce bel enfant, c’est votre petite fille... Venez ici, mon cœur... quel âge a-t-elle, votre petite-fille, mademoiselle Rotisset? » Il y avait là de quoi choquer la future républicaine. La bourgeoise d’autrefois ne portait pas de chapeau. Elle s’est bien dédommagée depuis,
comme tout le monde sait. Il ne lui serait jamais passé par la tête de songer à avoir une robe de velours. Sa fortune le lui eut-il permis, le ridicule eût fait justice d’une prétention aussi exorbitante. Retenue longtemps dans les bornes infranchissables d’une position inférieure et dans la régularité d’habitudes modestes, elle a conquis toutes les prérogatives de l’é
mancipation. Elledit:«Mon salon, mes jours de réception, mon monde ;» elle donne des fêtes, des bals, des soirées, des ma
tinées musicales... Elle est devenue, elle aussi, femme à la mode. Alors à ce titre, elle est à peu près ce qu’était la femme à la mode d’autrefois. Elle a des galants pour le jeune âge, des complaisants pour le retour et de la dévotion pour le reste.
Seulement, pendant tout ce temps-là, elle ne voit pas aussi bonne compagnie que jadis. Mais ce n’est pas sa faute. Ce qu’on appelait autrefois d’une manière exclusive la bonne compagnie ne se trouve aujourd’hui nulle part. La femme à la mode d’aujourd’hui a encore un autre point de ressem
blance avec la femme à la mode d’autrefois; elle aime les soupers. Et cependant un souper est une chose qui semble plus difficile à réaliser aujourd’hui qu’autrefois, car les heures des repas ont singulièrement varié. Sous Louis XIV on dînait à midi ; sous Louis XVI, à trois heures. De NOs jours, on dîne à sept heures du soir. (Qu’on vienne nier le progrès !) Or, quand on dîne à sept heures, on ne peut sou
per qu’à une heure avancée et à la condition de veiller une partie de la nuit. Et c’est justement là le charmant de J’affaire!
les femmes sont des fleurs qui préfèrent à la lumière du jour l’éclat artificiel des bougies. Le dîner, c’est la satisfaction d’une faim grossière ; un travail sérieux de restauration. Le souper est une partie fine, c’est la distraction d’un appétit délicat et d’un goût raffiné. Les hommes dînent et les femmes soupent.
Ici, point de ces préoccupations coquettes qui, dans un dîner, leur font émietter d’une dent dédaigneuse les excellents mets qui leur sont offerts, et effleurer à peine du bout des lèvres les coupes parfumées d’un vin généreux. Qu’importe le dî
ner? Ce qui importe, c’est de pouvoir supporter plusieurs heures encore après le dîner la tension extrême du lacet, c’est de conserver la finesse de sa taille, la fraîcheur de ses mains et l’élégante pâleur de son teint. Allez donc compro
mettre toutes ces jolies choses dans les ébats intempestifs d’un dîner. Les femmes sont trop bien avisées pour se laisser prendre à un pareil piège. Après le souper, au contraire, la jour
née n’est-elle pas terminée? que reste-t-il à faire? Vénus n’a plus qu’à détacher sa ceinture et à se mettre au lit. Heureuse coïncidence, où la coquetterie aussi bien que la digestion trouvent leur compte. Mais coïncidence dangereuse sous un autre point de vue, car, à ce qu’on prétend, Vénus n’est jamais plus près de faire des folies que lorsqu’elle est en com
pagnie de Bacchus et de Cérès. Aussi serais-je assez disposé à croire que les femmes du temps du régent et de Louis XV
auraient beaucoup moins péché si elles n’avaient pas soupé si souvent. A. J. D.
Chronique musicale.
Le Théâtre-Italien a rencontré de NOuveau l’heureuse veine de succès dont on avait un instant redouté pour lui la perte. Le répertoire de ce théâtre a cela d’excel
lent qu’à défaut de bonnes partitions NOuvelles, il lui reste toujours un fonds inépuisable de chefs-d’œuvre qu’on ne se lassera pas d’écouter tant que l’exécution sera digne de la pensée du maître. La présence de mademoiselle Alboni assure en ce moment à la fasliion dilettante tous les moyens désirables de prendre patience, en attendant qu’un vrai génie musical vienne légitimement recueillir l’héritage de Rossini, de Bellini et de Donizetti. Aussi les amateurs qui avaient été sur le point de retirer leur concours à la fortune du Théâtre-Italien reviennent de toute part, empressés et ravis. Avec eux reparaissent ces merveilleuses soirées, si émouvantes, si remarquables par ces manifestations de fana
tique enthousiasme qu’on ne retrouve dans aucune salle de spectacle de Paris, et dont rien ne saurait donner l’idée, quand on n’a pas assisté à une belle représentation sur un grand théâtre d’Italie. Au succès immense de Semiramide, que six ou sept représentations consécutives n’ont fait que raviver de plus en plus, a succédé, cette semaine, le succès tout aussi éclatant de Cenerentola. Dans ce rôle si différent de celui d’Arsace, mademoiselle Alboni a obtenu un de ces triomphes d’artiste qui rappellent les plus beaux jours de gloire des Malibran, des Pasta, des Pizaroni, et de tous les grands NOms de l’art du chant. Chaque partie du rôle lui a valu dés marques de h1 plus chaleureuse sympathie; mais o’est surtout au- romio. final du sjpjndcte que l’admiration unanime de l’auditoire n’a pj™jité:hes, M. Lablachea
été, comme toujours, acteur et chanteur admirable dans le rôle de don Magnifico. M. Ronconi, qui, dit-on, éprouve une sorte, de’ répugnance à représenter les personnages bouffes, a prouvé simplement qu’il a tort de ne pas se montrer plus sou
vent dans les rôles de ce genre, puisqu’il a chanté et joué avec une verve et une gaieté des plus entraînantes le rôle si
amusant de Dandini. Le talent gracieux de M. Gardoni est très-convenablement placé dans le rôle de Ramiro. Enfin,
disons qu’avec de tels interprètes, il n’est pas surprenant que la délicieuse musique de Rossini, malgré la prétendue vétusté que les Italiens, ses ingrats compatriotes, ne se font pas faute de lui reprocher, soit pour longtemps encore en possession de fixer là vogue à la salle Ventadour.
L’Opérâ-Comique promet un NOuvel ouvrage de MM. Scribe et Auber. En attendant, on a repris à ce théâtre un des NOmbreux chefs-d’œuvre dus à la collaboration de ces deux intarissables auteurs. Fra-Diavolo a été joué, il y a quel
ques jours, avec une NOuvelle distribution de rôles. M. Audran a rempli, pour la première fois, le principal personnage de la pièce, créé par Chollet, et qui, depuis la re
traite de ce dernier, était demeuré sans possesseur titulaire. La nature particulière du talent deM. Audran, toujours si bien placé dans les rôles gracieux et tendres, NOus a paru in
suffisante dans plusieurs passages du rôle de Fra-Diavolo, où sa voix manque de puissance et de gravité, son jeu, d’am
pleur et de force. Le rôle de Zerline a été pour la première fois rempli par mademoiselle Charton, qui l’a joué et chanté avec talent. Mademoiselle Révilly a su donner au personnage de milady Paméla ce cachet de distinction et de bonne com
pagnie qu’elle met à tous les rôles qu’on lui confie. Le souve
nir de mademoiselle Prévost n’a rien eu de redoutable pour elle ; et cependant mademoiselle Prévost était très-justement aimée des habitués de la salle Favart. Le grotesque person
nage de milord Kokbourg est toujours un des bons rôles du spirituel comique M. Sainte-Foy. Quant à la pièce et à la musique, peuvent-elles faire autrement que de plaire toujours?
NOus devons encore mentionner le début à ce théâtre de M. Ponchard fils, dans le rôle de Fernand, de Ne touchez pas à la Reine. Sa voix douce, mais peu richement timbrée, son jeu fin, mais peu puissant, trouveront mieux leur emploi à TOpéra-Comique qu’ils n’auraient pu faire au Grand-Opéra, où ce jeune téNOr vient de passer une année sans beaucoup de profit pour l’art, sans beaucoup de gloire pour lui-même. D’ailleurs, le NOm de Ponchard semble ne pouvoir pas se séparer de l’idée d’opéra-comique. A ce compte on doit féliciter M. Basset d’avoir voulu les réunir de NOuveau.
Et maintenant veNOns aux concerts, qui de tons côlés NOus convient à leurs harmonieux accords. NOus commencerons par celui de M. Félicien David, qui a eu lieu le dimanche 12 décembre, dans la grande salle du Garde-Meuble de la cou
ronne. Le célèbre auteur du Désert et de Christophe Colomb NOus a d’abord fait entendre une NOuvelle symphonie instru
mentale en trois parties : allegro, andante, scherzo. Ordinai
rement ces sortes de composiiions ont une quatrième partie, un finale, dontM. F. David a sans doute trouvé commode de sa dispenser, d’autant plus que c’est presque toujours là l’é cueil des compositeurs symphonistes. Excepté dans les sym
phonies de Beethoven, on trouve rarement, même dans celles deHaydn etdeMozart,un finale qui soit réellement à lahauteur des trois premières parties de l’œuvre. NOus n’avons pas à re
chercher ici les causes de ce phéNOmène que tout le monde a, comme NOus, observé. Quoi qu’il en soit, les trois parties de la NOuvelle symphonie deM. F. David méritent de grands élo
ges. La pensée, toujours mélodique et distinguée, y est sou
tenue et développée avec un talent très-remarquable ; on la
suit avec intérêt et sans aucune fatigue d’un boutàfautre du morceau, et cette manière simple, et en apparence très-facile, d’exposer et de conduire la pensée musicale est empreinte
d’une douce et vague poésie qui, si elle ne vous entraîne pas d’une manière irrésistible, vous berce mollement, captive vo
tre esprit avec un charme inexprimable, vous rend en un mot heureux de vivre, d’aimer et de sentir la musique, cet art su
blime qu’aucun philosophe n’est encore parvenu à définir clairement. En écoutant les trois NOuveaux morceaux symphoniques de M. F. David, NOus NOus sommes encore une fois as
suré qu’il n’est pas absolument nécessaire de naître Allemand pour composer de bonnes symphonies, et que, tout en rendant justice aux vrais talents de tous les pays, NOus n’avons nul
lement besoin de tomber dans le travers d’une injuste et fausse modestie, lorsqu’il s’agit de reconnaître un génie ar
tistique national, pouvant aller de pair avec n’importe quel célèbre contemporain étranger. Avouons donc simplement et franchement que M. F. David est un maître symphoniste des plus distingués.
La deuxième partie de son concert était entièrement consacrée à faire entendre, pour la seconde fois, l’oratorio Moïse au Sinaï, qui, au mois de mars 1846, exécuté pour pre
mière fois à l’Académie royale de musique, laissa l’opinion publique fort indécise tant sur la valeur intrinsèque de l’œuvre que sur le mérite personnel et l’avenir de l’auteur. De
puis lors, Christophe Colomb et les symphonies instrumentales de M. Félicien David sont venus dissiper toute inquiétude au sujet de son avenir, qui ne peut être que brillant, et de son mérite personnel, qu’on ne saurait plus contester. Mais l’oratorio Moïse au Sinaï restait toujours sous le coup d’une im
pression généralement défavorable; et l’auteur, en artiste véritable, c’est-à-dire en homme profondément convaincu,
d’une complète sincérité même alors qu’il se trompe, n’a pas voulu accepter ce premier jugement de l’opinion publique comme définitif et sans appel.
Disons-le de suite, la seconde audition de Moïse au Sinaï a été beaucoup plus goûtée que la première. Soit que l’exécution, dirigée par M. Félicien David lui-même, ait été meil
leure, soit que la salle des Menus-Plaisirs convienne mieux aux œuvres de cette nature que le vaste théâtre de la rue Lepelletier, plusieurs parties qui avaient passé inaperçues ont produit un excellent effet; la pensée en a été plus facilement saisie ; le coloris en a paru plus riche ; la conception,
leste, rouges, verts, jaunes, NOirs ou violets. Sous cet habit, très-évasé par le bas, à la place du gilet actuel on portait une veste qui descendait jusqu’au milieu des cuisses. Elle recouvrait en partie une culotte très-courte et qu’on était obligé de relever de temps en temps, parce que, n’étant pas soutenue par des bretelles, dont l usage ne date que de la fin du siècle dernier, elles avaient toujours tendance à tomber,
surtout chez les hommes ayant de l’embonpoint. Tantôt la couleur de la culotte était la même que celle de l’habit et de la veste, tantôt elle tranchait avec l’un ou avec l’autre. A la maison, le costume du matin se composait d’une robe de chambre d’indienne ou de droguet à fleurs et d’une espèce de casquette de feutre gris, L’hiver rigoureux de 1759 ht adopter, des Anglais, les guêtres et la redingote (riding-coat), au
trement .lévite, dont on se servait pour courir les rues après le déjeuner. Les NObles commençaient à porter des pantalons à la campagne.
Il est inutile de dire quelle différence tranchée existait entre le costume des gens de cour, celui des gens de parlement et celui de la moyenne bourgeoisie. L’habit disait alors le rang de celui qui le portait. Cette ligne de démarcation sub
sistera quelques annnées encore ; et cependant le mouvement qui doit amener le nivellement se manifeste déjà. La classe moyenne s’élève silencieusement, et la NOblesse s’abaisse de jour en jour à force de scandales et de vices, qui soulèvent le mépris jusque parmi les siens. On était encore loin de 89, on était en pleine régence quand madame de Sabran disait que «Dieu, après avoir créé l’homme, prit un reste de boue dont il créa l’ème des princes et des laquais. » NOn contents d’af
ficher le cynisme des mœurs, la NOblesse affecte aussi celui
du langage. On ne sait où elle va chercher les termes dont elle se sert. Les femmes du bel air appellent leur château une guinguette; leur petit chien un gredin; je ne cite que les expressions vénielles. Pour les hommes, se mettre en négligé, c’est s’habiller en chenille ; suivre la cour à Marly ou à Versailles sans être invité à y résider, c’est n’y être qu’en polis
son. Les petits mots d’amitié de Louis XV à ses filles sont :
loque, chiffe, graille. Où diable a-t-il été ramasser tout cela ? Evidemment la NOblesse s’encanaille à plaisir.
Dans un prochain article, NOus aborderons l’histoire détaillée des variations de la mode sous Louis XVI, et NOus verrons les derniers développements du costume de la vieille monarchie, qui forme un contraste si marqué avec celui du dix-neuvième siècle. En effet, ce n’est pas une modification,
c’est une révolution profonde qu’il a subie. L’ancien costume a été rejeté comme une livrée ne convenant plus à des hom
mes libres. Et d’ailleurs les hommes qui le portaient sem
blaient s’être évaNOuis comme des ombres, soit qu’ils eus
sent été anéantis réellement, soit qu’ayant survécu et s’étant régénérés à l’ordre NOuveau, ils n’eussent rien conservé de leurs traits primitifs. Parmi ceux qui ont complètement dis
paru, mettons en première ligne le marquis, ce type doré de la fatuité française, de la morgue hautaine et de l’étourderie, de l’exquise politesse et de l’impertinence, de la galanterie et du persiflage, de la grâce affectée et des belles manières, type à tout jamais effacé du monde et même du théâtre, où sa dernière doublure fut l’acteur Fleury, qui avaitreçu de vivan
tes traditions qu’on ne saurait où aller chercher aujourd’hui. Les dandys, les lions pourront se perpétuer, on pourra re
voir des muscadins, des merveilleux, des incroyables... On ne reverra plus de marquis. — En se retirant, les marquis ont
emmené avec eux cette nuée d abbés mondains, musqués et coquets, témoins galants de toilettes, rôdeurs assidus d’al
côves, qui trouvaient le moyen d’être de toutes les familles en n’étant d’aucune. —Et ces adolescents, enfants gâtés des souverains et des dames, à qui leur NOm de pages semblait donner droit d’immunité pour leur effronterie et leurs malins tours, que sont-ils devenus? Le dix-huitième siècle a emporté avec lui ces heureux espiègles. C’est en vain que l’almanach de l’Empire, après les NOms de messieurs les écuyers, aligne les NOms de messieurs les pages, au NOmbre de trente-deux ; c’est en vain que la Restauration enregistre les NOms de soixante-douze pages dans l’almanach de la cour de France.
Tout cela est un anachronisme sans valeur. Le dernier page, véritablement page, possédant toutes les qualités de l’emploi et le plus célèbre de tous, fit son entrée dans le monde le mardi 27 avril 1784 ; il s’appelait Chérubin. — Et ces mous
quetaires, dont le NOm réveille aussi de joyeux souvenirs, ces beaux mousquetaires dans leur uniforme rouge à parements, revers et plastron gros bleu, n’appartiennent-ils pas à un passé complètement détruit? Ce n’est pas parce que ces insouciants mauvais sujets couraient du matin au soir les guinguettes, les
tripots et les amours faciles, ce n’est pas parce qu’ils étaient chatouilleux sur le point d’honneur et braves devant l’ennemi que leur NOm est resté comme un type brillant du soldat français. A tous ces titres les militaires de l’Empire pour
raient justement leur disputer leur réputation ; ils l’auraient même effacée, s’il ne s’agissait que de la bravoure. Mais à tou
tes ces qualités et à ces défauts communs, les mousquetaires joignaient un avantage particulier : ils étaient tous gentils
hommes, et le siècle où ils vivaient était un milieu favorable à la gaieté française qui n’avait pas alors encore été émous
sée. — Si de ces agréables vauriens, marquis, page, abbé, mousquetaire, NOus descendons à la domesticité, NOus trou
vons encore des types disparus ou altérés, tels que ceux de l intendant et du valet de chambre. A quelques princières ex
ceptions près, il n’y a plus d’intendant aujourd’hui. On n’est plus assez grand seigneur pour cela. Et d’ailleurs, fût-on grand seigneur, on ne mêle plus son valet à ses affaires d’a
mour, et quant à ses affaires d’intérêt, on les fait soi-même, ou, au besoin, on se fait assisterpar un homme d’affaires, par son avoué, son NOtaire, son banquier, son agent de change.
— Il semble que la bourgeoise, placée au milieu de la société entre les deux extrêmes, devrait se retrouver aujour
d’hui la même à peu près qu’autrefois. 11 n’en est rien, et c’est chez elle qu’ont eu lieu les plus étranges métamor
phoses. Tandis que le grand seigneur s’est mis à faire ses affaires lui-même, la bourgeoise, désapprenant les soins vulgaires, a mis de moins en moins la main à la pâte dans son ménage. Quelle transformation! La bourgeoise d’au
trefois ne s’appelait pas madame;, titre si impatiemment attendu des jeunes pensionnaires de NOs jours, et qui est à leurs yeux, avec les nijoux et le cachemire, la perspective la plus attrayante du mariage ; elle s’appelait mademoiselle tout court. On sait l’impression pénible éprouvée par la jeune Phlipon, depuis madame Roland, à l’occasion d’une visite
faite en compagnie de sa bonne maman à une certaine ma- dame de Roismorel, demeurant rue Saint-Louis, en remar
quant le ton hautain avec lequel cette dame s’adressait à sa respectable grand’mère : « Eh ! bonjour, mademoiselle Rotisset! je suis aise de vous voir. Et ce bel enfant, c’est votre petite fille... Venez ici, mon cœur... quel âge a-t-elle, votre petite-fille, mademoiselle Rotisset? » Il y avait là de quoi choquer la future républicaine. La bourgeoise d’autrefois ne portait pas de chapeau. Elle s’est bien dédommagée depuis,
comme tout le monde sait. Il ne lui serait jamais passé par la tête de songer à avoir une robe de velours. Sa fortune le lui eut-il permis, le ridicule eût fait justice d’une prétention aussi exorbitante. Retenue longtemps dans les bornes infranchissables d’une position inférieure et dans la régularité d’habitudes modestes, elle a conquis toutes les prérogatives de l’é
mancipation. Elledit:«Mon salon, mes jours de réception, mon monde ;» elle donne des fêtes, des bals, des soirées, des ma
tinées musicales... Elle est devenue, elle aussi, femme à la mode. Alors à ce titre, elle est à peu près ce qu’était la femme à la mode d’autrefois. Elle a des galants pour le jeune âge, des complaisants pour le retour et de la dévotion pour le reste.
Seulement, pendant tout ce temps-là, elle ne voit pas aussi bonne compagnie que jadis. Mais ce n’est pas sa faute. Ce qu’on appelait autrefois d’une manière exclusive la bonne compagnie ne se trouve aujourd’hui nulle part. La femme à la mode d’aujourd’hui a encore un autre point de ressem
blance avec la femme à la mode d’autrefois; elle aime les soupers. Et cependant un souper est une chose qui semble plus difficile à réaliser aujourd’hui qu’autrefois, car les heures des repas ont singulièrement varié. Sous Louis XIV on dînait à midi ; sous Louis XVI, à trois heures. De NOs jours, on dîne à sept heures du soir. (Qu’on vienne nier le progrès !) Or, quand on dîne à sept heures, on ne peut sou
per qu’à une heure avancée et à la condition de veiller une partie de la nuit. Et c’est justement là le charmant de J’affaire!
les femmes sont des fleurs qui préfèrent à la lumière du jour l’éclat artificiel des bougies. Le dîner, c’est la satisfaction d’une faim grossière ; un travail sérieux de restauration. Le souper est une partie fine, c’est la distraction d’un appétit délicat et d’un goût raffiné. Les hommes dînent et les femmes soupent.
Ici, point de ces préoccupations coquettes qui, dans un dîner, leur font émietter d’une dent dédaigneuse les excellents mets qui leur sont offerts, et effleurer à peine du bout des lèvres les coupes parfumées d’un vin généreux. Qu’importe le dî
ner? Ce qui importe, c’est de pouvoir supporter plusieurs heures encore après le dîner la tension extrême du lacet, c’est de conserver la finesse de sa taille, la fraîcheur de ses mains et l’élégante pâleur de son teint. Allez donc compro
mettre toutes ces jolies choses dans les ébats intempestifs d’un dîner. Les femmes sont trop bien avisées pour se laisser prendre à un pareil piège. Après le souper, au contraire, la jour
née n’est-elle pas terminée? que reste-t-il à faire? Vénus n’a plus qu’à détacher sa ceinture et à se mettre au lit. Heureuse coïncidence, où la coquetterie aussi bien que la digestion trouvent leur compte. Mais coïncidence dangereuse sous un autre point de vue, car, à ce qu’on prétend, Vénus n’est jamais plus près de faire des folies que lorsqu’elle est en com
pagnie de Bacchus et de Cérès. Aussi serais-je assez disposé à croire que les femmes du temps du régent et de Louis XV
auraient beaucoup moins péché si elles n’avaient pas soupé si souvent. A. J. D.
Chronique musicale.
Le Théâtre-Italien a rencontré de NOuveau l’heureuse veine de succès dont on avait un instant redouté pour lui la perte. Le répertoire de ce théâtre a cela d’excel
lent qu’à défaut de bonnes partitions NOuvelles, il lui reste toujours un fonds inépuisable de chefs-d’œuvre qu’on ne se lassera pas d’écouter tant que l’exécution sera digne de la pensée du maître. La présence de mademoiselle Alboni assure en ce moment à la fasliion dilettante tous les moyens désirables de prendre patience, en attendant qu’un vrai génie musical vienne légitimement recueillir l’héritage de Rossini, de Bellini et de Donizetti. Aussi les amateurs qui avaient été sur le point de retirer leur concours à la fortune du Théâtre-Italien reviennent de toute part, empressés et ravis. Avec eux reparaissent ces merveilleuses soirées, si émouvantes, si remarquables par ces manifestations de fana
tique enthousiasme qu’on ne retrouve dans aucune salle de spectacle de Paris, et dont rien ne saurait donner l’idée, quand on n’a pas assisté à une belle représentation sur un grand théâtre d’Italie. Au succès immense de Semiramide, que six ou sept représentations consécutives n’ont fait que raviver de plus en plus, a succédé, cette semaine, le succès tout aussi éclatant de Cenerentola. Dans ce rôle si différent de celui d’Arsace, mademoiselle Alboni a obtenu un de ces triomphes d’artiste qui rappellent les plus beaux jours de gloire des Malibran, des Pasta, des Pizaroni, et de tous les grands NOms de l’art du chant. Chaque partie du rôle lui a valu dés marques de h1 plus chaleureuse sympathie; mais o’est surtout au- romio. final du sjpjndcte que l’admiration unanime de l’auditoire n’a pj™jité:hes, M. Lablachea
été, comme toujours, acteur et chanteur admirable dans le rôle de don Magnifico. M. Ronconi, qui, dit-on, éprouve une sorte, de’ répugnance à représenter les personnages bouffes, a prouvé simplement qu’il a tort de ne pas se montrer plus sou
vent dans les rôles de ce genre, puisqu’il a chanté et joué avec une verve et une gaieté des plus entraînantes le rôle si
amusant de Dandini. Le talent gracieux de M. Gardoni est très-convenablement placé dans le rôle de Ramiro. Enfin,
disons qu’avec de tels interprètes, il n’est pas surprenant que la délicieuse musique de Rossini, malgré la prétendue vétusté que les Italiens, ses ingrats compatriotes, ne se font pas faute de lui reprocher, soit pour longtemps encore en possession de fixer là vogue à la salle Ventadour.
L’Opérâ-Comique promet un NOuvel ouvrage de MM. Scribe et Auber. En attendant, on a repris à ce théâtre un des NOmbreux chefs-d’œuvre dus à la collaboration de ces deux intarissables auteurs. Fra-Diavolo a été joué, il y a quel
ques jours, avec une NOuvelle distribution de rôles. M. Audran a rempli, pour la première fois, le principal personnage de la pièce, créé par Chollet, et qui, depuis la re
traite de ce dernier, était demeuré sans possesseur titulaire. La nature particulière du talent deM. Audran, toujours si bien placé dans les rôles gracieux et tendres, NOus a paru in
suffisante dans plusieurs passages du rôle de Fra-Diavolo, où sa voix manque de puissance et de gravité, son jeu, d’am
pleur et de force. Le rôle de Zerline a été pour la première fois rempli par mademoiselle Charton, qui l’a joué et chanté avec talent. Mademoiselle Révilly a su donner au personnage de milady Paméla ce cachet de distinction et de bonne com
pagnie qu’elle met à tous les rôles qu’on lui confie. Le souve
nir de mademoiselle Prévost n’a rien eu de redoutable pour elle ; et cependant mademoiselle Prévost était très-justement aimée des habitués de la salle Favart. Le grotesque person
nage de milord Kokbourg est toujours un des bons rôles du spirituel comique M. Sainte-Foy. Quant à la pièce et à la musique, peuvent-elles faire autrement que de plaire toujours?
NOus devons encore mentionner le début à ce théâtre de M. Ponchard fils, dans le rôle de Fernand, de Ne touchez pas à la Reine. Sa voix douce, mais peu richement timbrée, son jeu fin, mais peu puissant, trouveront mieux leur emploi à TOpéra-Comique qu’ils n’auraient pu faire au Grand-Opéra, où ce jeune téNOr vient de passer une année sans beaucoup de profit pour l’art, sans beaucoup de gloire pour lui-même. D’ailleurs, le NOm de Ponchard semble ne pouvoir pas se séparer de l’idée d’opéra-comique. A ce compte on doit féliciter M. Basset d’avoir voulu les réunir de NOuveau.
Et maintenant veNOns aux concerts, qui de tons côlés NOus convient à leurs harmonieux accords. NOus commencerons par celui de M. Félicien David, qui a eu lieu le dimanche 12 décembre, dans la grande salle du Garde-Meuble de la cou
ronne. Le célèbre auteur du Désert et de Christophe Colomb NOus a d’abord fait entendre une NOuvelle symphonie instru
mentale en trois parties : allegro, andante, scherzo. Ordinai
rement ces sortes de composiiions ont une quatrième partie, un finale, dontM. F. David a sans doute trouvé commode de sa dispenser, d’autant plus que c’est presque toujours là l’é cueil des compositeurs symphonistes. Excepté dans les sym
phonies de Beethoven, on trouve rarement, même dans celles deHaydn etdeMozart,un finale qui soit réellement à lahauteur des trois premières parties de l’œuvre. NOus n’avons pas à re
chercher ici les causes de ce phéNOmène que tout le monde a, comme NOus, observé. Quoi qu’il en soit, les trois parties de la NOuvelle symphonie deM. F. David méritent de grands élo
ges. La pensée, toujours mélodique et distinguée, y est sou
tenue et développée avec un talent très-remarquable ; on la
suit avec intérêt et sans aucune fatigue d’un boutàfautre du morceau, et cette manière simple, et en apparence très-facile, d’exposer et de conduire la pensée musicale est empreinte
d’une douce et vague poésie qui, si elle ne vous entraîne pas d’une manière irrésistible, vous berce mollement, captive vo
tre esprit avec un charme inexprimable, vous rend en un mot heureux de vivre, d’aimer et de sentir la musique, cet art su
blime qu’aucun philosophe n’est encore parvenu à définir clairement. En écoutant les trois NOuveaux morceaux symphoniques de M. F. David, NOus NOus sommes encore une fois as
suré qu’il n’est pas absolument nécessaire de naître Allemand pour composer de bonnes symphonies, et que, tout en rendant justice aux vrais talents de tous les pays, NOus n’avons nul
lement besoin de tomber dans le travers d’une injuste et fausse modestie, lorsqu’il s’agit de reconnaître un génie ar
tistique national, pouvant aller de pair avec n’importe quel célèbre contemporain étranger. Avouons donc simplement et franchement que M. F. David est un maître symphoniste des plus distingués.
La deuxième partie de son concert était entièrement consacrée à faire entendre, pour la seconde fois, l’oratorio Moïse au Sinaï, qui, au mois de mars 1846, exécuté pour pre
mière fois à l’Académie royale de musique, laissa l’opinion publique fort indécise tant sur la valeur intrinsèque de l’œuvre que sur le mérite personnel et l’avenir de l’auteur. De
puis lors, Christophe Colomb et les symphonies instrumentales de M. Félicien David sont venus dissiper toute inquiétude au sujet de son avenir, qui ne peut être que brillant, et de son mérite personnel, qu’on ne saurait plus contester. Mais l’oratorio Moïse au Sinaï restait toujours sous le coup d’une im
pression généralement défavorable; et l’auteur, en artiste véritable, c’est-à-dire en homme profondément convaincu,
d’une complète sincérité même alors qu’il se trompe, n’a pas voulu accepter ce premier jugement de l’opinion publique comme définitif et sans appel.
Disons-le de suite, la seconde audition de Moïse au Sinaï a été beaucoup plus goûtée que la première. Soit que l’exécution, dirigée par M. Félicien David lui-même, ait été meil
leure, soit que la salle des Menus-Plaisirs convienne mieux aux œuvres de cette nature que le vaste théâtre de la rue Lepelletier, plusieurs parties qui avaient passé inaperçues ont produit un excellent effet; la pensée en a été plus facilement saisie ; le coloris en a paru plus riche ; la conception,