plus forte. Celte œuvre a donc été, en quelque sorte, réhabilitée. Mais, en somme, quelque affection particulière que
l’auteur ait pour elle, le Désert et Christophe Colomb lui sont toujours de beaucoup préférés dans l’opinion publique. De plus, celle-ci se demande avec étonnement pourquoi M. Fé
licien David n’a pas encore franchi le seuil de la porte d’un théâtre lyrique.
Encore un symphoniste qui vient pour la première fois d’exposer publiquement ses œuvres, et qui, du premier coup, bien que portant un nom français, a obtenu .les applaudissements les plus flatteurs et les plus légitimes. Dans un con
cert donné vendredi dernier à la salle Herz, M. Théodore Gouvy a fait entendre deux ouvertures et une symphonie en quatre parties. Ces différentes productions révèlent un talent réel, qui n’est pas, à la vérité, encore bien épuré, mais qui semble devoir devenir des plus remarquables. Déjà le scherzo de la symphonie de M. Théodore Gouvy est un morceau que
ne désavoueraient pas les plus grands maîtres de l’art, et c’est bien justement que le public a voulu l’entendre deux fois de suite. Seulement, la musique de M. Théodore Gouvy a le défaut d’être en général un peu bruyante. Ses idées sont plus souvent rhythmiques que mélodiques, et cette préférence exclusive pour le rhythme l’entraîne à faire un trop fré
quent usage des instruments de cuivre et de percussion. A cola près, le succès de M. Théodore Gouvy est on ne peut mieux mérité.
Une très-heureuse nouvelle que nous apprenons à l’instant, et que nous nous empressons d’annoncer à nos lecteurs, c’est l engagement de madame Viardot-Garcia et celui de M. Ro
ger à l’Académie royale de musique. On assure que M. Meyerbeer a promis enfin de livrer ses partitions depuis si longtemps promises. Ce n’est que dans un an au plus tôt qu’on pourra applaudir et le compositeur ei les virtuoses; mais on prendra volontiers d’ici là patience en songeant qu’enfin dans un an, il y aura au répertoire du Grand-Opéra un nouvei ouvrage aune importance réelle et d’une valeur sérieusement considérable.
nous publierons dans notre prochain numéro une revue des principaux albums de musique de 1848. nous signalons dès aujourd’hui comme dignes de leur succès, celui de M. Etienne Arnault, publié parM. Heugel, et dix mélodies de M. Masini, éditées par M. Meissonnier.
G. B.
Le Misogyne. CONTE.
Millier diversa.....
PREMIÈRE PARTIE.
i.
A FLEUR D’EAU.
Le ciel était sans nuages, la mer aussi calme, aussi belle que le temps ; un petit vent léger, qui semblait courir sur la surface de l’eau, tempérait la chaleur du jour et apportait de la rive prochaine comme la fraîcheur des ombrages. Sans doute, il eût été très-doux, à cette heure, sous ce ciel, sur ces Ilots, de voguer en paix, de tendre sa voile blanche au souffle de l’air, de suivre le balancement des eaux, de se sentir bercé sur les coussins d’une barque élégante, et, la main dans une main amie, de causer à demi-voix des choses aima
bles et aimées... Mais je ne sais quelle méchanceté du sort avait fait subitement heurter contre une roche aiguë l’esquif qui portait le seigneur Fabrice et ses deux suivants : du choc, la barque s’était ouverte par le milieu... Les trois personna
ges se trouvèrent au fond de l’eau avec quelque surprise ; mais
ils furent bientôt revenus à la surface et se mirent à nager de conserve en tirant vers la rive.
Le seigneur Fabrice, le héros de cette histoire, flottait le premier ; il était suivi de près par son valet Ambroise, et au dernier rang s’avançait, non sans peine, le plus infortuné des hommes, Joseph Myron, bourgeois lombard, attaché, aussi lui, à la suite de Fabrice.
Ces trois personnages ayant naturellement la tête hors de l’eau, il nous est possible de tracer tout de suite leur purtrait,
tandis qu’ils nagent de leur mieux pour atteindre le bord. — La mine hautaine, la moustache noire, le teint pâle, les che
veux relevés sous le feutre, le seigneur Fabrice porte sur son
visage l empreinte de certains ennuis; son front est triste et sa lèvre dédaigneuse ; il nage tranquillement, avec une sorte de dignité, comme il sied à une personne de condition, qui ne peut avoir peur de se noyer. A demi dénoué, son
manteau à l’italienne flotte derrière lui, et le soleil en fait briller les broderies d or. Ambroise, laquais rubicond, n’est pas aussi paisible que son maître ; il a les narines ouvertes, les joues gonflées, le poil hérissé ; il fait grand tapage dans l’eau, il roule plutôt qu’il ne nage; il semble furieux enfin de se baigner malgré lui, à une telle distance du rivage. Que n’imite-t-il la résignation philosophique de son autre compa
gnon d’infortune, le bourgeois Myron? Celui-là, accoutumé sans doute aux perfidies du destin, garde un air froid en tra
vaillant de toutes ses forces à fendre les flots; sa trop courte
haleine le force à avaler de temps en temps un pou d’eau qu’il rejette à la manière des tritons; il souffle beaucoup,
mais ne murmure ni ne gémit. Sa ligure est la plus chagrine qu’on puisse voir; ses yeux, son nez, sa barbe, sont les yeux, le nez et la barbe que les peintres donneraient au Giugnon lui-même, s’ils voulaient personnifier ce triste petit dieu, bâtard de la Mauvaise Fortune et ministre ordinaire de la malignité du Hasard.
Tels sont, autant qu’on les peut dessiner en pareille situation, les trois naufragés; la figure que fait chacun d’eux au milieu de l’eau annonce assez bien, je crois, celle qu’il fera une fois arrivé au bord.
Cependant le valet Ambroise, qui trouve la rive bien éloignée encore et qui n’avance pas au gré de son impatience, se répand en lamentations superflues :
« Ah ! s’écrie-t-il d’une voix entrecoupée, seigneur, mon
maître, que diable sommes-nous venus faire sur les côtes du Danemark? Vous voyez à présent ce qu’on y gange, et vous avouerez que si nous ne savions nager, par bonheur, nous se
rions déjà morts, vous et moi et ce pauvre M. Myron, qui souffle comme un possédé par derrière nous... Encore, som
mes-nous bien sûrs de pouvoir atteindre le bord? Dieu me perde ! si je ne crois pas qu’il recule à mesure que nous avan
çons... Ah! mon cher maître, pourquoi avons-noiîts quitté votre jolie maison aux portes de Mantoue, et que ne restionsnous en paix dans ce beau pays, où l’eau est bien plus chaude qu’ici ? Je vous l’avais assez dit, qu’il nous arriverait mal
heur ; à force de voyager, on finit, un jour ou un autre, par trouver ce qu’on ne cherchait pas... Ét si vous aviez à vous plaindre des dames de la Lombardie, ce n’était pas une rai
son pour venir vous noyer, vous et vos gens, dans la mer du Danemark. Est-ce que les Danois qui sont mal avec le sexe viennent se noyer chez nous, je vous le demande , mon maître? Ah! ils sont plus sages que nous, sauf vo
tre respect... Aie! aie! je commence à me lasser, et nous n’arrivons point.... Monseigneur, si je meurs, vous aurez certainement ma mort sur la conscience; car je n’aurais cer
tainement jamais quitté Mantoue, moi, démon propre mouvement, ni ne serais venu en Danemark, que le diable confonde !...
Le seigneur Fabrice, impatienté des doléances de son valet, s’était mis sur le dos ; il nageait en regardant le ciel, sans avoir l’air de penser au rivageplus ou moins prochain. Quant au bourgeois Myron, il soufflait toujours et continuait à faire des jets d’eau ; sa résignation ne l’abandonnait, pas; mais il proféra deux ou trois fois, à part lui, ces mots ; «O traîtresse,
double traîtresse! » Evidemment cet infortuné s’entretenait lui-même de ses adversités, et s’occupait du passé plutôt que du moment présent, assez maussade, néanmoins.
Enfin, après une grande heure de natation, on prit pied sur le sable de la rive. Des chants joyeux se faisaient entendre d’une grotte voisine, taillée dans le rocher.
«Parbleu! dit Fabrice en se secouant, je trouve mauvais que ces gens-là se réjouissent quand je suis trempé comme un noyé. Je me sens d’humeur à troubler aujourd’hui toutes les fêtes du monde... Entrons...
— Seigneur, s’écria le prudent Ambroise, prenez garde ; ce sont des naturels du pays, et Ton dit qu’ils ont l’humeur méchante! »
II.
UNE SANTÉ AUX DAMES.
La grotte s’ouvrait sur la mer : elle était toute tapissée de lierres. Sur le sable fin, une table ronde était dressée, autour de laquelle des cavaliers élégants, de la ville d’Eroë, fê
taient gaiement le bon vin et la bonne chère ; la fraîcheur charmante du lieu, la vue de la mer qui étendait à leurs pieds ses flots brillants, l’agrément enfin de la saison et celui du festin, tout se réunissait pour mettre les convives .en liesse parfaite. Ils avaient déjà noyé, comme on dit, la plus forte partie de leurs soucis, et ils mettaient le reste en fuite par l’allégresse de leurs chansons. Le seigneur Fabrice fit une entrée aussi convenable que le peut faire un homme ruisse
lant d’eau parmi des gens qui sont honnêtement pris de vin.
Sa mine annonçait d’ailleurs qu’il n’était pas plaisamment disposé.
«Messieurs, dit-il en se découvrant, j’ai l’honneur de vous saluer. Je suis étranger; arrivé d’hier soir sur vos bords, je n’ai pas beaucoup à me louer de l’hospitalité de votre pays jusqu’à présent. Je sors de l’eau, où j’ai failli rester, et il ne tiendrait qu’à moi de prendre votre joie pour une méchante dérision ; car de la table où vous êtes il ne se peut que vous ne m’ayez aperçu, moi et les miens, nageant depuis une heure à perte d’haleine... »
Fabrice s’exprimait en français, langue qui est familière à tous les gens bien élevés des pays du nord. Aussi fut-il parfaitement compris. Le cavalier qui paraissait être l’amphitryon de cette fête se leva d’un air poli.
«Monsieur, répondit-il, si nous vous avions aperçu dans l’eau, veuillez croire que nous fussions venus à votre aide, et permettez-nous de réparer l’inhospitalité de notre rive, en vous offrant d’autres habits d’abord, puis une place à notre table. Un refus de votre part nous autoriserait à trouver offensantes maintenant vos paroles de tout à l’heure,
— Je ne sais point refuser, dit Fabrice après une courte hésitation, l’offre d’un galant homme, faite avec courtoisie et de très-bon cœur, ce me semble. »
Les laquais eurent bientôt achevé la toilette de Fabrice; puis, les convives se serrèrent un peu pour lui faire place au
près de l’amphitryon, et l’on se remit à manger et à boire de plus belle.
Fabrice avait senti d abord sa mauvaise humeur déconcertée par l’accueil obligeant de messieurs les Danois. Comme,
après tout, il était un garçon d’esprit et qu’il savait vivre, il avait pris promptement le bon parti, celui d’accepter les offres polies qu’on lui faisait. D’ailleurs quelle grâce aurait-il eue à se fâcher de ce que d’autres se divertissent tandis que luimême se noyait? Et enfin n’était-il pas trop mouillé pour être impertinent avec quelque succès? Il se mit donc à table,
couvert du linge et des habits de ces messieurs. Mais, tout en buvant, il conservait encore un grain de maussaderie, ne répondait que du bout des lèvres aux paroles qu’on lui adressait, et ne daignait pas prendre part, à la conversation, quoique les convives, par politesse pour le nouveau venu, cau
sassent désormais en français. S’il ne disait rien, Fabrice ne pouvait s’empêcher d’écouter et d’entendre. Aussi fronçait-il
sensiblement le sourcil et reprenait-il cet air fâché qu’il avait à son entrée dans la grotte. On en était sur le chapitre des dames, comme il est nature! entre jeunes gens à la fin d’un re
pas un peu vif. Chose étrange pourtant et qui fait honneur à la jeunesse danoise, il se disait ici du beau sexe presque autant de bien que de mal. Un jeune cavalier, que le vin jetait dans des attendrissements, célébrait la douceur, la constance, l’ar
deur, la modestie, la bonté, le dévouement, la délicatesse, la sincérité, l’amabilité, la candeur de sa maîtresse, sans comp
ter, disait-il, les vertus de détail. Un autre, sorte d’esprit fort,, jurait que l’empereur Salomon n’eût pas médit des femmes, comme il Ta fait, si au lieu de la reine de Saba il eût reçu dans sa cour une députation des dames du Danemark, toutes belles et vertueuses. Que sais-je enfin? un vrai concert de louanges et de bénédictions, assurément très-méritées. .. Mais Fabrice, tandis que les autres convives souriaient et applau
dissaient, s’agitait sur sa chaise avec un dépit trop visible pour qu’on ne finît pas par le remarquer.
Après plusieurs historiettes à l’honneur des dames, le nom de madame Adrienne venant à être prononcé, ce fut un transport unanime parmi tous les buveurs. Cinq ou six des convi
ves à la fois entonnèrent l’éloge de cette personne vraiment parfaite, à ce qu’il paraissait; mais celui qui se faisait en
tendre par-dessus tous les autres, c’était un cavalier nommé Odoacre, poète érotique de profession, sans rival dqns tout le Danemark pour les petits vers amoureux. Ce personnage, dont la physionomie ne semblait pas aussi galante que le talent, portait une épaisse forêt de cheveux roux ; les pommettes de ses joues très-saillantes, indice ordinaire de la fé
rocité, faisaient un contraste bizarre avec l’expression douce
reuse et sucrée de ses petits yeux vert-de-mer. Il avait la voix rauque, mais il affectait une parole traînante et amollissait son verbe autant que possible par toutes sortes de diminutifs et de façons anodines de parler. On voyait bien qu’il cherchait à donner quelque conformité à sa personne avec sa qualité de chansonnier des dames. —En ce moment donc le poète vanlait les vertus et les charmes de madame Adrienne, avec une chaleur qui pouvait faire croire qu’il n’était pas en disgrâce auprès de cette belle. Même il reprenait les choses d’un peu haut pour l’édification du seigneur étranger, Fabrice, qui sans doute ne savait rien encore de cette merveille du pays. Ma
dame Adrienne était donc une jeune veuve, venue de France en Danemark pour recueillir une grosse succession; tout d’a
bord elle avait enchanté la ville entière par sa bonne grâce et son esprit; vive autant que sage, ingénue et moqueuse, co
quette et modeste, on l’aimait, on l’admirait à la ronde ; elle était l’ornement de la belle compagnie, l’âme de tous les plai
sirs élégants, la déesse de la mode danoise... Bref, l’hvmne du poète dura bien une demi-heure, quoique Fabrice donnât des signes de l’impatience la moins équivoque. L’enthou
siasme d’Odoacre allait toujours s’échauffant, et lorsque ce galant fut à bout de son invention élogieuse, il leva vivement son verre à la hauteur de sa tête, et d’une voix vibrante :
«Messieurs, s’écria-t-il, je porte une santé à toutes les dames en général, et à madame Adrienne en particulier. »
Tous les verres furent levés aussitôt et s’entre-choquèrent avec un joyeux fracas. Seul, le verre de Fabrice demeurait à sa place, ne prenant point part à la fête. Les convives res
taient le bras en l’air, attendant que l’étranger joignît son verre aux leurs. — Fabrice se leva ;
« Messieurs, dit-il froidement, je dois vous remercier encore de l’accueil très-aimable que vous m’avez fait. Permettez-moi, cependant, de ne point m’associer à cette santé aux dames que vous portez. Quoique je sache ce à quoi la poli
tesse m’oblige, je n’aime pas faire les choses à contre-cœur ni agir contre mon envie. »
Ce disant, il se rassit. Il y eut un moment de silence dans la compagnie. Ce fut le poète, champion obligé des dames, qui rompit cette glace :
«Eh quoi! reprit-il, seigneur étranger, n’auriez-vous point pour la beauté ces doux sentiments qui font battre tous les cœurs, qui enchantent toutes les âmes, qui...?»
Fabrice l’interrompit ;
« Messieurs, dil-ii aux convives, vous venez d’entendre de_ très-flatteuses histoires sur le compte des dames ; je ne suis pas assez impoli pour les révoquer en doute, quoique ma façon de voir ne ressemble guère à la vôtre, si je ne me trompe. Je vous demanderai .- cillement la permission de vous taire conter une autre histoire féminine, qui s’accorde aussi peu que possible avec celles que vous avez contées vousmêmes... Holà! qu’on fassevenir le bourgeois Joseph Myron, s’il est assez sec maintenant pour pouvoir se présenter avec quelque décence.
Albert-Aubert. La suite à un prochain numéro.
PAR M. HORACE VERNET.
L’altention publique va bientôt se préoccuper des graves nouveautés que la politique est peut-être à la veille de faire éclore à la chambre des députés ; profitons d’un moment où les débats parlementaires ne sont pas encore ouverts pour entretenir un instant nos lecteurs d’une autre espèce de nou
veauté qui attirera les regards de tous les députés à leur entrée au palais Bourbon; je veux parler des décorations artistiques exécutées dans la vaste salle d’attente qui précède immédia
tement la chambre des députés ; salle d’attente bien connue de la province, qui y afflue incessamment et y fait continuel
lement demander ses élus par les huissiers, soit pour obtenir des billets, soit pour des sollicitalions actives et d’un intérêt autrement vif que celui d’entendre et de voir gesticuler der
rière une grande tribune de petits hommes à la voix maigre et au costume étriqué. Ce vestibule est désigné sous le nom de salon de la Paix, sans doute par opposition avec la salle à laquelle il mène et où règne une dispute continuelle. Le vaste plafond de cette pièce vient d’être orné de riches décorations et de trois sujets allégoriques peints par M. Horace Vernet.
Celui du milieu représente la Paix sous la figure d’une jeune fdle, radieuse, tenant de la main gauche la branche d’olivier obligée, et de la main droite des fleurs qui s’effeuillent à tra
Plafond du salon de la Paix, à la
chambre des députés,
l’auteur ait pour elle, le Désert et Christophe Colomb lui sont toujours de beaucoup préférés dans l’opinion publique. De plus, celle-ci se demande avec étonnement pourquoi M. Fé
licien David n’a pas encore franchi le seuil de la porte d’un théâtre lyrique.
Encore un symphoniste qui vient pour la première fois d’exposer publiquement ses œuvres, et qui, du premier coup, bien que portant un nom français, a obtenu .les applaudissements les plus flatteurs et les plus légitimes. Dans un con
cert donné vendredi dernier à la salle Herz, M. Théodore Gouvy a fait entendre deux ouvertures et une symphonie en quatre parties. Ces différentes productions révèlent un talent réel, qui n’est pas, à la vérité, encore bien épuré, mais qui semble devoir devenir des plus remarquables. Déjà le scherzo de la symphonie de M. Théodore Gouvy est un morceau que
ne désavoueraient pas les plus grands maîtres de l’art, et c’est bien justement que le public a voulu l’entendre deux fois de suite. Seulement, la musique de M. Théodore Gouvy a le défaut d’être en général un peu bruyante. Ses idées sont plus souvent rhythmiques que mélodiques, et cette préférence exclusive pour le rhythme l’entraîne à faire un trop fré
quent usage des instruments de cuivre et de percussion. A cola près, le succès de M. Théodore Gouvy est on ne peut mieux mérité.
Une très-heureuse nouvelle que nous apprenons à l’instant, et que nous nous empressons d’annoncer à nos lecteurs, c’est l engagement de madame Viardot-Garcia et celui de M. Ro
ger à l’Académie royale de musique. On assure que M. Meyerbeer a promis enfin de livrer ses partitions depuis si longtemps promises. Ce n’est que dans un an au plus tôt qu’on pourra applaudir et le compositeur ei les virtuoses; mais on prendra volontiers d’ici là patience en songeant qu’enfin dans un an, il y aura au répertoire du Grand-Opéra un nouvei ouvrage aune importance réelle et d’une valeur sérieusement considérable.
nous publierons dans notre prochain numéro une revue des principaux albums de musique de 1848. nous signalons dès aujourd’hui comme dignes de leur succès, celui de M. Etienne Arnault, publié parM. Heugel, et dix mélodies de M. Masini, éditées par M. Meissonnier.
G. B.
Le Misogyne. CONTE.
Millier diversa.....
PREMIÈRE PARTIE.
i.
A FLEUR D’EAU.
Le ciel était sans nuages, la mer aussi calme, aussi belle que le temps ; un petit vent léger, qui semblait courir sur la surface de l’eau, tempérait la chaleur du jour et apportait de la rive prochaine comme la fraîcheur des ombrages. Sans doute, il eût été très-doux, à cette heure, sous ce ciel, sur ces Ilots, de voguer en paix, de tendre sa voile blanche au souffle de l’air, de suivre le balancement des eaux, de se sentir bercé sur les coussins d’une barque élégante, et, la main dans une main amie, de causer à demi-voix des choses aima
bles et aimées... Mais je ne sais quelle méchanceté du sort avait fait subitement heurter contre une roche aiguë l’esquif qui portait le seigneur Fabrice et ses deux suivants : du choc, la barque s’était ouverte par le milieu... Les trois personna
ges se trouvèrent au fond de l’eau avec quelque surprise ; mais
ils furent bientôt revenus à la surface et se mirent à nager de conserve en tirant vers la rive.
Le seigneur Fabrice, le héros de cette histoire, flottait le premier ; il était suivi de près par son valet Ambroise, et au dernier rang s’avançait, non sans peine, le plus infortuné des hommes, Joseph Myron, bourgeois lombard, attaché, aussi lui, à la suite de Fabrice.
Ces trois personnages ayant naturellement la tête hors de l’eau, il nous est possible de tracer tout de suite leur purtrait,
tandis qu’ils nagent de leur mieux pour atteindre le bord. — La mine hautaine, la moustache noire, le teint pâle, les che
veux relevés sous le feutre, le seigneur Fabrice porte sur son
visage l empreinte de certains ennuis; son front est triste et sa lèvre dédaigneuse ; il nage tranquillement, avec une sorte de dignité, comme il sied à une personne de condition, qui ne peut avoir peur de se noyer. A demi dénoué, son
manteau à l’italienne flotte derrière lui, et le soleil en fait briller les broderies d or. Ambroise, laquais rubicond, n’est pas aussi paisible que son maître ; il a les narines ouvertes, les joues gonflées, le poil hérissé ; il fait grand tapage dans l’eau, il roule plutôt qu’il ne nage; il semble furieux enfin de se baigner malgré lui, à une telle distance du rivage. Que n’imite-t-il la résignation philosophique de son autre compa
gnon d’infortune, le bourgeois Myron? Celui-là, accoutumé sans doute aux perfidies du destin, garde un air froid en tra
vaillant de toutes ses forces à fendre les flots; sa trop courte
haleine le force à avaler de temps en temps un pou d’eau qu’il rejette à la manière des tritons; il souffle beaucoup,
mais ne murmure ni ne gémit. Sa ligure est la plus chagrine qu’on puisse voir; ses yeux, son nez, sa barbe, sont les yeux, le nez et la barbe que les peintres donneraient au Giugnon lui-même, s’ils voulaient personnifier ce triste petit dieu, bâtard de la Mauvaise Fortune et ministre ordinaire de la malignité du Hasard.
Tels sont, autant qu’on les peut dessiner en pareille situation, les trois naufragés; la figure que fait chacun d’eux au milieu de l’eau annonce assez bien, je crois, celle qu’il fera une fois arrivé au bord.
Cependant le valet Ambroise, qui trouve la rive bien éloignée encore et qui n’avance pas au gré de son impatience, se répand en lamentations superflues :
« Ah ! s’écrie-t-il d’une voix entrecoupée, seigneur, mon
maître, que diable sommes-nous venus faire sur les côtes du Danemark? Vous voyez à présent ce qu’on y gange, et vous avouerez que si nous ne savions nager, par bonheur, nous se
rions déjà morts, vous et moi et ce pauvre M. Myron, qui souffle comme un possédé par derrière nous... Encore, som
mes-nous bien sûrs de pouvoir atteindre le bord? Dieu me perde ! si je ne crois pas qu’il recule à mesure que nous avan
çons... Ah! mon cher maître, pourquoi avons-noiîts quitté votre jolie maison aux portes de Mantoue, et que ne restionsnous en paix dans ce beau pays, où l’eau est bien plus chaude qu’ici ? Je vous l’avais assez dit, qu’il nous arriverait mal
heur ; à force de voyager, on finit, un jour ou un autre, par trouver ce qu’on ne cherchait pas... Ét si vous aviez à vous plaindre des dames de la Lombardie, ce n’était pas une rai
son pour venir vous noyer, vous et vos gens, dans la mer du Danemark. Est-ce que les Danois qui sont mal avec le sexe viennent se noyer chez nous, je vous le demande , mon maître? Ah! ils sont plus sages que nous, sauf vo
tre respect... Aie! aie! je commence à me lasser, et nous n’arrivons point.... Monseigneur, si je meurs, vous aurez certainement ma mort sur la conscience; car je n’aurais cer
tainement jamais quitté Mantoue, moi, démon propre mouvement, ni ne serais venu en Danemark, que le diable confonde !...
Le seigneur Fabrice, impatienté des doléances de son valet, s’était mis sur le dos ; il nageait en regardant le ciel, sans avoir l’air de penser au rivageplus ou moins prochain. Quant au bourgeois Myron, il soufflait toujours et continuait à faire des jets d’eau ; sa résignation ne l’abandonnait, pas; mais il proféra deux ou trois fois, à part lui, ces mots ; «O traîtresse,
double traîtresse! » Evidemment cet infortuné s’entretenait lui-même de ses adversités, et s’occupait du passé plutôt que du moment présent, assez maussade, néanmoins.
Enfin, après une grande heure de natation, on prit pied sur le sable de la rive. Des chants joyeux se faisaient entendre d’une grotte voisine, taillée dans le rocher.
«Parbleu! dit Fabrice en se secouant, je trouve mauvais que ces gens-là se réjouissent quand je suis trempé comme un noyé. Je me sens d’humeur à troubler aujourd’hui toutes les fêtes du monde... Entrons...
— Seigneur, s’écria le prudent Ambroise, prenez garde ; ce sont des naturels du pays, et Ton dit qu’ils ont l’humeur méchante! »
II.
UNE SANTÉ AUX DAMES.
La grotte s’ouvrait sur la mer : elle était toute tapissée de lierres. Sur le sable fin, une table ronde était dressée, autour de laquelle des cavaliers élégants, de la ville d’Eroë, fê
taient gaiement le bon vin et la bonne chère ; la fraîcheur charmante du lieu, la vue de la mer qui étendait à leurs pieds ses flots brillants, l’agrément enfin de la saison et celui du festin, tout se réunissait pour mettre les convives .en liesse parfaite. Ils avaient déjà noyé, comme on dit, la plus forte partie de leurs soucis, et ils mettaient le reste en fuite par l’allégresse de leurs chansons. Le seigneur Fabrice fit une entrée aussi convenable que le peut faire un homme ruisse
lant d’eau parmi des gens qui sont honnêtement pris de vin.
Sa mine annonçait d’ailleurs qu’il n’était pas plaisamment disposé.
«Messieurs, dit-il en se découvrant, j’ai l’honneur de vous saluer. Je suis étranger; arrivé d’hier soir sur vos bords, je n’ai pas beaucoup à me louer de l’hospitalité de votre pays jusqu’à présent. Je sors de l’eau, où j’ai failli rester, et il ne tiendrait qu’à moi de prendre votre joie pour une méchante dérision ; car de la table où vous êtes il ne se peut que vous ne m’ayez aperçu, moi et les miens, nageant depuis une heure à perte d’haleine... »
Fabrice s’exprimait en français, langue qui est familière à tous les gens bien élevés des pays du nord. Aussi fut-il parfaitement compris. Le cavalier qui paraissait être l’amphitryon de cette fête se leva d’un air poli.
«Monsieur, répondit-il, si nous vous avions aperçu dans l’eau, veuillez croire que nous fussions venus à votre aide, et permettez-nous de réparer l’inhospitalité de notre rive, en vous offrant d’autres habits d’abord, puis une place à notre table. Un refus de votre part nous autoriserait à trouver offensantes maintenant vos paroles de tout à l’heure,
— Je ne sais point refuser, dit Fabrice après une courte hésitation, l’offre d’un galant homme, faite avec courtoisie et de très-bon cœur, ce me semble. »
Les laquais eurent bientôt achevé la toilette de Fabrice; puis, les convives se serrèrent un peu pour lui faire place au
près de l’amphitryon, et l’on se remit à manger et à boire de plus belle.
Fabrice avait senti d abord sa mauvaise humeur déconcertée par l’accueil obligeant de messieurs les Danois. Comme,
après tout, il était un garçon d’esprit et qu’il savait vivre, il avait pris promptement le bon parti, celui d’accepter les offres polies qu’on lui faisait. D’ailleurs quelle grâce aurait-il eue à se fâcher de ce que d’autres se divertissent tandis que luimême se noyait? Et enfin n’était-il pas trop mouillé pour être impertinent avec quelque succès? Il se mit donc à table,
couvert du linge et des habits de ces messieurs. Mais, tout en buvant, il conservait encore un grain de maussaderie, ne répondait que du bout des lèvres aux paroles qu’on lui adressait, et ne daignait pas prendre part, à la conversation, quoique les convives, par politesse pour le nouveau venu, cau
sassent désormais en français. S’il ne disait rien, Fabrice ne pouvait s’empêcher d’écouter et d’entendre. Aussi fronçait-il
sensiblement le sourcil et reprenait-il cet air fâché qu’il avait à son entrée dans la grotte. On en était sur le chapitre des dames, comme il est nature! entre jeunes gens à la fin d’un re
pas un peu vif. Chose étrange pourtant et qui fait honneur à la jeunesse danoise, il se disait ici du beau sexe presque autant de bien que de mal. Un jeune cavalier, que le vin jetait dans des attendrissements, célébrait la douceur, la constance, l’ar
deur, la modestie, la bonté, le dévouement, la délicatesse, la sincérité, l’amabilité, la candeur de sa maîtresse, sans comp
ter, disait-il, les vertus de détail. Un autre, sorte d’esprit fort,, jurait que l’empereur Salomon n’eût pas médit des femmes, comme il Ta fait, si au lieu de la reine de Saba il eût reçu dans sa cour une députation des dames du Danemark, toutes belles et vertueuses. Que sais-je enfin? un vrai concert de louanges et de bénédictions, assurément très-méritées. .. Mais Fabrice, tandis que les autres convives souriaient et applau
dissaient, s’agitait sur sa chaise avec un dépit trop visible pour qu’on ne finît pas par le remarquer.
Après plusieurs historiettes à l’honneur des dames, le nom de madame Adrienne venant à être prononcé, ce fut un transport unanime parmi tous les buveurs. Cinq ou six des convi
ves à la fois entonnèrent l’éloge de cette personne vraiment parfaite, à ce qu’il paraissait; mais celui qui se faisait en
tendre par-dessus tous les autres, c’était un cavalier nommé Odoacre, poète érotique de profession, sans rival dqns tout le Danemark pour les petits vers amoureux. Ce personnage, dont la physionomie ne semblait pas aussi galante que le talent, portait une épaisse forêt de cheveux roux ; les pommettes de ses joues très-saillantes, indice ordinaire de la fé
rocité, faisaient un contraste bizarre avec l’expression douce
reuse et sucrée de ses petits yeux vert-de-mer. Il avait la voix rauque, mais il affectait une parole traînante et amollissait son verbe autant que possible par toutes sortes de diminutifs et de façons anodines de parler. On voyait bien qu’il cherchait à donner quelque conformité à sa personne avec sa qualité de chansonnier des dames. —En ce moment donc le poète vanlait les vertus et les charmes de madame Adrienne, avec une chaleur qui pouvait faire croire qu’il n’était pas en disgrâce auprès de cette belle. Même il reprenait les choses d’un peu haut pour l’édification du seigneur étranger, Fabrice, qui sans doute ne savait rien encore de cette merveille du pays. Ma
dame Adrienne était donc une jeune veuve, venue de France en Danemark pour recueillir une grosse succession; tout d’a
bord elle avait enchanté la ville entière par sa bonne grâce et son esprit; vive autant que sage, ingénue et moqueuse, co
quette et modeste, on l’aimait, on l’admirait à la ronde ; elle était l’ornement de la belle compagnie, l’âme de tous les plai
sirs élégants, la déesse de la mode danoise... Bref, l’hvmne du poète dura bien une demi-heure, quoique Fabrice donnât des signes de l’impatience la moins équivoque. L’enthou
siasme d’Odoacre allait toujours s’échauffant, et lorsque ce galant fut à bout de son invention élogieuse, il leva vivement son verre à la hauteur de sa tête, et d’une voix vibrante :
«Messieurs, s’écria-t-il, je porte une santé à toutes les dames en général, et à madame Adrienne en particulier. »
Tous les verres furent levés aussitôt et s’entre-choquèrent avec un joyeux fracas. Seul, le verre de Fabrice demeurait à sa place, ne prenant point part à la fête. Les convives res
taient le bras en l’air, attendant que l’étranger joignît son verre aux leurs. — Fabrice se leva ;
« Messieurs, dit-il froidement, je dois vous remercier encore de l’accueil très-aimable que vous m’avez fait. Permettez-moi, cependant, de ne point m’associer à cette santé aux dames que vous portez. Quoique je sache ce à quoi la poli
tesse m’oblige, je n’aime pas faire les choses à contre-cœur ni agir contre mon envie. »
Ce disant, il se rassit. Il y eut un moment de silence dans la compagnie. Ce fut le poète, champion obligé des dames, qui rompit cette glace :
«Eh quoi! reprit-il, seigneur étranger, n’auriez-vous point pour la beauté ces doux sentiments qui font battre tous les cœurs, qui enchantent toutes les âmes, qui...?»
Fabrice l’interrompit ;
« Messieurs, dil-ii aux convives, vous venez d’entendre de_ très-flatteuses histoires sur le compte des dames ; je ne suis pas assez impoli pour les révoquer en doute, quoique ma façon de voir ne ressemble guère à la vôtre, si je ne me trompe. Je vous demanderai .- cillement la permission de vous taire conter une autre histoire féminine, qui s’accorde aussi peu que possible avec celles que vous avez contées vousmêmes... Holà! qu’on fassevenir le bourgeois Joseph Myron, s’il est assez sec maintenant pour pouvoir se présenter avec quelque décence.
Albert-Aubert. La suite à un prochain numéro.
PAR M. HORACE VERNET.
L’altention publique va bientôt se préoccuper des graves nouveautés que la politique est peut-être à la veille de faire éclore à la chambre des députés ; profitons d’un moment où les débats parlementaires ne sont pas encore ouverts pour entretenir un instant nos lecteurs d’une autre espèce de nou
veauté qui attirera les regards de tous les députés à leur entrée au palais Bourbon; je veux parler des décorations artistiques exécutées dans la vaste salle d’attente qui précède immédia
tement la chambre des députés ; salle d’attente bien connue de la province, qui y afflue incessamment et y fait continuel
lement demander ses élus par les huissiers, soit pour obtenir des billets, soit pour des sollicitalions actives et d’un intérêt autrement vif que celui d’entendre et de voir gesticuler der
rière une grande tribune de petits hommes à la voix maigre et au costume étriqué. Ce vestibule est désigné sous le nom de salon de la Paix, sans doute par opposition avec la salle à laquelle il mène et où règne une dispute continuelle. Le vaste plafond de cette pièce vient d’être orné de riches décorations et de trois sujets allégoriques peints par M. Horace Vernet.
Celui du milieu représente la Paix sous la figure d’une jeune fdle, radieuse, tenant de la main gauche la branche d’olivier obligée, et de la main droite des fleurs qui s’effeuillent à tra
Plafond du salon de la Paix, à la
chambre des députés,