le plus beau de l’année : on l’aime, on le glorifie ; il ne marche qu’entouré d’un grand cortège de vœux et d’applaudissements ; soit nom sonne agréablement à l’oreille, et rien qu’à le pro
noncer on se sent venir l’eau à la bouche. Vous savez s’il est succulent et confit en douceurs de toutes sortes : les visites, les félicitations, les serrements de main, les accolades, les ca
deaux, et, pour tout dire, les étrennes, voilà son tribut, et tous les âges, tous les rangs et tous les appétits, sont ses tri
butaires. Pour ne parler que de Paris et des Parisiens, voyez comme on s’aborde, comme on se complimente, comme on se presse et comme on se culbute! Les boulevards sont une four
milière, les passages ont l’air de chemins qui marchent, les magasins resplendissent, chaque boutique bombarde les pas
sants du feu de son artillerie sucrée. On y trouve le monde entier en bonbon; c’est un microcosme complet au caramel et à la vanille. Archipels en sucre candi, continents de pâte terme, mers d’odorantes gelées et de confitures, édifices en chocolat, palais cristallisés, fruits,fleurs et animaux, n’allons pas décrire cette pétrification fondante et universelle lorsque notre dessinateur s’est si bien acquitté de cette tâche allé
chante. De ces deux laboratoires, l’un vous semblera sans doute plus magnifique et plus appétissant que l’autre et plus digne île la solennité; mais le jour de l’an est bon diable : il a des étrennes pour toutes les tailles et toutes les conditions sociales, et prodigue avec le même amour l’ananas glacé et le
simple bâton de sucre d’orge. Pauvre ou riche, grande dame ou grisette, bambin à panache ou en blouse, qu’importe : de
vant lui toutes les mâchoires sont égales, et il ne connaît que des croquants. Monarque débonnaire, s’il trône chez Marquis ou chez Boissier, il s’est entouré d’institutions républicaines, c’est-à-dire de nombreuses boutiques à trois sous, et nous vous le montrons ici sous sa double face constitutionnelle. A côté des confiseurs qui prodiguent leurs surprises, il y a, comme toujours, les bimbelotiers, joailliers et autres artistes qui exhi
bent des fragilités plus solides ; passonsà la hâte devant ces fan
taisies du jour qui seront oubliées demain. Lamode d’ailleurs n’a pas encore désigné bien clairement ses jouets de prédilection et couronné son favori; on ne sait encore quelle chinoiserie sera préférée et quel magot aura h vogue en 1848. Mais cet incident extraordinaire ne met aucun frein, comme vous le pen
sez bien, à la fièvre d’emplettes et au libre échange qui se
pratique en grand dans cette bienfaisante semaine. Dorineret recevoir, telle a été sa principale occupation. nombre de salons ressemblent à des greniers d’abondance où s’accumule la ré
colte du moment, ou bien à des bazars ouverts à toutes sortes de marchandises qui n’attendent qu’une occasion de placement ;
ainsi certains cadeaux vont et viennent, circulent d’étage en étage, décorent différentes étagères, et finissent par revenir, après plusieurs excursions, entre les mains de leur propriétaire primitil ou plutôt primitive. C’est ce qu’on appelle le cadeau
ambulatoire ; mais il en est d’inamovibles, dont l’à-propos rehausse le prix. Dans cette catégorie on distingue les cadeaux à sentiment, ceux que les pigeons ramiers prodiguent à leurs colombes, et qui ont le plus souvent une valeur positive. Uami étranger, Anglais ou Itusse, prodigue les fleurs les plus fan
tastiques, les bijoux les plus surprenants, toutes les primeurs de la toilette. L’ami sportmann prête des chevaux qui ne lui seront jamais rendus ; i ami député procure de l’avancement ou la croix d’honneur au mari fonctionnaire, ce qui s’appelle quelquefois acquitter ses droits de succession.
Mais laissons là les bonbons et venons aux pilules : le jour de l’an les distribue aussi généreusement que les dragées, et après la mention de ses petits et grands bonheurs, la cir
constance autorise à signaler ses petites misères. Sans parler des pères avares ou des oncles peu sensibles, deux clas
ses très-intéressées et nullement intéressantes prennent en grippe ce fortuné jour et le chargent d’imprécations : c’est la classe des maris bourrus et celle des amis trop volages. Aux approches de noël, ces derniers simulent une maladie ou la né
cessité d’un éloignement motivé par leurs affaires; ils ont l’air de fuir Paris comme la peste, mais, en réalité, c’est le jour de l’an qui les met en fuite : cette espèce de fugue constitue le voyage économique. Quant aux maris bourrus, ils se disent ruines deux mois à l’avance, ou si leur lésinerie redoute l’é­ clat, ils organisent dans leur intérieur un système de triche.
Une boutique de confiseur.
ries qui consiste à octroyer comme étrennes à leurs femmes des objets de première nécessité. Heureusement la plupart des pères de famille ne sont pas bâtis sur le modèle de ce contribuable récalcitrant, et le jour de l’an échelonne dans son cercle de douze heures une série de félicités que notre Parisien savoure en silence. Les grandes joies sont muettes comme les grandes douleurs. Réveillé en sursaut le matin du 1er janvier, c’est à peine s’il a eu le temps de dénouer les pointes de son foulard, et déjà le compliment de famille lui est décoché à bout portant : les enfants le dévalisent des yeux, la servante l’attend au passage dans l’antichambre, le con
cierge le guette sur l’escalier, le facteur le happe au seuil de la porte cochère, où l’arrête aussi le tambour de la compagnie avec cette phrase pénétrante : C’est pour avoir celui de vous la souhaiter bonne et heureuse. Pourchassé jusque dans la rue par le porteur de journaux, et la troupe légère des distributeurs de pittoresques, il se réfugie dans un omni
bus, où la tire-lire du conducteur lui tinte un compliment; au café, le cornet praliné du garçon lui rappelle ce beau jour, ou bien encore c’est la brosse du décrotteur qui le fera songer à ses devoirs. Bref, le jour de l’an à lui tout seul représente pour la bourse de notre citadin un treizième mois plus avide, plus gourmand et plus dépensier que les autres.
Au surplus, qui donc n’a pas reçu des étrennes dans ces derniers jours? La politique a eu le discours du trône, et la littérature le discours de M. Empis à l’Académie. Le récipiendaire, qui succédait à M. de Jouy, a parlé de son prédécesseur à peu près dans les termes qu’emploie Quinte-Curce
pour célébrer Alexandre le Grand; il l’a suivi dans ses expéditions sur les bords du Gange, et nous l’a montré entrant dans Babylone, c’est-à-dire dans Seringapatam, et con
férant avec Tippoo-Saëb des destinées de l’Asie. Pour un au
teur comique, le détail a paru un peu ambitieux ; il est devenu grotesque lorsque le nouvel académicien, déplorant les mal
heurs de son héros prisonnier des Afgans, s’est écrié : « Les lettres le consolèrent, et c’est au milieu des sauvages qu’il acheva ses humanités. » On a trouvé que la vie laborieuse et les succès mondains de l’Ermite de la Cliaussée-d’Antin exi
geaient un autre genre de panégyrique. M. Viennet s’est chargé de répondre à l’élu et de l’ensevelir dans son triomphe ; il s’est acquitté de cette tâche ingrate avec assez d’éclat et de verve. S’il a parlé de l’empire un peu en grenadier, il a traité la littérature de cette époque en juge compétent, et l’on a applaudi plus d’un trait spirituel présenté en bon style.
Un événement plus littéraire que cette réception, et qui doit exciter vivement l’intérêt, c’est la publication très-prochaine,
assure-t-on, des mémoires de Georges Sand, en dix ou douze volumes, sous le titre ; Histoire de ma vie. Heureuse abon
dance, dont le lecteur cette fois ne sera pas tenté de se plain
dre. Volontiers même appliquerait-il à ce talent supérieur le mot de madame de Tessé sur madame de Staël : « Si j’étais reine, je lui ordonnerais de conter toujours. » Qui ne s atten
drait à trouver dans cette épopée domestique le charme infini et l’intérêt des premiers romans de l’auteur, et la tendance élevée, sereine et forte de ses plus récents écrits? Les augu
res et les faiseurs de prophéties proclament déjà que dans ce livre suprême les impressions personnelles de la lemme-pen
seurtiendron. plus ae place que les événements; cependant, Georges Sand s’est mêlée assez activement au mouvement so
cial, et trop de personnages considérables se sont assis à son foyer pour que ce livre soit avare de révélations. Il est impossible qu’il n’offre pas beaucoup de portraits ; aujourd’hui l’histoire les prodigue autant que le roman. Mais comme l’exer
cice de la pensée désintéressée a été le vaste emploi de la vie de Georges Sand et l’unique but qu’elle semble s’être propo
sé, ses jugements sur les hommes contemporains seront sans doute pleins d’indulgence : les circonstances elles événements ne sont-ils pas suffisamment sévères et difficiles pour eux!
Elle aura pu faire d’ailleurs comme ce peintre qni, n’ayant pour amis que des borgnes, les peignait tous de profil et par leur plus beau côté. Quoi qu’il en soit, autobiographique ou non, cri du cœur ou œuvre de la réflexion, ce livre, attendu avec une vive impatience, ne saurait manquer d’être un beau livre, plein d’âme et de poésie, et sans doute de souffrance; car si,
comme tant d’autres de sa race, Georges Sand n’a pu que rêver le bonheur, il lui aura été donné du moins de réaliser le beau.
Pendant que nos grânds esprits nous font leurs confidences et écrivent leurs mémoires, Béranger achève les siens, des
chansons! Mais cela mérite mieux qu’une sèche mention, et rillusLration vous parlera plus au long de de cette édition définitive, que publie M. Perrolin, le livre d’étrennes le plus in
structif et le plus splendide qu’on puisse donner à tous les âges, l’épopée chantée de la France.
Le Théâtre-Français amis un crêpe à son chapeau; il a déchaussé le cothurne, et sur cette scène désertée la tragédie verse des larmes qui ne sont pas feintes, en d’autres termes