la chaste Monime a besoin de repos et garde la chambre : un mal, qui du reste ne lui cause aucune terreur, la retient cap
tive dans son lit, et l’enlève à l’hymen de Curiace et aux fu
reurs d’Oreste et de M. Buloz. Cependant cette captivité aura son terme, et l’on peut, sans être devin, pronostiquer une prochaine délivrance : la grande actrice nous sera rendue à
Pâques, ou tout au moins à la Trinité. « Comme on me Ta changée! s’écriait Tan dernier le même directeur, après une de ces absences forcées.—Certainement, répondit R., on vous Ta changée en nourrice. » Ce bon mot nous met sur la voie d’un autre. A la dernière représen
tation de Cléopâtre, une jolie
habitante de la rue de Breda, qui a toutes sortes de connais
sances, excepté en histoire, disait à sa voisine : «C’est une drôle d’idée qu’a eue madame de Girardin d’appeler Antoine l’amant de Cléopcâtre ; c’est le nom de mon cocher : pourquoi ne, Tappelait-elle pas Arthur ? »
Mais voici venir, pour notre bout de Tan, le théâtre du Palais-Royal et son Banc d’Huî
tres. Lorsque nous touchons à la Saint-Sylvestre, c’est loujours à ce théâtre la même revue chansonnée, la même plaisante
rie sur les mêmes lèvres rieuses et le même faux nez sur ces visages bouffons. Cette grande histoire de Tannée parisienne,
racontée autrefois dans les Pi.mmes de terre ma’ades et la Poudre-Coton, elle se con
tinue donc aujourd’hui par le Banc d IIv lires. Des huîtres qui ont rompu leur banc et qui prennent le chemin de fer pour s’en venir dans la capitale observer nos mœurs, appren
dre nos usages,! profiter de nos découvertes et rire de nos ridicules, voilà du fantastique assurément, et de l’audace et de l’invention, c’est incroyable!
A peine sorties de leur mai
son d’écaille, ces mollusques courentau passage du Saumon, au passage Verdeau; c’est leur voyage de découvertes à son début et le commencement de la moquerie, la mise en train du quo
libet, de la gaudriole et des coq-à-l’âne; plaisanterie passable
ment marécageuse et vrai rire d’huître; peut-être fera-t-on bien
de supprimer ces passages. Passe pour l épisode du parapluie omnibus, ainsi appelé parce qu’il vous met dans la nécessité de ‘ prendre un or/mVuv.:.,passe encore pour l’intermède Auriol, conscrit réfractaire de 1822, et pour la pochade Lolla-Montès, l’an
drogyne bavaroise, lorette-sportmann, péri qui fume, boit et joue de la cravache, grand talent méconnu, huitième merveille du monde que notre jeunesse dorée n’a pas su appré
cier et qui lui échappe; si ce sont là des actualités un peu vieillotes, le génie de M. Glairville, aidé de son fidèle Achate M. Dumanoir, les rafistole assez plaisamment. Mais que dire de cet affreux mélange et de ce grotesque accouplement des osanores, du cidre du Pont-Neuf et de la gloire de Béranger?
Quand on a servi à nos huîtres celte célébrité, la planche est faite et l’holocauste des autres s’accomplit par douzaine : ma
demoiselle Mars est célébrée par un couplet, on vous lance’un madrigal à madame Rose Chéri; M. Verdi re
çoit un compliment pointu (l’Opéra qui a reverdi par les chants de Verdi), Rachel a son tour, TAlboni est mêlée à la cérémonie , on n’oublie pas Cerrito, et puis nous ar
rivons à célébrer les plus beaux succès dramatiques de Tan
née, c’est-à-dire la Belle aux Cheveux d or, le Chevalier de Maison-Bouge, et l Hippodrome. Ainsi va la fête plus ou moins spirituelle et atlique, mais toujours folle et amusante.
C’est un vacarme et un dévergondage do mots ébouriffés et de locutions qui crèvent de rire ; j’en atteste la scène du chloroforme et celle du somnambule. Disons encore, avant de fermer ce parc aux huîtres, que le Palais-Royal a convo
qué le ban et l’arrière-ban de ses pensionnaires pour célébrer plus joyeusement les obsèques de l’année. Ces dames se sont mises dans leurs plus piquants atours : c’est là co
quetterie, la désinvolture, le pied mignon, le bras qui se laisse voir. Quant à ces messieurs, ils se sont embellis de tous leurs charmes naturels : le sang-froid le.plus bête, la
verve la plus bouffonne, la
gaieté la plus folle et la stupi
dité la plus grotesque et la plus triomphante.
Il ne nous reste plus qu’à vous parler d’une merveille, l’ou
verture du Jardin d’hiver, utile et splendide création que Thompson, Delilie et Saint- Lambert n’avaient pas prévue en célébrant les jardins et les saisons. Cette fête des fleurs se célèbre tous les jours, à toutes les heures, aux Champs-Élysées. C’est là que Flore , la charmante déesse, tiendra per
pétuellement sa cour, comme
l’ont dit nos bucoliques; l’hiver et ses noirs frimas n’y feront rien : vainement laneige tombe, le vent siffWat la tempête gronde au dehors ; grâce à la dis
position la plus heureuse de ses poêles et de ses calorifères, Flore peut braver le souille gla
cial de son mortel ennemi ; ce noir hiver lui-même, s’il s’avi
sait do pénétrer dans l’enceinte embaumée, dégèlerait bien vite et serait changé en printemps. Je vous laisse à penser la pro
fusion et l’abondance fleurie qui régnent dans ces beaux lieux ; c’estun conservatoire de roses, l’Éden des camélias et des rhododendrons, et comme une salle d’asile pour les plantes les
plus frileuses et. les plus rares des tropiques. Quant aux bosquets, aux quinconces, aux charmilles, aux niches de verdure, il y en a assez pour éveiller la jalousie des dieux thermes de Versailles et de Fontaine
bleau, et pour donner aux sylvafns et aux faunes de leurs parcs la plus grande envie d’abandonner leur retraite et de se ré
fugier aux Champs-Élysées. Mais ce paradis terrestre n’a pas besoin de nos fanfares, puisque le plus beau monde, le plus illustre et le plus charmant s’est empressé de l’adopter et de le prendre sous sa toute-puissante protection.
Inauguration à Bruxelles de la statue d’André Vésale, le 31 décembre 1847.
André Vésale, surnommé le père de l’anatomie, naquit à Bruxelles le 31 décembre 1S14. Avant lui, l’anatomie méri
tait à peine le nom de science, et c’est à juste titre qu’il en est regardé comme le créateur. Dans ces temps d’ignorance, la dissection d une créature faite à l image de Dieu était con
sidérée comme un crime que le bûcher seul pouvait expier.
Plusieurs célèbres professeurs, tentèrent vainement de faire avancer la science ; l’Eglise fulmina comre eux des édits tels, que même les plus hardis crurent prudent de s’abste
nir. Les beaux-arts, en se développant en Italie, adoucirent les mœurs, changèrent les idées et imprimèrent un nouveau cours aux destinées de l’espèce humaine. La propagation de l’imprimerie acheva de dissiper les ténèbres: Ju les 11 et Léon X autorisent Léonard de Vinci, Raphaël, Michel-Ange, à faire des études anatomiques, au point de vue de l’art du pein
tre; c’était déjà un grand pas; mais entre la descrip!ion su
perficielle du corps humain et la science il y a un abîme. Effrayé sans doute des foudres de l’Eglise, aucun méde
cin n’osa le franchir. Cette gloire était réservée à Vésale, qui, après avoir fait des études brillantes à Louvain, se prit d’une telle passion pour l’anatomie, qu’il sut triompher do toutes les difficultés attachées alors à ce genre de travaux. Il osa même aller disputer aux vautours les cadavres des suppliciés, et c’est au milieu de ces débris hideux qu’il composa le premier squelette humain.
A vingt-trois ans Vésale vint en France, et étudia à Paris et à Montpellier. Sa réputation ne tarda pas à se répandre, et de nombreux élèves accouraient de toutes parts, étonnés de la hardiesse et de la nouveauté des préceptes du jeune pro
fesseur. Les anciennes doctrines furent abandonnées, et l’on comprit enfin que jusqu’à ce jour l’anatomie n avait été qu’une description des singes, des porcs et autres animaux réputés semb ables à l’homme.
Tant d’éclat, finit par élever Vésale à la dignité de médecin de Charles-Quint. Il suivit ce monarque pendant toutes ses campagnes, et resta même à la cour de Philippe II, quand l’empereur, dégoûté des affaires publiques, abdiqua l’empire pour finir ses jours dans un couvent.
notre grand anatomiste. pendant son séjour à la cour, abandonna son étude favorite et pratiqua la médecine. Un fait assez curieux, très-invraisemblable, mais que nous ne rapportons ici qu’à cause de son étrangeté, abrégea son séjour en Espagne.
« ... La haine et, l’envie planaient de concert sur le succès de Vésale, lorsqu’un noble espagnol confié à ses soins mou
rut à la suite d’une maladie dont les signes équivoques laissaient beaucoup d’incertitude sur son véritable caractère. Vésale obtint difficilement des parents la permission d’ouvrir le cadavre ; il se précipita ensuite par trop, et ayant touché le cœur avec la pointe du scalpel, cet organe, qui avait conservé un reste d’irritabilité, se contracta légèrement. Ce malheu
reux événement fut déféré en même temps aux tribunaux or
dinaires et à l’inquisition, et Vésale fut poursuivi à la fois comme homicide et comme impie. Philippe II prévint ce dou
ble jugement par une transaction, et il fut convenu que Vésale ferait un voyage expiatoire en la Terre-Sainte. »
Cette accusation invraisemblable trouva facilement de l’é cho et fut répétée à l’envi ; cependant l’absurdité en est évi
dente, et les détails prouvent que les ennemis du célèbre anatomiste consultèrent plutôt la passion que la science. Pour ar
river au cœur, dans une autopsie, il y a dix opérations plus que suffisantes pour ranimer la vie si elle devait revenir.
Quelle que soit la raison qui força Vésale à s’éloigner de la cour d’Espagne, toujours est-il qu’il se rendit à Jérusalem avec Malatesta, général vénitien. Rudement éprouvé par la
fortune durant ce périlleux voyage, il fut à son retour jeté par la tempête sur les côtes de file de Zante, où il mourut de faim. Triste destinée humaine !
Telle fut la vie du savant, immortel à qui Rruxelles élèveaujourd’hui une statue. Aumoment où nous écrivons ces lignes, un nombreux concours de peuple se précipite autour du monument pour admirer à la fois, et l’homme qui a inspiré l’artiste, et l’artiste qui a recréé j’homme. Les cendres des génies flamands ont dû entendre sous leurs manteaux de mar
bre les cris de la foule impatiente de montrer aux peuples étonnés que, malgré les manufactures, les chemins de fer et les machines à vapeur, il existe encore des artistes assez amoureux de l’art pour oublier le mouvement qui les entoure et produire de grandes œuvres.
L’œuvre de J. Geefs dénote une connaissance parfaite de son art, eteependant nous pouvons nous convaincre que le ciseau seul n’a point travaillé, mais que )a pensée arété de moitié dans l’ouvrage. Ali reste, M. Geefs a laissé à Paris d’heureux souvenirs, et les statues de sainte I hilomèle, de Godefroy de Bouillon, et, en dernier lieu, de la Fille du pê
cheur, ont bien souvent attiré nos regards pendant les deux mois trop courts de l’exposition. M. Geefs a une longue car
rière devant lui, et les hommes célèbres ne manquent pas à la Belgique.
Le socle sur lequel repose la statue de Vésale est un granit de Soignies, et nous ne pouvons qu’applaudir au bon goût de l’architecte, M. Hector Goffart, qui a préféré les profils simples et larges au déluge. d’ornements en grande vogue aujourd’hui. Heureuse la cité qui donne le jour à de tels enfants !
La boutique à trois sous.
tive dans son lit, et l’enlève à l’hymen de Curiace et aux fu
reurs d’Oreste et de M. Buloz. Cependant cette captivité aura son terme, et l’on peut, sans être devin, pronostiquer une prochaine délivrance : la grande actrice nous sera rendue à
Pâques, ou tout au moins à la Trinité. « Comme on me Ta changée! s’écriait Tan dernier le même directeur, après une de ces absences forcées.—Certainement, répondit R., on vous Ta changée en nourrice. » Ce bon mot nous met sur la voie d’un autre. A la dernière représen
tation de Cléopâtre, une jolie
habitante de la rue de Breda, qui a toutes sortes de connais
sances, excepté en histoire, disait à sa voisine : «C’est une drôle d’idée qu’a eue madame de Girardin d’appeler Antoine l’amant de Cléopcâtre ; c’est le nom de mon cocher : pourquoi ne, Tappelait-elle pas Arthur ? »
Mais voici venir, pour notre bout de Tan, le théâtre du Palais-Royal et son Banc d’Huî
tres. Lorsque nous touchons à la Saint-Sylvestre, c’est loujours à ce théâtre la même revue chansonnée, la même plaisante
rie sur les mêmes lèvres rieuses et le même faux nez sur ces visages bouffons. Cette grande histoire de Tannée parisienne,
racontée autrefois dans les Pi.mmes de terre ma’ades et la Poudre-Coton, elle se con
tinue donc aujourd’hui par le Banc d IIv lires. Des huîtres qui ont rompu leur banc et qui prennent le chemin de fer pour s’en venir dans la capitale observer nos mœurs, appren
dre nos usages,! profiter de nos découvertes et rire de nos ridicules, voilà du fantastique assurément, et de l’audace et de l’invention, c’est incroyable!
A peine sorties de leur mai
son d’écaille, ces mollusques courentau passage du Saumon, au passage Verdeau; c’est leur voyage de découvertes à son début et le commencement de la moquerie, la mise en train du quo
libet, de la gaudriole et des coq-à-l’âne; plaisanterie passable
ment marécageuse et vrai rire d’huître; peut-être fera-t-on bien
de supprimer ces passages. Passe pour l épisode du parapluie omnibus, ainsi appelé parce qu’il vous met dans la nécessité de ‘ prendre un or/mVuv.:.,passe encore pour l’intermède Auriol, conscrit réfractaire de 1822, et pour la pochade Lolla-Montès, l’an
drogyne bavaroise, lorette-sportmann, péri qui fume, boit et joue de la cravache, grand talent méconnu, huitième merveille du monde que notre jeunesse dorée n’a pas su appré
cier et qui lui échappe; si ce sont là des actualités un peu vieillotes, le génie de M. Glairville, aidé de son fidèle Achate M. Dumanoir, les rafistole assez plaisamment. Mais que dire de cet affreux mélange et de ce grotesque accouplement des osanores, du cidre du Pont-Neuf et de la gloire de Béranger?
Quand on a servi à nos huîtres celte célébrité, la planche est faite et l’holocauste des autres s’accomplit par douzaine : ma
demoiselle Mars est célébrée par un couplet, on vous lance’un madrigal à madame Rose Chéri; M. Verdi re
çoit un compliment pointu (l’Opéra qui a reverdi par les chants de Verdi), Rachel a son tour, TAlboni est mêlée à la cérémonie , on n’oublie pas Cerrito, et puis nous ar
rivons à célébrer les plus beaux succès dramatiques de Tan
née, c’est-à-dire la Belle aux Cheveux d or, le Chevalier de Maison-Bouge, et l Hippodrome. Ainsi va la fête plus ou moins spirituelle et atlique, mais toujours folle et amusante.
C’est un vacarme et un dévergondage do mots ébouriffés et de locutions qui crèvent de rire ; j’en atteste la scène du chloroforme et celle du somnambule. Disons encore, avant de fermer ce parc aux huîtres, que le Palais-Royal a convo
qué le ban et l’arrière-ban de ses pensionnaires pour célébrer plus joyeusement les obsèques de l’année. Ces dames se sont mises dans leurs plus piquants atours : c’est là co
quetterie, la désinvolture, le pied mignon, le bras qui se laisse voir. Quant à ces messieurs, ils se sont embellis de tous leurs charmes naturels : le sang-froid le.plus bête, la
verve la plus bouffonne, la
gaieté la plus folle et la stupi
dité la plus grotesque et la plus triomphante.
Il ne nous reste plus qu’à vous parler d’une merveille, l’ou
verture du Jardin d’hiver, utile et splendide création que Thompson, Delilie et Saint- Lambert n’avaient pas prévue en célébrant les jardins et les saisons. Cette fête des fleurs se célèbre tous les jours, à toutes les heures, aux Champs-Élysées. C’est là que Flore , la charmante déesse, tiendra per
pétuellement sa cour, comme
l’ont dit nos bucoliques; l’hiver et ses noirs frimas n’y feront rien : vainement laneige tombe, le vent siffWat la tempête gronde au dehors ; grâce à la dis
position la plus heureuse de ses poêles et de ses calorifères, Flore peut braver le souille gla
cial de son mortel ennemi ; ce noir hiver lui-même, s’il s’avi
sait do pénétrer dans l’enceinte embaumée, dégèlerait bien vite et serait changé en printemps. Je vous laisse à penser la pro
fusion et l’abondance fleurie qui régnent dans ces beaux lieux ; c’estun conservatoire de roses, l’Éden des camélias et des rhododendrons, et comme une salle d’asile pour les plantes les
plus frileuses et. les plus rares des tropiques. Quant aux bosquets, aux quinconces, aux charmilles, aux niches de verdure, il y en a assez pour éveiller la jalousie des dieux thermes de Versailles et de Fontaine
bleau, et pour donner aux sylvafns et aux faunes de leurs parcs la plus grande envie d’abandonner leur retraite et de se ré
fugier aux Champs-Élysées. Mais ce paradis terrestre n’a pas besoin de nos fanfares, puisque le plus beau monde, le plus illustre et le plus charmant s’est empressé de l’adopter et de le prendre sous sa toute-puissante protection.
Inauguration à Bruxelles de la statue d’André Vésale, le 31 décembre 1847.
André Vésale, surnommé le père de l’anatomie, naquit à Bruxelles le 31 décembre 1S14. Avant lui, l’anatomie méri
tait à peine le nom de science, et c’est à juste titre qu’il en est regardé comme le créateur. Dans ces temps d’ignorance, la dissection d une créature faite à l image de Dieu était con
sidérée comme un crime que le bûcher seul pouvait expier.
Plusieurs célèbres professeurs, tentèrent vainement de faire avancer la science ; l’Eglise fulmina comre eux des édits tels, que même les plus hardis crurent prudent de s’abste
nir. Les beaux-arts, en se développant en Italie, adoucirent les mœurs, changèrent les idées et imprimèrent un nouveau cours aux destinées de l’espèce humaine. La propagation de l’imprimerie acheva de dissiper les ténèbres: Ju les 11 et Léon X autorisent Léonard de Vinci, Raphaël, Michel-Ange, à faire des études anatomiques, au point de vue de l’art du pein
tre; c’était déjà un grand pas; mais entre la descrip!ion su
perficielle du corps humain et la science il y a un abîme. Effrayé sans doute des foudres de l’Eglise, aucun méde
cin n’osa le franchir. Cette gloire était réservée à Vésale, qui, après avoir fait des études brillantes à Louvain, se prit d’une telle passion pour l’anatomie, qu’il sut triompher do toutes les difficultés attachées alors à ce genre de travaux. Il osa même aller disputer aux vautours les cadavres des suppliciés, et c’est au milieu de ces débris hideux qu’il composa le premier squelette humain.
A vingt-trois ans Vésale vint en France, et étudia à Paris et à Montpellier. Sa réputation ne tarda pas à se répandre, et de nombreux élèves accouraient de toutes parts, étonnés de la hardiesse et de la nouveauté des préceptes du jeune pro
fesseur. Les anciennes doctrines furent abandonnées, et l’on comprit enfin que jusqu’à ce jour l’anatomie n avait été qu’une description des singes, des porcs et autres animaux réputés semb ables à l’homme.
Tant d’éclat, finit par élever Vésale à la dignité de médecin de Charles-Quint. Il suivit ce monarque pendant toutes ses campagnes, et resta même à la cour de Philippe II, quand l’empereur, dégoûté des affaires publiques, abdiqua l’empire pour finir ses jours dans un couvent.
notre grand anatomiste. pendant son séjour à la cour, abandonna son étude favorite et pratiqua la médecine. Un fait assez curieux, très-invraisemblable, mais que nous ne rapportons ici qu’à cause de son étrangeté, abrégea son séjour en Espagne.
« ... La haine et, l’envie planaient de concert sur le succès de Vésale, lorsqu’un noble espagnol confié à ses soins mou
rut à la suite d’une maladie dont les signes équivoques laissaient beaucoup d’incertitude sur son véritable caractère. Vésale obtint difficilement des parents la permission d’ouvrir le cadavre ; il se précipita ensuite par trop, et ayant touché le cœur avec la pointe du scalpel, cet organe, qui avait conservé un reste d’irritabilité, se contracta légèrement. Ce malheu
reux événement fut déféré en même temps aux tribunaux or
dinaires et à l’inquisition, et Vésale fut poursuivi à la fois comme homicide et comme impie. Philippe II prévint ce dou
ble jugement par une transaction, et il fut convenu que Vésale ferait un voyage expiatoire en la Terre-Sainte. »
Cette accusation invraisemblable trouva facilement de l’é cho et fut répétée à l’envi ; cependant l’absurdité en est évi
dente, et les détails prouvent que les ennemis du célèbre anatomiste consultèrent plutôt la passion que la science. Pour ar
river au cœur, dans une autopsie, il y a dix opérations plus que suffisantes pour ranimer la vie si elle devait revenir.
Quelle que soit la raison qui força Vésale à s’éloigner de la cour d’Espagne, toujours est-il qu’il se rendit à Jérusalem avec Malatesta, général vénitien. Rudement éprouvé par la
fortune durant ce périlleux voyage, il fut à son retour jeté par la tempête sur les côtes de file de Zante, où il mourut de faim. Triste destinée humaine !
Telle fut la vie du savant, immortel à qui Rruxelles élèveaujourd’hui une statue. Aumoment où nous écrivons ces lignes, un nombreux concours de peuple se précipite autour du monument pour admirer à la fois, et l’homme qui a inspiré l’artiste, et l’artiste qui a recréé j’homme. Les cendres des génies flamands ont dû entendre sous leurs manteaux de mar
bre les cris de la foule impatiente de montrer aux peuples étonnés que, malgré les manufactures, les chemins de fer et les machines à vapeur, il existe encore des artistes assez amoureux de l’art pour oublier le mouvement qui les entoure et produire de grandes œuvres.
L’œuvre de J. Geefs dénote une connaissance parfaite de son art, eteependant nous pouvons nous convaincre que le ciseau seul n’a point travaillé, mais que )a pensée arété de moitié dans l’ouvrage. Ali reste, M. Geefs a laissé à Paris d’heureux souvenirs, et les statues de sainte I hilomèle, de Godefroy de Bouillon, et, en dernier lieu, de la Fille du pê
cheur, ont bien souvent attiré nos regards pendant les deux mois trop courts de l’exposition. M. Geefs a une longue car
rière devant lui, et les hommes célèbres ne manquent pas à la Belgique.
Le socle sur lequel repose la statue de Vésale est un granit de Soignies, et nous ne pouvons qu’applaudir au bon goût de l’architecte, M. Hector Goffart, qui a préféré les profils simples et larges au déluge. d’ornements en grande vogue aujourd’hui. Heureuse la cité qui donne le jour à de tels enfants !
La boutique à trois sous.