date du 23 novembre; elles se bornent à mentionner l’ouverture d’une session spéciale de la législature, qui a eu lieu le 13 du même mois. Il y avait été donné connaissance du traité conclu dernièrement avec la France, qui accepte les propo
sitions du gouvernement haïtien, relativement au payement de l’indemnité due aux anciens colons de Saint-Domingue. Cet événement avait causé la plus vive satisfaction.
États-Unis. — La session du congrès américain s’est ouverte le 6 octobre dernier. Les deux branches de cette as
semblée se sont constituées immédiatement. Le colonel Wihthrop, du Massachussetts, candidat du parti whig, a été élu au troisième ballottage par HO voix sur 217 votants, c est-à-dire à la majorité seulement, nécessaire d’une voix. Cette voix déterminante a été celle de M. Levin, représen
tant le parti natif de Philadelphie, qui ne s’est réuni à la majorité qu’en dernier lieu, et qui, par une sorte de compen
sation assez bizarre, proposa de réélire M. French, démo - crate, au poste de secrétaire. La chambre renvoya cette pro
position au lendemain mardi; mais le lendemain M. Levin avait de nouveau changé d’avis. Il retira sa motion, et le candidat whig, M. Campbell, fut, élu cette fois encore à la majorité d’une voix, ou 113 sur 223 votants. M. French en avait reçu 109. Les whigs ont donc été victorieux dans les deux premiers combats de la campagne législative. Ils sont maîtres de la présidence et du secrétariat de la chambre.
Les deux chambres du congrès ayant informé le président qu’elles étaient constituées, celui-ci leur envoya son message le 7.
Ce document justifie la curiosité avec laquelle il était attendu en Europe. C’est un tableau complet delà position des Etats-Unis tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il résulte claire
ment du langage du président Poil;, que le parti populaire, dont il est l’expression, n’entend pas renoncer, malgré la force d’inertie des Mexicains, au projet d’incorporation définitive à l’Union américaine des provinces du nouveau-Mexique et de la Californie. Le président en donne plusieurs raisons: l’une de ces raisons consiste à dire que le gouvernement mexicain a toujours été incapable, et le sera encore plus à l’avenir, d’ad
ministrer et de civiliser ces régions ; une autre raison, selon le président, est qu’une puissance européenne ne manquerait pas de s’établir dans la Californie, si les Etats-Unis ne pre
naient pas les devants. Au surplus, pour que le Mexique et l’Europe n’aient aucun doute sur les intentions des Etats-Unis à l’égard de ces provinces, le président propose d’y organiser dès à présent des gouvernements territoriaux. On sait que c’est la phase de transition par laquelle doivent passer les territoires qui n’offrent pas encore les conditions requises par la constitution pour être admis dans la confédération à titre d’Etats.
Dès à présent, néanmoins, il s’agit d’alléger les charges que la prolongation de la guerre fait peser sur le peuple améri
cain. C’est pourquoi le président Polk propose de renoncer au système de tolérance et de douceur que la politique avait d’a
bord conseillé d’employer avec les Mexicains. Puisque leurs défaites réitérées n’ont pu leur faire sentir la nécessité de la paix, on essayera du système des contributions en argent et en nature, et il faudra bien qu’ils viennent à accommodement. Déjà les généraux américains ont reçu des instructions con
çues dans ce sens, et il ne reste plus qu’à les faire sanctionner par le congrès,
Salle télégraphique de Londres. — Tandis que le gouvernement français hésite encore à consentir à une réforme postale, l’Angleterre, qui a fait la sienne depuis long
temps et qui ne s’en trouve pas plus mal, vient de fonder au centre même de sa capitale, à côté de la Bourse, un établissement destiné à remplacer tôt ou tard toutes les postes quel
conques à cheval ou à vapeur ; nous voulons parler de la salle télégraphique qui met Londres en communication im
médiate par l’électricité avec la plupart des grands centres industriels ou manufacturiers. En quelques minutes, dans cet établissement, les négociants d’affaires peuvent trans
mettre leurs commissions à leurs agents de toutes les villes du royaume et recevoir leurs réponses. La salle télégraphi
que est située dans Lotlibury, entée le Stock-exchange, le royal-exchange et la banque, tout près de Lombard Street.
Elle est déjà en communication avec plus de cent localités différentes.
Nécrologie. — M. le baron Girod (de l’Ain), pair de France, vice-président du conseil d’Etat, ancien préfet de police, ancien président de la chambre des députés, ancien ministre, vient de mourir.
Le Misogyne.
Conte. —Voir tome X, pages 263 et 278.
Mulier diversa.......
PREMIÈRE PARTIE.
V. — UN VALET INFORTUNÉ.
Le déplorable Ambroise, valet de Fabrice, profita de l’absence de son maître, pour tirer du fond de sa valise certaine guitare, ornée de rubans roses quelque peu fanés. A la vue de ce galant instrument, le pauvret se mit à soupirer et à gé
mir. Hélas ! il en pinçait jadis avec tant de plaisir et de grâce ! Plus de chansons aujourd’hui ni de sérénades ! un maître cruel veut que tous les cœurs soient devenus farou
ches en même temps que le sien, et la guitare d’amour est obligée de languir dans quelque coin honteux; ses cordes ont perdu leur douce mélodie; le temps a flétri les vives couleurs de ses rubans. Malheureuse guitare! malheureux Ambroise!
Ambroise serre l’instrument proscrit, et va promener sa peine sous les ombrages solitaires qui sont aux portes de la ville. Là il s’assied à l’écart sur un banc de verdure; il réflé
chit amèrement à la dure condition que lui fait la barbarie de son maître Fabrice. Depuis deux ans qu’ils voyagent en
semble, pas un sourire adressé à la beauté, pas une œillade obtenue, pas même l’écho d’un baiser. Il faut fuir celles dont
Ja recherche est si douce, la rencontre si charmante; il faut/
que le cœur consume sans fruit sa tendresse! Sommes-nous donc dans un froc pour nous refuser celte joie de la vie? Avons-nous prononcé des vœux pour nous obsdner dans une tempérance contre nature? Sèvrerons-nous toujours nos jeu
nes années, et attendrons-nous pour aimer l’àge où l’on n’est plus aimable?
Ainsi se plaignait intérieurement ce pauvre Ambroise, amoureux sans objet; il n’y avait point de valet aussi tendre, et le sort lui avait donné pour maître un ennemi juré de la tendresse! Son cœurs’irritait à la fin d’une privation éternelle; plus on lui commandait de haïr, plus il se sentait de penchant à aimer.
Tout à coup, au milieu de ces amertumes, une petite voix flûtée se fait entendre : c’est bien à Ambroise qu’elle s’a
dresse, et le malheureux ne peut en croire ses oreilles; la cruauté de son maître ne l’a-t-elle pas rendu, aussi lui, un objet d’exécration pour le sexe? quelle femme ose donc l’affronter en cet instant?
« Monsieur, lui dit Lisette, n’est-il pas le laquais du seigneur Fabrice ?
— Je le suis, répond Ambroise, stupéfait de cette question qui lui vient, à lui, d’une si jolie personne.
— J’apporte un petit message de la part d’une très-belle et très-honorable daine... »
Lisette feint de chercher le billet dans les poches de son tablier. Ambroise pâlit et fait un pas en arrière.
«Gardez votre message, la belle, ou portez-le vous-même à mon maître : pour aucun prixje ne me risquerais à le lui remettre; je sais trop ce qu’il en reviendrait à mes épaules.
— N’êtes-vous pas son valet? Ne devez-vous pas recevoir les lettres qui sont pour lui ? »
Ambroise hausse les épaules, soupire, se laisse retomber sur le banc, et d’une voix mélancolique :
« Ma chère demoiselle, répond-il, vous ne savez pas, je le vois bien, quel est mon maître. Apprenez que, toute jolie que vous êtes, votre vue lui ferait horreur ; qu’il détournerait de
vous ses yeux aussitôt; qu’il se boucherait les oreilles pour ne point entendre la douceur de votre voix; qu’il me battrait affreusement s’il me voyaitvous embrasser le bout des doigts, comme j’ai l’audace de le faire en cet instant. Ali! l’homme méchant que c’est! Croiriez-vous bien que, pour se fortifier dans la haine qu’il avouée aux dames, il traîne partout avec lui un sot mari qui a été marié quatre fois et quatre fois in
fortuné du lait de ses épouses? Quatre histoires effroyables,
que mon maître se fait raconter avec délices, dans ses plus beaux momenis d’exécration féminine!... »
Lisette se mit à rire de bon cœur.
« Il doit être bien laid, dit-elle, ce quadruple mari ?
— Aussi laid que ses malheurs, ce n’est pas peu dire, et d’une laideur qui vous ennuie plus encore qu’elle ne vous ré
pugne, d’une laideur de bourgeois dégoûté de lui-même. Sur la seule vue du personnage, on est tout disposé à absoudre les dames qui l’ont maltraité.
— Mais, demanda encore Lisette, d’où vient cette haine si grande que le seigneur Fabrice nourrit contre tout notre sexe?
— Ah! voilà le secret, ma charmante. Il faut que les femmes lui aient fait furieusement tort pour qu’il les exècre à ce point. ILne nous en dit jamais rien, mais je le soupçonne
d’avoir sur le cœur des souvenirs atroces, quelque catastrophe d’amour tout à fait injurieuse.
— Je serais bien aise de savoir seulement ce qu’il vient faire au bout du monde, dans le Danemark.
— Pour cela, ma belle, je puis vous le dire, quoique ce soit assez malaisé à exprimer... Qu’est-ce que l’amour, s’il vous plaît? avec les doux yeux que vous avez il est impossi
ble que vous ne vous y connaissiez pas... Voyons, qu’est-ce que l’amour? est-ce le chaud ou le froid? est-ce le soleil ou la glace ? Répondez.
— Supposons que ce soit le soleil.
— Eh bien! c’est la glace, au contraire, que vient chercher ici mon maître; oui, la glace et la neige! En Italie, le soleil est complice des femmes pour enflammer le cœur des gens,
l’amour est dans l’air, la passion vous tombe du ciel ; rien qu’à vous mettre à votre fenêtre, vous voilà tout de bon amou
reux, et malgré vous. Mais en Danemark la salutaire rigueur du climat, dit encore mon maître, se doit faire sentir aux âmes, et l’on doit geler au dedans comme on gèleau dehors... Jugez donc de son désespoir! ilarriveici deux mois trop tôt:
la saison est charmante, les airs sont presque aussi doux que dans notre pays, et nous ne voyons autour de nous que des amants et des amantes. L’impertinence est curieuse, n’est-ce
pas? Faire l’amour en Danemark!... Aussi mon maître parlet-il déjà de pousser jusqu’au fond de la norvège, où il espère trouver enfin la glace dont son cœur a besoin, hélas !
— Vous soupirez?
— Je pense à la norvège.
— Votre cœur n’aurait-il donc pas le même besoin de glace que celui de votre maître ?
— Mon cœur! s’écria Ambroise avec transport et de l’air de quelqu’un qui s’éveillerait après un somme de deux ans, mon cœur! Ali ! si vous pouviez y lire, charmante demoiselle, que vous seriez surprise d’y voir les sentiments les plus ten
dres et les plus brûlants ! ne croyez pas au moins que la cruauté de mon maître m’ait gagné aussi moi! Je la déteste, cette cruauté, je la renie. N’est-ce pas elle qui fait tout mon malheur, puisqu’elle me défend de céder aux inclinations de mon cœur, puisqu’elle est cause que, depuis des années, je suis privé d’aimer et d’être aimé!... Ah ! mademoiselle, souf
frez que je répare la perte du temps, laissez-moi espérer que voiis mettrez lin à ma longue misère; permettez-moi, tandis que mon terrible maître ne me voit pas, de tomber à vos pieds ! Hélas! il y a si longtemps qu’il lie m’est arrivé de tomber aux pieds de personne!... »
Le malheureux Ambroise faisait comme il disait. Lisette, riant aux éclats, l’engageait à se relever... Mais voici soudain, avant qu’il ait quitté sa posture d’amoureux en prière, voici que le valet révolté aperçoit au tournant d’une allée deux promeneurs, qu’il reconnaît avec effroi : c’est le seigneur Fa
brice et son ombre funeste, le bourgeois Myron. Ambroise se redresse précipitamment. « Mademoiselle, dit-il tout haut à Lisette, je vous prie de passer votre chemin ; je ne vous con
nais pas! » Et tout bas ; « Allez-vous-en, de grâce, voici mon maître qui vient, et ne vous lâchez pas de ce que je suis forcé de vous dire. »
Fabrice approchait. Ambroise enfonça son chapeau sur ses yeux, et tourna le dos à Lisette, en criant : «Au diable, race vipérine ! va dire à ta maîtresse que ni mon maître ni moi ne recevons de message de tome... »
VI. — FABRICE DANS LE BOUDOIR D’UNE DAME.
Lisette savait à peu près ce qu’il lui importait de savoir : elle reprenait donc le chemin du logis, ne s’apercevant pas qu’elle était suivie à quelque distance par le valet de Fabrice. Bientôt Ambroise revint avertir son maître que la dame au message n’était autre que madame Adrienne. — Fabrice se mit en route sur-le-champ pour l’iiôtel de cette dame, à la grande stupéfaction du bourgeois Myron et du valet Ambroise. — Est-ce une conversion? se demandaient-ils tous les deux.
— Fabrice ne s’était pas converti; mais il formait un plan diabolique : puisque les galants de la ville s’empressaient au
près de madame Adrienne, il prétendait, lui, métamorphoser en haine violente, et sous un très-bref délai, l’amour dont brûlait toute la jeunesse à la mode pour cette aimable Fran
çaise. — Ce sera toujours autant de pris sur l’ennemi, se disait-il déjà, sans douter un instant du succès de son entreprise.
Au moment oùl’onannonça leseigneurFabrice,Lisette n’a vait pas fini de rapporter à sa maîtresse ce qu’elle avait appris par son dialogue avec Ambroise. Autant qu’elle en pouvait juger, cette aversion de l’étranger contre le sexe lui semblait très-sincère; c’était plutôt une manie farouche qu’une comé
die, plutôt une folie qu’un jeu. Quant à la personne de ce méchant homme, il fallait regretter qu’elle fût agréable et bien faite, la perversité de Fabrice ne lui ayant pas encore ôté toute noblesse de façons et toute distinction de mine : ce qui était réellement fâcheux.
La jeune veuve, entendant annoncer Fabrice, hésita d’a bord par surprise ; puis elle se mit à sourire : « J’ai mon pro
jet, dit-elle; viens avec moi, Lisetle. » Le laquais eut ordre do faire entrer Fabrice au salon, où madame ne tarderait pas à se rendre.
Ce salon était la pièce même que madame Adrienne venait de quitter, salon ou boudoir, comme vous voudrez, salon de femme, pour tout dire, gracieux et coquet, simplement luxueux et paré de ces jolis riens qui sont une ruine. Un par
fum très-fin s’exhalait des tapis et des tenlures ; la chambre, tout entière dans le demi-jour, était éclairée seulement par un rayon bleuâtre qui pénétrait au travers de l’épaisseur des rideaux.
Fabrice, ferme en son dessein ironique, avait trouvé piquant de faire entrer avec lui le bourgeois Myron, speclateur affligé, auditeur douloureux, témoin en deuil, — de profes
sion. Ils furent donc introduits tous les deux dans le petit sa
lon de madame Adrienne, où ils devaient attendre la maîtresse du logis. La vue de ce lieu si charmant sembla frapper sou
dainement Fabrice, le frapper au cœur : hésitant sur le seuil, il changea de visage, ses lèvres frémirent, sesyeux devinrent humides. Du regard il interrogeait avec tristesse tous les ob
jets aimables qui peuplaient cettç gracieuse retraite, et l’on eût dit qu’ils lui étaient familiers, ou plutôt que par l’effet d’une étrange ressemblance ils éveillaient en lui de vifs souvenirs. Oui, il connaissait ces reflets azurés de la lumière à travers les plis épais et doux de la soie; oui, il avait respiré cette
odeur suave, fine et pénétranle; oui, il avait senti ces parfums amoureux dont l’âme d’abord se trouve tout attendrie. La mémoire de son cœur lui rappelait bien ces heures lan
guissantes où il fut laissé seul dans un lieu semblable, seul et charmé, toutes choses autour de lui rendant à ses yeux, à su pensée la chère présence qu’ils regrettaient, et donnant pour ainsi dire à l’enchanteresse l’attrait nouveau de l’invisible.
Souvenirs divins, souvenirs cruels ! Un nuage passe sur le front de Fabrice ; il fait effort sur lui-même pour écarter les dou
ces pensées, et l’amertume alors reste seule maîtresse de son cœur : il marche à grands pas et durement sur ces tapis moelleux; il regarde à droite, à gauche d’un air moqueur ;
dans ses yeux brille comme une méchanceté satisfaite ; il rit avec une sorte de colère.
«Nest-ce pas cela? n’est-ce pas bien cela? dit-il, toujours marchant par la place et parlant ou à lui-même ou à Myron, ce qui est tout un.— Cavernes charmantes, pareilles les unes
aux autres, dans les quatre parties du monde, jolies tanières doucement parées, où nous venons nous jeter, pauvres niais !... Que ce demi-jour est habilement ménagé pour les rougeurs menteuses, pour l’artifice des œillades et des coquettes gri
maces! que ces parfums dans l’air doivent bien vous enivrer!
quelle atmosphère perfide, complice et des grâces traîtresses et des discours imposteurs ! non, rien n’y manque; tout est prévu, savamment, funestement. »
Il s’assit, puis se leva, se remit h marcher, les sourcils froncés, et reprit d’une voix plus amère encore :
« Ici la molle ottomane, si propice aux attitudes ; sur ces triples coussins on s’accoude, on se penche à demi, on se laisse languir, pour se lever ensuite et faire voir quels plis ravissants son front ou son épaule y a faits ; c’est là qu’on rêve, là qu’on semble distraite, là qu’on écoute en souriant, non sans quelque embarras aimable. Mon Dieu ! que l’aban
don y est séduisant! comme l’indolence y est belle, comme la langueur y est innocente et naïve !... Puis, au-dessus, une
glace encadrée dans un velours sombre, une glace claire et brillante plus qu’un diamant dans l’obscurité, une glace con
seillère intime, confidente discrète et sûre. Là, debout devant ce beau miroir, des heures se passent à essayer un sourire, à éprouver une jolie mouœ_éJjither un air de pudeur, une mine de dépit. Rien, hasard. Que la glace me dise si celte ItoucjedeiÉmânNe charme qu’il faut,
sitions du gouvernement haïtien, relativement au payement de l’indemnité due aux anciens colons de Saint-Domingue. Cet événement avait causé la plus vive satisfaction.
États-Unis. — La session du congrès américain s’est ouverte le 6 octobre dernier. Les deux branches de cette as
semblée se sont constituées immédiatement. Le colonel Wihthrop, du Massachussetts, candidat du parti whig, a été élu au troisième ballottage par HO voix sur 217 votants, c est-à-dire à la majorité seulement, nécessaire d’une voix. Cette voix déterminante a été celle de M. Levin, représen
tant le parti natif de Philadelphie, qui ne s’est réuni à la majorité qu’en dernier lieu, et qui, par une sorte de compen
sation assez bizarre, proposa de réélire M. French, démo - crate, au poste de secrétaire. La chambre renvoya cette pro
position au lendemain mardi; mais le lendemain M. Levin avait de nouveau changé d’avis. Il retira sa motion, et le candidat whig, M. Campbell, fut, élu cette fois encore à la majorité d’une voix, ou 113 sur 223 votants. M. French en avait reçu 109. Les whigs ont donc été victorieux dans les deux premiers combats de la campagne législative. Ils sont maîtres de la présidence et du secrétariat de la chambre.
Les deux chambres du congrès ayant informé le président qu’elles étaient constituées, celui-ci leur envoya son message le 7.
Ce document justifie la curiosité avec laquelle il était attendu en Europe. C’est un tableau complet delà position des Etats-Unis tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il résulte claire
ment du langage du président Poil;, que le parti populaire, dont il est l’expression, n’entend pas renoncer, malgré la force d’inertie des Mexicains, au projet d’incorporation définitive à l’Union américaine des provinces du nouveau-Mexique et de la Californie. Le président en donne plusieurs raisons: l’une de ces raisons consiste à dire que le gouvernement mexicain a toujours été incapable, et le sera encore plus à l’avenir, d’ad
ministrer et de civiliser ces régions ; une autre raison, selon le président, est qu’une puissance européenne ne manquerait pas de s’établir dans la Californie, si les Etats-Unis ne pre
naient pas les devants. Au surplus, pour que le Mexique et l’Europe n’aient aucun doute sur les intentions des Etats-Unis à l’égard de ces provinces, le président propose d’y organiser dès à présent des gouvernements territoriaux. On sait que c’est la phase de transition par laquelle doivent passer les territoires qui n’offrent pas encore les conditions requises par la constitution pour être admis dans la confédération à titre d’Etats.
Dès à présent, néanmoins, il s’agit d’alléger les charges que la prolongation de la guerre fait peser sur le peuple améri
cain. C’est pourquoi le président Polk propose de renoncer au système de tolérance et de douceur que la politique avait d’a
bord conseillé d’employer avec les Mexicains. Puisque leurs défaites réitérées n’ont pu leur faire sentir la nécessité de la paix, on essayera du système des contributions en argent et en nature, et il faudra bien qu’ils viennent à accommodement. Déjà les généraux américains ont reçu des instructions con
çues dans ce sens, et il ne reste plus qu’à les faire sanctionner par le congrès,
Salle télégraphique de Londres. — Tandis que le gouvernement français hésite encore à consentir à une réforme postale, l’Angleterre, qui a fait la sienne depuis long
temps et qui ne s’en trouve pas plus mal, vient de fonder au centre même de sa capitale, à côté de la Bourse, un établissement destiné à remplacer tôt ou tard toutes les postes quel
conques à cheval ou à vapeur ; nous voulons parler de la salle télégraphique qui met Londres en communication im
médiate par l’électricité avec la plupart des grands centres industriels ou manufacturiers. En quelques minutes, dans cet établissement, les négociants d’affaires peuvent trans
mettre leurs commissions à leurs agents de toutes les villes du royaume et recevoir leurs réponses. La salle télégraphi
que est située dans Lotlibury, entée le Stock-exchange, le royal-exchange et la banque, tout près de Lombard Street.
Elle est déjà en communication avec plus de cent localités différentes.
Nécrologie. — M. le baron Girod (de l’Ain), pair de France, vice-président du conseil d’Etat, ancien préfet de police, ancien président de la chambre des députés, ancien ministre, vient de mourir.
Le Misogyne.
Conte. —Voir tome X, pages 263 et 278.
Mulier diversa.......
PREMIÈRE PARTIE.
V. — UN VALET INFORTUNÉ.
Le déplorable Ambroise, valet de Fabrice, profita de l’absence de son maître, pour tirer du fond de sa valise certaine guitare, ornée de rubans roses quelque peu fanés. A la vue de ce galant instrument, le pauvret se mit à soupirer et à gé
mir. Hélas ! il en pinçait jadis avec tant de plaisir et de grâce ! Plus de chansons aujourd’hui ni de sérénades ! un maître cruel veut que tous les cœurs soient devenus farou
ches en même temps que le sien, et la guitare d’amour est obligée de languir dans quelque coin honteux; ses cordes ont perdu leur douce mélodie; le temps a flétri les vives couleurs de ses rubans. Malheureuse guitare! malheureux Ambroise!
Ambroise serre l’instrument proscrit, et va promener sa peine sous les ombrages solitaires qui sont aux portes de la ville. Là il s’assied à l’écart sur un banc de verdure; il réflé
chit amèrement à la dure condition que lui fait la barbarie de son maître Fabrice. Depuis deux ans qu’ils voyagent en
semble, pas un sourire adressé à la beauté, pas une œillade obtenue, pas même l’écho d’un baiser. Il faut fuir celles dont
Ja recherche est si douce, la rencontre si charmante; il faut/
que le cœur consume sans fruit sa tendresse! Sommes-nous donc dans un froc pour nous refuser celte joie de la vie? Avons-nous prononcé des vœux pour nous obsdner dans une tempérance contre nature? Sèvrerons-nous toujours nos jeu
nes années, et attendrons-nous pour aimer l’àge où l’on n’est plus aimable?
Ainsi se plaignait intérieurement ce pauvre Ambroise, amoureux sans objet; il n’y avait point de valet aussi tendre, et le sort lui avait donné pour maître un ennemi juré de la tendresse! Son cœurs’irritait à la fin d’une privation éternelle; plus on lui commandait de haïr, plus il se sentait de penchant à aimer.
Tout à coup, au milieu de ces amertumes, une petite voix flûtée se fait entendre : c’est bien à Ambroise qu’elle s’a
dresse, et le malheureux ne peut en croire ses oreilles; la cruauté de son maître ne l’a-t-elle pas rendu, aussi lui, un objet d’exécration pour le sexe? quelle femme ose donc l’affronter en cet instant?
« Monsieur, lui dit Lisette, n’est-il pas le laquais du seigneur Fabrice ?
— Je le suis, répond Ambroise, stupéfait de cette question qui lui vient, à lui, d’une si jolie personne.
— J’apporte un petit message de la part d’une très-belle et très-honorable daine... »
Lisette feint de chercher le billet dans les poches de son tablier. Ambroise pâlit et fait un pas en arrière.
«Gardez votre message, la belle, ou portez-le vous-même à mon maître : pour aucun prixje ne me risquerais à le lui remettre; je sais trop ce qu’il en reviendrait à mes épaules.
— N’êtes-vous pas son valet? Ne devez-vous pas recevoir les lettres qui sont pour lui ? »
Ambroise hausse les épaules, soupire, se laisse retomber sur le banc, et d’une voix mélancolique :
« Ma chère demoiselle, répond-il, vous ne savez pas, je le vois bien, quel est mon maître. Apprenez que, toute jolie que vous êtes, votre vue lui ferait horreur ; qu’il détournerait de
vous ses yeux aussitôt; qu’il se boucherait les oreilles pour ne point entendre la douceur de votre voix; qu’il me battrait affreusement s’il me voyaitvous embrasser le bout des doigts, comme j’ai l’audace de le faire en cet instant. Ali! l’homme méchant que c’est! Croiriez-vous bien que, pour se fortifier dans la haine qu’il avouée aux dames, il traîne partout avec lui un sot mari qui a été marié quatre fois et quatre fois in
fortuné du lait de ses épouses? Quatre histoires effroyables,
que mon maître se fait raconter avec délices, dans ses plus beaux momenis d’exécration féminine!... »
Lisette se mit à rire de bon cœur.
« Il doit être bien laid, dit-elle, ce quadruple mari ?
— Aussi laid que ses malheurs, ce n’est pas peu dire, et d’une laideur qui vous ennuie plus encore qu’elle ne vous ré
pugne, d’une laideur de bourgeois dégoûté de lui-même. Sur la seule vue du personnage, on est tout disposé à absoudre les dames qui l’ont maltraité.
— Mais, demanda encore Lisette, d’où vient cette haine si grande que le seigneur Fabrice nourrit contre tout notre sexe?
— Ah! voilà le secret, ma charmante. Il faut que les femmes lui aient fait furieusement tort pour qu’il les exècre à ce point. ILne nous en dit jamais rien, mais je le soupçonne
d’avoir sur le cœur des souvenirs atroces, quelque catastrophe d’amour tout à fait injurieuse.
— Je serais bien aise de savoir seulement ce qu’il vient faire au bout du monde, dans le Danemark.
— Pour cela, ma belle, je puis vous le dire, quoique ce soit assez malaisé à exprimer... Qu’est-ce que l’amour, s’il vous plaît? avec les doux yeux que vous avez il est impossi
ble que vous ne vous y connaissiez pas... Voyons, qu’est-ce que l’amour? est-ce le chaud ou le froid? est-ce le soleil ou la glace ? Répondez.
— Supposons que ce soit le soleil.
— Eh bien! c’est la glace, au contraire, que vient chercher ici mon maître; oui, la glace et la neige! En Italie, le soleil est complice des femmes pour enflammer le cœur des gens,
l’amour est dans l’air, la passion vous tombe du ciel ; rien qu’à vous mettre à votre fenêtre, vous voilà tout de bon amou
reux, et malgré vous. Mais en Danemark la salutaire rigueur du climat, dit encore mon maître, se doit faire sentir aux âmes, et l’on doit geler au dedans comme on gèleau dehors... Jugez donc de son désespoir! ilarriveici deux mois trop tôt:
la saison est charmante, les airs sont presque aussi doux que dans notre pays, et nous ne voyons autour de nous que des amants et des amantes. L’impertinence est curieuse, n’est-ce
pas? Faire l’amour en Danemark!... Aussi mon maître parlet-il déjà de pousser jusqu’au fond de la norvège, où il espère trouver enfin la glace dont son cœur a besoin, hélas !
— Vous soupirez?
— Je pense à la norvège.
— Votre cœur n’aurait-il donc pas le même besoin de glace que celui de votre maître ?
— Mon cœur! s’écria Ambroise avec transport et de l’air de quelqu’un qui s’éveillerait après un somme de deux ans, mon cœur! Ali ! si vous pouviez y lire, charmante demoiselle, que vous seriez surprise d’y voir les sentiments les plus ten
dres et les plus brûlants ! ne croyez pas au moins que la cruauté de mon maître m’ait gagné aussi moi! Je la déteste, cette cruauté, je la renie. N’est-ce pas elle qui fait tout mon malheur, puisqu’elle me défend de céder aux inclinations de mon cœur, puisqu’elle est cause que, depuis des années, je suis privé d’aimer et d’être aimé!... Ah ! mademoiselle, souf
frez que je répare la perte du temps, laissez-moi espérer que voiis mettrez lin à ma longue misère; permettez-moi, tandis que mon terrible maître ne me voit pas, de tomber à vos pieds ! Hélas! il y a si longtemps qu’il lie m’est arrivé de tomber aux pieds de personne!... »
Le malheureux Ambroise faisait comme il disait. Lisette, riant aux éclats, l’engageait à se relever... Mais voici soudain, avant qu’il ait quitté sa posture d’amoureux en prière, voici que le valet révolté aperçoit au tournant d’une allée deux promeneurs, qu’il reconnaît avec effroi : c’est le seigneur Fa
brice et son ombre funeste, le bourgeois Myron. Ambroise se redresse précipitamment. « Mademoiselle, dit-il tout haut à Lisette, je vous prie de passer votre chemin ; je ne vous con
nais pas! » Et tout bas ; « Allez-vous-en, de grâce, voici mon maître qui vient, et ne vous lâchez pas de ce que je suis forcé de vous dire. »
Fabrice approchait. Ambroise enfonça son chapeau sur ses yeux, et tourna le dos à Lisette, en criant : «Au diable, race vipérine ! va dire à ta maîtresse que ni mon maître ni moi ne recevons de message de tome... »
VI. — FABRICE DANS LE BOUDOIR D’UNE DAME.
Lisette savait à peu près ce qu’il lui importait de savoir : elle reprenait donc le chemin du logis, ne s’apercevant pas qu’elle était suivie à quelque distance par le valet de Fabrice. Bientôt Ambroise revint avertir son maître que la dame au message n’était autre que madame Adrienne. — Fabrice se mit en route sur-le-champ pour l’iiôtel de cette dame, à la grande stupéfaction du bourgeois Myron et du valet Ambroise. — Est-ce une conversion? se demandaient-ils tous les deux.
— Fabrice ne s’était pas converti; mais il formait un plan diabolique : puisque les galants de la ville s’empressaient au
près de madame Adrienne, il prétendait, lui, métamorphoser en haine violente, et sous un très-bref délai, l’amour dont brûlait toute la jeunesse à la mode pour cette aimable Fran
çaise. — Ce sera toujours autant de pris sur l’ennemi, se disait-il déjà, sans douter un instant du succès de son entreprise.
Au moment oùl’onannonça leseigneurFabrice,Lisette n’a vait pas fini de rapporter à sa maîtresse ce qu’elle avait appris par son dialogue avec Ambroise. Autant qu’elle en pouvait juger, cette aversion de l’étranger contre le sexe lui semblait très-sincère; c’était plutôt une manie farouche qu’une comé
die, plutôt une folie qu’un jeu. Quant à la personne de ce méchant homme, il fallait regretter qu’elle fût agréable et bien faite, la perversité de Fabrice ne lui ayant pas encore ôté toute noblesse de façons et toute distinction de mine : ce qui était réellement fâcheux.
La jeune veuve, entendant annoncer Fabrice, hésita d’a bord par surprise ; puis elle se mit à sourire : « J’ai mon pro
jet, dit-elle; viens avec moi, Lisetle. » Le laquais eut ordre do faire entrer Fabrice au salon, où madame ne tarderait pas à se rendre.
Ce salon était la pièce même que madame Adrienne venait de quitter, salon ou boudoir, comme vous voudrez, salon de femme, pour tout dire, gracieux et coquet, simplement luxueux et paré de ces jolis riens qui sont une ruine. Un par
fum très-fin s’exhalait des tapis et des tenlures ; la chambre, tout entière dans le demi-jour, était éclairée seulement par un rayon bleuâtre qui pénétrait au travers de l’épaisseur des rideaux.
Fabrice, ferme en son dessein ironique, avait trouvé piquant de faire entrer avec lui le bourgeois Myron, speclateur affligé, auditeur douloureux, témoin en deuil, — de profes
sion. Ils furent donc introduits tous les deux dans le petit sa
lon de madame Adrienne, où ils devaient attendre la maîtresse du logis. La vue de ce lieu si charmant sembla frapper sou
dainement Fabrice, le frapper au cœur : hésitant sur le seuil, il changea de visage, ses lèvres frémirent, sesyeux devinrent humides. Du regard il interrogeait avec tristesse tous les ob
jets aimables qui peuplaient cettç gracieuse retraite, et l’on eût dit qu’ils lui étaient familiers, ou plutôt que par l’effet d’une étrange ressemblance ils éveillaient en lui de vifs souvenirs. Oui, il connaissait ces reflets azurés de la lumière à travers les plis épais et doux de la soie; oui, il avait respiré cette
odeur suave, fine et pénétranle; oui, il avait senti ces parfums amoureux dont l’âme d’abord se trouve tout attendrie. La mémoire de son cœur lui rappelait bien ces heures lan
guissantes où il fut laissé seul dans un lieu semblable, seul et charmé, toutes choses autour de lui rendant à ses yeux, à su pensée la chère présence qu’ils regrettaient, et donnant pour ainsi dire à l’enchanteresse l’attrait nouveau de l’invisible.
Souvenirs divins, souvenirs cruels ! Un nuage passe sur le front de Fabrice ; il fait effort sur lui-même pour écarter les dou
ces pensées, et l’amertume alors reste seule maîtresse de son cœur : il marche à grands pas et durement sur ces tapis moelleux; il regarde à droite, à gauche d’un air moqueur ;
dans ses yeux brille comme une méchanceté satisfaite ; il rit avec une sorte de colère.
«Nest-ce pas cela? n’est-ce pas bien cela? dit-il, toujours marchant par la place et parlant ou à lui-même ou à Myron, ce qui est tout un.— Cavernes charmantes, pareilles les unes
aux autres, dans les quatre parties du monde, jolies tanières doucement parées, où nous venons nous jeter, pauvres niais !... Que ce demi-jour est habilement ménagé pour les rougeurs menteuses, pour l’artifice des œillades et des coquettes gri
maces! que ces parfums dans l’air doivent bien vous enivrer!
quelle atmosphère perfide, complice et des grâces traîtresses et des discours imposteurs ! non, rien n’y manque; tout est prévu, savamment, funestement. »
Il s’assit, puis se leva, se remit h marcher, les sourcils froncés, et reprit d’une voix plus amère encore :
« Ici la molle ottomane, si propice aux attitudes ; sur ces triples coussins on s’accoude, on se penche à demi, on se laisse languir, pour se lever ensuite et faire voir quels plis ravissants son front ou son épaule y a faits ; c’est là qu’on rêve, là qu’on semble distraite, là qu’on écoute en souriant, non sans quelque embarras aimable. Mon Dieu ! que l’aban
don y est séduisant! comme l’indolence y est belle, comme la langueur y est innocente et naïve !... Puis, au-dessus, une
glace encadrée dans un velours sombre, une glace claire et brillante plus qu’un diamant dans l’obscurité, une glace con
seillère intime, confidente discrète et sûre. Là, debout devant ce beau miroir, des heures se passent à essayer un sourire, à éprouver une jolie mouœ_éJjither un air de pudeur, une mine de dépit. Rien, hasard. Que la glace me dise si celte ItoucjedeiÉmânNe charme qu’il faut,