Souvenirs de Tahiti. — 1843-1844. — Dessins de M. Charles Giraud.
Les événements dont l’Océanie, et particulièrement les établissements que nous [ ossédons dans les îles de la Société
has ard déplorable, tu reposerais encore dans ce qu’il nous plaît d’appeler les horreurs de l’état sauvage, et tu ne jouirais pas des funestes présents de la civilisation !
Une ère plus heureuse semble cependant devoir s’ouvrir aujourd’hui pour toi à l ombre de la protection d’un grand peuple. — Puisse-t-elle se perpétuer, comme nous l’avons vu commencer, dans les liens d’une sympathie aujourd’hui réciproque, et qui, de notre part, a toujours existé, même pendant nos luttes.
nous éprouvons une impression douce et pénible à la fois, en nous reportant à ces jours de Tahiti déjà loin dans le passé, et que nous ne pouvons plus espérer dans l’avenir. — nous regrettons la brise si tiède, les montagnes si accidentées et si vertes, les ombrages si discrets, les couronnes parfumées de rautii, les chants langoureux du vivo, les danses échevevelées aux sons du pahu retentissant, et la naïve hospitalité de ce peuple aimant.
Que la baie de Papeete était fraîche et gracieuse au mois de novembre T 8-45 ! — nous descendîmes à terre, et quoique ce même jour les destins de ce pays eussent été irrévocable
ment fixés, rien cependant, dans la population, ne révélait cette préoccupation, celte inquiétude remuante, qui précède et qui suit, en Europe, les changements importants dans la situation politique d’un peuple.
La reine Pomaré avait quitté sa demeure officielle, pour se retirer dans une petite case en bois, que des conseillers offi
cieux lui avaient présentée comme un refuge inviolable. — Pauvre Pomaré! qui ne savait pas qu’aux yeux des représen
tants de la France son ignorance et ses malheurs étaient ses premiers, ses seuls titres à l’inviolabilité!
nous nous dirigeâmes, par un sentier bordé d’arbres à pain et d’orangers, vers la nouvelle retraite de la reine. Pomaré était hors de la case avec quelques femmes, qui, paraissant peu soucieuses de ce qui venait de se passer, cueillaient les fleurs embaumées du tiaré pour les entrelacer, en gracieuses couronnes, aux bouquets éclatants de Fauté.
Craignant que notre présence ne fût considérée comme
Le régent Paraïta.
ont été le théâtre pendant ces dernières années, ont attiré l’attention publique sur ces pays lointains ; mais la nature même de ces événements a concentré tout l’intérêt sur les faits politiques.
Au milieu des mésaventures de M. Pritchard et des infortunes de la reine Pomaré, le voyageur, qui n’envisageait que le côté pittoresque de l’expédition océanienne, a dû rester muet et attendre que des temps plus calmes, des jours plus heureux, lui per
missent de lever un coin du voile épais qui enveloppe en
core les délicieuses contrées que Cook et Bougainville ré
vélèrent au monde, et qui, de
puis, ont eu le triste privilège de jouer un rôle dans les con
flits politiques des nations civilisées.
Doux pays de Tahiti, terre embaumée des orangers et des
pandauus, pourquoi la fatalité, conduisit-elle vers toi l’étran
ger insatiable de renommée et de richesses? Pourquoi les palmes verdoyantes de tes gigan
tesques cocotiers révélèrentelles aux chercheurs de terres ta paisible existence? Sans ce
Case de prédilection de la reine Pomaré à Paofaï.
victorieuse des entraves qu’elle avait si longtemps éprouvées.
nous vîmes aussi le vieux chef Tati, contemporain de Cook, qu’il se rappelle avoir vu à Tahiti; Utami, plus âgé en
core que Tati, et qui cependant a longtemps dirigé contre nous les efforts de ses compatriotes abusés.
nous saluâmes ces vieux débris d’une époque intéressante, qui n’a plus à Tahiti qu’un petit nombre de représentanls ; mais nous n’osâmes leur de
mander si les bienfaits de la ci
vilisation, dont jouit leur pays depuis plus de quarante ans, avaient rendu leurs mœurs meilleures, leurs fils plus braves et plus vigoureux, leurs fil
les plus douces et plus sages,
leurs vieillards plus prudents et plus sobres, le peuple plus heureux .. nous n’osâmes pas.
En poursuivant notre promenade, nous vîmes, à l’ombre des bananiers et sous une pièce d’étoffe gracieusement sus
pendue en forme de tente aux branches d’un citronnier, l’une de ces filles au teint brun dont les regards font perdre le souvenir de la patrie.
Tari, chef principal du Teva-i-Uta.
une insulte au malheur, nous passâmes rapidement, et, suivant la plage jusqu’à Paofaï, nous arrivâmes à la case de prédilection de Pomaré.
C’est dans ce lieu tranquille et frais, d’où l’on découvre la belle rade de Papeete sans être exposé aux visites importunes des étrangers, que venait se réfugier la reine lorsqu’elle vou
lait échapper aux réceptions d’apparat que lui faisaient subir d’ennuyeux mentors.
Que de fois depuis nous avons visité ces lieux, que de fois nous avons partagé le repas tahitien servi sur de larges feuil
les d’hibiscus, et offert avec une si franche hospitalité ! Peutêtre ne devons-nous plus revoir nos hôtes de Paofaï ; mais bien des années s’écouleront avant que les noms de Véhiari, d’Horoihia et de Pohéitéaoré ne s’effacent de notre mémoire.
En quittant Paofaï, nous reprîmes le sentier de l’intérieur, qui redescend vers Papeete, parallèlement à la phge, et nous arrivâmes à l’ancienne demeure de la reine, au moment où les grands chefs de File, convoqués par le gouverneur, se réunissaient pour assister à une assemblée où l’on devait conférer des affaires du pays.
Parmi ces chefs, nous remarquâmes le régent Paraïta, dont nous connaissions la conduite ferme et dévouée au milieu
des circonstances difficiles qu’on venait de traverser ; le grandjuge Hitoti, qui, depuis, malgré son âge et ses infirmités, a vaillamment combattu dans nos rangs et est mort au service de la France, le jour même où il recevait la décoration de la Légion d’honneur et où les canons du vaisseau anglais le Collingwood saluaient nos couleurs unies à celles de Tahiti. Brave Hitoti ! ses derniers instants ont été embellis par la pensée que l œuvre qu’il avait contribué à fonder sortait enfin
Hitoti, président de la haute cour indigène.
La reine Pomaré.
Les événements dont l’Océanie, et particulièrement les établissements que nous [ ossédons dans les îles de la Société
has ard déplorable, tu reposerais encore dans ce qu’il nous plaît d’appeler les horreurs de l’état sauvage, et tu ne jouirais pas des funestes présents de la civilisation !
Une ère plus heureuse semble cependant devoir s’ouvrir aujourd’hui pour toi à l ombre de la protection d’un grand peuple. — Puisse-t-elle se perpétuer, comme nous l’avons vu commencer, dans les liens d’une sympathie aujourd’hui réciproque, et qui, de notre part, a toujours existé, même pendant nos luttes.
nous éprouvons une impression douce et pénible à la fois, en nous reportant à ces jours de Tahiti déjà loin dans le passé, et que nous ne pouvons plus espérer dans l’avenir. — nous regrettons la brise si tiède, les montagnes si accidentées et si vertes, les ombrages si discrets, les couronnes parfumées de rautii, les chants langoureux du vivo, les danses échevevelées aux sons du pahu retentissant, et la naïve hospitalité de ce peuple aimant.
Que la baie de Papeete était fraîche et gracieuse au mois de novembre T 8-45 ! — nous descendîmes à terre, et quoique ce même jour les destins de ce pays eussent été irrévocable
ment fixés, rien cependant, dans la population, ne révélait cette préoccupation, celte inquiétude remuante, qui précède et qui suit, en Europe, les changements importants dans la situation politique d’un peuple.
La reine Pomaré avait quitté sa demeure officielle, pour se retirer dans une petite case en bois, que des conseillers offi
cieux lui avaient présentée comme un refuge inviolable. — Pauvre Pomaré! qui ne savait pas qu’aux yeux des représen
tants de la France son ignorance et ses malheurs étaient ses premiers, ses seuls titres à l’inviolabilité!
nous nous dirigeâmes, par un sentier bordé d’arbres à pain et d’orangers, vers la nouvelle retraite de la reine. Pomaré était hors de la case avec quelques femmes, qui, paraissant peu soucieuses de ce qui venait de se passer, cueillaient les fleurs embaumées du tiaré pour les entrelacer, en gracieuses couronnes, aux bouquets éclatants de Fauté.
Craignant que notre présence ne fût considérée comme
Le régent Paraïta.
ont été le théâtre pendant ces dernières années, ont attiré l’attention publique sur ces pays lointains ; mais la nature même de ces événements a concentré tout l’intérêt sur les faits politiques.
Au milieu des mésaventures de M. Pritchard et des infortunes de la reine Pomaré, le voyageur, qui n’envisageait que le côté pittoresque de l’expédition océanienne, a dû rester muet et attendre que des temps plus calmes, des jours plus heureux, lui per
missent de lever un coin du voile épais qui enveloppe en
core les délicieuses contrées que Cook et Bougainville ré
vélèrent au monde, et qui, de
puis, ont eu le triste privilège de jouer un rôle dans les con
flits politiques des nations civilisées.
Doux pays de Tahiti, terre embaumée des orangers et des
pandauus, pourquoi la fatalité, conduisit-elle vers toi l’étran
ger insatiable de renommée et de richesses? Pourquoi les palmes verdoyantes de tes gigan
tesques cocotiers révélèrentelles aux chercheurs de terres ta paisible existence? Sans ce
Case de prédilection de la reine Pomaré à Paofaï.
victorieuse des entraves qu’elle avait si longtemps éprouvées.
nous vîmes aussi le vieux chef Tati, contemporain de Cook, qu’il se rappelle avoir vu à Tahiti; Utami, plus âgé en
core que Tati, et qui cependant a longtemps dirigé contre nous les efforts de ses compatriotes abusés.
nous saluâmes ces vieux débris d’une époque intéressante, qui n’a plus à Tahiti qu’un petit nombre de représentanls ; mais nous n’osâmes leur de
mander si les bienfaits de la ci
vilisation, dont jouit leur pays depuis plus de quarante ans, avaient rendu leurs mœurs meilleures, leurs fils plus braves et plus vigoureux, leurs fil
les plus douces et plus sages,
leurs vieillards plus prudents et plus sobres, le peuple plus heureux .. nous n’osâmes pas.
En poursuivant notre promenade, nous vîmes, à l’ombre des bananiers et sous une pièce d’étoffe gracieusement sus
pendue en forme de tente aux branches d’un citronnier, l’une de ces filles au teint brun dont les regards font perdre le souvenir de la patrie.
Tari, chef principal du Teva-i-Uta.
une insulte au malheur, nous passâmes rapidement, et, suivant la plage jusqu’à Paofaï, nous arrivâmes à la case de prédilection de Pomaré.
C’est dans ce lieu tranquille et frais, d’où l’on découvre la belle rade de Papeete sans être exposé aux visites importunes des étrangers, que venait se réfugier la reine lorsqu’elle vou
lait échapper aux réceptions d’apparat que lui faisaient subir d’ennuyeux mentors.
Que de fois depuis nous avons visité ces lieux, que de fois nous avons partagé le repas tahitien servi sur de larges feuil
les d’hibiscus, et offert avec une si franche hospitalité ! Peutêtre ne devons-nous plus revoir nos hôtes de Paofaï ; mais bien des années s’écouleront avant que les noms de Véhiari, d’Horoihia et de Pohéitéaoré ne s’effacent de notre mémoire.
En quittant Paofaï, nous reprîmes le sentier de l’intérieur, qui redescend vers Papeete, parallèlement à la phge, et nous arrivâmes à l’ancienne demeure de la reine, au moment où les grands chefs de File, convoqués par le gouverneur, se réunissaient pour assister à une assemblée où l’on devait conférer des affaires du pays.
Parmi ces chefs, nous remarquâmes le régent Paraïta, dont nous connaissions la conduite ferme et dévouée au milieu
des circonstances difficiles qu’on venait de traverser ; le grandjuge Hitoti, qui, depuis, malgré son âge et ses infirmités, a vaillamment combattu dans nos rangs et est mort au service de la France, le jour même où il recevait la décoration de la Légion d’honneur et où les canons du vaisseau anglais le Collingwood saluaient nos couleurs unies à celles de Tahiti. Brave Hitoti ! ses derniers instants ont été embellis par la pensée que l œuvre qu’il avait contribué à fonder sortait enfin
Hitoti, président de la haute cour indigène.
La reine Pomaré.