point a donc dû être fixée au-dessus des plus hautes eaux du Rhône. De là résultent des remblais considérables et des ou
vrages d’art fort élevés. Dans la crue de 1840, les eaux ont monté, à Avignon, à vingt mètres vingt-cinq centimètres audessus du niveau de la mer. M. Talabot a établi savoie à deux mètres au-dessus de cette crue, précaution peut-être exces
sive, mais dont on ne peut blâmer le constructeur d’une ligne aussi importante.
Au delà d’Avignon, le tracé traverse la Durance sur un viaduc de cinq cents mètres de longueur ; de là il se prolonge
en remblai jusqu’à ce qu’il ait atteint la croupe d’une série de collines, qu’il contourne en coupant sept cours d’eau. Il entre alors en déblai ; mais, après la Montagnelte, il retrouve une plaine basse et se maintient en remblai jusqu’à Tarascon. Le développement de cette section est de vingt-deux kilomètres ; la plus forte pente est de deux millimètres.
A Tarascon, on traverse le Rhône pour se rattacher aux chemins de fer de Nîmes et de Montpellier ; de Tarascon à Arles, sur une longueur de onze kilomètres, on est en remblais d’une hauteur moyenne de quatre mètres.
C’est d’Arles à Marseille que se rencontrent les plus grandes dillicultés.
En effet, le bassin du Rhône est séparé de la ville de Marseille par une grande chaîne de montagnes, longeant la rive gauche de l Arc, jusqu’à l’étang de Berre, et suivant le litto
ral jusqu’à Bouc. Le revers de cette chaîne, du côté des étangs,
présente une bifurcation dont une des branches se dirige sur Berre et l’autre passe derrière les Martigues. Le tracé fran
chit, en partant d’Arles, la vallée marécageuse dans laquelle se trouvent les canaux de Vigueirat et de la Vidange, traverse par un viaduc la petite rivière de Pelluque, et se jette dans
la plaine de la Crau. Un alignement droit, de vingt-huit kilomètres de longueur, conduit ensuite dans la vallée de Saint-Chamas, où l’on descend par une pente de deux millimètres ; de là on passe la Touloubre, on pénètre dans la val
lée de l’Arc, que l’on quitte au coteau de Bruni, et on atteint la chaîne de l’Estaque, où se développe le souterrain de la Nerlhe, auquel nous avons consacré déjà un article spécial, mais dont nous dirons encore quelques mots dans le cours de notre promenade.
Entre la sortie du souterrain et la gare de Marseille placée dans les terrains de Saint-Charles, la distance est de douze kilomètres et la pente de deux millimètres. De cette gare, deux bras se détachent: l’un sur l extrémité et dans le pro
longement du boulevard d’Enghien, c’est à ce point que se
trouve l’embarcadère des voyageurs; l autre sur l’anse de la Joliette, où les wagons doivent aller recueillir les marchandises.
Tel est le tracé auquel les Chambres et le conseil général des ponts et chaussées ont donné leur approbation.
Maintenant, voyons quelles ont été les évaluations primitives, quelle est la dépense réelle. Qu’on n’oublie pas que la compagnie s’est chargée de tous les travaux, moyennant un prix déterminé d’avance. La somme allouée par les Chambres devait faire face à l’établissement du chemin proprement dit, c’est-à-dire à l’exécution des ouvrages d art et de terrasse
ment. Les terrains sont payés par l’Etat, en dehors de la subvention en argent. Seulement les concessionnaires se sont engagés à remplir toutes les formalités d’expropriation et à la poursuivre, devant le jury.
Le tableau suivant indique les évaluations du conseil général des ponts et chaussées, et en regard celles de M. Talabot :
DÉSIGNATION.
ÉVALUATIONS D’APRÈS
LE CONSEIL.M. TALABOT.
Terrassements................
Ouvrages d’art (sans les souterrains).............................. Souterrains............................. Clôtures et barrières............ Bâtiments...............................
Terrains..................................
fr. c. 10,511,674 75
10,470,000 » 8,840,000 »
562,000 » 1,416,525 25 4,389,185 »
fr. 10.985.000
9.970.000 11.625.000 562,000
»
5.060.000 Totaux.............................56,189,185 »58,900,000 Différence............................
..............2,010,815 fr.
On peut déjà remarquer des différences considérables dans ces de x évaluations : nous verrons plus loin s’il ne devait pas s’ i révéler de bien autrement importantes, en cours
d’exée, ion. L’estimation du conseil générai des ponts et chaussées s’élevait, sans les terrains, à 31,800,000 francs. C’est sur ce chiffre qu’a été basée la subvention, et cependant les Chambres, tout en votant cette subvention,, obligeaient les concessionnaires à tenir leurs remblais plus éle
vés de cinquante centimètres dans toutes les parties mena
cées par le Rhône, augmentaient la section du souterrain de la Nerthe diminuée par le conseil.
Quoi qu’il en soit, la compagnie accepta la subvention, avec une durée de concession de trente-trois ans et le partage des bénéfices avec l’Etat au delà de 10 pour 100. Cette loi est du 24 juillet 1845.
Dirons-nous maintenant les mille rumeurs absurdes qui circulèrent et prirent une fâcheuse consistance, après que la 1 compagnie eut obtenu la concession? Pour en donner une idée, nous nous bornerons à citer le passage suivant d’un rapport de M. Talabot à son conseil d’administration: ce passage servira à faire connaître jusqu’où peut aller l’esprit aveu
glé par la passion, et à expliquer pourquoi le capital social, quoique son insuffisance ait été prévue dès le commence
ment, n a pas été porté de prime-abord à un chiffre plusélevé. Après avoir exposé les causes de cette insuffisance, M. Tala
bot ajoute : « Il eût donc été raisonnable de porter le capital social de 20 à 50 millions. Mais le conseil n’a pas oublié avec quelle exagération, quelle passion même, la loi portant concession du chemin de ter fut combattue soit dans le par
lement, soit au dehors, Les 52,000,000 de la subvention devaient, disait-on, suffire à toutes les dépenses de la compa
gnie, et les actionnaires n’auraient rien ou presque rien à débourser. Quelques-uns soutenaient même qu’une partie de la subvention pourrait être distribuée aux actionnaires. De
vant ces allégations incroyables, et qui malheureusement avaient pris quelque crédit, l’élévation du capital social audessus du chiffre jugé suffisant par le gouvernement aurait donné lieu aux attaques les plus violentes et aux plus indignes suppositions. »
La compagnie se constitua donc au capital social de 20.000. 000, et son ingénieur en chef commença avec ardeur l’œuvre qui devait, ajouter à son nom déjà glorieux une célé
brité si juste et si méritée. Mais, hélas! il ne se faisait pas illusion, et il savait, dès le premier coup de pioche, que les
52.000. 000 de la subvention, que les 20,000,000 du capital social ne seraient pas suffisants, et qu’il faudrait tôt ou tard appeler de nouveaux fonds, avoir recours à un emprunt. Du reste, disons-le en passant, le système des emprunts est un des plus sages que puisse adopter une compagnie indus
trielle. En Angleterre, où certes les hommes pratiques sont en majorité, ce système est appliqué sur des bases très-lar
ges. Ainsi, on n’appelle que le tiers, la moitié, les deux tiers du capital social, et le reste est demandé à l’emprunt. Les actionnaires y trouvent leur intérêt, et les prêteurs, qui ont un bon gage entre les mains, également. L’avantage pour les actionnaires consiste dans un dividende plus élevé, puisqu’il se répartit sur un capital moindre.
Donc, dans le courant de l’année dernière, la compagnie eut recours à un emprunt de 20,000,000. nous allons pren
dre dans le rapport de l’ingénieur en chef quelques passages où sont signalées les causes de l’insuffisance et les sommes nécessaires pour y faire face.
Au moment où la compagnie s’est formée, ses ressources étaient :
Subvention de l’Etat............... 52,000,000 fr. Fonds social............................. 20,000,000
Total. . . . 52,000,000 Ses dépenses prévues étaient :
Travaux d’art et terrassement. . . . 54,000,000 fr. Travaux à la charge delà compagnie. 25,900,000
Total.. . 57,900,000
L’insuffisance était donc de 5,900,000 fr., qui, ajoutés à 1,900,000 fr. pour le service des intérêts pendant la con
struction, formaient une insuffisance totale de 7,800,000 fr. Mais, en cours d’exécution, il se révéla des causes d’augmentation considérable que nous allons indiquer rapidement.
Les terrassements en remblai de la vallée du Rhône ont été surhaussés de 50 centimètres à 1 mètre. L’abondance des eaux dans la plaine de la Crau a exigé un relèvement géné
ral de la ligne sur une grande longueur; enfin, les terrassements dos stations et des ateliers ont donné lieu à un excédant de dépenses très-considérable.
Les viaducs d’Arles, de Saint-Chamas, de Tarascon, ont nécessité un excédant de dépenses de près de 3,000,000 : le premier, à cause de la nature du sol sur lequel reposent les fondations et de son allongement porté de 300 à 800 mètres; le second, par suite d’un allongement de plus de 200 mètres, et le troisième, d’un changement de tracé.
Les souterrains delà Nerthe et de Saint-Louis présentent une insuffisance de 1,560,000 fr. Mais le premier a 620 mètres de longueur de plus que dans le projet.
Le viaduc du Rhône et de la Durance offre un excédant considérable dû en grande partie aux circonstances très-dé
favorables qu’a présentées, en 1845 et 1846, le régime de ces deux cours d’eau.
Le tableau suivant met en regard l’estimation primitive, la dépense réelle et l’excédant de l’une sur l’autre :
NATURE DES TRAVAUX.
ESTIMATION primitive.
DÉPENSE réelle.
EXCÉDANT.
Terrassements.................. Travaux d’art................... Souterrains....................... Viaduc du Rhône............
Viaduc de la Durance. . . Bâtiments.........................
Frais généraux ......
Totaux. . . ,
francs.
10,282,000 6,182,000 8,84u,000
5.000. 000 2.000. 000 2,080.000 1,616,000
francs. 10.290.000 9.600.000 10.200.000
5.000. 000 5.000. 000 4.110.000 2.800.000
francs. 8,000 5.418.000
1.360.000 2,000,000 I,000,000 2.050.000 1.184.000
54,000,OOOj 45,000,00011,000,000
L’économie sur les dépenses à la charge du fonds social est de 1,800,000 francs, l’insuffisance est
donc de......................................................... 9,200,000 fr. Intérêts aux actionnaires........................... 1,900,000
Total. ..... 11,100,000 Déficit sur le montant de la subvention. . 2,000,000 Différence entre le fonds social et l estima
tion............................................................ 3,900,000
Total de l’insuffisance.................... 17,000,000
Le conseil d’administration a cru devoir ajouter, sur la proposition de M. Talabot, à cette somme de 17 millions, 1 mil
lion pour augmentation possible de la dépense des viaducs du Rhône et de la Durance et certaines indemnités de ter
rains, et deux millions pour subvenir à toutes les éventualités d’accroissement de matériel, de voies et de stations causées par le développement du trafic.
Tout est donc connu aujourd’hui, la dépense de cette voie de 125 kilomètres sera au maximum :
Subvention...............32 millions. Capital social. ... 20 — Emprunt...................20 —
Total ... 72 millions. Terrains..........................10 —
Total général. . , . 82 millions.
82 millions pour 125 kilomètres représentent une dépense de 656,000 francs par kilomètre. Mais, on doit le dire, nul chemin ne présente une telle quantité d’ouvrages d’art de dimensions si extraordinaires. nos lecteurs en jugeront tout à l’heure quand nous leur donnerons, à mesure qu’ils avan
ceront dans leur voyage, les dimensions exactes des princi
paux travaux. Les terrassements seuls ont exigé qu’on remuât une masse de terre de près de 6 millions de mètres cubes.
Le matériel de la compagnie se compose déjà de vingl-six machines locomotives ; de cent voitures à voyageurs, dont dix avec salons et deux coupés; quarante mixtes formées d’un compartiment de première classe et deux de seconde; cin
quante de troisième classe, de vingt wagons à bagages, et vingt plates-formes pour le transport des chaises de postes ; en outre, d’un nombre considérable de wagons à marchandises.
AVIGNON.
Il n’y a quant à présent qu’une manière avouable d arriver à Avignon, quand on vient de Lyon, c’est d’y arriver par eau. Un homme d’esprit, qui pourrait bien un jour être de l’A­
cadémie française, quoiqu il n’aitrimé aucune chanson ordurière, a fait, il y a quinze ans, de la vue que représente notre premier dessin, une description trop vraie pour qu’il soit né
cessaire de la recommencer : « Au bout de quelques heures, disait-il, nous vîmes l’ancienne ville des papes, avec ses petits restes de remparts crénelés et ses lourdes masses de pierres qu’on appelle l ancien château des papes. Avignon se voit d’abord de face, et, comme toutes les villes qui bordent le Rhône, on dirait que le fleuve va mourir aux pieds de ses parapets. L’aspect de la ville gagne à l’éloignement ; ses petits remparts, qui pourraient tenir dans une armoire d’anti
quités à côté de vases étrusques, grandissent par l’imagination et l’optique ; son château des papes a presque l’air mena
çant. Mais, de près, ces ruines n’ont que peu d’intérêt, si ce n’est pour ceux qui sont déterminés à en trouver à toutes les ruines. Les remparts, ou plutôt la partie de remparts qui borde le fleuve, est assez bien conservée, sauf quelques pans qui en ont disparu et qu’on a remplacés par des murs de mai
sons, couture ignoble qui déshonore presque tous nos vieux monuments. La couleur des pierres est d’un jaune de feuille morte, mais les constructions n’ont rien de viril. On ne pouvait guère défendre de tels remparts qu avec un rang de pé
nitents blancs ou gris, présentant la croix aux assiégeants en guise d’armes défensives. Ce qui reste du château des papes est informe, mais tous ces débris sont caractéristiques en ce qu’ils représentent assez bien la petite et obscure hisloire du fief papal... Puisque les comparaisons empruntées à la pâ
tisserie sont devenues de mode à propos des édifices, je puis dire que les remparts d’Avignon ressemblent à des croûtes de pâté; et comme ils sont d’ailleurs merveilleusement con
servés, propres et presque sans rugosités, qu’ils ne portent ni la trace du bélier ni celle du canon, et que ce qui en est tombé parait avoir été miné lentement par les fraîches va
peurs qui s’élèvent du fleuve dans les matinées d’automne, on dirait que ce sont des échantillons de remparts modernes en projet, ou des commencements de travaux extérieurs pour les octrois, plutôt que des ruines du moyen âge. »
La plus belle chose qu’il y ait à voir à Avignon, c’est, sans contredit, son panorama. Pour en jouir, il faut, n’eût-on qu’une demi-heure, monter au haut du rocher des Doms jusqu’à la croix qui domine ce qu’on appelle le calvaire. De ce point élevé, que représente notre dessin no 2, on découvre une de ces vues étendues dont le crayon, bien moins encore que le pinceau, ne saurait donner une idée. A quoi bon énu
mérer ici tous les noms des innombrables pays que les yeux embrassent d’un seul regard.au delà de la ville, sur cette belle et vaste plaine couverte d’une si luxuriante végétation, parse
mée de tant de fermes, de villes et de châteaux, arrosée par deux grands fleuves, le Rhône et la Durance, coupée par mille canaux dérivés de la grande source de Vaucluse, et que bornent à l’horizon les Alpes du Dauphiné, les montagnes de Vaucluse, les sommets du Luberon, la chaîne dentelée des Alpines, les solitudes du Frigoletet les hauteurs boisées des Issartls, des Angles et de Villeneuve. Que si ce magnifique spectacle ne vous suffit pas, ou qu’ayant quelques heures à dépenser, vous vouliez, au lieu d’aller voir couler le Rhône sons le pont suspendu et respirer le frais à l’ombre des beaux arbres du cours, vous égarer dans les rues étroites et sombres de la ville à la recherche de ce que les touristes force
nés sont convenus d’appeler des curiosités, un de ces guides descriptifs spéciaux que chaque ville de France publie pour l’instruction et la commodité des étrangers qui lui font l’hon
neur d’une visite, vous fournira toutes les indications qui vous seront utiles. Ne manquez donc pas de vous munir de ce cieerone indispensable, vous tous qui avez une passion insatiable pour les musées, les églises, les institutions, les hôtels de ville, les collections particulières, les jardins bota
niques, les ruines romaines, les monuments du moyen âge et une foule d’autres antiquités ou d’établissements plus ou moins agréables ; mais, surtout, gardez-vous d’acheter Avi
gnon, son histoire, ses papes, ses monuments et ses environs, gros volume in-douze, publié, en 1842, par unM. Joudou, chez l’iinprimeurde monseigneur l’archevêque, car cet ancien
rédacteur du Messager de Vaucluse, dont le style n’a rien de divertissant, professe les sentiments les plus tendres pour l inquisition, qui, à l’en croire, était toute bonté et toute in
dulgence, et il n a pas même mentionné la mort du maré&fiTt-; Brune, assassiné en 1815 par les anciennes ouailh.de./èette.