douce et . paternelle inquisition dans une des chambres de l’hôtel du Palais-Royal, où vous avez sans doute logé.
La cathédrale, appelée notre-Dame-des Doms (de Dominis), n’est pas loin du Calvaire. Mais s’il vous reste encore quel
ques instants il dépenser, après avoir constaté par vousmême au sommet du rocher la vérité du dicton populaire si connu :
«Avenio ventosa,
Sine vento venenosa,
Cum vento fastidiosa,»
entrez dans l’ancien palais des papes, transformé aujourd’hui en une sale et puante caserne; car vous y verrez, outre des fresques par Giotto, des témoignages irrécusables de ce que M. Joudou appelle la bonté et l’indulgence de l’inquisition. Pétrarque fut son hôte, et Rienzi son prisonnier. Des tètes bril
lantes se sont données dans ces salles qui servent de dortoirs à des soldats de la ligne; des cours d’atnour s’y sont tenues; les crimes odieux commis dans ces prisons ruinées ont été vengés à la tin du siècle dernier par de déplorables représailles. Là le conclave des cardinaux élisait le pape ; ici, le succes
seur de saint Pierre dormait sa bénédiction au peuple. Voilà la salle où, en 1441, Pierre de Ludi, légat du pape, tit brûler une partie des nobles de la ville, pour les punir d’avoir fait é- gorger son neveu, jeune libertin, dont l’indigne conduite n’avait que trop mérité la mort ! Aussi, que de pensées riantes, que de tristes souvenirs troublent et effacent inces
samment, pendant une promenade au palais des papes, les roulements sourds du tambour, les sons retentissants des instruments de cuivre, les commandements des oi liciers, le cliquetis des armes, les cris des soldats et les plaintes des prisonniers.
Avant la révolution, Avignon comptait huit chapitres, trente-cinq couvents des deux sexes, dix hôpitaux, sept con
fréries de pénitents, trois séminaires, une université, soixante églises, plus deux cents ou trois cents tours et clochers. Aussi Rabelais l’appelait-il avilie sonnante. Il ne lui reste au
jourd’hui que dix-huit églises dont aucune ne mérite une visite. En revanche, le musée fondé par un Avignonais, nommé Calvet, offre un grandintérêt. Aucun étranger ne re
grettera de lui avoir consacré quelques heures. Il y admirera de belles antiquités et de bons tableaux. Mais au sortir du musée n’allez point chercher aux Cordeliers ce tombeau de Laure qu’y avait vu le président de Brosses, et qui n’était autre chose, dit-il, qu’une vieille pierre dans un coin sale et obscur : il a été détruit avec l’égdse pendant la révolution ; seulement un Anglais, M. Charles Kilsall, a fait, en 1825, élever une cippe à l’endroit où Laure lut ensevelie.
Le président de Brosses Irouvait que les rues d’Avignon étaient larges et bien percées ! A lire cet étrange éloge, on serait tenté de croire que le spirituel épicurien a contemplé trop attentivement ce que, d’après sa déclaration, les femmes y ont de fort gros et de fort blanc (t. 1, p. 12) pour regarder les rues, ou que ces objets charmants ont tellement ravi ses yeux, qu’ils lui ont tait tout voir en beau. Laquelle de ses deux assertions est la plus exacte? Le voyageur en jugera, l’ournous, nous avons fait un assez long séjour à Avignon, il esi temps de partir; et, si vous le permettez, malgré notre
profonde horreur pour ce véhicule, nous allons monter en omnibus pour nous rendre à l’embarcadère provisoire, éloigné de 6 kilomètres de la ville.
d’avignon a tarascon.
Pour se rendre d’Avisnon à la Durance, le chemin de fer traverse une plaine fertile couverte de riches cultures, et surtout de belles plantations de mûriers, mais d’un aspect mo
notone. De dislance en distance, quelques maisons en pisé à moitié détruites et des digues endommagées par les eaux rappellent au voyageur que le Rhône vient souvent revendi
quer les terres dont l homme l’a dépossédé, et que s’il est toujours vaincu, il lait payer cher ses défaites à ses vain
queurs. La plaine où se trouve la gare d’Avignon étant comprise dans les limites de l’inondation, la voie a dû être établie au-dessus des pins hautes eaux du Rhône. Les terrassements faits ou à faire entre Avignon et le viaduc de la Durance s’élèvent à plus de 500,000 mètres cubes.
A moins d’une lieue d’Avignon et à une demi-lieue audessus du beau pont suspendu sur lequel passe la route de
terre, le chemin de fer doit traverser la Durance sur un pontviaduc, qui, à l’heure où nous écrivons, n’est pas encore en
tièrement achevé, un des plus beaux, des plus difficiles et des plus coûteux travaux d’art de la ligne entière.
La Durance, près de son embouchure, arrivedans les temps de crue avec l’impétuosité du mistral, grossie par des centaines
de torrents, roulant dans son lit, que recouvre à.peine un filet d’eau eu temps ordinaire, des rochers, des arbres, ravinant tout dans sa fureur et étendant la dévastation aussi loin que le lui permet sa puissance d’un jour. C’est ce Protée insaisissa
ble que l’ingénieur a dû découvrir et vaincre ; c’est ce mince filet d’eau qu’il lui a fallu forcer à passer là où son doigt le guidait; ce sont les crues futures qui devront suivre la même voie, s’engloutir sous les mêmes arches, frémissantes, mais domi
nées par le génie de l’homme. Toutefois, disons-le, ce n’est pas sans combat que la victoire a été remportée. Le torrent rebelle est venu à plusieurs reprises désorganiser les chantiers, enlever les matériaux, retarder les travaux ; mais jamais il n’a triomphé de l’ingénieur : ce qu’une crue venait d’enlever, la crue suivante le trouvait refait, achevé, inébranlable. Au
jourd’hui, la Durance vaincue traîne humblement sa honte et son gravier sous un viaduc de vingt et une arches de 20 mètres d’ouverture, s’appuyant sur des piles de 5 mètres 50.
La longueur entre les culées est de 499 mètres, et sa longueur totale de 555 mètres 50. La hauteur moyenne des piles est de 7 mètres 86. Les rails se trouvent à 9 mètres 56 au-dessus de l’étiage, et à 4 mètres 46 au-dessus de la crue du 2 no
vembre 1845. Du bas des fondations au niveau des rails, la distance est de près de 11 mètres. Ce viaduc, auquel on
travaille encore avec une grande activité, doit être terminé au mois de juillet prochain.
Le paysage qu’on découvre du pont de la Durance ne manque pas d’une certaine grandeur. A gauche, au-dessus des bancs de ssable et des Ilots toujours agités de la rivière — véritable décoction d’ardoise— les piles blanches du pont suspendu se détachent sur un épais rideau d’arbres que dominent dans le lointain les roches blanchâtres et les tours dente
lées de Château-Renard. En face se dresse un rocher sauvage — la Montagnette — couronné par la tour de Barbentane ; à droite court la chaîne des basses Cévennes terminée par le château de Beaucaire.
Au delà de la Durance, Je chemin de fer coupe en divers endroits, par des tranchées à ciel ouvert, les derniers escar
pements de la Montagnette, dont elle contourne la base; celles de ces tranchées qui laissent voir les roches les plus curieu
ses se trouvent près de Ragmnas, la première station (six kilomètres d’Avignon), village assez considérable d’où partent et où s’arrêtait provisoirement tous les convois en at
tendant que le viaduc de la Durance soit complètement achevé...
Quatre kilomètres au delà de Graveson, deuxième station (six kilomètres de Rognonas), et vers l’extrémité de la Mon
tagnette, on laisse à gauche une jolie propriété nommée le château de la Moite, et on se retrouve dans une vaste plaine qui, sans être pittoresque, offre cependant des aspects in
téressants et variés. On remarque surtout à gauche la petite chaîne qui court de la Durance vers les Alpines. Quand
le ciel est pur, on distingue nettement les bourgs et les villages suspendus aux flancs de cette chaîne ou construits
sur des mamelons adjacents, et principalement le Château- Renard, dont nous avons déjà signalé les tours démantelées en traversant la Durance, et la petite ville de Saint-Remy, patrie de nostradamus, qui possède deux beaux monuments romains. A gauche, les coteaux du Rhône, que ne masquent plus les rochers de Barbentane, apparaissent de nouveau, montrant au voyageur, sur leur promontoire le plus éloigné, le pittoresque château de Beaucaire. Bientôt après avoir dépassé quelques communes insignifiantes, on commenceà en
trevoir, à travers les arbres, les formidables tours du château du roi René et le clocher aigu de Sainte-Marthe; plus loin, on découvre des restes d’anciennes murailles et une porte an
tique : on est à Tarascon, troisième station (huit kilomètres de Graveson).
TARASCON ET BEAUCAIRE.
11 y a dix-huit cents ans, — d’après les légendes provençales, — la sœur de ce Lazare que Jésus-Christ avait ressu
scité, sainte Marthe, débarqua avec son frère sur les côtes de
la Provence, et vint prêcher la religion nouvelle aux habitants d’Aix et des contrées environnantes. A cette époque, le pays était ravagé par un dragon terrible, appelé la Tarasgue, qui, pendant le jour, se tenait caché dans le Rhône. Personne n’osait le combattre. Seule Marthe eut ce courage. Elle mar
cha droit à lui armée d’un crucifix eL d’un simple goupillon, et l’aspergea d’eau bénite. A la première goutte qu’il reçut,
il commença à se tordre avec fureur; à la seconde, il tonifia sans force à terre; à la troisième, sainte Marthe put l atta
cher avec sa ceinture, — quelques légendes disent avec sa jarretière, — et elle le livra au peuple. A l’endroit même où sainte Marthe avait tué la Tarasque s’éleva, peu de temps après, une ville qui, en souvenir de cet événement, prit le nom de Tarascon, et où s’est célébrée jusqu’à ces dernières années une fête populaire nommée la tarasque. (Voir l Illustration, tome Vit, numéro 175, 4 juillet 1846).
Tarascon est, comme on le voit, une ville fort ancienne, car sa fondation remonterait, si nous en croyons la légende, au premier siecle de notre ère. Elle fut, dit-on, très-floris
sante au moyeu âge. Sa population actuelle ne dépasse pas dix mille habitants, et elle n’offre de remarquable que son vieux château des comtes de Provence, son église de Sainte-Marthe, son pont suspendu et la vue qu’on découvre du haut de la tour de son église.
Le château, un des plus beaux monuments dont le quinzième siècle ait enrichi le midi de la France, est bâti au som
met d’un rocher à pic qui plonge d’un côté dans le Rhône et des trois autres dans un fossé profond, sur lequel un pont de pierre est jeté en face de la porte principale. notre gravure le représente vu du fleuve; la façade tournée vers la ville est flanquée de tours rondes au lien de tours carrées. Il a été si solidement construit, que quatre siècles sont déjà passés sur lui sans y laisser de traces visibles. On s’explique difficile
ment comment un prince d humeur pacifique, comme le roi René, a pu se décider à faire achever pour son usage une forteresse si massive et si difficile à prendre.
L’église Sainte-Marthe, dont la tour et la flèche de pierre s’élèvent au dessus des maisons du quai, presque en face du pont suspendu, mérite surtout une visite. Il faut y entrer par un ravissant portique latéral. Elle date du onzième siècle. Entre autres curiosités, on remarque à l’intérieur une série de tableaux représentant les scènes principales de la vie de sainte Marthe ; à droite de la nef, un beau bas-relief (style du bas-empire) rappelant celui du tombeau de la Guliana à Ravenne, et représentant le miracle de la multiplication des pains et Jésus au milieu des Apôtres ; dans la crypte, une statue de sainte Marthe et un autel païen percé d un trou par lequel s’écoulait, selon la tradition locale, le sang des premiers martyrs du christianisme. Avant de quitter Sainte- Marthe, on ne doit pas oublier surtout de monter sur la ter
rasse de la tour, où l’on jouit d’une belle vue sur Tarascon, le cours du Rhône, les Alpines et, Beaucaire.
Beaucaire, — qui ne le sait, —est situé sur la riye droite du Rhône, en face de Tarascon. Un des plus beaux ponts sus
pendus construits en France a remplacé, le -J 4 octobre 1829, l’ancien pont de bateaux qui reliait autrefois ces deux villes l’une à l’autre. Au mois de mars 1844, une forte trombe avait emporté (voir l’Illustration, no 54) le tablier de ce
pont, mais les dégâts de l’ouragan ont été promptement réparés. L une de ses piles repose sur un îlot sablonneux qui était au moyen âge une île assez étendue.
La foire de Beaucaire, personne ne l’ignore, est la plus grande foire qui se tienne en France ; elle rivalise avec celles de Leipsig, de Francfort, de novogorod et de Sinigaglia. On estime à 250 mille le nombre des commerçants qui la fréquentent, français, méridionaux , lyonnais, alsaciens, rouennais, allemands, corses, italiens, espagnols, grecs, orientaux, et, d’après des calculs, en apparence dignes de foi, la somme annuelle des ventes et achats s’y élève à 50, 60 et même à 80 millions (1). On y trouve des marchandises de tous les pays, et afin qu’on puisse se reconnaître dans ce dédale commercial, l’autorité a établi un ordre de vente et un classement méthodique ; les négociations s’entament longtemps avant l’ouverture légale, annoncée le 21 juillet par un coup de canon, et elles se continuent après la clôture, qui a lieu le 28.
L’origine de celte foire est inconnue. « Le vidimus des privilèges de la ville, donné le 9 janvier 1465 par Jean Ber
nard de Marimont, écuyer de i’écuyeriede Louis XI, et garde du petit scel de Montpellier, nous apprend que les habitants de Beaucaire avaient accoutumé de taire tenir et célébrer chaque année, à la fête de Sainte-Magdelène et les trois jours suivants, la foire dans ladite ville de Beaucaire, de toutes marchandises, sans payement d’aucun péage, redevances ou impôt, et sans que l’on puisse détenir ni prendre personne, si l’énormité du crime ne requiert punition corporelle. » Char
les VIII décida « que s’il survenait quelques fêtes pendant le temps de la foire, elles ne compteraient pas, et que la foire tiendrait trois jours ouvrables entiers. » Henri III, au mois de mars 1585, ratifia cette disposition. Les franchises de la foire consistaient principalement dans l’exemption du denier de saint André, perçu sur les marchandises exportées. Mena
cés, par la révolution, de perdre leurs privilèges séculaires, les Beaucairois présentèrent un mémoire au comité d’agriculture et du commerce, et, le27 juin 1790, l assemblée con
stituante, « considérant que la franchise accordée aux foires de France était plutôt une faveur pour le commerce qu’un privilège particulier à une ville » décréta qu’il ne serait rien innové à ce qui les concernait. Un décret impérial, dn 6 jan
vier 1807, fixa la durée de la foire de Beaucaire à huit jours. Le conseil municipal de la ville, dans sa séance extraordinaire du 5 mai 1814, nomma quatre députés pour aller sup
plier Louis XVIII de conserver aux Beaucairois le privilège de la foire du 21 juillet: cette demande ne pouvait ê re accueillie; cependant le bureau de conservation de la foire, ré
gulièrement constitué par arrêt du conseil d’Etat du 10 no
vembre 1671, et maintenu par a loi du 27 ventôse anvm.fut autorisé par l article 59 de la charte constitutionnelle.» (Histoire des villes de France,, t. VI, p. 6t;5.)
Vue de Tarascon et du pont suspendu, Beaucaire se présente bien. Son beau quai, ses magnifiques promenades, son vieux château forment un tableau pittoresque. Mais que celte première impression favorable est vite effacée, si, cédant à sa curiosité, on se décide à pénétrer dans l intérieur de la ville, quand la foire, qui l’a rendue si célèbre, ne s’y tient pas. Quelle solitude! quelle tristesse ! quelle paresse : quelle mort! Beaucaire a’fst habitée, Beaucaire n’est gaie, Beau
caire n’a de l’activité, Beaucaire ne vit qu’en temps de foire. Aussi vienne l’époque si impatiemment attendue, vienne le mois de juillet, comme Beaucaire se peuple, qu’elle se montre joyeuse et vive ; comme elle s occupe, avec quelle ardëur elle secoue son apathie, avec quel empressement elle retrouve sa vigueur, qu’on eut pu croire perdue! Yoyez-la s’agiter, elle ne connaît plus ni le repos, ni le sommeil; aucun travail ne lui répugne, aucune fatigue ne peut la lasser! Plus le nom
bre de ses hôtes augmente, plus elle se multiplie, plus elle s’ingénie pour les bien recevoir. En un instant elle leur im
provise des magasins, des hôtels, des tavernes, des salies de bal, des théâtres. Le soin de ses affaires ne lui fait pas .négli
ger ses plaisirs : tout en les servant, elle prend part aux opérations de leur commerce et aux orgies de leurs l êtes,,.
Mais aussi, pendant ces quelques semaines, elle a vécu un an ; et quand elle est enfin abandonnée à elle-même, épui
sée par cet effort surhumain, elle se laisse forcément retom
ber dans cet horrible marasme où elle végète si tristement pendant tout le reste de l’année, sans qu’aucun souvenir, aucune espérance puisse la faire sortir , ne fût-ce qu’un jour, ne fût-ee qu’une heure, de cet engourdissement si voisin de la mort.
Il n’y a aujourd’hui à Tarascon qu’une station provisoire: la station définitive, en construction très-avancée, est en pierre. On y arrive de la ville par un grand escalier ; car elle est élevée au de sus du Rhône de toute Ja hauteur du viaduc qui traverse le fleuve pour relier le chemin de Mar
seille à celui de Beaucaire à Nîmes. En avant et en arrière de la station de Tarascon, se trouvent deux courbes qui viennent toutes deux aboutir à ce remarquable ouvrage : la courbe du côté d’Avignon a, jusqu’au pont. 1,144 mètres, et celle du côté de Marseille 1,087 piètres. Enfin, un peu plus loin, se trouve un autre embrancliementde 1,055 mètres, qui va au port de Tarascon.
DE TARASCON A ARLES.
Au sortir du débarcadère de Tarascon, le chemin de fer reprend une direction presque enlièremenUparallèle au Rhône, et il la suit jusqu’à Arles. Peu de temps après avoir dépassé les
dernières maisons du faubourg, on laisse à droite le chemin de fer de Nîmes, qui doit traverser le Rhône au-dessous de Beau
caire, sur un admirable pont viaduc de sept hardies travées en fonte, dont l exécution a offert et offre encore de si gran
(1) Ces chiffres sont empruntés à l’histoire de Beaucaire, publiée flans Y Histoire des villes de France de M. Guilbert. Dans sa Statistique de la France, M J. II. .Schnitzier donne des évalua
tions bien différentes :il estime à 100,000 les négociants, et les affaires à 16 millions.
La cathédrale, appelée notre-Dame-des Doms (de Dominis), n’est pas loin du Calvaire. Mais s’il vous reste encore quel
ques instants il dépenser, après avoir constaté par vousmême au sommet du rocher la vérité du dicton populaire si connu :
«Avenio ventosa,
Sine vento venenosa,
Cum vento fastidiosa,»
entrez dans l’ancien palais des papes, transformé aujourd’hui en une sale et puante caserne; car vous y verrez, outre des fresques par Giotto, des témoignages irrécusables de ce que M. Joudou appelle la bonté et l’indulgence de l’inquisition. Pétrarque fut son hôte, et Rienzi son prisonnier. Des tètes bril
lantes se sont données dans ces salles qui servent de dortoirs à des soldats de la ligne; des cours d’atnour s’y sont tenues; les crimes odieux commis dans ces prisons ruinées ont été vengés à la tin du siècle dernier par de déplorables représailles. Là le conclave des cardinaux élisait le pape ; ici, le succes
seur de saint Pierre dormait sa bénédiction au peuple. Voilà la salle où, en 1441, Pierre de Ludi, légat du pape, tit brûler une partie des nobles de la ville, pour les punir d’avoir fait é- gorger son neveu, jeune libertin, dont l’indigne conduite n’avait que trop mérité la mort ! Aussi, que de pensées riantes, que de tristes souvenirs troublent et effacent inces
samment, pendant une promenade au palais des papes, les roulements sourds du tambour, les sons retentissants des instruments de cuivre, les commandements des oi liciers, le cliquetis des armes, les cris des soldats et les plaintes des prisonniers.
Avant la révolution, Avignon comptait huit chapitres, trente-cinq couvents des deux sexes, dix hôpitaux, sept con
fréries de pénitents, trois séminaires, une université, soixante églises, plus deux cents ou trois cents tours et clochers. Aussi Rabelais l’appelait-il avilie sonnante. Il ne lui reste au
jourd’hui que dix-huit églises dont aucune ne mérite une visite. En revanche, le musée fondé par un Avignonais, nommé Calvet, offre un grandintérêt. Aucun étranger ne re
grettera de lui avoir consacré quelques heures. Il y admirera de belles antiquités et de bons tableaux. Mais au sortir du musée n’allez point chercher aux Cordeliers ce tombeau de Laure qu’y avait vu le président de Brosses, et qui n’était autre chose, dit-il, qu’une vieille pierre dans un coin sale et obscur : il a été détruit avec l’égdse pendant la révolution ; seulement un Anglais, M. Charles Kilsall, a fait, en 1825, élever une cippe à l’endroit où Laure lut ensevelie.
Le président de Brosses Irouvait que les rues d’Avignon étaient larges et bien percées ! A lire cet étrange éloge, on serait tenté de croire que le spirituel épicurien a contemplé trop attentivement ce que, d’après sa déclaration, les femmes y ont de fort gros et de fort blanc (t. 1, p. 12) pour regarder les rues, ou que ces objets charmants ont tellement ravi ses yeux, qu’ils lui ont tait tout voir en beau. Laquelle de ses deux assertions est la plus exacte? Le voyageur en jugera, l’ournous, nous avons fait un assez long séjour à Avignon, il esi temps de partir; et, si vous le permettez, malgré notre
profonde horreur pour ce véhicule, nous allons monter en omnibus pour nous rendre à l’embarcadère provisoire, éloigné de 6 kilomètres de la ville.
d’avignon a tarascon.
Pour se rendre d’Avisnon à la Durance, le chemin de fer traverse une plaine fertile couverte de riches cultures, et surtout de belles plantations de mûriers, mais d’un aspect mo
notone. De dislance en distance, quelques maisons en pisé à moitié détruites et des digues endommagées par les eaux rappellent au voyageur que le Rhône vient souvent revendi
quer les terres dont l homme l’a dépossédé, et que s’il est toujours vaincu, il lait payer cher ses défaites à ses vain
queurs. La plaine où se trouve la gare d’Avignon étant comprise dans les limites de l’inondation, la voie a dû être établie au-dessus des pins hautes eaux du Rhône. Les terrassements faits ou à faire entre Avignon et le viaduc de la Durance s’élèvent à plus de 500,000 mètres cubes.
A moins d’une lieue d’Avignon et à une demi-lieue audessus du beau pont suspendu sur lequel passe la route de
terre, le chemin de fer doit traverser la Durance sur un pontviaduc, qui, à l’heure où nous écrivons, n’est pas encore en
tièrement achevé, un des plus beaux, des plus difficiles et des plus coûteux travaux d’art de la ligne entière.
La Durance, près de son embouchure, arrivedans les temps de crue avec l’impétuosité du mistral, grossie par des centaines
de torrents, roulant dans son lit, que recouvre à.peine un filet d’eau eu temps ordinaire, des rochers, des arbres, ravinant tout dans sa fureur et étendant la dévastation aussi loin que le lui permet sa puissance d’un jour. C’est ce Protée insaisissa
ble que l’ingénieur a dû découvrir et vaincre ; c’est ce mince filet d’eau qu’il lui a fallu forcer à passer là où son doigt le guidait; ce sont les crues futures qui devront suivre la même voie, s’engloutir sous les mêmes arches, frémissantes, mais domi
nées par le génie de l’homme. Toutefois, disons-le, ce n’est pas sans combat que la victoire a été remportée. Le torrent rebelle est venu à plusieurs reprises désorganiser les chantiers, enlever les matériaux, retarder les travaux ; mais jamais il n’a triomphé de l’ingénieur : ce qu’une crue venait d’enlever, la crue suivante le trouvait refait, achevé, inébranlable. Au
jourd’hui, la Durance vaincue traîne humblement sa honte et son gravier sous un viaduc de vingt et une arches de 20 mètres d’ouverture, s’appuyant sur des piles de 5 mètres 50.
La longueur entre les culées est de 499 mètres, et sa longueur totale de 555 mètres 50. La hauteur moyenne des piles est de 7 mètres 86. Les rails se trouvent à 9 mètres 56 au-dessus de l’étiage, et à 4 mètres 46 au-dessus de la crue du 2 no
vembre 1845. Du bas des fondations au niveau des rails, la distance est de près de 11 mètres. Ce viaduc, auquel on
travaille encore avec une grande activité, doit être terminé au mois de juillet prochain.
Le paysage qu’on découvre du pont de la Durance ne manque pas d’une certaine grandeur. A gauche, au-dessus des bancs de ssable et des Ilots toujours agités de la rivière — véritable décoction d’ardoise— les piles blanches du pont suspendu se détachent sur un épais rideau d’arbres que dominent dans le lointain les roches blanchâtres et les tours dente
lées de Château-Renard. En face se dresse un rocher sauvage — la Montagnette — couronné par la tour de Barbentane ; à droite court la chaîne des basses Cévennes terminée par le château de Beaucaire.
Au delà de la Durance, Je chemin de fer coupe en divers endroits, par des tranchées à ciel ouvert, les derniers escar
pements de la Montagnette, dont elle contourne la base; celles de ces tranchées qui laissent voir les roches les plus curieu
ses se trouvent près de Ragmnas, la première station (six kilomètres d’Avignon), village assez considérable d’où partent et où s’arrêtait provisoirement tous les convois en at
tendant que le viaduc de la Durance soit complètement achevé...
Quatre kilomètres au delà de Graveson, deuxième station (six kilomètres de Rognonas), et vers l’extrémité de la Mon
tagnette, on laisse à gauche une jolie propriété nommée le château de la Moite, et on se retrouve dans une vaste plaine qui, sans être pittoresque, offre cependant des aspects in
téressants et variés. On remarque surtout à gauche la petite chaîne qui court de la Durance vers les Alpines. Quand
le ciel est pur, on distingue nettement les bourgs et les villages suspendus aux flancs de cette chaîne ou construits
sur des mamelons adjacents, et principalement le Château- Renard, dont nous avons déjà signalé les tours démantelées en traversant la Durance, et la petite ville de Saint-Remy, patrie de nostradamus, qui possède deux beaux monuments romains. A gauche, les coteaux du Rhône, que ne masquent plus les rochers de Barbentane, apparaissent de nouveau, montrant au voyageur, sur leur promontoire le plus éloigné, le pittoresque château de Beaucaire. Bientôt après avoir dépassé quelques communes insignifiantes, on commenceà en
trevoir, à travers les arbres, les formidables tours du château du roi René et le clocher aigu de Sainte-Marthe; plus loin, on découvre des restes d’anciennes murailles et une porte an
tique : on est à Tarascon, troisième station (huit kilomètres de Graveson).
TARASCON ET BEAUCAIRE.
11 y a dix-huit cents ans, — d’après les légendes provençales, — la sœur de ce Lazare que Jésus-Christ avait ressu
scité, sainte Marthe, débarqua avec son frère sur les côtes de
la Provence, et vint prêcher la religion nouvelle aux habitants d’Aix et des contrées environnantes. A cette époque, le pays était ravagé par un dragon terrible, appelé la Tarasgue, qui, pendant le jour, se tenait caché dans le Rhône. Personne n’osait le combattre. Seule Marthe eut ce courage. Elle mar
cha droit à lui armée d’un crucifix eL d’un simple goupillon, et l’aspergea d’eau bénite. A la première goutte qu’il reçut,
il commença à se tordre avec fureur; à la seconde, il tonifia sans force à terre; à la troisième, sainte Marthe put l atta
cher avec sa ceinture, — quelques légendes disent avec sa jarretière, — et elle le livra au peuple. A l’endroit même où sainte Marthe avait tué la Tarasque s’éleva, peu de temps après, une ville qui, en souvenir de cet événement, prit le nom de Tarascon, et où s’est célébrée jusqu’à ces dernières années une fête populaire nommée la tarasque. (Voir l Illustration, tome Vit, numéro 175, 4 juillet 1846).
Tarascon est, comme on le voit, une ville fort ancienne, car sa fondation remonterait, si nous en croyons la légende, au premier siecle de notre ère. Elle fut, dit-on, très-floris
sante au moyeu âge. Sa population actuelle ne dépasse pas dix mille habitants, et elle n’offre de remarquable que son vieux château des comtes de Provence, son église de Sainte-Marthe, son pont suspendu et la vue qu’on découvre du haut de la tour de son église.
Le château, un des plus beaux monuments dont le quinzième siècle ait enrichi le midi de la France, est bâti au som
met d’un rocher à pic qui plonge d’un côté dans le Rhône et des trois autres dans un fossé profond, sur lequel un pont de pierre est jeté en face de la porte principale. notre gravure le représente vu du fleuve; la façade tournée vers la ville est flanquée de tours rondes au lien de tours carrées. Il a été si solidement construit, que quatre siècles sont déjà passés sur lui sans y laisser de traces visibles. On s’explique difficile
ment comment un prince d humeur pacifique, comme le roi René, a pu se décider à faire achever pour son usage une forteresse si massive et si difficile à prendre.
L’église Sainte-Marthe, dont la tour et la flèche de pierre s’élèvent au dessus des maisons du quai, presque en face du pont suspendu, mérite surtout une visite. Il faut y entrer par un ravissant portique latéral. Elle date du onzième siècle. Entre autres curiosités, on remarque à l’intérieur une série de tableaux représentant les scènes principales de la vie de sainte Marthe ; à droite de la nef, un beau bas-relief (style du bas-empire) rappelant celui du tombeau de la Guliana à Ravenne, et représentant le miracle de la multiplication des pains et Jésus au milieu des Apôtres ; dans la crypte, une statue de sainte Marthe et un autel païen percé d un trou par lequel s’écoulait, selon la tradition locale, le sang des premiers martyrs du christianisme. Avant de quitter Sainte- Marthe, on ne doit pas oublier surtout de monter sur la ter
rasse de la tour, où l’on jouit d’une belle vue sur Tarascon, le cours du Rhône, les Alpines et, Beaucaire.
Beaucaire, — qui ne le sait, —est situé sur la riye droite du Rhône, en face de Tarascon. Un des plus beaux ponts sus
pendus construits en France a remplacé, le -J 4 octobre 1829, l’ancien pont de bateaux qui reliait autrefois ces deux villes l’une à l’autre. Au mois de mars 1844, une forte trombe avait emporté (voir l’Illustration, no 54) le tablier de ce
pont, mais les dégâts de l’ouragan ont été promptement réparés. L une de ses piles repose sur un îlot sablonneux qui était au moyen âge une île assez étendue.
La foire de Beaucaire, personne ne l’ignore, est la plus grande foire qui se tienne en France ; elle rivalise avec celles de Leipsig, de Francfort, de novogorod et de Sinigaglia. On estime à 250 mille le nombre des commerçants qui la fréquentent, français, méridionaux , lyonnais, alsaciens, rouennais, allemands, corses, italiens, espagnols, grecs, orientaux, et, d’après des calculs, en apparence dignes de foi, la somme annuelle des ventes et achats s’y élève à 50, 60 et même à 80 millions (1). On y trouve des marchandises de tous les pays, et afin qu’on puisse se reconnaître dans ce dédale commercial, l’autorité a établi un ordre de vente et un classement méthodique ; les négociations s’entament longtemps avant l’ouverture légale, annoncée le 21 juillet par un coup de canon, et elles se continuent après la clôture, qui a lieu le 28.
L’origine de celte foire est inconnue. « Le vidimus des privilèges de la ville, donné le 9 janvier 1465 par Jean Ber
nard de Marimont, écuyer de i’écuyeriede Louis XI, et garde du petit scel de Montpellier, nous apprend que les habitants de Beaucaire avaient accoutumé de taire tenir et célébrer chaque année, à la fête de Sainte-Magdelène et les trois jours suivants, la foire dans ladite ville de Beaucaire, de toutes marchandises, sans payement d’aucun péage, redevances ou impôt, et sans que l’on puisse détenir ni prendre personne, si l’énormité du crime ne requiert punition corporelle. » Char
les VIII décida « que s’il survenait quelques fêtes pendant le temps de la foire, elles ne compteraient pas, et que la foire tiendrait trois jours ouvrables entiers. » Henri III, au mois de mars 1585, ratifia cette disposition. Les franchises de la foire consistaient principalement dans l’exemption du denier de saint André, perçu sur les marchandises exportées. Mena
cés, par la révolution, de perdre leurs privilèges séculaires, les Beaucairois présentèrent un mémoire au comité d’agriculture et du commerce, et, le27 juin 1790, l assemblée con
stituante, « considérant que la franchise accordée aux foires de France était plutôt une faveur pour le commerce qu’un privilège particulier à une ville » décréta qu’il ne serait rien innové à ce qui les concernait. Un décret impérial, dn 6 jan
vier 1807, fixa la durée de la foire de Beaucaire à huit jours. Le conseil municipal de la ville, dans sa séance extraordinaire du 5 mai 1814, nomma quatre députés pour aller sup
plier Louis XVIII de conserver aux Beaucairois le privilège de la foire du 21 juillet: cette demande ne pouvait ê re accueillie; cependant le bureau de conservation de la foire, ré
gulièrement constitué par arrêt du conseil d’Etat du 10 no
vembre 1671, et maintenu par a loi du 27 ventôse anvm.fut autorisé par l article 59 de la charte constitutionnelle.» (Histoire des villes de France,, t. VI, p. 6t;5.)
Vue de Tarascon et du pont suspendu, Beaucaire se présente bien. Son beau quai, ses magnifiques promenades, son vieux château forment un tableau pittoresque. Mais que celte première impression favorable est vite effacée, si, cédant à sa curiosité, on se décide à pénétrer dans l intérieur de la ville, quand la foire, qui l’a rendue si célèbre, ne s’y tient pas. Quelle solitude! quelle tristesse ! quelle paresse : quelle mort! Beaucaire a’fst habitée, Beaucaire n’est gaie, Beau
caire n’a de l’activité, Beaucaire ne vit qu’en temps de foire. Aussi vienne l’époque si impatiemment attendue, vienne le mois de juillet, comme Beaucaire se peuple, qu’elle se montre joyeuse et vive ; comme elle s occupe, avec quelle ardëur elle secoue son apathie, avec quel empressement elle retrouve sa vigueur, qu’on eut pu croire perdue! Yoyez-la s’agiter, elle ne connaît plus ni le repos, ni le sommeil; aucun travail ne lui répugne, aucune fatigue ne peut la lasser! Plus le nom
bre de ses hôtes augmente, plus elle se multiplie, plus elle s’ingénie pour les bien recevoir. En un instant elle leur im
provise des magasins, des hôtels, des tavernes, des salies de bal, des théâtres. Le soin de ses affaires ne lui fait pas .négli
ger ses plaisirs : tout en les servant, elle prend part aux opérations de leur commerce et aux orgies de leurs l êtes,,.
Mais aussi, pendant ces quelques semaines, elle a vécu un an ; et quand elle est enfin abandonnée à elle-même, épui
sée par cet effort surhumain, elle se laisse forcément retom
ber dans cet horrible marasme où elle végète si tristement pendant tout le reste de l’année, sans qu’aucun souvenir, aucune espérance puisse la faire sortir , ne fût-ce qu’un jour, ne fût-ee qu’une heure, de cet engourdissement si voisin de la mort.
Il n’y a aujourd’hui à Tarascon qu’une station provisoire: la station définitive, en construction très-avancée, est en pierre. On y arrive de la ville par un grand escalier ; car elle est élevée au de sus du Rhône de toute Ja hauteur du viaduc qui traverse le fleuve pour relier le chemin de Mar
seille à celui de Beaucaire à Nîmes. En avant et en arrière de la station de Tarascon, se trouvent deux courbes qui viennent toutes deux aboutir à ce remarquable ouvrage : la courbe du côté d’Avignon a, jusqu’au pont. 1,144 mètres, et celle du côté de Marseille 1,087 piètres. Enfin, un peu plus loin, se trouve un autre embrancliementde 1,055 mètres, qui va au port de Tarascon.
DE TARASCON A ARLES.
Au sortir du débarcadère de Tarascon, le chemin de fer reprend une direction presque enlièremenUparallèle au Rhône, et il la suit jusqu’à Arles. Peu de temps après avoir dépassé les
dernières maisons du faubourg, on laisse à droite le chemin de fer de Nîmes, qui doit traverser le Rhône au-dessous de Beau
caire, sur un admirable pont viaduc de sept hardies travées en fonte, dont l exécution a offert et offre encore de si gran
(1) Ces chiffres sont empruntés à l’histoire de Beaucaire, publiée flans Y Histoire des villes de France de M. Guilbert. Dans sa Statistique de la France, M J. II. .Schnitzier donne des évalua
tions bien différentes :il estime à 100,000 les négociants, et les affaires à 16 millions.