traverser que sur une étroite chaussée, transformée actuellement en route royale. L’ar
tiste ou le savant qui s’y aventurait tres
saillait plus d’une fois malgré lui d’effroi et de dégoût à la vue des_ spectres vivants à peine couverts de haillons et gre
lottants de fièvre qu’il rencontrait autour des ruines de Montmajour, C’étaient, en général, des condamnés évadés, qui, réfu
giés dans ces marais, s’y construisaient des retraites inaccessi
bles à tous les au
tres hommes, et qui aimaient mieux mo u- rir de faim, d’humi
dité et de froid, mais être libres, que d’ex
pier dans les prisons, d’où ils s’étaient sau
vés, les fautes qu’ils avaient pu commet
tre. — Aujourd’hui, grâce aux travaux de dessèchement qui ont été exécutés, là où croupissaient des eaux stagnantes croissent d’abondantes moissons, la po
pulation s’est moralisée en recouvrant la santé ; les ingénieurs ont détruit les asiles les plus redoutés,
et, s’il en restait encore, la gendarmerie départementale s’y transporterait sans peine et sans danger. Mais ne vantez pas ces heureux changements aux vieillards que vous rencontre
rez ; loin de vous comprendre, ils vous diraient combien ils regrettent amèrement le temps qui n’est plus, et ces joncs dont ils se tressaient des paniers, et ces poissons qu’ils pê
Chemin de fer d’Avignon à Marteille. — Cloître Saint-Trophyme, à Arles.
Chemin de fer d’Avignon à Marseille. — Viaduc d’Arles.
Après avoir franchi le seuil d’une porte en ruine, le voyageur qui va visiter l’abbaye de Montmajour monte par un chemin en zigzag ombragé de lentisques, d’arbousiers et. de chê
nes verts, à une petite terrasse ornée d’une jolie croix, et de cette terrasse à une esplanade, où il admire d’abord un charmant panorama. Sa curiosité satisfaite, il examine les ruines
pères bénédictins, la chapelle de Sainte-Croix avait éié fondée par Charlemagne, en sou
venir d’une victoire qu’il avait remportée sur les Sarrasins, et iis appuyaient cette asser
tion sur une inscription incrustée dans ses murs. Mais dom Chanteloup et dom Bouquet ont prouvé que cette inscription, gravée en caractères du quinzième siècle, était apo
cryphe, et il est assez difficile de croire qu’une grande bataille ait pu être livrée, il
y a plus de mille ans,
sur cette plaine, qui, au commencement de ce siècle, était encore un marais impraticable.
Le chemin de fer a décrit depuis Avi
gnon une courbe as
sez considérable pour que le voyageur plus amoureux de la ligne droite que du pittoresque, ou le négo
ciant qui est avare de ses minutes, deman
de la raison decelong délour. C’est Arles que les ingénieurs sont venus chercher,
par respect pour ses anciennes grandeurs sans doute, mais non sans l’espérance motivée de voir une quatrième et dernière civilisation déférer une nouvelle couronne, celle de l’industrie moderne, à cette cité qui fut successivement rivale de Bysance, métropole de la Gaule romaine, capitale d’un royaume et lui donnant son nom,
commune libre et se parant du titre de république comme les municipes de l’Italie, puis s’effaçant peu à peu sous le niveau
Théâtre antique, à Arles.
des difficultés, qu’il ne sera peut-être pas achevé avant le mois de juillet prochain. Au delà de cet embranchement, le paysage devient trop monotone pour mériter d’être regardé.
A droite, la levée au Rhône masque entièrement la vue ; à gauche, on découvre, quand le ciel est pur, les pics dentelés des Alpines. De Tarascon à Arles, on ne trouve qu une station, celle de Ségonnaux (6 kilomètres de Tarascon). Aussi est-ce avec un vif sentiment de plaisir que le voyageur sent la locomotive, qui ne doit pas s’arrêter, courir vers Arles aussi vite que le lui permettent les règlements de police, et qu’il aperçoitles murailles etles édifices de cette ville fameuse, ou il a hâte d’arriver. Cepen
dant, si pressé qu’il soit, il ne peut refuser quelques instants . d’attention à des ruines monumentales qu’il remarque sur sa gauche, au sommet d’un rocher isPjlé au milieu de la plaine. Cés ruines, où l’on dis
tingue une église, une tour et des bâtiments claustraux, sont tout ce qui reste de la célèbre abbayede Montmajour. C’est un de ces sites privilégiés que vi
sitent souvent les peintres et les
archéologues, toujours sûrs d’y faire quelque nouvelle découverte. Ils s’y rendront (fautant plus volontiers désormais, qu’ils ne craindront plus d’en rapporter la lièvre, car les marais insalubres qui l’entouraient de tous côtés ont été desséchés et cultivés depuis peu. Il y a trente ans à peine, ces marais étaient com
plètement impraticables; on ne pouvait les
chaienl dans les trous les plus profonds, et ces grandes herbes abandonnées où ils menaient paître leur bétail, et ces tanières qu ils s’étaient construites eux-mêmes et pour les
quelles ils ne payaient ni loyer ni impôt. Ils oublient tous que, si ces améliorations qu’ils déplorent avec tant de chagrin n’avaient pas eu lieu, ils seraient morts depuis longtemps...
Chemin de fer d’Avignon à Marseille. — Embarcadère d’Aries.
de constructions de toutes les époques qui recouvrent cette, esplanade dans le désordre le plus pittoresque que puisse rêver un artiste. Ce qui le frappe surtout, c’est que moins ces constructions sont anciennes, moins elles sont conservées. L’église principale, bâtie au onzième siècle, est presque entièrement intacte ; le cloître qui y est adossé, et qui a long
temps servi d’étable, reste en partie debout, bien qu’on lui ait enlevé la plupart de ses gracieuses petites colonnes qui supportaient ses arcades byzantines. La tour élevée au quator
zième siècle par Pons d’Ulmo, et qu’un peintre d’Arles a a- chetée naguère pour qu’on ne la démolît pas, dresse encore dans l’air sa masse inébranla
ble; maislesmursprofondément lézardés des vastes bâtiments modernes du monastère, qui date de Louis XIV, s’écroulent journellement, abattus par les ravages du temps ou tombent sous les pioches et les mar
teaux des démolisseurs, qui ont vainement essayé d’entamer les constructions trop solides du moyen âge.
A l’extrémité du rocher que
couronnent les ruines de Montmajour, et au point où il s’entonçait jadis dans le marais, s’élève la charmante chapelle de Sainte-Croix. La fameuse procession du Pardon y attirait chaque année, le 5 mai, un nombre considérable de pèlerins de tous les pays qui venaient y adorer un fragment de la croix de notre-Seigneur pour gagner des indulgences plénières. A en croire les
Place d’Arles.