convocation immédiate du parlement. nous ne savons pas quelle a pu être la résolution du gouvernement napolitain ;
mais les lettres reçues font craindre que, si l’on ne se hâte pas de donner prompte et entière satisfaction à l’opinion pu
blique, des événements graves ne viennent compliquer une situation déjà fort difficile.
Les rapports varient sur le nombre des morts et des blessés; on parle de deux cents hommes tués du côté des trou* pes, tandis que cinquante ou soixante insurgés seulement auraient péri. Les dernières lettres de Païenne sont du 21 janvier. Ce jour-là, les insurgés avaient attaqué avec acharne
ment un couvent appelé le novizziato, que défendaient les troupes, et qui est situé près du palais. Au départ du cour
rier il n’y avait pas de résultat. Une frégate anglaise était arrivée ce jour-là devant Païenne, et on attendait d’un instant à l’autre là corvette à vapeur le Tonnerre, de notre marine
royale, qui, par ordre de l’ambassadeur de France à Home, avait été dirigée sur ce point.
A Naples, depuis la publication des premières ordonnances, la situation, à ce qu’on écrit, s’est aggravée. Reçues d’abord avec froideur par la population napolitaine, ces or
donnances ont perdu toute leur valeur aux yeux du public, depuis que le refus des Siciliens a été connu. D’après les nouvelles reçues, une grande anxiété régnait dans la capi
tale, et, comme les rapports des provinces étaient fort in
quiétants, on craignait toujours de voir arriver à Naples des bandes do paysans insurgés. Tous les hommes éclairés et
considérables paraissent s’être réunis pour demander au roi de faire à son peuple les concessions les plus larges. Parmi ceux qui travaillent le plus à épargner par ce moyen au pays les horreurs d’une guerre civile, on cite particulièrement le marquis de Pietracatella, président du conseil des ministres, et le duc de Serra-Capriola.
Royaume lombardo-vénitien. — La Patria insère une lettre de Corne, du 26, qui annonce qu’à Milan tous les clubs, même ceux de bienfaisance, sont fermés ; l’autorité veut sup
primer tout prétexte de réunion. La population continue à s’abstenir de tabac : la régie a subi en quinze jours une diminution de 565,000 cigares.
Les officiers de la garnison ne sortent plus qu’en uniforme et par groupes de quatre ou cinq. On apprend que des trou
pes arrivent sans cesse de l’Allemagne, et on répand le bruit que ces démonstrations militaires seront accompagnées de mesures rigoureuses contre le parti libéral.
Etats pontificaux. —nous avons à enregistrer, à Rome, un progrès qui mérite d’être remarqué. Le poste de ministre de la guerre vient d’être sécularisé ; il est confié au prince Gabrielli, qui a servi avec distinction dans l’armée française.
Toscane et Piémont. — Le roi de Piémont et le grandduc de Toscane ont convoqué pour le mois de mars une consulte à l’instar de celle que Pie IX a établie.
Danemark. — Le roi Christian VIII est mort le 20 janvier, dans la soirée, à dix heures un quart. — Il était né le 18 septembre 1786 et était par conséquent âgé do soixante, leux ans. Il était monté sur le trône de . Danemark le 3 décembre 1859 ; il succédait à son cousin L roi Frédéric VI.
Iï avait épousé en premières, noces, la princesse Charlotte- Frédérique de Mecklenbourg-Schwerin, et en secondes noces la princesse Caroline-Amélie, fille du duc de Schleswig-Hol
stein. De som premier mariage seplemeqt il a eu un fils, le prince Frédéric-Charles Christian, né le 6 octobre 1808, et qui lui succède aujourd’hui sous le nota de Frédéric VII,
Deux heures avant sa mort, le roi Christian avait encore sa complète connaissance. 11 avait eu dans la journée deux entretiens avec son fils, et il lui a laissé, tracées de sa main, des instructions pleines de sagesse.
Le prince Frédéric s’est rendu, à sept heures du soir, dans son château de Christiansbourg, l’étiquette ne permet
tant pas au successeur du trône de traverser la ville avant sa proclamation.
A minuit, le nouveau roi a signé dans le conseil des ministres la proclamation destinée à faire connaître son avènement au trône. Dans cette proclamation, Frédéric VII an
nonce qu’il continuera l’œuvre de son père, et qu’il inaugu
rera son règne en donnant au pays de nouvelles institutions,
qui déjà depuis une année étaient préparées par la sollicitude du roi son père.
Le 21, à neuf heures du matin, les portes du grand balcon du palais de Christiansbourg ont été ouvertes, et aussi
tôt les princes de la famille royale, les ministres d’Etat et les
hauts dignitaires du royaume ont paru sur le balcon ; puis le ministre de la justice, M. de Stemann, s’est approché de la balustrade du balcon, et a dit trois fois, à haute voix :
Le roi Christian VIII est mort, vive le roi Frédéric VII! Ce cri a été répété chaque fois par les hérauts, et chaque lois la musique de la garde du corps y a répondu par une fanfare.
De neuf heures à midi, toutes les portes de Copenhague, selon l’antique usage, sont restées fermées. Les clefs de la ville et celles de la citadelle ont été portées au château.
Les troupes de la garnison et la garde nationale se sont assemblées à une heure de l’après-midi dans leurs lieux de réunion, et ont prêté le serment de fidélité au nouveau roi entre les mains de S. A. R. le prince Ferdinand, général en chef de l’armée, et de S. A. S, le prince Guillaume, gouverneur général de Copenhague. _
Les étudiants ont voulu faire une démarche avant l’arrivée du nouveau roi. Plusieurs d’entre eux ont chanté un air national norvégien, et après la prestation du serment on a crié vive la Constitution! et vive Frédéric VII! Après le départ du roi, quelques individus ont entonné le premier couplet de la Marseillaise.
Le bruit courait qu’une démarche devait avoir lieu le soir 21 pour obtenir le régime représentatif. On parlait d’une dé
putation composée de députés de Copenhague aux Etats, des membres de la bourgeoisie et des étudiants, qui devait se présenter au roi pour exprimer un vœu en faveur d’une con
stitution. ,
L’intervention de la police a réussi à faire dissiper les rassemblements, et la tranquillité publique n’a point été un instant troublée.
Tous les ministres ont été confirmés dans leur poste. Seulement le comte de Molthe, de la famille du ministre de Da
nemark à Paris, a été nommé membre du conseil d’Etat, et a siégé le 21 au premier conseil tenu par le roi.
Le prince Ferdinand, frère du feu roi, est âgé de cinquante-cinq ans ; il a épousé la fille aînée du roi Frédéric VI,
et n’a pas d’enfants; il se trouvera héritier présomptif du trône. Après lui, si le roi actuel ne se remarie pas ou n’avait pas d’enfants, la couronne passerait au prince Frédéric, fils aîné de la landgrave de Hesse, sœur aînée du roi. C’est ce prince qui avait épousé la grande-duchesse, fille de l’empereur Nicolas, morte en couches il y a trois ans.
Son avènement amènerait la solution forcée de la question de la séparation du Holstein de la couronne de Danemark,
question soulevée à la fin de 1846 par un rescrit du roi Christian VIII, et qui a tant agité les esprits dans les duchés et en Allemagne.
Suède. — On écrit de Stockholm (Suède), le 18 janvier : « notre gouvernement vient d’adopter un nouveau tarif du port des lettres, par lequel l’ancienne taxe, tant des corres
pondances que des journaux et autres imprimés, se trouve réduite très-considérablement. »
Inde hollandaise. — On écrit d’Amsterdam (Hollande), le 26 janvier :
«nous venons de recevoir des nouvelles de Batavia (Java) du 20 novembre dernier. Le 16 du même mois et les deux jours suivants, on avait ressenti, tant à Batavia que dans les régences de Chéribon, de Bonjoemak, de Kaddoe, de Samarang et de Rambay, des secousses de tremblements de terre si fortes, qu’elles rappelaient celles de 1834.
« A Batavia même, les tours des églises ont été fortement ébranlées; celle de THôtel-de-Ville a pris une inclinaison re
marquable à gauche, et la croix en fonte qui la surmontait a été renversée.
« Dans la ville de Chéribon, tous les bâtiments, excepté les magasins proprement dits, dont les murs sont d’une épaisseur extrême, avaient été endommagés au point qu’ils me
naçaient ruine, et que les habitants s’étaient réfugiés dans les plaines des environs de la ville.
« A Palimang, l’hôtel du gouverneur s’est écroulé, et tout ce qu’il renfermait a été brisé. Quarante maisons du quartier chinois ont eu le même sort, et dix-sept de leurs habitants ont été écrasés sous les décombres.
« Un grand nombre de fabriques de sucre et d’indigo, qui se trouvaient en rase campagne, ont été détruites.
« A Batavia, on recevait de tous les points des nouvelles de désastres, et la plus grande inquiétude régnait dans cette capitale. »
Sinistres maritimes. —Un nouveau désastre vient de frapper notre marine : « Le Cuviet a brûlé et coulé bas, le 25, àPorto-di-Campos,près Palma. L’équipage a été sauvé.» Ainsi s’exprime, dans un langage concis, la dépêche télégra
phique qui annonce au gouvernement cette triste nouvelle.
La perte du Cuvier sera vivement sentie de notre marine, qui a fait l’année dernière des pertes si nombreuses.
— On écrit de La Rochelle qu’un trois-mâts anglais s’est perdu dans la nuit du 17 au 18 janvier, vers onze heures du
soir, sur la pointe de la Coubre, côte des Mathes, entre Royan et la Tremblade. Des dix-sept hommee dont se composait son équipage, trois seulement ont pu gagner la terre. Ce navire est Tldalion, de 440 tonneaux, venant de Londres et se ren
dant à Bordeaux avec un chargement de charbon de terre.
Les trois hommes qui sont parvenus seuls à se sauver, et parmi lesquels se trouve le capitaine, le sieur John Kietk, ont été recueillis par le poste des douanes. Le bâtiment et la cargaison sont entièrement perdus.
Nécrologie. —M. le baron Massias, ancien résident, consul général à Dantzick, vient de terminer, le 22 de ce mois,
à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, une longue et honorable carrière. Plus de quarante années de services publics et de fonctions parfois très-difficiles ne l’ont pas empêché de se distinguer encore par de nombreuses œuvres littéraires et philosophiques.
— M. Garnot, député de Saint-Domingue à la convention nationale, ancien administrateur général de la loterie, est mort dans sa quatre-vingt-dixième année.
— M. Dieudonné, ancien député de la Meurthe, homme aussi considéré que digne de l’être, vient de mourir à l’âge de soixante-quatorze ans. — C’est dans un âge bien moins avancé, c’est à vingt-neuf ans que vient d’être enlevé à sa famille désolée, à ses nombreux amis, à la science historique, un bon etintelligentjeunehomme, Émile Beltremieux, auteur, avec le savant M. Henri Martin, de F Histoire de France fai
sant partie des cent traités, publiés sous le titre d7n- struçtjon pour le peuple.
Souvenirs de Brides-les-Bains
(SAVOIE).
Les lecteurs de l’Illustration se souviennent peut-être d’a­ voir lu le compte rendu d’un livre intitulé : Mémoires d’un enfant de la Savoie. Peut-être aussi quelques-uns auront-ils été tentés de lire ces mémoires d un pauvre enfant du peuple, doué des plus nobles facultés du cœur et de l’esprit. Claude Genoux (c’est le nom de l’auteur) nous adresse un chapitre oublié de ses souvenirs, qu’on lira avec intérêt, et qui inspirera, nous n’en doutons pas, le désir de connaître la vie entière de l’auteur (1).
« Sur cent jeunes gens échappés des universités, et qui achè
(1) Voir le bulletin bibliographique de VIllustration, t. vi, p. 502; t. viii, 318.
vent leurs études par un voyage en Suisse, quatre-vingt-dixl neuf suivent à la lettre un invariable-itinéraire. Eternel moutons de Panurge, ils vont partout où- sont allés leur
amis, leurs parents; c’est un pèlerinage -obligatoire dans 1. famille. Qu’ont-ils observé? qu’ont-ils vu? Des cicerones
des aubergistes, des mendiants, c’est-à-dire tout le peuplt officiel des grandes routes, peuple de martins-pêcheurs qu ne pêchent que dans la bourse des voyageurs, sa seule pro vidence. En voyage, pourtant, l’excentricité a ses avantages
une grande route me fait l’effet d’un salon où l’on ne s’entretient que de lieux communs. Ce ne sont que conversaloini oiseuses ; rien ne surprend, rien n’intéresse, parce quoi; s’attend à mieux; parce que l’imprévu est partout plus rat* qu’un beau site qu’on est convenu d’admirer. Voulez-vous, de retour d’une course au jardin du Mont-Blanc, voir une nature tout aussi alpestre que celle de la vallée deChamounix. et vierge encore des pas d’un touriste banal? Demandez, à Sah
lanches, le chemin de Brides-les-Bains, par le plateau de Beaufort, ou bien celui delà vallée de l’Isère; passez à droite, passez à gauche, n’importe : à pied, le sac sur le dos, vous arriverez probablement sur un chemin étroit, bordé de haies
d’aubépines, et dont la brise n’aura pas saupoudré la verdure: d’une poussière calcaire. Après quelques heures de marche, vous déboucherez en vue d’un joli hameau, perdu dans un massif de pins ou de châtaigniers. Là, un hôte simple et jovial sera tout aussi heureux de vous donner une hospitalité dé
sintéressée, que vous le serez vous-mêmes de pouvoir vous montrer généreux ; là, vous trouverez des mœurs nouvelles à force d’être vieilles. Ceci n’est pas un paradoxe : l’âge d’or existe encore sur la terre pour la moitié de ses habitants.
«Brides-les-Bains ne compte pas plus de trente années d’existence. Ce pays, qui, dans ce laps de temps, a vu s’éle
ver une maison de bains d’une architecture sévère, une église, un pont de pierre et de beaux hôtels, n’était, en 1818,
qu’un hameau de quatre maisons, chalets isolés les uns des! autres et dépendant d’un village éloigné. Or, en 1818, l’une de ces quatre maisons était habitée par un aveugle déjà gri
sonnant et qu’on nommait Zacharie : ménétrier de son état, il faisait chaque dimanche danser les montagnards des villa
ges voisins. Certes, à sa franche gaieté, à ses lazzi pleins de sel, nul n’aurait soupçonné, s’il ne l’avait vu par lui-même, que cet homme était privé du sens le plus précieux. Donc, un soir du mois de mai de cette même année 1818, par une pluie torrentielle, un pauvre enfant, à peine âgé de six ans, vint frapper à la porte de Zacharie. Couvert de haillons et les pieds nus, il fut reçu par l’aveugle et sa femme avec des transports de joie ; car ces braves gens n’avaient point d’en
fants : c’était un fils que la Providence leur envoyait. Quesl tionné avec sollicitude, il répondit simplement. Parti de Saint- Sigismond, près de l’hôpital, il allait, lui, douzième enfant d’une mère veuve et pauvre, rejoindre un oncle qui faisait un petit commerce dans la montagne. Frappé depuis long
temps de l’idée d’un départ prochain et déjà aventureux, il était parti seul et sans en avertir ses parents ; aussi ne s’é­
tonnera-t-on pas, eu égard à ses petites jambes, qu’il air..uw cinq jours pour franchir les cinq lieues qui séparent Bridesles-Bains de Saint-Sigismond. Partout bien accueilli sur la route qu’il venait de parcourir, et partout recevant une hos
pitalité qu’il n’avait même pas la peine d’implorer, tant son jeune âge inspirait d’intérêt, ce fut par habitude qu’avec une désinvolture sans gêne il s’assit au foyer de ses hôtes. Bref, cette manière d’agir ne déplut point au jovial ménétrier. Le surlendemain, du consentement de son oncle qu’on avait consulté, l’enfant, qui se nommait Claude, remplaçait dans l’emploi de guide ie vieux chien de l’aveugle.
« Cet enfant, pourquoi ne pas le dire de suite, ce petit Claude, c’était moi. Oui, mes souvenirs d’un âge si tendre n’ont rien perdu de leur vivacité! ce n’est pas sans un vrai bonheur
qu’aujourd’imi je pense à ce temps où, insouciant, je prenais ma part de la joie que le vieux ménétrier allait porter dans les hameaux de la montagne. Brides, alors, ne se nom
mait pas Brides-les-Bains, c’était Brides tout simplement, et voici comment se découvrirent ses eaux devenues célèbres déjà et qui guérirent tant de rhumatismes.
«Quinze jours s’étaient écoulés depuis que je remplissais mes fonctions de guide. Satisfait de mon service, Zacharie, afin de m’encourager, m’avait acheté un petit violon, ainsi qu’une paire de souliers neufs, les premiers dont mes pieds fussent chaussés. Un matin, à la pointe du jour, comme nous revenions d’une noce qui avait eu lieu à Bozel, commune des environs, suivant un petit sentier qui longeait la rive droite du Doron, je vis un jeune oiseau qui sortait du nid pour la première fois, et qui essayait ses ailes, venir se poser à quelques pas de moi. — Un oiseau ! dis-je ; et lâchant le bras de l’aveugle, je courus après l’oiseau pour m’en emparer. Mais lui ne m’attendit pas; il vola sur uh buisson : quand j’arrivai au buisson, il était déjà dans un taillis. Je l’y poursuivis sans plus de succès : dix fois je crus que j’allais le saisir, dix fois il m’échappa. Enfin celte course dura une heure, une heure entière, pendant laquelle Zacharie blasphémait en m’appe
lant à grands cris. Quand, fatigué de courir, je revins sans l’oiseau me remettre entre les mains de l’aveugle, celui-ci me donna une correction ; mais une correction telle, que je m’en suis souvenu. Là ne se borna pas ma punition ; il m ôta mes beaux souliers neufs des pieds, et me les suspendit au cou par les cordons.
« — Tu ne vaux pas mon vieux chien ! pourquoi serais-tu mieux chaussé ? En route, dit-il.»
«Le temps était beau, un peu froid; nous marchions vite. La gelée blanche que le soleil n’avait pas encore fondue dans la plaine me glaçait les pieds. Arrivés sur l’espace de terrain où depuis l’on a bâti les; bains, mes pieds, si froids, ressentirent, en se posant sur une crevasse de la terre, une cha
leur qui m’étonna. Quelques pas plus loin, forcé de remettre les pieds dans une nappe d’eau, je la trouvai si chaude , si chaude, qu’elle me fit jeter un cri.
«_Qu’as-tu? qu’as-tu? me demanda Zacharie. Qu’est-ce
donc?