qu’il se soit accompli sur la Seine (l’occasion autorise peutêtre ce détestable calembour). Sur les quais, au débouché des ponts, les passants et autres badauds s’arrêtaient avec
complaisance, non pas cette fois pour regarder couler l’eau, mais pour contempler le tableau que vous allez revoir dans la présente vignette. La Seine devenue laNéva, couverte d’une
neige cristallisée, offrait une surface brillante, solide ici, fondante là-bas, et que d’intrépides gamins traversaient dans son étendue. Pendant trois jours les Parisiens ont pu jouir d’un
Aspect de la Seine le 28 janvier 1848.
point de vue hyperboréen et goûter en perspective les joies du Samoiède et de l’Esquimau; mais l’heure de la débâcle a sonné, le fleuve a repris son cours, et nos citadins ont recom
mencé la grande bataille qu’ils livrent à la pluie et au mauvais temps tout le long de l’hiver. N’est-ce pas l’époque des plus grandes eaux pour eux, et la belle saison des neiges qui
fondent, des glaçons qui tiennent bon, des conduits d’eau qui crèvent, des maisons qui pleurent, des piétons qui barbottenl et des cheminées qui fument ?
On se souvient peut-être encore aujourd’hui, quoiqu’il y ait de cela deux mois, que M. de Maillardoz, officier distingué, chargé par les cantons dissidents de défendre Fribourg, éprouva, comme il l’a déclaré depuis, des em
pêchements de la part d es meneurs du landsturm. « Vos préparatifs, vos dispositions militaires et stratégiques, lui disait-on, ne serviront de Tien. Laissez faire : il y aura un mira
cle.» Le miracle n’est pas venu. Il paraît pourtant que tout avait été préparé pour le . provoquer et le recevoir. Chaque soldat portait une petite médaille miraculeuse, accom
pagnée d un petit papier dont nous avons reçu un exemplaire. Ce papier rappelle l’inscription qui se trouve autour de l’effigie : O Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons re
cours à vous. Et plus bas, sous forme d’avertis
sement : « Quiconque, portant une médaille miraculeuse, récite avec piété cette invocation, se trouve placé sous la protection spéciale de la Mère de Dieu : c’est une promesse de Marie Elle-même.» — Ces braves, persuadés que deux médailles valent mieux qu’une seule mé
daille, portaient aussi celle de Sainte Philomène, dont notre dessin donne la figure, ainsi que la forme d’une petite monnaie, dont nous parlerons tout à l’heure.
Toutefois les meneurs du landsturm ne se bornaient pas à ce menu commerce de cuivre et de petits carrés de papier. On nous adresse de Fribourg, avec les dessins dont nous avons composé la panoplie ci-jointe, quelques dé
tails qui complètent cette curieuse exhibition.
nos lecteurs ne verront pas sans intérêt ces débris d’un autre âge devenus aujourd’hui les monuments de triomphe des idées nouvelles.
Ces pertuisanes, cès haches à crochet, ces. vieilles piques, qui remontent pour la plupart à la bataille de Moral, étaient les armes du landsturm. On dirait le moyen âge ressuscité avec toutes ses ferrailles pour faire sa dernière
apparition à Fribourg et à Lucerne. Il n’y.a’ parmi ces dépouilles de la tempête du pays qu’un souvenir de la renaissance : c’est une giberne sur laquelle se trouve une grue avec cette inscription : Régiment de Gruyère. Or, cette giberne rappelle un fait historique curieux. En 1543, régnait à Gruyère un cer
tain Michel, assez semblable à nos rois d’Yvetot, qui se qualifiait de comte et de prince. Ce personnage, mal meublé d’argent, selon ses expressions, fit un emprunt pour aller à la cour de France, où il reçut commission de François Ier de lever un régiment. Il parvint, en engageant tout son comté de Gruyère, à mettre sur pied deux mille hommes. Mais il paraît qu’il les avait pris au rabais, car à la fameuse bataille de Cérisoles, à peine en ligne, ils tournèrent le dos. Ce qui n’empêclm pas le comte Michel de réclamer à François Ier et à son successeur le prix de leur équipement et leur solde. Comme on le pense bien, personne ne lui répondit, excepté Rabelais, qui
Trophées du Sonderbund.
dit dans son Pantagruel : « Si les souldats perdoyent la bataille, c’eust été honte demander la paye, comme feirent les fuyars Gruyers. »
— Les gibernes des braves du comte Michel ont dû se croire encore à Cérisoles. Les armes
modernes du landsturm étaient des sabres et des épées sur lesquels on lit ; Vive le roi de Naples ! quelques sabres ornés de la couronne de Prusse, des baïonnettes et des faux em
manchées au bout d’un bâton, des fourches de toutes formes et de toute dimension. L’un de ces instruments surtout, que les bons Pètes appelaient tire-boyaux, mérite l’attention : c’est cette fourche à quatre dents dont deux sont recourbées.
On comprend maintenant la pitié qu’un armement aussi misérable devait inspirer à des officiers qui connaissent les armes, et nous racontons ceci pour les justifier. Il y aura un miracle, disait-on à M. de Mail
lardoz; M. de Maillardoz et ses lieutenants,
qui ont entendu parler du proverbe : Aidetoi, le ciel t aidera, trouvaient sans doute qu’on ne s’aidait pas assez. On avait fait croire à leurs miliciens honnêtes, mais stupides,
que les .troupes fédérales seraient aveuglées en entrant sur le territoire du Sonderbund, que leurs balles et boulets reviendraient contre elles-mêmes, et beaucoup d’autres billevesées auxquelles ces montagnards ne voudront plus croire. C’est bien fait.
On a trouvé à Fribourg une variété curieuse d’instruments destinés, dit-on, à sévir contre les vaincus. nous en donnons des spécimens. Des disciplines, des cilices, des cordes dont l’un des bouts se termine par un boulon en fer fortement fixé, et l’autre bout par un anneau de fer. Les journaux du parti ont plaisanté sur ces cordes, qu’ils présentent comme des engins de gymnastique. Il n’y a plus aucun risqué à accepter cette gaieté. Gymnastique soit : il y avait de ces engins préparés pour donner cette récréation à huit, mille personnes à la fois. Le drapeau blanc qui figure dans cette panoplie, emporté par les carabiniers vaudois, était celui dès élèves du collège de Fribourg. Il porte dans son champ une lyre d’or, au-dessus des lettres sacramentelles : A. M. D. G.
nous avons parlé d’une petite monnaie dont la figure est représentée ici avec les médailles de la Vierge et de sainte Philomène; c’est un jeton du pensionnat de Fribourg. Les
bons Pères avaient établi des magasins dans l’enceinte du pensionnat; et afin que les élè
ves ne pussent pas faire leurs emplettes ou leurs provisions ailleurs, on leur donnait, au lieu d’argent, ces pièces portant d’un côté : Moneta convictus Friburgendis (monnaie du
couvent de Fribourg), et de l’autre : Deus auxilium nostrum. Cette monnaie ne vaut pas même aujourd’hui les sous de Monaco, mais elle figurera dans les collections de médailles, et l’Illustration servira, par cette notice, les numismates de la postérité.