d’être cités ; tels sont l’identité de forme et de position, aussi favorable à la répartition du son qu’à la commodité de l’exécutant, particulièrement dans la musique de cavalerie.; l’uni
formité de leur doigté, qui les rend tous accessibles, sans exception, au même artiste, si bien que le musicien jouant du saxhorn peut également jouer du trombone, de la trom
pette, du cornet, etc. Il en est de même pour tous les in
struments d’une même famille, depuis le plus grave jusqu’au plus aigu.
Il n’est pas surprenant, d’après cela, que la manufacture de M. Adolphe Sax et compagnie ait pris en peu de temps un accroissement, si considérable. Le nouveau système appliqué aux. instruments de cuivre, ayant été soumis au jugement d’une commission spéciale, a été, d’après les conclu
sions du rapport de cette commission, adopté par ordonnance ministérielle pour tous les corps de musique de l’armée fran
çaise. A peine quelques-uns de ces corps de musique ont-ils été réorganisés suivant la nouvelle ordonnance, que le succès le plus complet a répondu aux efforts et aux espérances de l intelligent facteur. Aussi ses produits ont acquis une telle réputation, que non-seulement les meilleurs artistes français les ont adoptés, mais que la Prusse, la Hollande, la Bel
gique, l’Angleterre, l’Italie, la Russie, sont devenues tributaires de la fabrique de la rue Saint-Georges; et non-seulement l’Europe, mais encore les contrées les plus éloignées : ainsi
l’on rencontre aujourd’hui ses instruments au Chili et au royaume de Lahore, aux Etats-Unis et dans l’Indoustan.
On conçoit maintenant l’importance de ce vaste établissement. Tandis que les établissements analogues, tant en France qu’à l étranger, se bornent ordinairement à la confection d’un petit nombre d’espèces d’instruments, ceux-ci, par exemple, ne confectionnant que des instruments en bois, ceux-là que des instruments en cuivre ; d’autres même se bornant à la fabrication d’une seule espèce, clarinette, flûte, cor ou trombone , etc. ; ces différentes espèces, ces diverses spéciali
tés, comme on dit, se trouvent réunies dans la manufacture de M. Adolphe Sax. Tandis que les fabriques les plus considérables de Vienne et de Berlin occupent de dix à vingt ou
vriers au plus, une demi-journée de solde, versée par les ouvriers de la maison Sax au profit des inondés de la Loire, produit une somme de quatre cent un francs, comme le constate le Journal des Débats du 21 novembre 1846. Indépen
damment des deux ateliers reproduits par les dessins qui accompagnent cet article, la fabrique de M. Adolphe Sax renferme encore celui des finisseurs, le magasin des instruments terminés, enfin une jolie salle de concerts, principalement destinée à l’audition des nouveaux instruments.
En résumé, voici quels sont les perfectionnements et les inventions de M. Adolphe Sax. L’habile facteur a imaginé, pour les instruments en cuivre, un-système compensateur,
qui permet d’arriverji la plus parfaite justesse et défaire les sons glissés; il a inventé un nouveau système de cylindres, une nouvelle famille d’instruments (les saxotrombas) ; il a per
fectionné et complété celles qui existaient précédemment; il
a perfectionné la clarinette nasse et inventé une clarinette contrebasse; il a également imaginé plusieurs nouveaux sys
tèmes pour la.clarinette-alto et la clarinette-soprano. Enfin, l’invention du saxophone, instrument d’un genre entière
ment nouveau, est sans contredit son plus beau titre de gloire.
Cependant, encouragé par les témoignages d’estime les plus flatteurs et par de nombreuses marques de sympathies, M. A.
Sax, travailleur infatigable, ne borne pas là ses recherches scientifiques et industrielles. nous connaissons, entre autres, un de ses projets, qu’on peut justement nommer colossal.
L’espace nous manque pour en parlerici longuement, comme il le faudrait; mais quelques mots suffiront peut-être à en donner une idée. Il ne s’agit de rien moins que d’un orgue gigantesque pour les grandes fêtes et solennités publiques, qui remplacerait ces concerts en plein air passablement mes
quins, que presque personne ne peut entendre. Placé sur une élévation convenable, de manière à dominer la ville, mû par une machine de la force de quatorze à quinze atmosphères,
surplombé d’un vaste réflecteur, de manière à forcer le son de s’étendre en tout sens le plus loin possible dans une direction horizontale , cet instrument original déverserait des tor
rents d’harmonie sur toute la population à la fois. Un tel projet paraîtra sans doute chimérique. Toutefois, le savant directeur du musée de l’industrie belge, M. Jobard, à qui il a été communiqué, en a rendu compte de la manière la plus favorable, et M. Savart, l’un de nos acousticiens les plus distigués, l’a également approuvé.
nous croyons ne pouvoir mieux terminer cette notice succincte sur la manufacture de M. Adolphe Sax qu’en renvoyant ceux de nos lecteurs désireux de s’éclairer à fond sur la ques
tion et sur tout ce qui concerne les nouveaux instruments, au remarquable ouvrage que M. Georges Kastner vient de
publier sous le titre de Manuel de musique militaire. Dans cet excellent livre, où brille une érudition à la fois aimable
et substantielle, le savant écrivian, après avoir tracé d’une manière intéressante l’historique des musiques militaires dans l’antiquité, le moyen âge et les temps modernes, décrit tous les faits, les événements qui ont précédé et accompagné la réforme de nos musiques de régiment. Un pareil travail ne pouvait certainement mieux être exécuté que par celui-là même qui fut le secrétaire-rapporteur de la commission
nommée pour opérer cette réforme. Au reste, ce n’est pas ici le lieu d’entrer dans de plus longs détails sur le livre de M. Georges Iîastner, auquel nous comptons consacrer bien
tôt un article spécial dans notre revue bibliographique. notre intention est seulement aujourd’hui de le citer comme le meilleur et même le seul guide dans la dispute artistique
qu’ont soulevée les inventions et les perfectionnements de M. Adolphe Sax, ainsi que les progrès incessants et les développements rapides de la manufacture de ce célèbre industriel.
G. B.
Études sur le Journalisme.
LE BUREAU DU JOURNAL. — LE RÉDACTEUR EN CHEF. — LE PREMIER-PARIS. — NOUVELLES ÉTRANGÈRES.
Il est quatre heures du soir : le bureau du journal, désert le jour, commence à être fréquenté. Les courtiers de nouvel
les, abeilles équivoques, viennent dégorger le miel qu’ils ont butiné depuis le matin. L’un apporte un assassinat ;
l’autre, un cancan parlementaire attrapé au vol en passant dans la salle des Pas-Perdus ; celui-ci, un fragment de lettre,; celui-là, une indiscrétion de quelque officier du château ou employé de ministère; quejsais -je, encore? un petit scandale,
un suicide, un homme écrasé, un feu de cheminée, un bruit de Bourse... —Le cuisinier du journal, un homme impor
tant dont nous aurons à entretenir nos lecteurs au chapitre des Faits-Paris, est à son poste; il vient lui-même d’effec
tuer le long des ruisseaux de la ville sa petite chasse aux canards. Il tâte gravement et dédaigneusement la plume à ceux qu’on lui présente, rejette ceux qui lui paraissent trop
surannés ou trop dénués d’embonpoint, et passe les autres au chef de la composition, qui les met dans sa poêle à frire pour le ragoût du lendemain.
Les publicistes en sous-ordre arrivent ensuite et prennent place autour d’une table tendue d’un tapis qui fut de -drap
vert et chargée de tous les journaux du matin déjà éventres par les ciseaux du maître-queux. A mesure que chacun s in
troduit, il échange avec ses confrères un salut assez peu fra
ternel et s’assied, auprès de la table boiteuse, sur une chaise claudicante ; il fait semblant de lire, demande quelles nou
velles? reçoit généralement pour réponse un haussement d’é­ paules, et cherche, parmi les débris épars sous sesytux quel
que os oublié, propre à fournir, faute de mieux, la matière d’un entrefilet. D’ameublement en dehors delà chaise et des tables, néant; à peine une écritoire ; quelques tronçons de plumes; de petits carrés de papier, rares et exigus, comme si l’industrie des Marais et d’Essonne était menacée de ruine.
Toutes ces plumes disponibles (je ne parle pas des tronçons) demeurent comme suspendues jusqu’à l’apparition du moteur essentiel qui doit les faire fonctionner. Ce personnage, qui est le rédacteur en chef, arrive tard, mais il rapporte le mot d’ordre, le firman qui va délier tous ces becs aigus inac
tifs. Son front plissé atteste les soucis, le labeur qu’exige la récolte, en apparence si simple, de cette manne quotidienne.
Le matin, il lui a fallu rendre sa visite au grand homme en qui se résume la politique du journal (il y a toujours un grand homme; il y en a même deux parfois). Le grand homme, consulté sur l’événement du jour, hésite; il voudrait bien
flageller rudement ses malhabiles adversaires ; mais il faut avant tout se conserver des chances ; il ne faut pas se rendre impossible par trop d’acrimonie et de franchise. Quelques tem
péraments sont nécessaires ; et puis, l’opinion d’un tel est à considérer ; il ne faut pas le heurter de front. Certains pré
cédents, certains écrits, certaines paroles dont une main
adroite et hostile pourrait bien exprimer contre lui le poison de la palinodie et de la contradiction, quelquefois aussi le veto présumé de l autrejgrand homme, viennent se jeter à la traverse du plan de campagne. Bref, l’oracle pa
raît embarrassé ; lui-même consultera une Egérie. Il donne cependant quelques instructions à son scribe et lui trace le canevas rudimentaire d’un article provisoire. Mais,
avant de rien hasarder, il faut voir l’attitude, l’impression de la Chambre : le rédacteur en chef devra donc s’y trou
ver ; il aura soin de colliger dans les couloirs et dans la salle des Pas-Perdus des renseignements sur l’état therrnométrique de l’opinion ; puis, au sortir de la séance, il recueillera les dernières inspirations du grand homme ; après quoi, il aura carte blanche pour suivre en tout élan les siennes propres.
Le rédacteur en chef n’est pas toujours bridé si étroitement par son cavalier politique. Celui-ci lui laisse volon
tiers les rênes sur le cou, hors les cas graves, lorsqu’il n’y a rien à dire, et c’est là que brille le talent du vrai journaliste.
De retour au bureau, le rédacteur en chef distribue la besogne à ses aides : celui-ci traitera la question du sel ; cet autre, un des vingt-deux côtés de la question suisse. Un en
trefilet sur l’Espagne composera pour aujourd’hui la maigre pitance du troisième. Le quatrième encadrera une corres
pondance italienne. «Allez, messieurs ! — Dans cinq quarts d’heure il faut que le journal soit fait!» — Et chacun aussitôt de s’emparer d’un coin de la table, de gagner quelque réduit sombre ou de monter dans une soupente pour y grif
fonner en toute hâte une chose quelconque sans notes, sans recueillement, sans documents d’aucune sorte. Les docu
ments pour un article au pied levé, ce sont les impedimenta dont (parle si souvent César pour une cavalerie légère. La plupart des journaux ne possèdent d’ailleurs ni collections,
ni bibliothèque. Il en existerait, qu’il ne serait ni bon, ni prudent de les consulter. Cela ferait perdre du temps.
Ceci me remet en mémoire que, dans mon extrême jeunesse, j’avais désiré faire partie, — non d’un journal, —je
n’avais pas des visées si ambitieuses, —mais d’un atelier de traduction, d’un office de correspondance qui était alors et est encore en possession de défrayer toute la presse de nouvelles étrangères empruntées aux journaux des divers pays. Un soi-disant ami me servit d’introducteur dans cet office où l’on me reçut à l’essai, comme traducteur aspirant pour les journaux allemands et anglais. La besogne était âpre et le noviciat rude. Il fallait être rendu à l’atelier avant six heures du matin et y séjourner jusqu à huit ou même neuf, se
lon l’importance des matières. Mais cette corvée matinale n’effrayait pas mon jeune courage ; je ne demandais qu’à bien faire pour mériter le grade de traducteur en titre. Mon trop de zèle, ou, pour mieux dire, une circonstance funeste
vint ruiner mes espérances. L’office où nous travaillions était meublé à peu près comme un bureau de journal, ce qui re
vient à dire qu’il ne l’était nullement. Seulement, on voyait sur la table, au milieu des gazettes éparses de toutes les par
ties de l’Europe, quelques dictionnaires des langues qu’il s’a­ gissait de traduire. Ce fut là ce qui me perdit. Jaloux de ne pas mériter l’épithète de traditore, je ne pus résister à la ten
tation de consulter de temps en temps ces répertoires de linguistique, pour m’assurer de Ja valeur de certains voca
bles politiques avec l’argot desquels je n’étais point encore, suffisamment familier. Au bout de trois semaines de surnumérariat, et comme je m’attendais à recevoir enfin le prix de mon labeur consciencieux, j’obtins pour toute récompense
communication d’une lettre qu’écrivait le traducteur en chef
à mon introducteur. Cette épitre me concernait, et il y était dit : «Mon cher, votre candidat ne saurait devenir des nôtres. Faites-lui entendre doucement de discontiner ses essais. Entre nous, votre protégé ne fera jamais rien de bon; il se sert du dictionnaire ! »
Revenons au rédacteur en chef. Après avoir distribué la besogne, et, comme Alexandre, réparti l’univers entre ses
lieutenants , il passe dans son cabinet et se prend corps à corps avec la parole du maître, celle du matin, amendée par celle du milieu du jour, que modifie celle du soir... novissimaverba. Il étend cette parole, la commente, la développe, et de cette amplification résulte ce qu’on nomme le Premier- Paris, c’est-à-dire l article qui, imprimé en tête du journal en gros caractères avec la date de Paris, donne le ton et résume pour ce jour-là l’esprit et les tendances de la feuille.
Cet article, long d’ordinaire, en revanche peu amusant, est [habituellement suivi de plusieurs autres qui ne lui cè
dent en rien sous ce double rapport et qui portent aussi le nom de Premier-Paris, bien qu’il fût plus exact de leur donner celui de second, troisième ou quatrième-Paris.
Chaque matin, la France, en ouvrant les yeux, trouve sur sa table de nuit quinze cents ou deux mille morceaux de lit
térature semblable. Il y a des premiers-Rouen, des premiers- Lille, des premiers-Lyon, voire des premiers-Chàteau-Chinon et des premiers-Carpentras.
Pendant la session, le premier-Paris est en grande partie consacré au compte rendu des débats et des joules parlemen
taires. Sous ce rapport, il offrirait une certaine utilité, en dispensant de lire la reproduction sténographiée de tant de phrases vides et de discours oiseux, s’il n’était fait sans bonne foi. Mais, loin de présenter un résumé fidèle des discussions, un tableau vrai de la physionomie des Chambres, il n’est, —
et personne, j’imagine, ne me contredira sur ce point, — qu’une continuation plus ou moins passionnée de la polémi
que journalière. C’est un bulletin de campagne où chacun se décerne, comme dans les guerres civiles espagnoles, les palmes exclusives du sens, de la raison et de l’éloquence poli
tiques. Tel orateur, bafoué selon l’un, a été applaudi pour l’autre, — il serait plus juste de dire par l’autre. Nul n’a de talent et de succès que nos amis. Un discours sublime, (sic, version du voisin) n’est qu’une pitoyable harangue. Les ap
plaudissements se changent en murmures; les transports unanimes de l assemblée émue par cette parole imposante se métamorphosent plus loin en un croissant tumulte déterminé par l’ennui et l’impatience de l’auditoire. Ici, recueillement; là, silence glacial; — attention profonde, — sommeil de las
situde. D’où il suit que le plus court moyen de connaître d’une façon tant soit peu nette les émotions et la portée d’une
séance est de lire les trente-six colonnes du Moniteur, si mieux n’aime le curieux prendre tous les journaux, et confronter leurs dires, pour retomber juste au même point d’indécision qu’auparavant.
Hors le service des Chambres, lejpremier-Paris vit sur les questions à l’ordre du jour. Trois ou quatre questions sur-, gissent bon an, mal an. Chacune d’elles pourrait se discuter en une demi-douzaine de pages. Il n’y est guère consacré qu’un ou deux millions de Jignes. L’esprit le plus lucide et et le plus pénétrant s’égarerait dans les méandres et dans les détails minuscules de cette immense controverse. Abonnés,
mes amis, dites si j’exagère! Donnez-moi votre avis sur la question suisse, tournée et retournée sous beaucoup plus de faces que le pays n’a de cantons. Que dites-vous du Sonderbund? Et l’affaire de la Plata, n’est-elle pas bien divertissante? Et ta question de l’enseignement? Et les incompatibilités? Et les mariages espagnols?...
Quoi ! ce pays souffre ; un malaise physique et moral le consume; de noirs pressentiments, de vagues inquiétudes sillonnent le courant social en tous sens ; l’avenir est sombre et incertain; le présent, triste; îa vie, rude; tous les précur
seurs de l’orage s’ainoncèlent à l horizon ; le plus aveugle voit ces signes ; la nation gémit, frappée dans sa dignité, ses in
stincts et ces intérêts matériels, qu’on a voulu déifier ; la dou
leur et la gêne sont dans toutes les classes, l’anxiété sur tous les fronts. — Et, détournant vos yeux de tout ce qui se passe ou s’annonce, vous, les pilotes, les sentinelles du pays, vous continuez de perdre votre temps et le nôtre à nous indigérer de toutes vos sornettes. Médecins du logis, vous quittez mon chevet pour aller dans.les carrefours tâter précieusement le pouls au premier malotru qui passe ! Pour guérir la France malade, vous lui donnez ponctuellement le bulletin circon
stancié de la santé européenne. Et que me font à moi vos éternelles querelles à propos des capitulaires qui règlent les glaciers suisses? Que m’importe à moi qui ai froid, et faim, et soif, ce qui s’agite dans la république argentine? Qu’ai-je besoin de savoir jour par jour, heure par heure, ce qui se fait dans les Grisons ou sur les coteaux de Lucerne? J’ai bien affaire de vous suivre dans vos promenades militaires et vos
circuits diplomatiques! Apprenez-moi cela en bloc, une fois pour toutes; prenez la peine de résumer la question; ditesmoi les principaux faits; exposez-moi la situation des partis; passez à cela, si vous voulez, une semaine; je vous la donne. Cela fait, laissez-moi juger par moi-même, et, s’il est possible, délivrez-moi du Sonderbund !
Je veux bien être de mon siècle ; je ne veux rester étranger à aucune grande évolution contemporaine, se passât-elle au Paraguay ou à la Chine; mais l’avenir, mais le passé, mais mon présent à moi, méritent, bien aussi quelque consi
dération, quelque soja«jpJBfeWé soin. Si ma journée suf